dimanche 7 novembre 2010

:: à propos de Mélenchon, de Buffet & de la "gauche anticapitaliste" : une lettre de Lutte Ouvrière à la LCR (le 28 juillet 2005)

Chers camarades,
Nous avons bien reçu votre invitation à débattre à votre université d’été avec, en plus de vous-mêmes, Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Francine Bavay, « sur les perspectives de la gauche anticapitaliste en France après la victoire du Non ».
Tout d’abord, mais ce ne sera pas la principale raison de notre refus, nous ne voulons pas imiter ceux des grands partis qui, sous prétexte de telles universités estivales totalement creuses, organisent des festivals politico-médiatiques simplement pour faire parler d’eux, ce qui est autant coûteux en énergie qu’en investissement financier et est, par rapport à l’intérêt politique, totalement inutile.
Mais, la raison principale de notre refus, en particulier, d’un tel débat, c’est que nous ne voyons pas ce que nous pourrions discuter sur ce sujet avec les invités que vous citez. Ils ne sont anticapitalistes que dans vos propres écrits. Ils sont anti-libéraux, disent-ils ! Mais Chirac lui-même a pu se dire opposé à l’« ultra-libéralisme » tellement il sait que cela ne l’engage à rien.
Vous considérerez peut-être notre attitude comme du sectarisme, mais pour nous, c’est de l’hygiène politique car nous refusons de cautionner, tant soit peu, auprès de ceux qui nous font confiance, des partis qui ont, pendant des années depuis 1981, géré au mieux les affaires de la bourgeoisie française, démoralisé les classes populaires et mené une politique anti-ouvrière, plus hypocrite que celle de la droite mais qui n’eut rien à lui envier, et qui les a menés à leur échec de 2002 pour, finalement, en venir à proposer à leurs électeurs de plébisciter un homme de droite tel que Chirac comme rempart possible contre Le Pen. Ce qui d’ailleurs était rien moins que prouvé car, tout comme la gauche a capitulé devant Chirac, ce dernier peut faire le lit de Le Pen ou de l’un de ses semblables. Mais cela a permis à la gauche plurielle, en jouant sur la crainte de Le Pen, d’éviter d’avoir à discuter des raisons de son échec, donc de faire quoi que ce soit qui pourrait ressembler à une autocritique. Et aujourd’hui, les masses populaires payent lourdement le prix d’avoir offert à Chirac le bénéfice d’avoir été élu par 82% des voix, dont celles de l’électorat de gauche.
Ce que nous reprochons aujourd’hui au Parti communiste, trop français, comme à ceux qui, paraît-il, représenteraient l’aile gauche du Parti socialiste, c’est de n’avoir fait, depuis 2002, aucune critique de la politique des gouvernements de la « gauche plurielle ». Il y a bien quelques allusions au fait de ne pas renouveler celle-ci mais aucune analyse de la politique du gouvernement Jospin ni des raisons de la défaite de ce dernier, donc de la leur car ils ont tout cautionné par leur participation à ce gouvernement.
Aussi bien Marie-George Buffet que Mélenchon pour la « gauche » du PS, sont quasi muets sur ce sujet.
Ce qui se dit au sein du PCF comme du PS, c’est que l’échec de Jospin est dû à l’extrême gauche, c’est-à-dire à vous et à nous, mais pas du tout à la politique menée durant cinq ans par son gouvernement, pas même au fait que PCF et Verts ont présenté des candidats contre Jospin au 1er tour, pour des raisons bassement politiciennes, alors qu’ils étaient associés à son gouvernement. En présentant Robert Hue et Noël Mamère, qui ont obtenu au total plus de 2 400000 suffrages, ce sont eux, et pas nous, qui ont fait perdre Jospin. S’ils s’étaient ralliés à Jospin comme candidat commun, puisqu’ils l’avaient déjà choisi comme chef de gouvernement, Jospin aurait obtenu, malgré notre présence, plus de 6 millions de voix au premier tour, c’est-à-dire bien plus que les 4 800000 de Le Pen.
Discuter avec ces gens-là contribue à faire croire qu’ils sont porteurs d’un quelconque « anticapitalisme », ce qui revient à tromper l’électorat de gauche et, en particulier, les travailleurs et les salariés que cela peut détourner des luttes.
Notre refus de discuter avec ceux qui ont amené à la situation actuelle où la droite a aujourd’hui les mains libres, c’est bien parce que c’est la gauche plurielle qui a fait plébisciter Chirac après avoir lié les mains des travailleurs et qui a été à l’origine de presque toutes les mesures dont la droite ne fait que renforcer aujourd’hui le caractère réactionnaire. Le « contrat nouvelle embauche » n’a rien à envier aux « contrats jeunes » sauf que ces derniers prévoyaient l’insécurité au terme de cinq ans au lieu de deux.
Le blocage des salaires, c’est la gauche, le budget de l’État au service des entreprises sous prétexte de créer des emplois, la gauche en a eu largement sa part en affirmant que l’emploi passe par la santé des entreprises. Les privatisations, la gauche en avait fait plus que tous les gouvernements de droite précédents. Reconnaissons qu’il y a eu quelques gestes positifs : abolition de la peine de mort, la CMU, mais prise en grande partie sur le budget de la Sécurité sociale et pas sur celui de l’État. Il faut remarquer que tout cela ne coûtait rien au patronat et ne renforçait pas du tout la situation sociale et politique du monde du travail. Évidemment, il y a eu le grand oeuvre du gouvernement Jospin, c’est-à-dire les 35 heures, mais qui ont été assorties de tellement d’avantages favorables au patronat, avec les Smic à taux différents -cinq-, la flexibilité des horaires, la comptabilité des heures supplémentaires sur l’année, qu’au total leur bilan n’a pas du tout été favorable à un très grand nombre de salariés du bas de l’échelle et que nous en subissons encore les effets nocifs.
Tout cela a entraîné une démoralisation des travailleurs, floués par la gauche, ce qui leur a ôté tout espoir de pouvoir réagir contre les attaques patronales.
Cependant, puisque vous nous invitez à discuter de perspectives, nous souhaitons vous donner notre avis sur la question que vous posez et les réponses que vous souhaitez lui donner. Prenez cela comme une contribution, et non comme une simple critique, qui serait hostile de surcroît.
En fait, nous ne comprenons pas où votre démarche actuelle peut vous conduire.
Il nous semble évident que la gauche, que vous appelez abusivement « anticapitaliste » pour justifier vos rapports avec elle -car ni le PCF, ni a fortiori le PS qu’il soit du « oui » ou du « non », ne se disent tels-, n’aspire qu’à revenir au pouvoir, si possible en 2007. Cela pour gérer de nouveau, loyalement, les affaires de la bourgeoisie car aucun gouvernement ne peut être autre chose, à l’exception d’un gouvernement issu d’une révolution, ce qui ni le PS ni le PCF, ni les « nouvelles forces » comme Attac n’envisagent autrement qu’avec crainte. Il est en effet incontestable qu’aucun gouvernement quel qu’il soit ne peut gouverner contre la grande bourgeoisie, la classe économiquement dominante et qui peut du jour au lendemain au minimum faire tomber n’importe quel ministère et, au pire, ruiner l’économie de tout un pays, si un tel gouvernement n’est pas appuyé, ou poussé, par une lutte exceptionnelle et historique de la classe ouvrière.
En dehors d’une telle mobilisation, des révolutionnaires au gouvernement, et a fortiori des réformistes, ne peuvent que trahir.
Pour revenir, électoralement, au pouvoir, la « gauche » réformiste, d’ailleurs si peu, ne peut l’espérer qu’en étant unifiée, quel que soit le nom que cette coalition se donne, autour d’un même candidat à la présidentielle et unie dans toutes les circonscriptions électorales des législatives.
Le PCF annonce déjà cette couleur par la voix de Marie-George Buffet. À tel point qu’il semblerait même aventureux pour le PCF, les Verts ou des dissidents socialistes de présenter un candidat même au premier tour car vu l’expérience de 2002, le spectre de Le Pen, s’il est présent, va peser dès le premier tour et que la gauche hésitera à prendre le risque de se voir dépasser électoralement et écartée du deuxième tour par l’extrême droite.
Ces « alliés », PCF et « gauche de la gauche », vous abandonneront dès que la direction du Parti socialiste posera ses conditions à une éventuelle alliance, c’est-à-dire en offrant quelques circonscriptions aux uns et aux autres, voire quelques promesses de fauteuils de ministres assortis de quelques strapontins à répartir entre « gauche du non », PCF ou Verts. Il est peu vraisemblable que dans ce panier de crabes il y ait la moindre place pour vous, ce que d’ailleurs, pensons-nous, vous ne souhaitez heureusement pas vraiment. Mais peut-être voyez-vous plus loin avec des candidatures uniques dans quelques circonscriptions ou des listes communes aux municipales ? Mais cet objectif vous poserait quand même le problème de soutenir un candidat commun de la gauche au premier tour de la présidentielle. Problème qui se posera aussi au PCF.
Vous dites que vous seriez prêts à participer à un gouvernement qui prendrait certaines mesures sociales limitées mais positives, telles que l’augmentation des salaires, l’interdiction des licenciements, une véritable répartition égalitaire des richesses ainsi qu’un contrôle des salariés sur ces richesses. Nous supposons qu’il s’agit évidemment, du moins nous le croyons, d’une attitude pédagogique, ou propagandiste, pour mettre vos partenaires au pied du mur devant leurs militants, leurs sympathisants et leurs électeurs.
Peut-être aussi pour vous donner un moyen de vous dégager lorsque vos partenaires d’aujourd’hui ne voudraient pas reprendre ce programme ou encore pour sauver la face s’ils vous abandonnent purement et simplement. Ils l’ont bien fait dans le passé après la campagne de « forums » initiée en 1995 par le PCF pour « entendre les voix du peuple », auxquels étaient invités le Parti socialiste, le Mouvement des citoyens de Chevènement, les Radicaux de Jean-Michel Baylet, les écologistes de Dominique Voynet et vous-mêmes. Campagne qui s’est terminée en apothéose par un « forum géant », début avril 1996, au Palais Omnisports de Bercy, devant 9 à 10000 personnes. Les six leaders étaient réunis à la tribune, dont Alain Krivine pour la LCR, et se sont, pour le final, tenus par le bras ou par la main, et se sont même, pour certains, fait la bise devant les photographes. Cinq compères ont fait, par la suite, cause commune mais Alain Krivine et la LCR sont restés au bord de la route... Et même dans la boue de la fête de l’Huma, si notre mémoire ne flanche pas, lors d’un rendez-vous ignoré par les dirigeants du PCF.
C’est pour tout cela que nous ne comprenons pas où votre démarche actuelle peut vous mener.
Dès qu’un accord électoral pointera le bout de l’oreille entre le PS du « oui » et du « non », PCF, Verts et autres, il nous paraît plus qu’évident que vos alliés d’aujourd’hui se précipiteront à la mangeoire pour tenter de renouer avec le pouvoir, lequel ne leur servira qu’à mener à nouveau la politique de l’ex-gouvernement Jospin. Cela consistera à ne pas supprimer les mesures prises actuellement par la droite et à continuer à aggraver la situation des classes laborieuses, cela si par extraordinaire ils revenaient au pouvoir. Dans ce cas, nous n’imaginons pas d’une part qu’ils vous offriraient la moindre chance de participer et n’imaginons pas non plus que vous pourriez accepter, malgré votre voeu de paraître unitaires aux yeux de ceux qui approuvent votre démarche unitaire actuelle avec Buffet, Mélenchon et consorts. « Tous unis », c’est bien entendu le voeu de tous ceux qui veulent que la gauche revienne aux affaires et qui ont des illusions sur ce qu’elle est vraiment.
Mais pourrez-vous être, jusqu’au bout, aussi unitaires que vous l’êtes actuellement pour vous placer dans ce courant et dans les illusions qu’il véhicule ?
À un moment ou à un autre, s’ils ne se débarrassent pas de vous, vous devrez bien prendre vous-mêmes l’initiative de la rupture. Évidemment, vous n’aurez pas à chercher beaucoup de raisons. Mais ce qui risque quand même de vous faire apparaître comme ceux qui ont brisé l’unité.
En attendant, vous y gagnez, pensez-vous peut-être, d’être considérés par des militants et sympathisants du PCF et, peut-être aussi, par une partie de ceux du PS, comme unitaires, comme partisans de la gauche, et que cela vous vaut un certain coefficient de sympathie. Mais si vous vous contentez de cela, si cela est votre seul but, il y a un moment où vous ne serez guère plus avancés.
D’autant que le PCF, par la voix de Marie-George Buffet, a déjà affirmé ce risque lors de la rencontre « au sommet » que vous avez eue avec ses dirigeants. Marie-George Buffet n’a pas caché que le PCF souhaitait élaborer un programme politique avec toutes les forces politiques et sociales intéressées, c’est-à-dire, en clair, aussi bien avec les socialistes du « non » qu’avec ceux du « oui ».
Peut-être ferez-vous l’impasse sur cette volonté du PCF et considérerez-vous que Paris ou l’Assemblée nationale valent bien de s’allier aux partisans du « oui », mais que ferez-vous alors des conditions que vous proposez au contenu du programme de gouvernement telles que celles que nous citions au début sur l’interdiction des licenciements, l’augmentation générale des salaires, une répartition égalitaire des richesses et un contrôle des salariés sur ces richesses ?
Nous ne voyons ni Jospin, ni Fabius, ni Hollande, ni quelqu’autre leader présidentiable du PS, reprendre même l’une quelconque de ces revendications. Vous serez donc amenés là encore à rompre avec la politique que vous menez maintenant. Et nous nous demandons à quoi elle aura servi. Sauf, malheureusement peut-être, à faire croire que les gens avec lesquels vous discutez, de Buffet à Mélenchon, en passant par quelques autres, seraient capables de mener une telle politique, d’imposer une telle politique à des alliés socialistes ou à faire croire que les dirigeants du PS accepteraient de venir au pouvoir sur la base d’un tel programme. Toute l’histoire montre pourtant qu’ils préféreraient rester dans l’opposition plutôt que de l’accepter...
C’est pourquoi, pour notre part, nous ne voyons pas l’intérêt, pour ceux qui pourraient nous faire confiance, de nous montrer sur les mêmes tribunes que ces gens-là ou d’engager une discussion qui ne mènerait à rien car nous sommes vraiment sur des planètes différentes.
Bien sûr, ils sont, étant dans l’opposition, tout à fait capables de s’associer à certaines luttes et, sur ce terrain-là, nous ne récuserons pas leur présence. Mais préparer un programme commun, ensemble, qu’il soit baptisé « anti-libéral » ou pas, nous pensons que c’est une erreur.
Cela dit, chers camarades, même si nous ne nous retrouvons pas à votre université d’été, nous aurons d’autres occasions de nous retrouver, ne serait-ce que dans les luttes qui, nous l’espérons, vont marquer l’année qui vient !
Fraternellement,
Pour Lutte Ouvrière, Georges KALDY

:: Il y a 93 ans, la révolution russe. Préface de "Histoire de la révolution russe" de Trotsky (1930).

Il y a 93 ans, la classe ouvrière s'emparait du pouvoir en Russie. L'occasion aujourd'hui de lire (ou relire) la passionnante Histoire de la révolution russe de Trotsky (1930).

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Voici la préface de l'ouvrage
Durant les deux premiers mois de 1917, la Russie était encore la monarchie des Romanov. Huit mois plus tard, les bolcheviks tenaient déjà le gouvernail, eux que l'on ne connaissait guère au commencement de l'année et dont les leaders, au moment de leur accession au pouvoir, restaient inculpés de haute trahison. Dans l'histoire, on ne trouverait pas d'autre exemple d'un revirement aussi brusque, si surtout l'on se rappelle qu'il s'agit d'une nation de cent cinquante millions d'âmes. Il est clair que les événements de 1917 — de quelque façon qu'on les considère — valent d'être étudiés.
L'histoire d'une révolution, comme toute histoire, doit, avant tout, relater ce qui s'est passé et dire comment. Mais cela ne suffit pas. D'après le récit même, il faut qu'on voie nettement pourquoi les choses se sont passées ainsi et non autrement. Les événements ne sauraient être considérés comme un enchaînement d'aventures, ni insérés, les uns après les autres, sur le fil d'une morale préconçue. Ils doivent se conformer à leur propre loi rationnelle. C'est dans la découverte de cette loi intime que l'auteur voit sa tâche.
Le trait le plus incontestable de la Révolution, c'est l'intervention directe des masses dans les événements historiques. D'ordinaire, l'État, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l'histoire est faite par des spécialistes du métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais, aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l'arène politique, renversent leurs représentants traditionnels, et, en intervenant ainsi, créent une position de départ pour un nouveau régime. Qu'il en soit bien ou mal, aux moralistes d'en juger. Quant à nous, nous prenons les faits tels qu'ils se présentent, dans leur développement objectif. L'histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d'une irruption violente des masses dans la domaine où se règlent leurs propres destinées.
Dans une société prise de révolution, les classes sont en lutte. Il est pourtant tout à fait évident que les transformations qui se produisent entre le début et la fin d'une révolution, dans les bases économiques de la société et dans le substratum social des classes, ne suffisent pas du tout à expliquer la marche de la révolution même, laquelle, en un bref laps de temps, jette à bas des institutions séculaires, en crée de nouvelles et les renverse encore. La dynamique des événements révolutionnaires est directement déterminée par de rapides, intensives et passionnées conversions psychologiques des classes constituées avant la révolution.
C'est qu'en effet une société ne modifie pas ses institutions au fur et à mesure du besoin, comme un artisan renouvelle son outillage. Au contraire : pratiquement, la société considère les institutions qui la surplombent comme une chose à jamais établie. Durant des dizaines d'années, la critique d'opposition ne sert que de soupape au mécontentement des masses et elle est la condition de la stabilité du régime social : telle est, par exemple, en principe, la valeur acquise par la critique social-démocrate. Il faut des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, pour libérer les mécontents des gênes de l'esprit conservateur et amener les masses à l'insurrection.
Les rapides changements d'opinion et d'humeur des masses, en temps de révolution, proviennent, par conséquent, non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu'au moment où celles-ci s'abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d'idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l'œuvre de « démagogues ».
Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l'âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l'ancien régime. C'est seulement le milieu dirigeant de leur classe qui possède un programme politique, lequel a pourtant besoin d'être vérifié par les événements et approuvé par les masses. Le processus politique essentiel d'une révolution est précisément en ceci que la classe prend conscience des problèmes posés par la crise sociale, et que les masses s'orientent activement d'après la méthode des approximations successives. Les diverses étapes du processus révolutionnaire, consolidées par la substitution à tels partis d'autres toujours plus extrémistes, traduisent la poussée constamment renforcée des masses vers la gauche, aussi longtemps que cet élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs. Alors commence la réaction : désenchantement dans certains milieux de la classe révolutionnaire, multiplication des indifférents, et, par suite, consolidation des forces contre-révolutionnaires. Tel est du moins le schéma des anciennes révolutions.
C'est seulement par l'étude des processus politiques dans les masses que l'on peut comprendre le rôle des partis et des leaders que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ils constituent un élément non autonome, mais très important du processus. Sans organisation dirigeante, l'énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur,
Les difficultés que l'on rencontre dans l'étude des modifications de la conscience des masses en temps de révolution sont absolument évidentes. Les classes opprimées font de l'histoire dans les usines, dans les casernes, dans les campagnes, et, en ville, dans la rue. Mais elles n'ont guère l'habitude de noter par écrit ce qu'elles font. Les périodes où les passions sociales atteignent leur plus haute tension ne laissent en général que peu de place à la contemplation et aux descriptions. Toutes les Muses, même la Muse plébéienne du journalisme, bien qu'elle ait les flancs solides, ont du mal à vivre en temps de révolution. Et pourtant la situation de l'historien n'est nullement désespérée. Les notes prises sont incomplètes, disparates, fortuites. Mais, à la lumière des événements, ces fragments permettent souvent de deviner la direction et le rythme du processus sous-jacent. Bien ou mal, c'est en appréciant les modifications de la conscience des masses qu'un parti révolutionnaire base sa tactique. La voie historique du bolchévisme témoigne que cette estimation, du moins en gros, était réalisable. Pourquoi donc ce qui est accessible à un politique révolutionnaire, dans les remous de la lutte, ne serait-il pas accessible à un historien rétrospectivement ?
Cependant, les processus qui se produisent dans la conscience des masses ne sont ni autonomes, ni indépendants. N'en déplaise que ce dernier n'a aucun motif de dissimuler. Mais k lecteur est en droit d'exiger qu'un ouvrage d'histoire constitue non pas l'apologie d'une position politique, mais une représentation intimement fondée du processus réel de la révolution. Un ouvrage d'histoire ne répond pleinement à sa destination que si les événements se développent, de page en page, dans tout le naturel de leur nécessité.
Est-il pour cela indispensable qu1 intervienne ce que l'on appelle « f impartialité » de l'historien? Personne n'a encore clairement expliqué en quoi cela doit consister. On a souvent cité certain apho­risme de Clemenceau, disant que la révolution doit être prise « en bloc »; ce n'est tout au plus qu'une spirituelle dérobade : comment se déclarerait-on partisan d'un tout qui porte essentiellement en M la division? Le mot de Clemenceau lui a été dicté, partiellement, par une certaine honte pour des ancêtres trop résolus, partiellement aussi par le malaise du descendant devant leurs ombres.
Un des historiens réactionnaires, et, par conséquent, bien cotés, de la France contemporaine, M. Louis Madelin, qui a tellement calomnié, en homme de salon, la grande Révolution — c'est-à-dire la naissance de la nation française —, affirme qu'un historien doit monter sur le rempart de la cité menacée et, de là, considérer les assiégeants comme les assiégés. C'est seulement ainsi, selon lui, que l'on parviendrait à « la justice qui réconcilie ». Cependant, les ouvrages de M. Madelin prouvent que, s'il grimpe sur le rem­part qui sépare les deux camps, c'est seulement en qualité d'éclai-reur de la réaction. Par bonheur, il s'agit ici de camps d'autrefois : en temps de révolution, il est extrêmement dangereux de se tenir sur les remparts. D'ailleurs, au moment du péril, les pontifes d'une « justice qui réconcilie » restent d'ordinaire enfermés chez eux, attendant de voir de quel côté se décidera la victoire.
Le lecteur sérieux et doué de sens critique n'a pas besoin d'une impartialité fallacieuse qui lui tendrait la coupe de l'esprit conciliateur, saturée d'une bonne dose de poison, d'un dépôt de haine réactionnaire, mais il lui faut la bonne foi scientifique qui, pour exprimer ses sympathies, ses antipathies, franches et non masquées, cherche à s'appuyer sur une honnête étude des faits, sur la démonstration des rapports réels entre les faits, sur la manifestation de ce qu'il y a de rationnel dans le déroulement des faits. Là seulement est possible l’objectivité historique, et elle est alors tout à fait suffisante, car elle est vérifiée et certifiée autrement que par les bonnes intentions de l’historien — dont celui-ci donne, d'ailleurs, la garantie — mais par la révélation de la loi intime du pro­cessus historique.
Les sources de cet ouvrage consistent en nombreuses publications périodiques, journaux et revues, mémoires, procès-verbaux et autres documents, quelques-uns manuscrits, mais pour la plupart publiés par r Institut d'Histoire de la Révolution, à Moscou et à Leningrad. Nous avons jugé inutile de donner dans le texte des références, qui auraient, tout au plus, gêné le lecteur. Parmi les livres d'histoire qui ont le caractère d'études d'ensemble, nous avons notamment utilisé les deux tomes ^'Essais sur l'Histoire de la Révolution d'Octobre (Moscou-Leningrad, 1927). Ces essais rédigés par divers auteurs ne sont pas tous de même valeur, mais contiennent, en tout cas, une abondante documentation sur les faits.
Les dates données dans cet ouvrage sont toutes celles de l'ancien style, c'est-à-dire qu'elles retardent de treize jours sur le calendrier universel, actuellement adopté par les soviets. L'auteur était forcé de suivre le calendrier qui était en usage à l'époque de la Révolution. Il ne serait pas difficile, vraiment, de transposer les dates en style moderne. Mais cette opération, qui éliminerait certaines difficultés, en créerait d'autres plus graves. Le renversement de la monarchie s'est inscrit dans l'Histoire sous le nom de Révolution de Février. Cependant, d'après le calendrier occidental, l'événement eut lieu en mars. Certaine manifestation armée contre la politique impérialiste du Gouvernement provisoire a été marquée dans l'histoire comme « journées d'Avril », alors que, d'après le calendrier occidental, elle eut lieu en mai. Ne nous arrêtant pas à d'autres événements et dates intermédiaires, notons encore que la Révolution d'Octobre s'est produite, pour l'Europe, en novembre. Comme on voit, le calendrier même a pris la couleur des événements et l'historien ne peut se débarrasser des éphémérides révolutionnaires par de simples opérations d'arithmétique. Veuille le lec­teur se rappeler qu'avant de supprimer le calendrier byzantin, la Révolution dut abolir les institutions qui tenaient à le conserver.
L'Histoire de la révolution russe est entièrement téléchargeable sur le site Léon Trotsky L'oeuvre.

:: L’année 1917 et la révolution russe

1917, l’année trouble, disait Poincaré ; entendez par là l’année où la bourgeoisie vit se dresser devant elle pour la première fois depuis le début du conflit, le spectre de la révolution.
Depuis près de trois ans, la guerre piétinait. Vingt-huit pays belligérants, ayant mobilisé 74 millions d’hommes s’affrontaient de la Flandre à la Suisse, du golfe de Finlande à la Mer Noire, dans les Balkans et en Asie Mineure.
Les patriotes professionnels avaient chanté la guerre fraîche et joyeuse. Mais dans la boue des tranchées, les soldats qui avaient pu y croire perdirent vite leurs illusions. Le conflit semblait ne devoir jamais se terminer ; des milliers, des millions d’hommes tombaient dans des offensives meurtrières, pour quelques mètres carrés de fange et de barbelée.
Alors, peu à peu, pénétra dans la conscience des soldats la conviction profonde qu’eux seuls pourraient mettre fin à la tuerie.
En mars 1917, pour la première fois, des mutineries éclataient dans la flotte allemande. Elles furent réprimées.

Mais en Russie, le 4 mars (23 février suivant le calendrier Julien en vigueur dans l’Empire des tzars), à l’occasion de la « journée internationale des femmes », la grève générale éclatait à Pétrograd. La plus grande partie de la garnison passait du côté des insurgés, et en cinq jours, l’autocratie s’écroulait.
Certes, le gouvernement provisoire qui se formait alors ne représentait en aucune manière les intérêts des travailleurs. Serviteur fidèle, bien que gêné par les événements, de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers, il entendait ne rien changer à l’ordre social existant, et maintenir le pays dans la guerre.
Mais les masses s’étaient organisées. Elles avaient formé leurs soviets. La révolution ne faisait que commencer.
Les insurgés furent moins heureux en France. En mai, après l’échec de la meurtrière offensive Nivelle sur le Chemin des Dames, la révolte éclatait. Les éléments de 54 divisions se soulevèrent, désertèrent, refusèrent tout service, arborèrent les drapeaux rouges, réclamèrent la paix, menacèrent de marcher sur la capitale. Il n’existait plus que deux divisions sûres entre Soissons et Paris.
La révolte fut brisée, la répression, dirigée par Pétain, sanglante. Et pendant des mois, alors que la révolution continuait à se développer en Russie, plus aucun soulèvement ne se produisit dans les armées en guerre.
Mais le printemps de 1917 avait au moins montré à la bourgeoisie sur quelle poudrière elle était assise.
Il avait aussi montré qu’il ne suffisait pas d’une mutinerie pour en finir avec la guerre, qu’il fallait une véritable révolution, brisant le pouvoir des classes dominantes. Or s’il suffit de mutins pour faire une mutinerie, il faut des révolutionnaires pour faire une révolution, et il faut même un parti révolutionnaire.
Mais en Russie il y avait un parti révolutionnaire ; il y avait ce parti bolchévik qui, depuis trois ans, prêchait la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Le parti n’en connut pas moins une période de flottement, au lendemain de Février, lorsque certains dirigeants, dont Staline, prétendirent l’amener à une politique de soutien du gouvernement provisoire.
Mais dès le retour d’émigration de Lénine, en avril, il fit sien le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets », considérant ceux-ci comme l’embryon du futur État prolétarien.
En fait, bien peu de choses pouvaient empêcher les masses de prendre leur propre sort en mains, si ce n’est leurs préjugés, et les illusions qu’elles nourrissaient sur les autres partis se réclamant du socialisme, les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.
Au début, c’étaient ces derniers qui détenaient la majorité dans les soviets, et les bolchéviks n’en constituaient qu’une faible minorité. Mais dans les mois qui suivirent, les masses purent faire l’expérience de ce que valaient les promesses des menchéviks et des S-R.
Les travailleurs réclamaient du pain, mais le gouvernement provisoire, soutenu par ces partis, se montrait incapable de conjurer la catastrophe imminente, parce qu’il se refusait à prendre des mesures radicales contre les spéculations de la bourgeoisie.
Les paysans voulaient la terre, mais on leur demandait d’attendre l’Assemblée Constituante, et quand ils voulaient s’emparer eux-mêmes des terres qu’ils cultivaient on leur envoyait les gendarmes.
Les soldats réclamaient la paix, et le gouvernement du socialiste Kérensky se lançait dans la folle aventure de l’offensive de Juin.
Aussi, malgré la répression qui s’abattit sur les bolchéviks après les journées de juillet, leur influence ne cessa-t-elle de croître. Fin août, ils étaient majoritaires dans les soviets de Pétrograd et de Moscou, et les uns après les autres, ceux des villes industrielles allaient tomber entre leurs mains.
L’heure de la révolution prolétarienne avait sonné.
Rien ne ressembla moins à un putsch, au coup de main d’une minorité agissante, que l’insurrection d’octobre. Ce fut l’insurrection des masses, en ce sens que même si, sur le plan militaire, elle ne fut exécutée que par une minorité, l’immense majorité des travailleurs et des soldats en avait compris la nécessité.
Et pour eux, ce fut, pourrait-on dire, une insurrection légale. Du moins du point de vue de la légalité soviétique, la seule qui comptait désormais.
En effet, si la date du 25 octobre 1917 restera à jamais liée au souvenir de la première révolution prolétarienne victorieuse, et cela en dépit du changement de calendrier, le processus insurrectionnel s’amorça en réalité plus de 15 jours auparavant.
Le divorce entre le soviet de Pétrograd et le gouvernement provisoire fut effectivement consommé le 7 octobre, lorsque le soviet qui s’opposait à l’éloignement de la garnison, créa son Comité Militaire Révolutionnaire, et nomma ses commissaires auprès de toutes les unités, isolant ainsi complètement Kérensky et l’État major.
Aucun ordre désormais ne fut plus exécuté sans l’accord des autorités soviétiques. Le soviet se trouvait être le pouvoir de fait. II n’y avait pas un grand pas à franchir pour balayer le gouvernement fantoche. Sous le couvert de la préparation de la défense du deuxième congrée des soviets, qui devait tenir ses assises fin octobre, s’organisait l’insurrection.
Celle-ci fut déclenchée dans la nuit du 24 au 25 octobre. Au matin, les bolchéviks étaient maîtres de la plupart des bâtiments publics. Mais ce n’est que dans la nuit suivante que le Palais d’Hiver, siège et dernier bastion du gouvernement provisoire, tomba à son tour.
A la même heure était réuni le Congrès des soviets des députés ouvriers et soldats de toute la Russie. Ce n’étaient pas des députés bien habillés, fleurant le parfum à la mode et arborant de luxueuses serviettes de maroquin.
C’étaient des ouvriers du rang, des soldats en grossier uniforme, des paysans barbus. Et c’est sans doute pour cela qu’ils firent ce qu’aucun gouvernement n’avait encore jamais fait dans l’histoire, qu’ils traduisirent immédiatement en acte le programme du parti majoritaire, les promesses faites aux masses.
Le premier décret adopté concernait la Paix. Le congrès des soviets proposait à tous les belligérants d’entamer immédiatement des négociations pour la conclusion d’une paix sans annexion ni indemnité, et en premier lieu, afin d’arrêter dès l’ouverture des pourparlers les massacres sans nom de la guerre, une trêve de trois mois.
Mais la révolution ne s’adressait pas qu’aux gouvernements, elle s’adressait aux peuples, aux travailleurs et plus particulièrement, disait-elle, « aux ouvriers conscients des trois nations les plus avancées de l’humanité et des États les plus importants engagés dans la guerre, l’Angleterre, la France et l’Allemagne », et elle les appelait « à mener jusqu’au bout la lutte pour la paix, et en même temps, la lutte pour l’affranchissement des masses laborieuses et exploitées de tout esclavage et de toute exploitation ».
Et quand le Congrès, après avoir adopté cet appel, se leva, quand tous les délégués, debout, entonnèrent l’Internationale, ce ne fut pas seulement l’hymne des travailleurs qui retentit, ce fut vraiment, par-dessus les tranchées, par-dessus les villages incendiés, par-dessus les vastes champs ou des millions d’hommes assassinés dormaient de leur dernier sommeil, par-dessus l’Europe en flammes, l’appel à la révolution qui jaillit. « Debout les damnés de la terre », jamais peut-être les vieilles paroles de l’Internationale n’avaient été aussi chargées de sens.

La politique des bolcheviks au pouvoir

Puis, le calme revenu, le Congrès passa au décret sur la terre. Il abolissait « immédiatement et sans aucune indemnité la propriété des propriétaires fonciers », et en faisait la propriété du peuple tout entier. Toute la terre devenait bien national. Et la jouissance en était accordée à tous les citoyens qui désirent exploiter la terre par leur travail, « tant qu’ils sont capables de l’exploiter », le travail salarié étant interdit. Ce n’était pas là, bien sûr, une mesure « socialiste ». Ce n’était même pas le programme agraire du Parti bolchévik. Mais c’était ce que voulaient les paysans. Et, disait Lénine, « l’essentiel, c’est que les paysans résolvent eux-mêmes toutes les questions, qu’ils édifient eux-mêmes leur vie. »
Car ce que voulaient les bolchéviks, ce n’était pas construire une société socialiste dans le cadre de la seule Russie. Mieux que quiconque ils savaient que cela n’avait aucun sens.
Ce qu’ils voulaient, c’était attacher les couches les plus larges du peuple au sort de la révolution socialiste.
Le prolétariat russe ne représentait qu’une faible minorité de la nation, et en son sein les éléments conscients, sachant ce que représentaient exactement la révolution et le socialisme, constituaient une bien plus faible minorité encore.
Mais toute la classe ouvrière savait que seuls, le pouvoir des soviets, les bolchéviks, pouvaient être capables d’assurer le pain et la liberté.
Mais une grande partie de la paysannerie avait pris conscience que seul le pouvoir des soviets pouvait en finir avec les tergiversations, et donner enfin aux paysans la libre jouissance de la terre qu’ils cultivaient.
Mais la majorité des soldats, et des travailleurs qui portaient le poids de la guerre, avait compris que seule la révolution pourrait mettre fin à la guerre.
C’est pour cela qu’ils avaient soutenu la révolution d’octobre.
Et le problème qui se posait aux bolchéviks au pouvoir, ce n’était pas de construire une économie « socialiste », c’était de resserrer toujours davantage l’union des masses travailleuses autour de leur pouvoir.
Le 25 octobre, la Russie était devenue le premier bastion de la révolution socialiste mondiale. Le problème, maintenant, c’était de tenir, en attendant que la révolution embrase à leur tour d’autres pays.
Sous la plume des dirigeants bolchéviks devenus commissaires du peuple, les décrets remplaçaient les textes de propagande. Ils n’auraient d’ailleurs souvent pas eu d’autre valeur immédiate, si les masses ne s’étaient chargées de les appliquer elles-mêmes, car dans les premières semaines de la révolution, le nouveau gouvernement ne possédait aucun appareil central capable de mettre ses textes en pratique.
Mais ce qui faisait la force du nouveau pouvoir, c’était de répondre aux aspirations de millions d’hommes, c’était d’être le pouvoir de millions d’hommes. Car le pouvoir des soviets, ce n’était pas seulement le pouvoir du congrès pan-russe, c’était aussi le pouvoir du soviet de la plus petite ville, du village le plus reculé.
Le parti bolchévik ne comptait certes, en octobre 1917, que quelques dizaines de milliers de membres. Mais en mobilisant la grande masse de tous les exploités, de tous les opprimés de Russie pour la défense du seul pouvoir capable du satisfaire leurs revendications immédiates, il faisait de chacun d’eux un soldat de la révolution socialiste mondiale.
Et quand les bolchéviks parlaient de révolution socialiste mondiale, il ne s’agissait pas d’un rite, ou d’une formule de politesse révolutionnaire. Il s’agissait des fondements mêmes de leur politique.
« Si l’on envisage les choses à l’échelle mondiale, écrivait Lénine en 1918, il est absolument certain que la victoire finale de notre révolution, si elle devait rester isolée, serait sans espoir... » « Nous ne remporterons la victoire finale que lorsque nous aurons réussi à briser, et pour toujours, l’impérialisme international. Mais nous n’arriverons à la victoire qu’avec tous les ouvriers des autres pays, du monde entier. »
Et les bolchéviks ne se contentaient pas d’attendre passivement que la révolution socialiste triomphe dans d’autres pays. Ils se servaient du pouvoir comme de la plus formidable tribune, et dans chacun de leurs actes, on trouve cette préoccupation de savoir quelle répercussion cela pourra avoir sur le développement de la révolution européenne.
Nous les avons vus déjà lors du vote du décret sur la paix, s’adresser, par-dessus la tète des gouvernants, aux peuples et en premier lieu, aux travailleurs.
C’est le même souci qui anime toutes les tendances du parti lors de la discussion sur la paix de Brest-Litovsk au début 1918. Si la tendance Boukharine voulait la guerre révolutionnaire, c’était parce qu’elle considérait que l’état ouvrier ne pouvait pas, sans se déconsidérer aux yeux des prolétaires du monde entier, signer une telle paix avec l’impérialisme allemand. Si Trotsky, qui savait l’armée russe hors d’état de mener cette guerre révolutionnaire, était partisan de la formule « ni paix, ni guerre », c’est parce qu’il voulait faire la preuve, devant le prolétariat européen, qu’il n’y avait pas de collusion des bolchéviks avec l’impérialisme allemand. Si Lénine préconisait, en dépit de leur caractère humiliant, d’accepter les conditions de paix des empires centraux, c’est parce qu’il pensait que la révolution en Europe n’était pas encore mûre, et qu’il fallait se préparer à tenir encore des mois en restant isolé.
La construction d’une nouvelle Internationale, destinée à coordonner et à diriger la lutte du prolétariat dans tous les pays du monde était d’ailleurs au premier rang des préoccupations du parti bolchévik.
Dès 1914, Lénine écrivait : « La Deuxième Internationale a cessé de vivre, une autre internationale la remplacera. » Et c’est dans cette optique de reconstruire l’Internationale que les bolchéviks avaient participé aux conférences de Zimmervald, en 1915, et de Kienthal, en 1916, qui réunirent des internationalistes appartenant à différents partis socialistes européens.
Les bolchéviks au pouvoir disposaient de moyens accrus pour mener cette tâche à bien. Outre le prestige considérable que leur conférait leur victoire, ils bénéficiaient des énormes moyens matériels qui sont ceux d’un État.
Malheureusement il n’existait pas encore de direction révolutionnaire internationale, ni même, à l’intérieur de chaque pays européen, un parti révolutionnaire capable de jouer le rôle qui avait été celui du parti bolchévik en Russie, quand la vague de soulèvements prolétariens que les révolutionnaires appelaient de leurs voeux déferla sur l’Europe.
Et l’absence d’une telle direction allait se faire cruellement sentir.

:: Marx, Engels et la révolution socialiste

Pour les « socialistes », ou les « communistes » officiels, celui qui parle aujourd’hui de révolution socialiste mondiale ne peut être qu’un illuminé, quand ce n’est pas un provocateur, un agent de la bourgeoisie.

Cette conviction que la société socialiste ne pourra exister qu’à l’échelle mondiale n’est pourtant pas une invention des trotskystes. C’était celle de Marx et d’Engels, celle de tous les partis socialistes avant 1914, celle de tous les partis communistes avant 1924. Et si les trotskystes sont pratiquement les seuls aujourd’hui à la partager, c’est parce qu’ils sont les seuls à assurer la continuité des idées socialistes, des idées marxistes.

Car pour les marxistes, le mot socialisme a un tout autre sens que celui que lui prêtent aujourd’hui les Mitterrand, les Guy Mollet et les Waldeck-Rochet.

Pour M. Mitterrand il s’agit tout au plus d’une prétendue politique de « justice sociale ». Et les aspirations, toutes platoniques d’ailleurs, de M. Waldeck-Rochet ne vont pas au-delà de la nationalisation des grands trusts.

C’est pourquoi on ne peut pas comprendre les perspectives dans lesquelles s’inscrivait la politique du Parti bolchévik en 1917, sans avoir présentes à l’esprit un certain nombre d’idées socialistes, élémentaires sans doute, mais trop souvent oubliées, et que nous allons nous efforcer de rappeler brièvement.

La société communiste ne sera pas une société où l’État sera maître de tous les moyens de production. La société communiste sera au contraire une société sans État et sans classes, sans État parce que sans classes.

L’existence de classes sociales antagonistes, et de l’État, instrument d’oppression de la classe dominante, n’est pas en effet, comme le montrèrent Marx et Engels, il y a plus d’un siècle, une loi éternelle de toute société humaine.

L’exploitation de l’homme par l’homme ne fut possible, historiquement, qu’à partir du moment où la productivité du travail humain s’élevant, la collectivité devint capable de produire plus qu’il n’était strictement nécessaire pour assurer sa survie.

A partir de ce moment, l’histoire des sociétés ne fut plus que l’histoire de la lutte de classes sociales antagonistes, exploiteurs contre exploités, ou exploiteurs rivaux entre aux, luttes dont le seul but en définitive était de savoir qui accaparerait le surproduit social.

Mais cette lutte ne fut fatale, inéluctable, qu’aussi longtemps que le productivité du travail humain était malgré tout insuffisante pour satisfaire tous les besoins de tous les individus.
Et ce fut le premier mérite des fondateurs du socialisme scientifique, que de montrer, à l’aube même de la révolution industrielle, que celle-ci allait enfin créer les bases économiques qui permettraient un jour l’existence d’une société nouvelle, qui pourrait inscrire sur ses drapeaux, suivant l’expression de Marx, « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », une société où le règne de la nécessité aurait fait place au règne de la liberté.

Leur second mérite, après avoir éclairé le but, ce fut de montrer les voies qui permettraient de l’atteindre.

Ils ne comptaient pas, bien sûr, sur la bonne volonté des capitalistes, car si, en développant l’industrie, ceux-ci créent les bases économiques du socialisme, c’est bien à leur corps défendant, et ils ne visent que leurs propres profits.

La lutte de classe, disaient-ils en substance, a toujours été le moteur de l’histoire, la lutte de classe sera le moteur de la révolution socialiste. Le prolétariat, créé et sans cesse développé par la grande industrie, voilà le seul instrument capable de détruire le vieil ordre bourgeois, et de construire une société nouvelle.

Mais cette société ne saurait exister qu’à l’échelle internationale ; car le haut niveau de productivité atteint par l’économie capitaliste, l’a été sur la base de la division mondiale du travail, et il n’y a, à plus forte raison, que sur cette base que pourra exister le communisme.

C’est d’ailleurs là que résident les bases concrètes, matérielles, de l’internationalisme prolétarien. Le mot d’ordre « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » n’était pas un simple effet de rhétorique. « L’action commune des différents prolétariats, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de leur libération », précisait le Manifeste Communiste, et l’on pourrait multiplier les citations pendant des heures.

Nous nous limiterons, cependant, à celle-ci, extraite de « l’Adresse du Conseil Général de la Ligue Communiste », citation que nous dédierons à M. Waldeck-Rochet :
« Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent amener la révolution à son terme au plus vite..., écrit Marx, notre intérêt, notre tâche est de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le pouvoir d’État ait été conquis par le prolétariat et que, non seulement dans un pays, mais dans tous les pays qui dominent le monde, l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires, et concentrer dans leurs mains, du moins, les forces productives décisives. Pour nous, il ne saurait être question de la transformation de la propriété privée, mais uniquement de son anéantissement ; il ne saurait être question de masquer les antagonismes de classes, mais de supprimer les classes ; non pas d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. »

:: André Breton : La Révolution d'Octobre

Contre vents et marées, je suis de ceux qui retrouvent encore, au souvenir de la Révolution d'octobre, une bonne part de cet élan inconditionnel qui me porta vers elle quand j'étais jeune et qui impliquait le don total de soi-même. Pour moi, rien de ce qui s'est passé depuis lors n'a complètement prévalu sur ce mouvement de l'esprit et du coeur. Les monstrueuses iniquités inhérentes à la structure capitaliste ne sont pas pour nous scandaliser moins aujourd'hui qu'elles ne faisaient hier, aussi n'avons-nous pas cessé de vouloir — autrement dit d'exiger de nous-mêmes — qu'y soit mis un terme. Pour cela, nous ne doutons pas plus qu'alors qu'il faille en passer par des moyens révolutionnaires.

Les journées d'octobre, en leur temps, nous sont apparues et elles nous apparaissent encore comme la résultante inéluctable de ces moyens. Rien ne peut faire qu'elles n'aient marqué le point d'impact dans le passage du plan des aspirations à celui de l'exécution concrète. A cet égard, rien ne peut faire qu'elles ne demeurent exemplaires et que retombe l'exaltation qu'elles portaient.

Cela, sans préjudice de ce qu'il est advenu par la suite, c'est ce qu'il importe que nous reconnaissions toujours. Au plus noir de la déception, de la dérision et de l'amertume — comme à l'époque des procès de Moscou ou de l'écrasement de l'insurrection de Budapest, il faut que nous puissions reprendre force et espoir dans ce que les journées d'octobre gardent à jamais d'électrisant : la prise de conscience de leur pouvoir par les masses opprimées et de la possibilité pour elles d'exercer effectivement ce pouvoir, la « facilité » (l'expression est, je crois, de Lénine) avec laquelle les vieux cadres craquaient.

Pour ma part, j'ai toujours regardé comme un talisman cette photographie que d'aucuns auraient tant donné pour faire disparaître et que les journaux reproduisent en raison de la commémoration actuelle, qui montre Lénine penché sur son immense auditoire, d'une tribune au pied de laquelle se dresse, en uniforme de l'armée rouge, comme assumant à lui seul la garde d'honneur, Léon Trotsky. Et ce même regard, celui de Léon Trotsky, que je retrouve fixé sur moi au cours de nos quotidiennes rencontres il y a vingt ans au Mexique, à lui seul suffirait à m'enjoindre depuis lors de garder toute fidélité à une cause, la plus sacrée de toutes, celle de l'émancipation de l'homme, et cela par delà les vicissitudes qu'elle peut connaître et, en ce qui l'a concerné, les pires dénis et déboires humains. Un tel regard et la lumière qui s'y lève, rien ne parviendra à l'éteindre, pas plus que Thermidor n'a pu altérer les traits de Saint-Just. Qu'il soit ce qui nous scrute et nous soutient ce soir, dans une perspective où la Révolution d'octobre couve en nous la même inflexible ardeur que la Révolution espagnole, la Révolution hongroise et la lutte du peuple algérien pour sa libération.

(Message envoyé au meeting organisé par le P.C.I. pour le quarantième anniversaire de la Révolution d'Octobre et publié dans « La Vérité » du 19 novembre 1957)

:: 7 novembre 1917 : La révolution russe, par James Patrick Cannon

Extrait d'un discours du 4 novembre 1945 de James Patrick Cannon (dirigeant trotskyste américain)


La transformation du Socialisme de conception utopique en doctrine scientifique fut accomplie par la publication du Manifeste Communiste en 1848 – il y a 97 ans –. La transformation du Socialisme de science en action fut accomplie 69 ans plus tard par la Révolution bolchevique russe du 7 novembre 1917.

(...)Le Socialisme ne peut pas être instauré dans un seul pays. Son instauration exige une action et une coopération internationales. Une révolution ouvrière débutant sur le terrain national, ne peut être achevée sans être étendue aux autres pays. La révolution russe fut le commencement de la révolution internationale. C'est seulement en la considérant sous cet angle, qu'on peut la juger correctement. Chaque année, depuis 28 ans, nous avons eu à répondre à des gens impatients et désillusionnés qui demandaient davantage de la Révolution russe qu'elle ne pouvait donner, et lui retiraient leur approbation, qui annonçaient prématurément la fin et la mort de la révolution, qui voulaient clore cette histoire et s'en débarrasser comme on se débarrasse d'une dette criarde. Mais les bolcheviks russes ne nous promirent pas de tenir mille ans. Ils dirent seulement : « Nous commencerons la révolution internationale en Russie, mais vous, les travailleurs d'Europe et d'Amérique, devrez la finir. »

La révolution russe ne fut nationale que dans la forme, dans son essence, elle fut le commencement d'une action internationale. A son sujet, c'est avant tout ce que nous devons comprendre.

Les chefs de la Grande Révolution russe furent internationalistes jusqu'au bout, incapables de penser en termes nationaux étroits. La théorie directrice de la révolution russe ne vient pas de Russie mais d'un juif allemand, Karl Marx, qui, exilé, vécut en Angleterre. La victoire de la révolution fut rendue possible par les contradictions internationales du capitalisme pendant la première guerre mondiale. Elle survécut pendant la période d'après-guerre grâce à la solidarité et au soutien internationaux des travailleurs des pays capitalistes, surtout ceux d'Europe. Les travailleurs d'Europe ne furent pas assez forts pour faire leur propre révolution dans les années d'après-guerre, mais ils furent assez forts pour empêcher une intervention militaire de leurs propres gouvernements, sur une grande échelle, contre la Russie.

Lénine et Trotsky lièrent directement le destin de leur révolution à la révolution en Allemagne. Ils dirent « Nous vivrons dans une forteresse assiégée jusqu'à ce que la révolution européenne vienne à notre aide. » Aucun des chefs de la révolution russe ne crut qu'elle pourrait durer très longtemps si elle demeurait seule et isolée dans un monde capitaliste.

La force de la révolution

Mais les bolcheviks russes construisirent mieux qu'ils ne le pensaient. La révolution s'avéra plus forte qu'eux-mêmes, ou n'importe qui d'autre, rêvaient qu'elle put être. La révolution russe n'a pas pu aller jusqu'au bout à l'intérieur des frontières nationales d'un seul pays, mais en dépit de cela, en dépit du retard prolongé de la révolution européenne, vers laquelle ils avaient regardé avec tant d'espoir, la révolution en Russie ne mourut pas. Elle survécut et enfonça de profondes racines dans le sol. Les bases de la propriété instaurées par la révolution – la nationalisation de l'industrie et l'économie planifiée – s'avérèrent beaucoup plus fortes que toutes les prévisions, même les plus optimistes.

Mais la révolution isolée, encerclée par un monde capitaliste hostile, ne put échapper aux ravages d'une terrible réaction qui s'établit sur le sol russe. Cette réaction conduisit à l'abandon de la perspective internationale et à une dégénérescence nationaliste sur toute la ligne. Le régime de la démocratie ouvrière, basé sur les Soviets, fut remplacé par une brutale tyrannie totalitaire. La révolution fut décapitée et une génération entière de bolcheviks fut massacrée. Le pouvoir politique des travailleurs fut renversé, mais les conquêtes économiques de la révolution déployèrent une grande vitalité. Grâce à cela, la révolution survécut à vingt années de dégénérescence bureaucratique et de trahison, et révéla une puissance énorme sur le champ de bataille dans la guerre contre l'Allemagne nazie, ainsi que Trotsky l'avait prédit.

Seul Trotsky analysa et expliqua ce phénomène, jusqu'alors inconnu et imprévu, unique dans l'histoire, d'un Etat ouvrier isolé eu au milieu d'un encerclement capitaliste, mutilé et trahi par une bureaucratie usurpatrice, mais survivant néanmoins, bien que sous une forme horriblement dégénérée.

Trotsky – et nous avec lui – eut beaucoup plus confiance que les autres dans les forces de réserve que le système soviétique d'économie déploierait dans la guerre. Nous le sous-estimâmes pourtant beaucoup. Nous sous-estimâmes même les ressources formidables de forces qui résidaient dans l’œuvre de base de la révolution des ouvriers de 1917 quand ils balayèrent la propriété privée capitaliste et réorganisèrent la production sur une base nationalisée et planifiée. L'effrayante dégénérescence bureaucratique se poursuivit à une allure accélérée pendant la guerre. Jusqu'où elle est allée et jusqu'où elle ira encore, avant que l'essor ne recommence, nous ne le savons pas. Mais nous sommes fermement convaincus que le destin de la révolution de 1917 n'est pas encore décidé. Il sera décidé dans la phase nouvelle de la guerre qu'ils appellent « la paix ».

Une leçon de l'histoire

Les révolutions sociales dans l'histoire, qui représentèrent les plus grands, les plus gigantesques efforts et dépenses d'énergie créatrice des masses, concentrée sur un seul point, ont toujours été suivies d'une période de réaction. Nous avons vu cela pendant les vingt et quelques dernières années en Union Soviétique. Mais les réactions contre les grandes révolutions de base n'ont jamais balayé leurs effets de manière à en revenir au point de départ. Considérant ce fait historique fondamental, il faut être très prudent et très circonspect avant d'effacer n'importe quelle partie de l’œuvre de la révolution russe, avant qu'il soit temps de le faire.

La grande révolution française, révolution qui détruisit la féodalité et posa les bases d'une expansion et d'un développement formidables des forces productrices de l'humanité sur une base capitaliste, cette grande révolution eut son Thermidor : la dictature napoléonienne ; elle vit même la restauration de la dynastie des Bourbons. Mais la réaction ne fut jamais assez forte pour restaurer le système féodal de propriété qui avait été balayé par la révolution.

(...)Le marxisme affirme que le système capitaliste de production est délabré et condamné. Le marxisme affirme que la révolution prolétarienne doit balayer et balaiera l'ordre capitaliste et réorganisera l'économie mondiale sur une base socialiste. C'est ce que Marx et Engels proclamèrent dans le Manifeste Communiste de 1848. Mais ni Marx, ni Engels, ni les disciples qui leur succédèrent ne promirent jamais une voie libre et facile vers le socialisme, sans défaites, sans revers, et même sans catastrophes le long du chemin.(...)

La destinée de la révolution

(...)La destinée de la révolution russe n'est pas encore décidée. Une grand part a été trahie, mais quelque chose demeure cependant. Le destin final de la révolution russe est lié à l'issue essentielle de cette période historique et sera décidé avec elle – ou la chute du genre humain ou son émancipation socialiste – telle est l'issue en présence de laquelle se trouve l'humanité aujourd'hui.

La révolution russe n'apparaît que comme une partie, et même pas la plus grande, d'un gigantesque conflit mondial entre des forces qui ne peuvent pas être conciliées. La révolution russe de novembre 1917 a montré aux travailleurs du monde entier la voie vers le pouvoir, vers le renversement du système de propriété capitaliste, vers la réorganisation de l'économie sur une base rationnelle. Il n'y a pas d'autre voie pour sauver le genre humain à l'échelle internationale que la voie de la Russie. Partant de ce point de vue, nous saluons ce soir la Grande Révolution, comme l'initiatrice et l'inspiratrice des plus grandes choses à venir. C'est en cela que réside son importance.

Si nous envisageons la révolution russe d'un point de vue exact, nous devons la voir telle qu'elle fut réellement : une action internationale de la classe laborieuse, débutant dans un pays arriéré, le pays le plus arriéré parmi les grandes puissances, la Russie tsariste, et destinée à être achevée dans le pays le plus avancé et le plus puissant : les États-Unis d'Amérique. Ce qui a été commencé dans le domaine des Tsars sera terminé dans le domaine des monopoleurs américains. Et sans considérer les victoires ou les défaites dans un pays ou dans un autre, ou même sur un continent ou sur un autre, l'issue centrale de notre époque – capitalisme ou socialisme – ne sera pas décidée en fin de compte avant qu'elle le soit aux États-Unis d'Amérique.

Nous nous préparons

(...)C'est ici, aux États-Unis, que se trouve la plus grande puissance impérialiste, un monstre exploitant et opprimant le monde entier. C'est vrai, et nous en tenons pleinement compte. Mais ici aussi il y a une puissance encore plus grande – c'est la classe ouvrière américaine combative et invaincue. Une grande responsabilité historique repose à coup sûr sur nos épaules. Les deux plus grandes puissances du monde -la puissance du mal et de la destruction et la puissance de régénération et de salut du genre humain – sont ici toutes deux.

Il n'y a pour nous qu'une seule voie pour faire notre devoir : c'est de prévoir la révolution et de la préparer. Et la manière de s'y préparer, c'est d'aller vers les travailleurs américains avec le message du parti. Allez à cette source de puissance qui est plus grande même que la puissance de l'impérialisme américain et enseignez aux travailleurs la leçon de la révolution russe. Organisez-les et inspirez-les. Conduisez-les vers la victoire du socialisme en Amérique, qui assurera la victoire du socialisme dans le monde entier.

:: Obama attaque aussi les enseignants et les écoles publiques

Obama a intensifié les efforts de Bush pour transformer des écoles publiques en établissements privés dont certains sont gérés par des sociétés d’éducation à but lucratif, certains par des institutions religieuses, d’autres par de grandes entreprises industrielles intéressées par des formations limitées destinées à leurs propres besoins, d’autres encore par des universités qui veulent en faire des laboratoires pour leurs recherches sur l’éducation ou la formation des nouveaux enseignants.

La prétendue réforme de Bush appelée « No Child Left Behind » (« Aucun enfant laissé au bord du chemin ») a donné aux districts scolaires locaux un prétexte pour se débarrasser des enseignants ayant le plus d’ancienneté, c’est-à-dire les mieux payés, en les remplaçant par des personnels jetables, à bas coût. Mais le programme d’Obama « Race to the Top » (« La course au sommet ») a aggravé ces attaques : au milieu d’une crise économique asséchant les ressources des écoles, le ministère de l’Éducation d’Obama a ouvertement déclaré qu’il refuserait les fonds fédéraux pour cette « course au sommet » aux systèmes scolaires locaux qui ne supprimeraient pas les avantages des enseignants liés à l’ancienneté et qui ne lieraient pas les salaires de ces derniers aux résultats des tests obtenus par les élèves.

Il est évident que les enfants ne peuvent que souffrir de telles mesures. Néanmoins, tout cela est dissimulé sous l’emballage cynique de leur intérêt, tout comme l’avaient été les prétendues réformes de l’éducation de Bush. Le véritable but de toutes ces mesures est de réduire les fonds publics dépensés pour les écoles publiques, libérant ainsi une plus grande part des budgets des États et des villes pour les grandes entreprises qui leur sucent déjà le sang dans tout le pays.