lundi 25 octobre 2010

:: Quand la CGT veut "faire voler en éclat le mythe de l’avant garde éclairée"...


[...] Disons tout de suite que le « recentrage » de la CGT ne s’est pas fait sans la résistance des plus combatifs de ses militants. Résistance qui s’est assez peu exprimée dans les congrès de la confédération mais bien plus dans la pratique militante des équipes de telle ou telle entreprise confrontées aux réalités de la lutte de classe.
Pour autant, depuis plus de quinze ans, la direction de la CGT a cherché méthodiquement à rompre avec l’image de syndicat radical et hostile aux compromis, de « courroie de transmission » du Parti communiste. Congrès après congrès, la CGT a tenté de se forger l’image d’un syndicat « de proposition et de concertation ».
Cette évolution a d’abord été rendue possible par l’affaiblissement du PC, lui-même consécutif à sa déconsidération lors de ses passages au gouvernement et à la chute des régimes staliniens des pays de l’Est. Nombre de militants du PC, démoralisés par l’union de la gauche, sans perspective politique plus générale, se sont repliés sur la seule activité syndicale. La baisse du crédit politique du PC a renforcé, au sein de la direction de la CGT, tous ceux qui défendaient exclusivement les intérêts de l’appareil du syndicat.
La CGT n’a cessé de prendre ses distances avec le PCF. En 1996, Louis Viannet quittait le bureau national de ce parti. En 2001, Bernard Thibault se retira du conseil national. Pour marquer cette prise de distance, il refusa que la CGT s’associe à des manifestations initiées par le PCF. Il déclarait alors « qu’aucune organisation syndicale (…) n’est et ne sera jamais une composante d’une majorité gouvernementale (...) L’indépendance exclut toute attitude de soutien ou de co-élaboration d’un projet politique quel qu’il soit ». Cet apolitisme affiché n’empêcha pas Thibault d’être reçu triomphalement en mai 2003 au congrès… du PS !
Au congrès de Montreuil en 1995, en pleine grève contre le plan Juppé, la CGT décidait de faire disparaître de ses statuts les références à la socialisation des moyens de production et d’abandonner l’objectif de l’abolition du salariat, qui figurait dans ses textes.
Cela n’était pas anecdotique. Même s’il y avait belle lurette que la CGT ne cherchait plus à renverser le capitalisme, elle continuait à transmettre, à travers ses stages par exemple, l’idée que le capitalisme est un système économique absurde et néfaste. Renoncer à l’abolition du salariat revient à reconnaître que le capitalisme n’a pas d’alternative.
Dans les publications de la CGT, le langage et les références marxistes, même revues et corrigées par le stalinisme, ont disparu. Selon la mode idéologique en vigueur dans les milieux de la gauche voire l’extrême gauche, ils ont été remplacés par le jargon de l’altermondialisme, « l’ultralibéralisme » devenant responsable de tous les maux.
Selon le livre « Le syndicalisme à mots découverts », le mot « classe » est apparu pour la dernière fois en 1999 dans une résolution d’un congrès de la CGT. Le mot « travailleur » apparaissait 2 000 fois en 1972, 400 fois en 1978 et seulement 3 fois en 2003 ! « Ouvriers » et « travailleurs » sont devenus des « salariés ». C’est bien plus politiquement correct !
Dans une société de classe, si les travailleurs ne défendent pas ouvertement leur propre perspective politique, leurs propres solutions face à tous les problèmes sociaux ou sociétaux, ce sont la bourgeoisie et ses multiples idéologues qui le font. L’apolitisme revient finalement à s’aligner derrière la politique de la bourgeoisie.
Au congrès de Strasbourg en 1999, Bernard Thibault affirma que les militants de la CGT « sont aussi capables de prendre leur stylo pour signer des accords avec le patronat ». Il fustigea « notre syndicalisme qui reste marqué par notre tendance à privilégier la dénonciation des aspects négatifs (…) plutôt qu’à rechercher par quelles propositions et contre-propositions les salariés pourront se sentir encouragés à se mobiliser. » C’est ce qu’il appelait un « syndicalisme de conquêtes sociales ».
Parmi les idées répétées ces dernières années par les dirigeants de la CGT, il y a celle que le syndicat n’aurait pas de position de principe à défendre et qu’il devrait simplement s’aligner sur les demandes de la majorité des salariés. C’est ainsi que Thibault déclarait en 2007 : « il ne faut pas rechigner systématiquement à user du stylo quand il est probable ou patent que les salariés le souhaitent. Il faut faire voler en éclat le mythe de l’avant garde éclairée. ».
Cette démarche qui consiste à s’aligner sur l’opinion majoritaire des salariés est lourde de dangers. Avec le chômage qui pèse sur les épaules des travailleurs, le patronat exerce purement et simplement un chantage à l’emploi et dicte ses conditions. Dans un nombre croissant d’entreprises, il cherche à obtenir un allongement des horaires ou la suppression de jours de RTT sous le prétexte de sauver des emplois.
Devant ce chantage et sous la pression de salariés inquiets, nombre de syndicats organisent des consultations, dans lesquelles ouvriers, employés ou cadres votent de la même façon et qui semblent démocratiques, pour justifier de signer un accord.
Le rôle du syndicat serait au contraire de dénoncer ce chantage. Il devrait tenter de convaincre une majorité de travailleurs de s’opposer aux plans du patron. Pour entraîner les hésitants, il devrait s’appuyer sur ceux qui résistent même s’ils sont minoritaires, sur ceux qui sont lucides et savent que céder au chantage n’empêche jamais un patron de fermer une usine quand il le décide. Et même complètement isolés, les militants syndicaux doivent continuer d’affirmer qu’il ne faut pas céder au chantage, que quoi qu’acceptent les travailleurs, les patrons exigeront de nouvelles concessions. Ils doivent garder levés un drapeau, un programme et des perspectives de lutte.
C’est fort heureusement cette politique qu’ont menée nombre d’équipes de la CGT confrontées à cette situation, comme l’actualité récente l’a montré. Mais en proclamant vouloir « faire voler en éclat le mythe de l’avant-garde éclairée », les dirigeants de la confédération renoncent à offrir cette boussole, cette perspective de classe en toutes circonstances aux syndiqués et aux travailleurs.