mercredi 23 juin 2010

:: Les révolutionnaires et les syndicats


Un des problèmes majeurs qui se posent aux travailleurs conscients et, par voie de conséquence, aux révolutionnaires est que, dans les pays les plus industrialisés, les syndicats sont devenus des organismes officiels de plus en plus intégrés à la société bourgeoise. Interlocuteurs institutionnalisés de l'Etat et des patrons, ils siègent dans maints comités, conseils, commissions, et autres appendices des États, ils sont gestionnaires directs ou associés d'organismes sociaux. Tout ceci leur procure des postes, des moyens, un poids social et des possibilités matérielles qui les rendent de plus en plus indépendants des travailleurs et de plus en plus dépendants de la bourgeoisie et de son État.

Quels que soient le nombre de leurs syndiqués, la façon dont sont recueillies les cotisations, les modalités même du fonctionnement syndical, il y a dans tous les pays, où existe un syndicalisme légal, une constante : les syndicats fonctionnent comme des appareils bureaucratiques ayant leurs propres intérêts, de plus en plus coupés de la base ouvrière, à laquelle les rattachent, seuls, les délégués d'atelier ou d'usine.

Ils sont donc en voie de conséquence devenus les agents de l’État bourgeois dans le monde du travail. Cela apparaît de façon claire en période de crise économique : non seulement les syndicats sont incapa­bles d'impulser les combats nécessaires à la défense des travailleurs, mais ils acceptent de fait l'austérité quand il n'en sont pas les propagandistes et les acteurs comme on le voit dans le cas des États-Unis où ils ont accepté de signer des accords comportant des baisses des salaires.

Le problème pour les militants révolutionnaires – et ce n'est pas un problème nouveau – est donc de savoir s'il est juste dans ces conditions de militer dans les syndicats, comment et dans quelles perspectives.

Le mouvement trotskyste a répondu à cette question, dès sa création et les réponses font partie de son programme de fondation.

Oui, les militants ouvriers révolutionnaires doivent militer dans les syndicats existants quel que soit leur degré de bureaucratisme et leur politique de collaboration de classe, afin d'y combattre les vieilles directions conservatrices, qu'elles soient staliniennes, réformistes ou chrétiennes. Ils ne doivent pas tourner le dos à la réalité pour se lancer dans la constitution de syndicats prétendument “révolutionnaires”, condamnés à n'être que des sectes inefficaces et vides. Pour gagner de l'influence sur la classe ouvrière, il faut militer dans les organisations qui ont de l'influence sur elle, préci sément pour tenter d'arracher la classe ouvrière à cette influence conservatrice, démobilisatrice.

Oui, le programme des trotskystes affirme cette nécessité mais il affirme aussi, et c'est complémen taire, la nécessité, pour les révolutionnaires, de créer dans les moments de luttes, où de larges masses de travailleurs sont en mouvement, des organisations autonomes comme les Comités de grève, ou d'usine, capables de représenter, dans le mouvement, la tota­lité des travailleurs en lutte. Nécessité d'autant plus impérative, que les vieux appareils syndicaux conservateurs s'opposeront à un moment ou à un autre aux travailleurs en lutte, et qu'il sera vital alors pour l'avenir du mouvement engagé que les travailleurs aient leur propre organe de décision et de direction.

C'est sur ce problème que nous nous séparons des autres organisations trotskystes ou plutôt que les autres organisations trotskystes se séparent de leur programme. Car si nous sommes tous d'accord sur la première partie de la réponse – il faut militer dans les syndicats existants – il n'y a guère que notre tendance à militer systématiquement pour que, à chaque fois que des travailleurs entrent sérieusement en lutte, ils se donnent les moyens de participer le plus largement et le plus directement possible à l'organisation et à la direction de leur propre combat, au travers d'Assem­blées générales et d'organismes comme les Comités de grève.

La plupart des organisations trotskystes privilégient le travail syndical, au point d'en faire leur seule forme d'intervention en entreprise. Ils admettent que dans une phase, toujours ultérieure des luttes, les directions syndicales puissent être débordées mais cette phase ne se présente jamais selon eux.

C'est une question de fond. Les révolutionnaires trotskystes ne peuvent pas assimiler la classe ouvrière aux syndicats. Les syndicats sont une formation sociale issue de l'histoire de la société capitaliste, liée à son évolution. La classe ouvrière, elle, demeure pour nous, marxistes, la classe socialement révolutionnaire, celle qui est porteuse d'une autre société. La révolu tion, la transformation sociale de la société, ne se fera pas sans elle, sans sa participation active, consciente, massive, à la gestion de la société, et, dans sa phase transitoire, à la direction de son Etat.

Pour nous, révolutionnaires marxistes, la classe ouvrière est notre classe. La classe ouvrière, aussi diverse, aussi mélangée soit-elle, touchant par ses couches supérieures à la petite bourgeoisie, par ses couches inférieures au lumpen-prolétariat, la classe ouvrière, toujours renouvelée, qui rassemble dans les pays impérialistes les émigrés de tous les pays, la classe ouvrière est la seule classe d'avenir. Elle est aujourd'hui trop souvent résignée, victime de préjugés, de l'inculture, mais c'est elle pourtant qui fera la révolution, elle qui trouve dans ses combats, un courage, un enthousiasme, une générosité, une puissance d'imagination, de décision, de créativité qui bouscule tous les élitismes, toutes les hiérarchies, toutes les valeurs établies de la société bourgeoise.

Ce ne sont pas les syndicats qui feront la révolution. Certes, on peut imaginer que sous l'impact d'un formidable mouvement de masse, leur appareil et leur direction ayant volé en éclats, les militants syndicalistes retrouvent la confiance dans leur classe et participent consciemment à la révolution. Mais cela ne viendra pas des appareils, pas même du travail des révolutionnaires dans les syndicats. Cela viendra du mouvement de masse à condition que les révolutionnaires aient travaillé à ce mouvement.

Tout cela est dans le programme trotskyste, tout cela est dans le programme bolchevique, dans la révolution russe, la seule révolution ouvrière du monde moderne.

Et c'est pour cela que les militants de notre tendance, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis, ou aux Antilles ont comme orientation de militer non seule ment dans les syndicats, mais aussi, et en priorité, dans la classe ouvrière tout entière.

Concrètement, notre tendance est à peu près la seule à faire, systématiquement, avec persévérance, un travail de propagande et d'organisation en direction de toute la classe ouvrière et pas seulement en direction de la pseudo élite syndicale. Cela passe, aujourd'hui, par l'édition d'une presse politique d'entreprise qui, pour son élaboration, son financement, sa diffusion, implique la participation de travailleurs prêts à dénoncer l'exploitation, l'arbitraire patronal, la politique de classe de l’État et les compromissions syndicales.

Évidemment pour les militants qui vont mener de front les deux activités, syndicale et politique, cela demande une certaine prudence voire une discrétion certaine. Bien sûr, le travail politique peut parfois gêner ou entraver l'activité syndicale en prêtant le flanc à la répression des bureaucrates. Mais le renoncement est pire quant à ses conséquences que les quelques inconvénients – réels – que notre choix peut avoir. Mais c'est justement ce choix que nous faisons, que l'immense majorité des autres tendances qui se disent trotskystes ne font pas. Et nous sommes conscients d'être en cela les plus fidèles au pro gramme de fondation de la Quatrième Internationale.

Ce choix, cette fidélité passent aussi par une pratique qui privilégie, dans les moments de lutte, la formation d'organes autonomes de travailleurs en lutte, les Comités de grève.

Notre solidarité fondamentale est celle qui nous unit à la classe ouvrière, elle va bien au-delà des accords, des alliances, et des compromis que tout militant est amené à conclure dans le milieu syndical et dont, mal­heureusement, beaucoup de militants trotskystes ne savent pas s'échapper, même lorsqu'ils ont le choix entre la solidarité avec les intérêts des travailleurs et la solidarité avec des militants syndicalistes qui soutiennent la politique des bureaucrates”.