La république démocratique bourgeoise, reposant sur le suffrage
universel et le mécanisme des partis, n'est en fait que la forme normale
de la dictature de la bourgeoisie. Et l'État moderne reste le garant du
maintien de l'exploitation. Nous pouvons reprendre à notre compte ces
conclusions que Marx tira, en son temps, de la défaite des révolutions
de 1848 en France et en Allemagne.
Contre la dictature de la bourgeoisie, la dictature du prolétariat
Comme nous reprenons à notre compte la conclusion révolutionnaire
qu'il en tira : que la révolution prolétarienne ne pourra l'emporter
qu'à condition de " concentrer contre l'État toutes ses forces de destruction " , qu'à condition " de briser la machine d'État que toutes les révolutions politiques n'avaient fait jusqu'à présent que perfectionner " .
Pour nous, cette analyse et ce programme sont, cent cinquante ans après, toujours d'actualité.
Pour s'émanciper, la classe ouvrière devra opposer à la dictature de la bourgeoisie, comme l'expliquait encore Marx,
" la dictature de classe du prolétariat comme point de transition
nécessaire vers l'abolition des différences de classes tout court, vers
l'abolition de tous les rapports de production sur lesquels elles
reposent, vers l'abolition de toutes les relations sociales qui
correspondent à ces rapports de production, enfin, vers le
bouleversement de toutes les idées qui naissent de ces relations
sociales " .
La classe ouvrière devra, résumait Marx, " déclarer la révolution en permanence " .
Contre la démocratie bourgeoise, la démocratie ouvrière
En parlant de dictature du prolétariat, Marx ne parlait pas de la
forme politique que prendrait la domination de la classe ouvrière, mais
de son contenu social. La dictature du prolétariat ne s'oppose pas pour
lui à la démocratie ni aux libertés politiques, mais à la dictature
sociale et économique de la bourgeoisie, quelles que soient ses formes
politiques.
Marx et Engels n'excluaient d'ailleurs pas la possibilité d'une
transition sinon pacifique, du moins plus facile, dans les États
bourgeois où le militarisme et la bureaucratie ne s'étaient pas encore
développés. Avec l'impérialisme, qui renforça de façon extraordinaire
l'appareil bureaucratique et militaire dans tous les États bourgeois,
cette possibilité est moins vraisemblable. Cependant il n'y a pas de
situation révolutionnaire, pas de situation où les masses ne peuvent
plus supporter leur vie, sans que l'appareil d'État de la bourgeoisie se
décompose et soit moins en en état de fonctionner et de réagir.
La nécessité de la dictature du prolétariat est liée à la nécessité
de briser l'État bourgeois mais aussi à sa résistance ou son absence de
résistance. C'est la violence bourgeoise qui appelle la violence
révolutionnaire, laquelle est proportionnée à la première.
Mais à la démocratie bourgeoise, le prolétariat oppose sa démocratie,
la démocratie prolétarienne. Un régime qui, comme l'expliquait Lénine, " est un million de fois plus démocratique que n'importe quelle démocratie bourgeoise " .
Bien sûr, il en va de la dictature du prolétariat comme de la
dictature de la bourgeoisie. Elle pourra revêtir, selon le contexte ou
les circonstances, des formes politiques différentes, plus ou moins
dures, plus ou moins démocratiques.
Mais la forme normale de la dictature du prolétariat, c'est la forme la plus démocratique.
Tout dépend, et tout dépendra, du degré de résistance des bourgeois et de ceux qu'ils entraînent ou influencent.
C'est là-dessus qu'achoppa, au bout du compte, l'État ouvrier qui naquit de la révolution d'octobre 1917 en Russie.
L'exemple de la révolution russe et des soviets : la démocratie pour les plus larges masses
La révolution russe appela à l'exercice du pouvoir politique, à
travers les soviets, l'immense majorité de la population, ouvrière et
paysanne, y compris la plus pauvre, de Russie.
Mais elle eut immédiatement à faire face à la guerre civile, et aux
armées coalisées de toutes les grandes puissances impérialistes, y
compris les ennemis de la veille, Allemands, Anglais et Français.
La république soviétique, après quatre années de guerre mondiale,
puis quatre années de guerre civile, après les défaites successives des
révolutions qui éclatèrent en Europe, resta isolée, détruite, ravagée
par la famine. La population cessa d'exercer, à tous les niveaux, son
contrôle. Le pouvoir lui fut confisqué par une minorité de profiteurs,
et la démocratie soviétique fut remplacée par la dictature politique
d'une caste de bureaucrates.
Mais le régime qui s'était mis en place, et qui avait fonctionné au
cours des premières années, est le plus démocratique que nos sociétés
aient connu, parce que, comme l'écrivait Lénine, il a " développé
et étendu la démocratie comme nulle part au monde, au profit de
l'immense majorité de la population, au profit des exploités et des
travailleurs " . Et nous n'avons rien à en renier.
Si les bolcheviks durent prendre des mesures de répression politique
contre leurs adversaires - privation de droits politiques, suspension de
leurs journaux, interdiction de certains partis - , il s'agissait,
comme l'écrivait Lénine, de mesures " essentiellement russes "
: des mesures d'exception, de légitime défense, liées à la guerre
civile. Elles ne faisaient pas partie du programme des bolcheviks.
Et elles ne font pas partie du programme des communistes révolutionnaires.
Extrait d'un Cercle Léon Trotsky (Démocratie, démocratie parlementaire, démocratie communale,
2001)
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