mercredi 30 septembre 2015

:: Septembre 1958 : assassinat du dirigeant nationaliste Ruben Um Nyobé et guerre coloniale au Cameroun

Le 13 septembre 1958, l'armée française assassinait Ruben Um Nyobé, principal dirigeant de l'UPC (Union des Populations Camerounaises), un parti qui exigeait " l'indépendance immédiate " du Cameroun. Cette revendication était alors soutenue par une large fraction de la population, à qui l'impérialisme français fit la guerre comme en Indochine et en Algérie. Avec une différence : cette guerre fut menée sans qu'on en sache grand-chose en métropole.

Pendant la Première Guerre mondiale, les troupes françaises et britanniques s'emparèrent du Cameroun, une colonie allemande. En 1919, le pays fut placé sous tutelle par la Société des Nations, ancêtre de l'ONU. Quatre cinquièmes du pays furent confiés à la France ; le reste aux Britanniques.
En 1944, un syndicaliste français, Donnat, créait l'Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC), une centrale syndicale liée à la CGT française et qui, dès sa naissance, fut l'objet d'une campagne hostile des milieux colonialistes, Église catholique en tête. Les 24 et 25 septembre 1945, l'USCC lançait sa première grève générale.

Chasse coloniale aux indépendantistes

En réaction, les colons et le patronat blanc lancèrent une chasse à l'homme contre les syndicalistes. Les colons furent cependant reçus à coup de fusil par un militant syndical blanc, Lalaurie, qu'ils avaient espéré pouvoir arrêter à son domicile. Celui-ci tua un des dirigeants de la Chambre de commerce. Lui et trois autres syndicalistes échappèrent de peu au lynchage, mais leur procès fut conclu par un non-lieu.
En revanche, on ne sut jamais le nombre d'Africains victimes de ces deux journées de furie colonialiste. Il y eut en tout cas au moins quatre-vingts morts. Les militants syndicaux blancs ayant été rapatriés vers la métropole, la direction de la centrale fut alors assurée par les militants noirs. Ruben Um Nyobé en devenait le secrétaire général adjoint en octobre 1945 et le secrétaire général en 1947. Le 10 avril 1948, il créa un parti indépendantiste, l'Union des Populations du Cameroun (UPC), qui adressa à l'ONU des pétitions réclamant l'indépendance. En 1951, l'UPC rompit avec le RDA (Rassemblement Démocratique Africain), dont elle était une des sections, lorsque ce mouvement, dirigé par l'Ivoirien Houphouët-Boigny, cédait aux instances du ministre de la France d'outre-mer d'alors, François Mitterrand, et s'engagea dans la collaboration ouverte avec l'administration coloniale.

En 1952, l'ONU invita Um Nyobé, qui revendiqua du haut de sa tribune l'indépendance du Cameroun. Il profitait ainsi du fait que les États-Unis plaidaient pour la fin des empires coloniaux dont ils attendaient qu'elle leur ouvre de nouveaux marchés dans le monde. Le dirigeant nationaliste demanda que l'ONU fixe un délai pour que le Cameroun devienne maître de son destin.

Une guerre coloniale de quinze années

En 1955. Le haut-commissaire français au Cameroun se livra à une série de provocations qui finirent par déclencher des émeutes à Douala, à Yaoundé et dans d'autres villes plus petites. " On vit la troupe massacrer les Africains avec une sorte d'enthousiasme sadique ", écrivait Mongo Beti dans son livre Main basse sur le Cameroun. Et, une fois de plus, le nombre des morts resta inconnu.

En juillet 1955, l'UPC fut interdite. Ses dirigeants s'exilèrent ou entrèrent dans la clandestinité. En juin 1956, Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer dans le gouvernement de Front républicain du socialiste Guy Mollet, faisait voter par le Parlement français une loi-cadre instituant un " exécutif indigène ", présidé par le gouverneur français mais flanqué d'un vice-président africain. Cette équipe devait rendre des comptes à une assemblée locale, où les colons restaient surreprésentés. Censé apaiser la situation, ce dispositif exacerba le sentiment national des Camerounais.

En juillet 1956, Pierre Messmer, gaulliste et ancien légionnaire, devint à son tour haut-commissaire du Cameroun. Il était chargé de mettre en oeuvre cette loi dite d'autonomie que l'UPC dénonçait comme un " semblant d'émancipation ". L'État français empêcha la participation de celle-ci aux élections locales de décembre 1956 en faisant traîner le processus qui aurait dû la sortir de l'illégalité. Il ne resta plus à l'UPC qu'à appeler à l'abstention, ce qu'elle fit avec un certain succès.

L'assassinat de deux colons, attribué à tort ou à raison à des membres de l'UPC, servit alors de prétexte pour réprimer le parti indépendantiste. L'impérialisme français réagit au Cameroun comme il l'avait fait en Indochine et comme il continuait alors de le faire en Algérie.

Les villageois furent réunis dans des camps de regroupement, tandis que l'armée quadrillait le pays. Tout Africain découvert hors de ces camps était considéré comme un ennemi et risquait sa vie. Il y eut des massacres et des tueries notamment dans le sud du pays.

En réaction, on estime qu'un tiers de la population prit le chemin du maquis, notamment dans les zones forestières. Les indépendantistes s'armèrent comme ils pouvaient, de fusils de chasse, lances et arbalètes. Puisque le parti d'Um Nyobé préférait l'indépendance à la pseudo-autonomie imaginée par la puissance coloniale, il fut déclaré " hors-la-loi ". L'armée pénétra dans les forêts où était installée l'UPC. L'étau se resserra autour d'Um Nyobé, qui fut assassiné le 13 septembre 1958 d'une rafale de mitraillette. Sa dépouille fut exhibée dans son village pour montrer qu'il était bien mort, puis son cadavre fut escamoté dans un coulage de béton.

Un Cameroun toujours " dépendant "

Mais la mort du principal dirigeant de l'UPC n'arrêta pas la rébellion. L'ouest du pays s'embrasa, tandis que la France installait un dictateur à sa solde, Ahidjo. Le 1er janvier 1960, derrière le paravent des fêtes de la pseudo-indépendance offerte par de Gaulle, la répression se poursuivait contre les indépendantistes. Le Cameroun " indépendant " restait de fait dans le pré carré français. Par exemple, les matières premières du sous-sol étaient d'abord la propriété de la France. Les dirigeants camerounais ne pouvaient en disposer que si le gouvernement français n'était pas intéressé.

L'armée nationale du Cameroun déclaré " indépendant ", encadrée et mise sur pied par la France qui en avait formé les cadres et continuait de l'épauler, menait une guerre totale aux partisans de l'indépendance. Elle allait durer finalement quinze ans, de 1955 à 1970. D'autres dirigeants de l'UPC furent assassinés : Félix Moumié, empoisonné par un agent des services secrets français ; Osendé Afana mort au maquis en 1966 ; Ernest Ouandié, fusillé en 1970 après une parodie de procès.

Cette guerre coûta la vie à des dizaines de milliers de Camerounais, peut-être même des centaines de milliers. On utilisa les tanks, les bombardements aériens y compris au napalm pour reconquérir les zones où la population sympathisait avec l'UPC, et contre tous ceux qui aspiraient à une véritable indépendance, c'est-à-dire débarrassée de la tutelle coloniale ou néocoloniale afin que la population puisse enfin bénéficier des richesses du pays accaparées par les trusts français.


Jacques FONTENOY (LO n°2095)

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