samedi 5 mars 2011

:: Oui, il faut continuer de gagner des travailleurs à la révolution, à la conscience communiste

 Il est important, pour tous ceux qui veulent réellement changer le monde et débarrasser la société de la dictature du capital, de s'en convaincre : le prolétariat international est la seule classe capable de mettre fin au capitalisme et à l’exploitation !
Tel était le thème du Cercle Léon Trotsky du vendredi 4 mars 2011. 
Ci-dessous l'introduction de l'exposé et son sommaire détaillé.

Introduction
Nous vivons depuis deux mois avec le regard braqué sur le monde arabe. Le soulèvement de la population, dans ces pays, ne peut manquer d’enthousiasmer les révolutionnaires que nous sommes – d’abord parce que voir des peuples faire vaciller en quelques semaines des dictatures vieilles de plusieurs décennies est profondément réjouissant ; ensuite parce que voir la révolte se propager comme un feu de forêt, de proche en proche, de pays en pays, passer de la Tunisie à l’Égypte en sautant par-dessus la Lybie pour mieux y revenir quelques jours plus tard, tout cela donne chair et vie à tout ce que nous disons, depuis bien longtemps, sur la possibilité de mouvements internationaux ; et tout cela n’avait pas été vu depuis longtemps, bien trop longtemps. Nous espérons, de toutes nos forces, que ces événements ouvrent une nouvelle période historique, une période de renouveau des luttes et peut-être demain, des révolutions !
Mais il y aussi une chose qui crève les yeux dans ces événements, et qui, elle, est beaucoup moins réjouissante : c’est l’absence du prolétariat dans ces révoltes. Non pas son absence physique : il y avait certainement des ouvriers place Tahir au Caire, parmi les manifestants de Tunisie, dans les combats de rue en Lybie. Et même dans le petit royaume de Bahreïn, les travailleurs immigrés philippins ou pakistanais surexploités par les riches familles de magnats du pétrole n’ont peut-être pas été les derniers à descendre dans les rues. Non, ce n’est pas physiquement, mais politiquement que le prolétariat a été absent de ces événements : aucun parti, aucune organisation, n’a fait entendre sa voix, aucun parti, aucune organisation, n’a cherché à définir ou exprimer une politique indépendante pour la classe ouvrière.
Il n’y a plus aujourd’hui de grands partis politiques qui soit le représentant des intérêts du prolétariat ; et l’on peut même dire que depuis des dizaines d’années, à l’échelle du monde, le prolétariat n’apparaît plus en tant que tel sur la scène politique, et ne pèse plus sur les événements. D’ailleurs, il se trouve même bon nombre d’intellectuels pour affirmer carrément qu’il a tout bonnement disparu, que la classe ouvrière n’existe plus.
Pourtant, nous, communistes révolutionnaires, voyons toujours dans le prolétariat la seule classe capable de mener la révolution contre le capitalisme, la seule classe capable de débarrasser à jamais l’humanité du fléau de l’exploitation et de l’oppression.
Pourquoi les marxistes estiment-ils que le prolétariat seul peut accomplir cette tâche ? Comment expliquer qu’aujourd’hui il ne joue plus le rôle politique qui, historiquement, était le sien ? Et que représente le prolétariat aujourd’hui – est-ce une classe qui se renforce, ou une classe qui décline ?

Sommaire

:: La réaction thermidorienne [extrait], par Léon Trotsky. #stalinisme

Une réaction politique suivit le prodigieux effort de la révolution et de la guerre civile. [Elle différait essentiellement des phénomènes sociaux qui se développèrent parallèlement dans, les contrées non soviétiques.] C'était une réaction contre la guerre impérialiste et contre ceux qui l'avaient conduite. En Angleterre, elle était dirigée contre Lloyd George et l'isola politiquement jusqu'à la fin de sa vie. Clemenceau, en France, eut un sort semblable.

Les prodigieux changements qu'on constatait dans les sentiments des masses après une guerre impérialiste et une guerre civile étaient bien explicables. En Russie, les ouvriers et les paysans étaient profondément convaincus que c'étaient leurs propres intérêts qui étaient en jeu et que la guerre qui leur était imposée était vraiment la leur. Après la victoire remportée sur les Blancs et sur l'Entente, la satisfaction fut immense, et grande la popularité de ceux qui avaient aidé à l'obtenir.

Mais les trois années de guerre civile laissèrent une empreinte indélébile sur le gouvernement soviétique lui-même en vertu du fait qu'un très grand nombre de nouveaux administrateurs s'étaient habitués à commander et à exiger une soumission absolue à leurs ordres. Les théoriciens qui essaient de prouver que le présent régime totalitaire de l'U.R.S.S. n'est pas dû à des conditions historiques données, mais à la nature même du bolchévisme oublient que la guerre civile ne découla pas de la nature du bolchévisme mais bien des efforts de la bourgeoisie russe et de la bourgeoisie internationale pour renverser le régime soviétique.

Il n'est pas douteux que Staline, comme beaucoup d'autres, ait été modelé par le milieu et les circonstances de la guerre civile, de même que le groupe tout entier qui devait l'aider plus tard à établir sa dictature personnelle - Ordjonikidzé, Vorochilov, Kaganovitch, - et toute une couche d'ouvriers et de paysans hissés à la condition de commandants et d'administrateurs.

De plus, dans les cinq années qui suivirent la Révolution d'Octobre plus de 97% de l'effectif du Parti consistaient en membres qui avaient adhéré après la victoire de la Révolution. Cinq années plus tard encore, et l'immense majorité du million de membres du Parti n'avaient qu'une vague conception de ce que le Parti avait été dans la première période de la Révolution, sans parler de la clandestinité pré-révolutionnaire.

Il suffira de dire qu'alors les trois quarts au moins du Parti se composaient de membres qui l'avaient rejoint seulement après 1923. Le nombre des membres du Parti adhérents d'avant la Révolution - c'est-à-dire les révolutionnaires de la période illégale - était inférieur à un pour cent. En 1923, le Parti avait été envahi par des masses jeunes et inexpérimentées [rapidement modelées et formées] pour jouer le rôle de figurants pétulants sous l'aiguillon des professionnels de l'appareil. Cette extrême réduction du noyau révolutionnaire du Parti était une nécessité préalable pour les victoires de l'appareil sur le « trotskisme ».

En 1923, la situation commença à se stabiliser. La guerre civile, de même que la guerre avec la Pologne, était définitivement close. Les conséquences les plus horribles de la famine avaient été dominées, la Nep avait donné un élan impétueux au réveil de l'économie nationale. Le constant transfert de communistes d'un poste à un autre, d'une sphère d'activité à une autre, devint bientôt l'exception plutôt que la règle, les communistes commencèrent à s'installer dans des situation permanentes, et à diriger d'une manière méthodique les régions ou districts de la vie économique et politique confiés à leur discrétion administrative. La nomination aux emplois fut de plus en plus liée aux problèmes de la vie personnelle, de la vie de famille du fonctionnaire, de sa carrière.

C'est alors que Staline apparut avec une prééminence croissante comme l'organisateur, le répartiteur des tâches, le dispensateur d'emplois, l'éducateur et le maître de la bureaucratie. Il choisit ses hommes d'après leur hostilité ou leur indifférence à l'égard de ses adversaires personnels, et particulièrement à l'égard de celui qu'il considérait comme son adversaire principal, le plus grand obstacle sur la voie de son ascension vers le pouvoir absolu. Staline généralisa et classifia sa propre expérience administrative, avant tout l'expérience des manœuvres conduites avec persévérance dans la coulisse, et la mit à la portée de ceux qui lui étaient le plus étroitement associés. Il leur apprit à organiser leurs appareils politiques locaux sur le modèle de son propre appareil : comment recruter les collaborateurs, comment utiliser leurs défaillances, comment dresser des camarades les uns contre les autres, comment faire tourner la machine.

A mesure que la vie de la bureaucratie croissait en stabilité, elle suscitait un besoin grandissant de confort. Staline prit la tête de ce mouvement spontané, le guidant, l'équipant selon ses propres desseins. Il récompensait ceux dont il était sûr en leur donnant des situations agréables et avantageuses. Il choisit les membres de la Commission de contrôle, développant en eux le besoin de persécuter impitoyablement tous ceux qui s'écarteraient de la ligne politique officielle. En même temps, il les invitait à tourner leurs regards vers le mode de vie exceptionnel, extravagant, de ceux des fonctionnaires qui lui étaient fidèles. Car Staline rapportait chaque situation, chaque circonstance politique, chaque utilisation des individus à lui-même, à sa lutte pour le pouvoir, à son besoin immodéré de dominer autres. Toute autre considération lui était totalement étrangère. Il excitait l'un contre l'autre ses concurrents les plus dangereux, de son talent à utiliser les antagonismes personnels et de groupes, il fit un art, un art inimitable parce qu'il n'avait fait que développer son instinct presque infaillible pour ce genre d'opérations. Dans toute situation nouvelle, ce qu'il voyait d'abord, et avant tout c'était comment il pourrait en profiter personnellement. Chaque fois que l'intérêt du pays soviétique entrait en conflit avec son intérêt personnel, il n'hésitait jamais à le sacrifier. Dans toutes les occasions et, quel qu'en pût être le résultat, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour créer des difficultés à ceux qui, croyait-il, menaçaient sa toute-puissance. Avec la même constance, il s'efforçait de récompenser chaque acte de loyauté personnelle. Secrètement d'abord, puis plus ouvertement, il se dressa en défenseur de l'inégalité, en défenseur de privilèges spéciaux pour les sommets de la bureaucratie.

Dans cette démoralisation délibérée, Staline ne se souciait jamais de perspectives lointaines. Il n'approfondissait pas non plus la signification sociale du processus dans lequel il jouait le rôle principal. Il agissait alors, de même que maintenant, comme l'empirique qu'il fut toujours. Il choisit ceux qui lui sont loyaux et les récompense, il les aide à s'assurer des situations privilégiées, il exige d'eux la répudiation de buts politiques personnels. Il leur enseigne à créer à leur propre usage l'appareil nécessaire pour influencer les masses et les soumettre. Il ne pense pas un seul instant que cette politique va directement à l'encontre de la lutte à laquelle Lénine s'était le plus intéressé durant la dernière année de sa vie - la lutte contre la bureaucratie. Occasionnellement, il parle lui-même de bureaucratie, mais toujours dans les termes les plus abstraits et dénués de réalité. Il ne songe qu'aux petites choses : manque d'attention, formalisme, bureaux mal tenus, etc., mais il est sourd et aveugle à la formation de toute une caste de privilégiés soudés entre eux par un serment d'honneur, comme les voleurs, par leur commun intérêt et par leur éloignement sans cesse croissant du peuple travailleur. Sans s'en douter, Staline organise non seulement une nouvelle machine politique, mais une nouvelle caste.

Il n'envisage les questions que du point de vue du choix des cadres, d'améliorer l'appareil, d'assurer sur lui son contrôle personnel, de son propre pouvoir. Il lui apparaît sans aucun doute, pour autant qu'il se soucie de questions d'ordre général, que son appareil donnera au gouvernement plus de force et de stabilité, et garantira ainsi les nouveaux développements du « socialisme dans le pays ». Dans le domaine des généralisations, il ne s'aventure pas plus loin. Que la cristallisation d'une nouvelle couche dirigeante de fonctionnaires installés dans une situation privilégiée, camouflée aux yeux des masses par l'idée du socialisme - que la formation de cette nouvelle couche dirigeante archi-privilégiée et archi-puissante change la structure sociale de l'Etat et dans une mesure sans cesse plus considérable, la décomposition sociale de la nouvelle société - c'est une considération qu'il se refuse à envisager, et toutes les fois qu'elle lui est suggérée, il l'écarte - avec son bras ou avec son revolver.

Ainsi, Staline, l'empirique, sans rompre formellement avec la tradition révolutionnaire, sans répudier le le bolchévisme, devient le destructeur le plus efficace de l'une et de l'autre, en les trahissant tous les deux.

[...]

Stériles et absurdes sont les travaux de Sisyphe de ceux qui essayent de réduire tous les développements d'une période à quelques prétendus traits fondamentaux du Parti bolchéviste, comme si un parti politique était une entité homogène et un omnipotent facteur historique. Un parti politique n'est qu'un instrument historique temporaire, un des très nombreux instruments de l'histoire et aussi une de ses écoles. Le Parti bolchéviste s'assigna à lui-même le but de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière. Dans la mesure où ce parti accomplit cette tâche pour la première fois dans l'histoire et enrichit l'expérience humaine par cette conquête, il a rempli un prodigieux rôle historique. Seuls ceux qu'égare un goût pour la discussion abstraite peuvent exiger d'un parti politique qu'il soumette et élimine les facteurs beaucoup plus pondéreux que sont les masses et les classes qui lui sont hostiles. Les limitations du parti en tant qu'instrument historique s'expriment par le fait qu'à un certain point, à un moment donné, il commence à se désintégrer; sous la tension de pressions intérieures et extérieures, des lézardes apparaissent, des fissures s'élargissent, des organes commencent à s'atrophier. Ce processus de décomposition se manifesta, très lentement d'abord en 1923, puis s'accéléra rapidement. Le vieux Parti bolchéviste et ses anciens cadres héroïques subirent le sort commun : secoué par des fièvres et des spasmes et des attaques atrocement pénibles, il finit par s'éteindre. Afin d'établir le régime appelé stalinien, ce qui était nécessaire n'était pas un parti bolchéviste, mais l'extermination du Parti bolchéviste.

De nombreux critiques, publicistes, correspondants, historiens, biographes, et quelques sociologues amateurs ont sermonné l'Opposition de gauche de temps à autre, à propos de ses erreurs de tactique, affirmant que sa stratégie ne correspondait pas aux exigences de la lutte pour le pouvoir. Mais cette façon même de poser la question est incorrecte. L'Opposition de gauche ne pouvait pas s'emparer du pouvoir, et ne l'espérait même pas - en tout cas ceux de ses dirigeants les plus réfléchis. Une lutte pour le pouvoir menée par l'Opposition de gauche, par une organisation marxiste révolutionnaire, ne peut se concevoir que dans les conditions d'un soulèvement révolutionnaire. Dans de telles conditions, la stratégie est basée sur l'agression, sur l'appel direct aux masses, sur une attaque de front contre le gouvernement. Nombreux étaient les membres de l'Opposition de gauche qui avaient joué un rôle important dans une bataille de cette nature et savaient de première main comment elle doit être menée. Mais au début des années vingt, il n'y eut pas de soulèvement révolutionnaire en Russie, tout au contraire; dans de telles circonstances le déclenchement d'une lutte pour le pouvoir était hors de question.

Il faut se rappeler que dans les années de réaction, en 1908-1911, et plus tard, le Parti bolchéviste refusa de déclencher une attaque directe contre la monarchie et se borna au travail préparatoire à une offensive éventuelle en luttant pour le maintien des traditions révolutionnaires et pour la préservation de certains cadres, soumettant les événements à une infatigable analyse, et utilisant toutes les possibilités légales et semi-­légales pour éduquer les travailleurs les plus conscients. Placée dans des conditions identiques, l'Opposition de gauche ne pouvait agir autrement. En fait, les conditions de la réaction soviétique étaient infiniment plus difficiles pour l'opposition que les conditions tsaristes ne l'avaient été pour les bolchéviks. Mais, essentiellement, la tâche restait la même : préserver les traditions révolutionnaires, maintenir le contact entre les éléments avancés à l'intérieur du Parti, analyser le développement de la période thermidorienne, se préparer pour le prochain soulèvement révolutionnaire dans le monde aussi bien qu'en U.R.S.S. Un des dangers menaçant l'Opposition, c'était qu'elle sous-estimât ses forces et abandonnât la poursuite de sa tâche après quelques tentatives prématurées, dans lesquelles la fraction avancée se briserait nécessairement non seulement contre la résistance de la bureaucratie, mais aussi contre l'indifférence des masses. Concluant alors à l'impossibilité d'une action franche avec les masses, même avec leur avant-garde, l'Opposition pourrait être amenée à abandonner la lutte, attendant des temps plus favorables.

[...]

La contre-révolution s'installe quand l'écheveau des conquêtes sociales commence à se dévider; il semble alors que le dévidage ne cessera plus. Cependant, quelque portion des conquêtes de la révolution est toujours préservée. Ainsi, en dépit de monstrueuses déformations bureaucratiques, la base de classe de l'U.R.S.S. reste prolétarienne. Mais n'oublions pas que ce processus de déroulement n'a pas encore été complété, et que l'avenir de l'Europe et du monde durant les prochaines décades n'a pas encore été décidé. Le Thermidor russe aurait certainement ouvert une nouvelle ère du règne de la bourgeoisie si ce règne n'était devenu caduc dans le monde entier. En tout cas, la lutte contre l'égalité et l'instauration de différenciations sociales très profondes n'ont pu jusqu'ici éliminer la conscience socialiste des masses, ni la nationalisation des moyens de production et de la terre, qui sont les conquêtes socialistes fondamentales de la Révolution. Bien qu'elle ait porté de graves atteintes à ces achèvements, la bureaucratie n'a pu s'aventurer encore à recourir à la restauration de l'appropriation privée des moyens de production. A la fin du dix-huitième siècle, la propriété privée des moyens de production était un facteur progressif de haute signification : elle avait encore l'Europe et le monde à conquérir. Mais aujourd'hui la propriété privée est le plus grand obstacle an développement normal des forces de production. Bien que par la nature de son nouveau mode de vie, de son conservatisme, de ses sympathies politiques, l'énorme majorité de la bureaucratie soit portée vers la petite bourgeoisie, ses racines économiques reposent grandement dans les nouvelles conditions de propriété. La croissance des relations bourgeoises menaçait non seulement la base socialiste de la propriété, mais aussi le fondement social de la bureaucratie; elle pouvait avoir voulu répudier la perspective socialiste du développement en faveur de la petite bourgeoisie; mais elle n'étai disposée en aucun cas à répudier ses propres droits et privilèges en faveur de cette même petite bourgeoisie C'est cette contradiction qui conduisit au conflit extrêmement vif qui éclata entre la bureaucratie et le koulaks.

C'est en cela que le Thermidor soviétique diffère radicalement de son prototype français. La dictature jacobine avait été nécessaire pour déraciner la société féodale et défendre le nouvel ordre social contre les attaques de l'ennemi du dehors. Cela fait, la tâche du régime thermidorien consista à créer les conditions nécessaires du développement de cette nouvelle société qui était bourgeoise, c'est-à-dire basée sur la propriété privée et la liberté du commerce dégagée de la plupart de ses entraves antérieures. La restauration d'une liberté du commerce limitée par la Nep en 1921 fut une retraite devant les exigences bourgeoises. Mais en fait ce commerce libre était si restreint qu'il ne pouvait saper les fondations du régime (la nationalisation des moyens de production) et les rênes du gouvernement restaient entre les mains des Jacobins russes qui avaient dirigé la Révolution d'Octobre. Même l'extension ultérieure de cette liberté commerciale en 1925 n'altéra pas la base du régime, bien que la menace devînt alors plus grande. La lutte contre le trotskisme était menée au nom du paysan, derrière lequel se cachaient le nepman vorace et le bureaucrate avide. Aussitôt que le trotskisme eut été vaincu, la location des terres fut légalisée, et sur toute la ligne le glissement du pouvoir de la gauche vers la droite devint manifeste, malgré les revirements occasionnels vers la gauche, car ceux-ci étaient toujours suivis de retours encore plus prononcés à droite. Dans la mesure où la bureaucratie utilisa ses balancements vers la gauche pour acquérir une accélération du mouvement pour chaque saut suivant à droite, le zigzag se développait régulièrement aux dépens des masses travailleuses et dans l'intérêt d'une minorité privilégiée, son caractère thermidorien est indéniable.

[...]

Thermidor reposait sur un fondement social. C'était une question de pain, de viande, de logement et, si possible, de luxe. L'égalité jacobine bourgeoise, qui revêtit la forme de la réglementation du maximum, restreignait le développement de l'économie bourgeoise et l'extension du bien-être bourgeois. Sur ce point, les thermidoriens savaient parfaitement bien ce qu'ils voulaient; dans la Déclaration des droits, ils exclurent le paragraphe essentiel, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » A ceux qui demandèrent le rétablissement de cet important paragraphe jacobin, les thermidoriens répondirent qu'il était équivoque et par suite dangereux; naturellement les hommes étaient égaux en droits, mais non dans leurs aptitudes et dans leurs biens. Thermidor était une protestation directe contre le caractère spartiate et contre l'effort vers l'égalité.

On trouve la même motivation sociale dans le Thermidor soviétique. La question primordiale était d'en finir avec les limitations spartiates de la première période de la Révolution. Mais il s'agissait aussi de consacrer les privilèges croissants de la bureaucratie. Il ne s'agissait nullement d'instaurer un régime économique libéral; les concessions dans cette direction étaient temporaires et durèrent bien moins longtemps qu'on ne l'avait prévu. Un régime libéral sur la base de là propriété privée signifie la concentration de la richesse entre les mains de la bourgeoisie, spécialement de ses sommets. Les privilèges de la bureaucratie ont une origine différente. La bureaucratie s'attribue cette part du revenu national qu'elle peut s'assurer soit par l'exercice de sa force ou de son autorité, soit par une intervention directe dans les rapports économiques. En ce qui concerne le surplus de la production nationale, la bureaucratie et la petite bourgeoisie, d'alliées qu'elles étaient, devinrent très vite ennemies. Le contrôle du surplus ouvrit, pour la bureaucratie, la route du pouvoir.