Le blog de @recriweb - "Les éléments authentiquement révolutionnaires disposent encore d'un certain délai, vraisemblablement assez bref, pour prendre conscience, pour se rassembler, pour préparer l'avenir" [Trotsky, 22 avril 1936]
dimanche 29 novembre 2015
:: La dictature du prolétariat, ou la démocratie la plus large
:: La bourgeoisie domine toute la société
L'État, un instrument aux mains des trusts
Si l'État, si tout son appareil de hauts fonctionnaires, de militaires, de diplomates est au service de la grande bourgeoisie, c'est parce qu'il a été et qu'il est conçu, fabriqué, sélectionné pour cela par la bourgeoisie elle-même.
L'information et la culture sous contrôle... ou sous influence
Aujourd'hui, bien peu de choses, parmi tout ce qui se lit, s'écrit, s'écoute ou se regarde, échappe au contrôle ou à l'influence de la grande bourgeoisie.
La dictature des propriétaires des moyens de production
Ce pouvoir fondamental sur la société, qui lui vient de son contrôle de l'économie, qui lui vient de la propriété privée des gigantesques moyens de production modernes, la bourgeoisie ne le partage pas. Dans la plus démocratique des démocraties bourgeoises, la démocratie s'arrête à la porte de l'atelier, du bureau, de l'usine.
De la dictature économique à la dictature politique
La démocratie parlementaire est la forme de gouvernement que la bourgeoisie préfère car elle lui permet de régler démocratiquement les conflits en son sein et d'amortir les revendications sociales.
vendredi 20 novembre 2015
:: L'année 1917 et la révolution russe
L'année 1917, l'année trouble, disait Poincaré ; entendez par là l'année où la bourgeoisie vit se dresser devant elle, pour la première fois depuis le début du conflit, le spectre de la révolution.
Depuis près de trois ans, la guerre piétinait. Vingt-huit pays belligérants, ayant mobilisé 74 millions d'hommes, s'affrontaient de la Flandre à la Suisse, du golfe de Finlande à la Mer Noire, dans les Balkans et en Asie Mineure.
Les patriotes professionnels avaient chanté la guerre fraîche et joyeuse. Mais dans la boue des tranchées, les soldats qui avaient pu y croire perdirent vite leurs illusions. Le conflit semblait ne devoir jamais se terminer ; des milliers, des millions d'hommes tombaient dans des offensives meurtrières, pour quelques mètres carrés de fange et de barbelés.
Alors, peu à peu, pénétra dans la conscience des soldats la conviction profonde qu'eux seuls pourraient mettre fin à la tuerie.
En mars 1917, pour la première fois, des mutineries éclataient dans la flotte allemande. Elles furent réprimées.
Mais en Russie, le 4 mars (23 février suivant le calendrier Julien en vigueur dans l'Empire des tzars), à l'occasion de la « journée internationale des femmes », la grève générale éclatait à Pétrograd. La plus grande partie de la garnison passait du côté des insurgés et, en cinq jours, l'autocratie s'écroulait.
Certes, le gouvernement provisoire qui se formait alors ne représentait en aucune manière les intérêts des travailleurs. Serviteur fidèle, bien que gêné par les événements, de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers, il entendait ne rien changer à l'ordre social existant, et maintenir le pays dans la guerre.
Mais les masses s'étaient organisées. Elles avaient formé leurs soviets. La révolution ne faisait que commencer.
Les insurgés furent moins heureux en France. En mai, après l'échec de la meurtrière offensive Nivelle sur le Chemin des Dames, la révolte éclatait. Les éléments de 54 divisions se soulevèrent, désertèrent, refusèrent tout service, arborèrent les drapeaux rouges, réclamèrent la paix, menacèrent de marcher sur la capitale. Il n'existait plus que deux divisions sûres entre Soissons et Paris.
La révolte fut brisée, la répression, dirigée par Pétain, sanglante. Et pendant des mois, alors que la révolution continuait à se développer en Russie, plus aucun soulèvement ne se produisit dans les armées en guerre.
Mais le printemps de 1917 avait au moins montré à la bourgeoisie sur quelle poudrière elle était assise.
Il avait aussi montré qu'il ne suffisait pas d'une mutinerie pour en finir avec la guerre, qu'il fallait une véritable révolution, brisant le pouvoir des classes dominantes. Or, s'il suffit de mutins pour faire une mutinerie, il faut des révolutionnaires pour faire une révolution, et il faut même un parti révolutionnaire.
Mais en Russie, il y avait un parti révolutionnaire ; il y avait ce parti bolchévik qui, depuis trois ans, prêchait la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Le parti n'en connut pas moins une période de flottement, au lendemain de Février, lorsque certains dirigeants, dont Staline, prétendirent l'amener à une politique de soutien du gouvernement provisoire.
Mais dès le retour d'émigration de Lénine, en avril, il fit sien le mot d'ordre : « Tout le pouvoir aux soviets », considérant ceux-ci comme l'embryon du futur État prolétarien.
En fait, bien peu de choses pouvaient empêcher les masses de prendre leur propre sort en mains, si ce n'est leurs préjugés, et les illusions qu'elles nourrissaient sur les autres partis se réclamant du socialisme : les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.
Au début, c'étaient ces derniers qui détenaient la majorité dans les soviets, et les bolchéviks n'en constituaient qu'une faible minorité. Mais dans les mois qui suivirent, les masses purent faire l'expérience de ce que valaient les promesses des menchéviks et des S-R.
Les travailleurs réclamaient du pain, mais le gouvernement provisoire, soutenu par ces partis, se montrait incapable de conjurer la catastrophe imminente, parce qu'il se refusait à prendre des mesures radicales contre les spéculations de la bourgeoisie.
Les paysans voulaient la terre, mais on leur demandait d'attendre l'Assemblée Constituante et, quand ils voulaient s'emparer eux-mêmes des terres qu'ils cultivaient, on leur envoyait les gendarmes.
Les soldats réclamaient la paix, et le gouvernement du socialiste Kérensky se lançait dans la folle aventure de l'offensive de Juin.
Aussi, malgré la répression qui s'abattit sur les bolchéviks après les Journées de Juillet, leur influence ne cessa-t-elle de croître. Fin août, ils étaient majoritaires dans les soviets de Pétrograd et de Moscou et, les uns après les autres, ceux des villes industrielles allaient tomber entre leurs mains.
L'heure de la révolution prolétarienne avait sonné.
Rien ne ressembla moins à un putsch, au coup de main d'une minorité agissante, que l'insurrection d'Octobre. Ce fut l'insurrection des masses, en ce sens que, même si, sur le plan militaire, elle ne fut exécutée que par une minorité, l'immense majorité des travailleurs et des soldats en avait compris la nécessité.
Et pour eux, ce fut, pourrait-on dire, une insurrection légale. Du moins du point de vue de la légalité soviétique, la seule qui comptait désormais.
En effet, si la date du 25 octobre 1917 restera à jamais liée au souvenir de la première révolution prolétarienne victorieuse, et cela en dépit du changement de calendrier, le processus insurrectionnel s'amorça en réalité plus de 15 jours auparavant.
Le divorce entre le soviet de Pétrograd et le gouvernement provisoire fut effectivement consommé le 7 octobre, lorsque le soviet, qui s'opposait à l'éloignement de la garnison, créa son Comité Militaire Révolutionnaire, et nomma ses commissaires auprès de toutes les unités, isolant ainsi complètement Kérensky et l'État major.
Aucun ordre désormais ne fut plus exécuté sans l'accord des autorités soviétiques. Le soviet se trouvait être le pouvoir de fait. II n'y avait pas un grand pas à franchir pour balayer le gouvernement fantoche. Sous couvert de la préparation de la défense du deuxième congrés des soviets, qui devait tenir ses assises fin octobre, s'organisait l'insurrection.
Celle-ci fut déclenchée dans la nuit du 24 au 25 octobre. Au matin, les bolchéviks étaient maîtres de la plupart des bâtiments publics. Mais ce n'est que dans la nuit suivante que le Palais d'Hiver, siège et dernier bastion du gouvernement provisoire, tomba à son tour.
A la même heure était réuni le Congrès des soviets des députés ouvriers et soldats de toute la Russie. Ce n'étaient pas des députés bien habillés, fleurant le parfum à la mode et arborant de luxueuses serviettes de maroquin.
C'étaient des ouvriers du rang, des soldats en grossier uniforme, des paysans barbus. Et c'est sans doute pour cela qu'ils firent ce qu'aucun gouvernement n'avait encore jamais fait dans l'Histoire : qu'ils traduisirent immédiatement en acte le programme du parti majoritaire, les promesses faites aux masses.
Le premier décret adopté concernait la Paix. Le congrès des soviets proposait à tous les belligérants d'entamer immédiatement des négociations pour la conclusion d'une paix sans annexion ni indemnité, et, en premier lieu, afin d'arrêter, dès l'ouverture des pourparlers, les massacres sans nom de la guerre, une trêve de trois mois.
Mais la révolution ne s'adressait pas qu'aux gouvernements : elle s'adressait aux peuples, aux travailleurs et plus particulièrement, disait-elle, « aux ouvriers conscients des trois nations les plus avancées de l'humanité et des États les plus importants engagés dans la guerre, l'Angleterre, la France et l'Allemagne », et elle les appelait « à mener jusqu'au bout la lutte pour la paix, et en même temps, la lutte pour l'affranchissement des masses laborieuses et exploitées de tout esclavage et de toute exploitation ».
Et quand le Congrès, après avoir adopté cet appel, se leva, quand tous les délégués, debout, entonnèrent l'Internationale, ce ne fut pas seulement l'hymne des travailleurs qui retentit, ce fut vraiment, par-dessus les tranchées, par-dessus les villages incendiés, par-dessus les vastes champs où des millions d'hommes assassinés dormaient de leur dernier sommeil, par-dessus l'Europe en flammes, l'appel à la révolution qui jaillit. « Debout les damnés de la terre », jamais peut-être les vieilles paroles de l'Internationale n'avaient été aussi chargées de sens.
(LO, 1967)
lundi 9 novembre 2015
:: Le 7 novembre 1917, les ouvriers prenaient le pouvoir en Russie
Le 7 novembre 1917, le 25 octobre selon le calendrier en vigueur dans l'ancienne Russie, alors que l'Europe, pour la quatrième année consécutive était plongée dans les horreurs de la Première Guerre mondiale, les délégués des ouvriers, des soldats et des paysans russes, réunis en congrès à Pétrograd, prenaient le pouvoir : le premier État ouvrier était né. Une période nouvelle s'ouvrait, pleine d'espoir pour les masses opprimées de toute la Russie et du monde entier.

Qu'en mars (février) 1917, les ouvriers russes et les paysans, massivement enrôlés dans l'armée, soient parvenus à abattre la dictature la plus réactionnaire d'Europe, le tsarisme, ces intellectuels défenseurs de l'ordre bourgeois seraient prêts à le voir d'un bon oeil. Mais que ces mêmes classes pauvres aient voulu bien plus et que, contrairement à bien des révolutions du passé, les ouvriers n'aient pas laissé les politiciens bourgeois s'installer seuls dans les fauteuils du pouvoir, que ces ouvriers n'aient pas remis leur sort entre les mains du seul gouvernement bourgeois, qu'ils aient en un mot construit leur propre pouvoir, suscite encore leur indignation, quatre-vingt-dix ans plus tard. Les ouvriers en armes, voilà ce qui est à leurs yeux du totalitarisme.
Mais justement, la force de cette révolution, ce fut de ne pas s'arrêter en chemin.
L'aboutissement de huit mois de révolution
Au lendemain des journées de mars (février) 1917, les députés bourgeois de la Douma, un parlement créé du temps du tsar, et les partisans du régime tsariste avaient formé un gouvernement « provisoire ». Mais au même moment les ouvriers s'étaient, de leur côté, organisés dans des conseils (soviets en russe). Composés de délégués ouvriers élus et révocables, ils étaient bien plus démocratiques que des parlements bourgeois. Et surtout, ils constituaient des formes de pouvoir au travers desquels la population pouvait imposer directement sa volonté.
Lénine voyait déjà alors, en ces soviets, les futurs organes du pouvoir ouvrier. Dans sa première Lettre de loin, le 7 mars, Lénine écrivait : « À côté de ce gouvernement (le gouvernement provisoire) qui n'est au fond qu'un simple commis de la "firme" de milliardaires "Angleterre-France" dans la guerre actuelle, a surgi un gouvernement ouvrier, le gouvernement principal, non officiel, encore embryonnaire, relativement faible, qui représente les intérêts du prolétariat et de toutes les couches pauvres de la population des villes et des campagnes. C'est le soviet des députés ouvriers de Pétrograd, qui cherche des liaisons avec les soldats et les paysans. »
En mars 1917, dans l'enthousiasme de la victoire sur le tsarisme, dominait encore l'illusion que soutenir le gouvernement provisoire serait le meilleur garant des acquis révolutionnaires. Mais au cours du printemps et de l'été 1917, les illusions allaient progressivement tomber.
Le rôle du Parti Bolchevique et le programme révolutionnaire de Lénine
Si les socialistes de l'époque, mencheviks et socialistes-révolutionnaires, qui étaient au début majoritaires dans les soviets, contribuaient à renforcer ces illusions, il y avait un autre parti qui défendait la nécessité absolue pour le prolétariat de prendre le pouvoir : le Parti Bolchevique.
Après une période de flottement en son sein au début de la révolution, dès le retour d'émigration de Lénine, en avril 1917, il fit sien le mot d'ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ».

Les travailleurs réclamaient du pain, mais ce gouvernement se montrait incapable de conjurer la catastrophe parce qu'il se refusait à prendre des mesures radicales contre les spéculations de la bourgeoisie. Les paysans voulaient la terre, mais on leur demandait d'attendre et, lorsqu'ils voulaient s'emparer eux-mêmes des terres qu'ils cultivaient, ils étaient durement réprimés. Les soldats réclamaient la paix, mais le gouvernement dirigé par un socialiste, Kérensky, se lançait dans une offensive en juin.
Si Lénine défendait la nécessité absolue pour le prolétariat de prendre le pouvoir, ce n'est pas parce qu'il ignorait que la classe ouvrière était minoritaire en Russie par rapport à l'immense masse des paysans. Il savait que, seule de toutes les forces sociales et politiques en présence, elle était capable d'assurer les tâches mises à l'ordre du jour par la révolution : la paix, le pain, la terre.
L'insurrection à l'ordre du jour
La politique des bolcheviks attirait l'hostilité farouche des dirigeants de l'armée et de la bourgeoisie, mais aussi des politiciens libéraux ou socialistes réformistes. Le journal le Times de Londres titrait à l'époque : « Le remède contre le bolchevisme, ce sont les balles ».
En juillet 1917, profitant d'une journée de manifestations dans la capitale, les tenants de l'ordre bourgeois essayèrent de mettre le Parti Bolchevique hors-la-loi. Lénine dut se réfugier en Finlande et Trotsky, l'autre principal dirigeant du Parti Bolchevique fut jeté en prison. Mais la répression ne réussit pas à briser la montée révolutionnaire. Après une courte période de découragement, celle-ci reprit. Les ouvriers de Pétrograd, organisés par les bolcheviks, firent échec à une tentative de coup d'État militaire du général Kornilov.
Ces mois d'expériences révolutionnaires avaient consolidé la conscience des travailleurs et renforcé leur détermination. Cela se traduisit par des succès des bolcheviks à presque toutes les élections, car l'une des grandes différences entre les soviets et les assemblées parlementaires bourgeoises, c'est que leurs députés n'étaient pas élus pour cinq ou six ans, mais pouvaient être remplacés quand la politique qu'ils défendaient n'avait plus l'approbation de leurs mandants. En particulier, dès le début du mois de septembre, la direction du soviet de Petrograd passa aux bolcheviks, ainsi que celle du soviet de Moscou peu après.
La situation permettait que le pouvoir passe aux mains des soviets. L'insurrection armée était à l'ordre du jour. Elle fut déclenchée dans la nuit du 6 au 7 novembre 1917. La prise des bâtiments où s'était retranché ce qui restait du gouvernement discrédité fut, sur le plan militaire, réalisé par un nombre réduit d'ouvriers et de soldats révolutionnaires. Mais pour autant, cela ne ressembla en rien au coup de force d'une minorité. Car dans le pays l'immense majorité des travailleurs et des soldats avaient compris la nécessité de l'insurrection. Et ils la soutenaient, faute de quoi la révolution n'aurait jamais pu consolider son pouvoir.
Les premières mesures du pouvoir soviétique
Le premier des décrets du nouveau pouvoir révolutionnaire concernait la paix. Il proposait à tous les gouvernements une paix immédiate et sans annexion. Mais c'est aux peuples qu'il en appelait pour imposer cette paix.
Le deuxième décret concernait la terre : l'expropriation sans indemnité des biens des propriétaires fonciers et des domaines de l'Église. Les paysans étaient appelés à appliquer la mesure et à en décider des modalités : les soviets de paysans étaient incités à organiser eux-mêmes le partage des terres expropriées qui leur étaient confiées.
Le pouvoir des soviets ne nationalisa pas les entreprises industrielles et commerciales au début. Mais il les soumit au contrôle des travailleurs.
La force de ce nouveau pouvoir, en un mot, était de répondre aux aspirations de dizaines de millions d'hommes en transformant en acte leur volonté de changer leur sort.
Le 7 novembre 1917, la Russie était devenue le premier bastion d'une révolution qui allait ébranler le monde.