lundi 17 août 2015

:: 23 juillet 1923 : Pancho Villa assassiné

Pancho Villa incarna, avec Emiliano Zapata, les espoirs des paysans pauvres au cours des luttes révolutionnaires qui avaient secoué le Mexique au début du siècle dernier. Zapata, lui, avait déjà été assassiné dès 1919.

La révolution mexicaine avait commencé en 1910 par un soulèvement contre un dictateur, Porfirio Diaz, qui s'accrochait au pouvoir depuis 1876. Dans toutes les couches de la société mexicaine, le régime était rejeté. Madero, héritier d'une des dix familles les plus riches du Mexique, appela à prendre les armes pour renverser Diaz.

Son appel eut de l'écho dans les campagnes. Les paysans, soit 80% de la population, étaient très majoritairement des ouvriers agricoles, qui avaient été dépossédés de leurs terres au profit d'une minorité de gros propriétaires. Ils avaient été contraints de s'embaucher dans ces grands domaines, les haciendas: surexploités, recevant des salaires de misère, ils s'endettaient dans le magasin appartenant à leur patron et ne pouvaient plus partir avant d'avoir remboursé leurs dettes. Ce système réduisait les paysans à un quasi-esclavage. Les paysans qui étaient d'origine indienne subissaient en plus le racisme, quand ils n'étaient pas massacrés et déportés. Les tentatives de révolte étaient férocement réprimées par les "rurales", les milices que le régime entretenait dans les campagnes.

L'appel de Madero à la révolte signifiait pour les paysans la fin de l'emprise des grands propriétaires.
Villa incarnait cet espoir parce qu'il était un des leurs: fils de péons, il avait vécu dans une hacienda jusqu'à l'âge de 16 ans. Il fut obligé de s'enfuir après avoir tué le fils du patron qui avait violé sa soeur. Il vécut la vie d'un hors-la-loi, voleur de bétail, aux dépens des grands propriétaires. Ce Robin des Bois mexicain n'apprit à lire et à écrire que lors d'un séjour qu'il fit en prison.

Il rejoignit Madero et regroupa au nord du Mexique des milliers de paysans. Il en fit une armée dont la combativité et l'enthousiasme lui permirent de remporter des victoires spectaculaires. Dans le même temps, dans le centre du Mexique, la mobilisation paysanne s'organisait à l'initiative d'Emiliano Zapata et faisait reculer les troupes gouvernementales.

Surpris par l'ampleur de la révolte populaire, Diaz négocia son départ et Madero entra en triomphateur à Mexico en juin 1911. A peine arrivé au pouvoir, en digne propriétaire terrien, Madero exigea le désarmement des troupes révolutionnaires, tout en refusant de prendre la moindre réforme sociale. Et pour venir à bout de la mobilisation populaire, il s'appuya sur l'armée héritée de la dictature. De plus en plus isolé, il fut renversé par un général contre-révolutionnaire, Huerta, qui le fit exécuter. Huerta reçut le soutien des classes possédantes qui espéraient un retour à l'ordre.

Ce fut le contraire qui se produisit. La mobilisation révolutionnaire fut relancée. A la tête de son armée de paysans, la Division du Nord, tout en menant une lutte victorieuse contre les troupes de Huerta, Villa confisquait les grands domaines dans les zones qu'il contrôlait. Dans l'État du Morelos, Zapata lança une véritable réforme agraire, partageant les terres des haciendas. Mais Villa, resté fidèle jusqu'au bout à Madero, se mit sous la direction d'un autre politicien bourgeois, Carranza, lui aussi gros propriétaire terrien, qui tentait de fédérer les opposants au coup d'État.

Les armées révolutionnaires victorieuses, Huerta abandonna le pouvoir en juillet 1914 au profit de Carranza qui, tout comme Madero, refusa de prendre en compte les revendications des paysans.

Entre Carranza et les dirigeants des armées paysannes, le conflit éclata rapidement. Villa et Zapata décidèrent de marcher conjointement sur Mexico, qu'ils occupèrent en décembre 1914. Mais, ne sachant que faire du pouvoir, au bout de quelques semaines, ils abandonnèrent Mexico, que les troupes fidèles à Carranza réoccupèrent définitivement en juillet 1915.

Pendant cinq ans encore, les armées régulières livrèrent une guerre sans merci aux paysans insurgés, qui furent finalement vaincus. En 1920, Villa négocia sa reddition, le gouvernement acceptant de lui offrir une hacienda pour lui et sa garde privée, avant de le faire assassiner trois ans plus tard.

Villa incarna parfaitement la force de la mobilisation révolutionnaire des paysans mexicains durant une dizaine d'années. Il en incarna aussi les limites politiques. Tout au long de la révolution, Villa s'est mis au service d'un politicien de la bourgeoisie et, quand il chercha à s'en affranchir, il fut incapable d'offrir une alternative politique. Et aucun autre dirigeant de la paysannerie n'en fut davantage capable. Cela illustre un problème plus général: si la paysannerie a été capable de fournir les troupes de bien des révolutions, elle n'est pas capable, de par sa position sociale à l'écart des villes, d'exercer durablement le pouvoir, qui se trouve dans les centres urbains.

La révolution russe de 1917 a montré, à la même époque, comment seul le prolétariat, en disputant dans les villes le pouvoir à la bourgeoisie, pouvait permettre à la paysannerie de mettre vraiment fin à la domination des grands propriétaires, et offrir ainsi une issue à tous les opprimés.


Marc RÉMY (LO n°1826)

:: 19 août 1942 : le débarquement allié à Dieppe

L'anniversaire du débarquement allié à Dieppe, le 19 août 1942, est fêté avec bien plus de discrétion que ne le fut celui de 1944. Et pour cause : cette opération, dont certains historiens doutent fort aujourd'hui de l'utilité, se solda par le massacre de plusieurs milliers de soldats, notamment canadiens.

Depuis plusieurs mois, les Anglais et les Américains réfléchissaient à une possibilité de débarquement de leurs troupes sur la côte ouest de la France, dans le but d'ouvrir un second front en Europe.

Mais le débarquement d'août 1942 - l'opération " Jubilee " - n'avait pas lui-même pour but d'ouvrir ce second front, comme le prouve le nombre relativement faible d'hommes engagés. En réalité, il s'agissait bien plus pour les Anglo-américains de tester la faisabilité d'une telle opération, aussi bien que le nouveau matériel militaire américain.

Alors, tant qu'à faire des tests en grandeur nature qui pouvaient aussi bien se transformer en boucherie, on préféra, à Washington, que la chair à canon utilisée ne fût point américaine. Ce furent donc 5 000 soldats canadiens qui furent envoyés se faire massacrer à Dieppe, accompagnés de quelque 1 000 Anglais et d'une cinquantaine d'Américains.

Selon les historiens militaires, l'opération fut mal préparée et marquée de dilettantisme : l'état-major avait très largement sous-estimé les forces allemandes en présence ; les chalands de débarquement étaient incapables de tenir leur cap et débarquèrent loin du point prévu initialement ; il n'avait même pas été envisagé que les assaillants avaient le soleil dans les yeux, et offraient de ce fait une cible quasi-impuissante aux mitrailleuses allemandes. Lorsque les premiers chalands furent détruits, les systèmes radio, défaillants, ne permirent pas de communiquer des ordres au reste des troupes. Comme l'ont raconté par la suite des survivants : " Des embarcations en feu, la plage jonchée de cadavres, laissaient entrevoir l'imminence d'un désastre. (...) Le commandement pensait la situation à terre maîtrisée ; en fait, la fumée masquant le rivage, les transmissions défaillantes entraînèrent une interprétation erronée. Les Québécois allaient être entraînés sur la plage en plein chaos. "

Finalement, seule une petite moitié des 3 000 hommes engagés put être évacuée. Parmi les autres, entre 2 000 et 3 000 soldats restèrent morts sur le terrain. Ce débarquement ne provoqua que ce commentaire cynique de Hitler : " C'est bien la première fois que les Anglais ont l'amabilité de traverser la mer pour (nous) offrir un échantillonnage complet de leurs nouvelles armes. "

Mais ce débarquement servit aussi de leçon aux Américains pour mettre au point leur stratégie de 1944, simple et elle aussi bien cynique : " Faire débarquer plus d'hommes que l'ennemi ne peut en tuer. "

La vie des soldats n'avait pas plus de prix dans un camp que dans l'autre.

Pierre VANDRILLE (LO n°1777)

:: 15 août 1971 : la fin du système de Bretton-Woods

Le 15 août 1971, le président américain Richard Nixon annonçait la fin de la convertibilité du dollar en or. Au-delà de ses aspects monétaires, cette mesure marquait la fin de l'ordre économique mondial imposé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par l'impérialisme américain victorieux. Surtout, elle marquait le retour du marché mondial à l'instabilité économique et monétaire qui l'avait dominé pendant l'entre-deux-guerres, instabilité qui ne s'était "résolue", si l'on peut dire, que par la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale.

Cet ordre économique mondial de l'après-guerre remontait aux accords de Bretton-Woods, signés le 1er juillet 1944 dans la ville américaine du même nom, par les représentants de 44 pays sous l'égide des USA. Le système dit "de Bretton-Woods" qu'il mit en place consacra la domination mondiale de l'économie américaine. Il fit du dollar la clé de voûte d'un système monétaire dans lequel chaque monnaie se vit attribuer un taux de change fixe par rapport au dollar, tandis que le dollar lui-même devenait la seule monnaie convertible en or, c'est-à-dire dotée d'une valeur arbitraire fixe en or reconnue sur toutes les places financières. Pour consolider le tout, des institutions furent mises en place pour fournir aux pays en difficultés des prêts destinés à éviter tout ce qui pourrait menacer la stabilité de l'ensemble : c'est ainsi que virent le jour le Fonds Monétaire International et l'ancêtre de l'actuelle Banque Mondiale.

Ce cadre institutionnel facilita par la suite le redémarrage de la production et du commerce dans les pays dont l'économie avait été partiellement ou totalement détruite par la guerre. Les centaines de milliards de dollars du plan Marshall, à partir de 1947, y furent pour beaucoup, même si en même temps ils permirent aux grands trusts américains de bénéficier du pactole d'un marché qu'ils étaient seuls à pouvoir approvisionner. Mais rien de tout cela n'aurait été possible sans le rôle prédominant attribué au dollar par le système de Bretton-Woods.

Mais du même coup, la stabilité de ce système reposait entièrement sur celle de la monnaie qui en était le pivot. Or le dollar, bien que devenu monnaie universelle par la grâce de Bretton-Woods, n'en demeurait pas moins la monnaie d'un Etat. Et l'Etat américain ne se montra pas plus responsable que ses homologues européens dans sa politique monétaire. Tout comme la France et les autres, il fit marcher la planche à billets au profit de ses trusts, mais sur une tout autre échelle.

En particulier la polique de grande puissance de l'impérialisme américain, d'abord au travers de l'armement de Taïwan contre la Chine de Mao Tsé-toung puis dans la guerre de Corée et surtout celle du Vietnam, prit une telle ampleur que les dépenses militaires de Washington finirent par représenter la moitié de son budget.

La masse des dollars en circulation dans le monde augmenta dans des proportions fabuleuses, au point que dès le début des années 1960 la convertibilité du dollar en or au taux officiel commença à faire figure de fiction. Tandis que l'inflation augmentait aux USA, comme d'ailleurs pratiquement partout ailleurs, la spéculation monétaire revint au goût du jour, sous la forme d'une ruée sur l'or. Ce mouvement spéculatif menaça de vider les réserves des banques centrales, y compris aux USA. A la fin des années 1960, la situation avait déjà atteint un seuil critique. Diverses tentatives américaines visant à endiguer la spéculation par une mise en commun des réserves d'or des banques centrales tournèrent court. Et ce fut pour éviter la banqueroute du système de Bretton-Woods que Nixon dut mettre fin à ses jours "en douceur" par sa déclaration d'août 1971.

On connaît la suite. Privées de leur lien fictif avec l'or, les monnaies apparurent pour ce qu'elles sont réellement : des armes dans la guerre économique que se livrent les bourgeoisies rivales. Les trente années suivantes virent se succéder des fluctuations plus ou moins brutales entre monnaies flottant les unes par rapport aux autres, reflets de rapports de force économiques, et de dévaluations "compétitives" destinées à damer le pion aux impérialismes concurrents.

Mais surtout, les soubresauts qui avaient mis à bas le système de Bretton-Woods n'étaient en fait que l'expression monétaire de la crise générale de l'économie capitaliste, brièvement suspendue pendant la période de reconstruction et de reprise de la consommation dans les pays riches qui avait marqué l'après-guerre. Le marché mondial se trouvait de nouveau engorgé par l'anarchie de la production capitaliste. En 1973, cette crise éclata sous la forme d'une récession générale et, trente ans après, ce sont toujours les hauts et les bas de la même crise que nous subissons.

Cette période de stabilité ne fut donc qu'un intermède circonstanciel rendu possible par les conditions créées par la Seconde Guerre mondiale. Mais, tout comme les bourgeoisies veulent imposer aujourd'hui aux classes laborieuses de payer les frais du maintien de leurs profits, elles firent payer alors aux mêmes classes laborieuses les frais de cette stabilité artificielle, par le biais, en particulier, des bas salaires et de l'inflation. Contrairement à ce que peuvent dire certains, y compris à gauche, les travailleurs n'ont donc pas lieu de regretter cette stabilité-là. Tout au plus le souvenir des 26 années de l'après-guerre est-il là pour rappeler que, même réglementé, le système capitaliste reste au service des exploiteurs et que c'est ce système qu'il faut abattre.

P. B.