samedi 5 septembre 2015

:: Du 5 au 8 septembre 1915, la conférence de Zimmerwald. L'internationalisme socialiste contre la boucherie impérialiste


Les nécessités politiques de la construction européenne ont quelque peu transformé les programmes d'histoire enseignés dans les écoles et le discours officiel sur ce que fut réellement la grande boucherie de 1914-1918. Les films et les livres sur les fraternisations, les mutineries, l'absurdité et la sauvagerie de cette guerre ne sont plus interdits.

La République française parle même de réhabiliter les mutins qu'elle avait fusillés à l'époque et, tous les 11 novembre, ses représentants actuels déplorent le massacre perpétré pourtant avec l'assentiment de leurs prédécesseurs. Mais on est loin du compte, tant en ce qui concerne l'horreur de cette guerre que la responsabilité des classes dirigeantes dans son déclenchement.

Car cette guerre de partage du monde entre puissances impérialistes ne fut possible que parce que les États, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Russie, l'avaient préparée, voulue, organisée. Parce qu'ils avaient déchaîné la propagande nationaliste afin d'enchaîner les peuples de chaque pays derrière leurs gouvernements et leurs états-majors respectifs.

Leur tâche fut grandement facilitée par la trahison des directions de presque tous les partis et syndicats ouvriers européens. Les dirigeants socialistes, qui avaient pourtant voté des résolutions pour s'opposer à la guerre, qui avaient analysé le fonctionnement de l'économie capitaliste et la course à la guerre qui en découlait, cédèrent à toutes les pressions nationalistes. En France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, ils trahirent leur internationalisme et se rangèrent en bons petits soldats derrière les généraux et les marchands de canons. Au passage, la guerre et leur servilité permirent à quelques-uns d'entre eux d'accéder aux postes gouvernementaux pour la première fois. Pour les chefs, les salons des ministères ; pour la piétaille des militants trahis par leur direction, le sort commun, la tranchée.

Mais tous ne cédèrent pas. En Allemagne, des socialistes comme Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, en France les syndicalistes révolutionnaires Pierre Monatte et Alfred Rosmer, en Russie les dirigeants révolutionnaires Lénine et Trotsky et une majorité du mouvement ouvrier restèrent fidèles à l'idéal socialiste. Ce fut au prix de l'isolement, de la prison parfois, de l'exil.

Tous ces militants affirmèrent dès le début de la guerre que la cause unique en était le système capitaliste et qu'il n'en sortirait que misère, désolation et, aussi, révolutions. Ils n'eurent de cesse de renouer les liens entre les militants des pays belligérants, dans le but de proclamer ensemble que leur foi dans l'internationalisme restait intacte et que eux, au moins, n'avaient trahi ni leur programme ni leur classe sociale. C'est ainsi que du 5 au 8 septembre 1915, dans le village suisse (pays neutre) de Zimmerwald, près de Berne, une poignée de militants européens réunirent la première conférence socialiste internationale depuis le début des hostilités. Selon les souvenirs de Trotsky, toute la conférence tenait dans quatre voitures ! Mais le simple fait que cette conférence ait pu se tenir renforça les militants isolés ou emprisonnés et leur redonna une perspective. Au milieu des ruines et des massacres, le drapeau rouge était relevé.

Ainsi le Manifeste de Zimmerwald, signé par des militants venus de onze pays d'Europe, dont la France, l'Allemagne et la Russie, commença-t-il à circuler et à traverser les frontières. Il rappelait aux travailleurs que le programme de l'Internationale Socialiste, que le socialisme étaient toujours à l'ordre du jour, que cette perspective était même la seule pour sortir de la barbarie guerrière. Le Manifeste se concluait par ces mots : « Ouvriers et ouvrières, mères et pères, veuves et orphelins, blessés et mutilés, à vous tous qui souffrez de la guerre et par la guerre, nous vous crions : par-dessus les frontières, par-dessus les champs de bataille, par-dessus les campagnes et les villes dévastées, prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

Aussi peu nombreux qu'aient été les internationalistes révolutionnaires en 1915 et aussi pourchassés fussent-ils, c'est à eux que l'histoire a donné raison. En 1917, la guerre mondiale accoucha en effet de la plus grande crise révolutionnaire qu'ait connue le monde à ce jour, au cours de laquelle le prolétariat mondial contesta, au nom du socialisme, le pouvoir à la bourgeoise.

Paul GALOIS (LO n°2197)

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Du 5 au 8 septembre 1915, pour la première fois depuis le début du premier conflit mondial qui ensanglantait l'Europe, des militants ouvriers venus de différents pays se retrouvaient pour proclamer leur hostilité à la guerre. C'était dans le petit village suisse de Zimmerwald.

L'Union sacrée

Lors de la déclaration de guerre en août 1914, les partis socialistes des différents pays s'étaient lamentablement rangés derrière leur propre bourgeoisie, sauf en Russie, et la majorité des députés socialistes avaient voté les crédits de guerre. En France, des dirigeants comme Jules Guesde étaient devenus ministres, tout comme en Belgique où le président de l'Internationale Socialiste, Émile Vandervelde, entra lui aussi au gouvernement.

En quelques jours, toutes les résolutions des derniers congrès socialistes avaient été reniées. Oubliées les dénonciations de cette guerre menée «pour les profits des capitalistes et l'orgueil des dynasties», oubliée aussi cette volonté un temps exprimée d'«exploiter la crise économique et politique pour précipiter la chute de la domination capitaliste». Les dirigeants socialistes, emportés par la vague chauvine, étaient entrés dans une union sacrée avec leur bourgeoisie, appelant de fait les ouvriers des différents pays à s'entretuer. Seul le Parti Bolchevik de Russie continuait à s'opposer à la guerre, proclamant: «Il faut tourner nos armes, non contre nos frères, les esclaves salariés des autres pays, mais contre les gouvernements et les partis réactionnaires et bourgeois de tous les pays.» Ailleurs, seules de petites minorités étaient restées fidèles à l'idéal internationaliste. En Allemagne, il s'agissait de militants regroupés autour de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, en France du petit noyau de syndicalistes et de socialistes constitué par Monatte, Rosmer, Merrheim, qui se réunissaient avec les émigrés russes du journal Nache Slovo animé par Trotsky, ailleurs de petits groupes sans grande influence dans les premières années de la guerre, mais qui existaient dans pratiquement tous les pays. Ces internationalistes n'étaient que de «faibles lueurs dans la nuit», comme l'écrivit l'un d'eux, Alfred Rosmer, mais des lueurs d'espoir. Zimmerwald permit pour la première fois à ces minorités de tisser des liens.

Un premier pas

Ce furent des socialistes de pays neutres qui prirent l'initiative de la conférence, se heurtant à l'opposition des dirigeants des partis socialistes des pays belligérants, pour qui il n'était pas question de discuter avec un ennemi, fût-il lui aussi socialiste. Ce fut donc à Zimmerwald que le socialiste suisse Robert Grimm organisa la première conférence contre la guerre. Bien des militants n'avaient pu s'y rendre, au premier rang desquels Karl Liebknecht, mobilisé, qui adressa un message. Les délégués étaient peu nombreux. Il ne leur fallut que quatre voitures pour gagner la montagne. Des rapports furent présentés sur la situation dans les différents pays, une déclaration commune contre la guerre rédigée par les délégués français et allemands. Mais le plus important fut le manifeste que la conférence adressa aux travailleurs de tous les pays.

Celui-ci donna lieu à des débats passionnés car, au-delà de leur commune opposition à la guerre, les divergences étaient importantes entre les délégués. Une partie d'entre eux, qui composait le courant pacifiste, avait pour objectif prioritaire la fin de la guerre, sans en préciser les moyens, et la renaissance de la Deuxième Internationale, quitte à accepter pour cela une «amnistie réciproque», comme ironisait Lénine. Mais pour les internationalistes révolutionnaires, regroupés autour de Lénine justement, la perspective était tout autre. Elle était la révolution. «Les socialistes ont pour devoir... de chercher à transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l'expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, pour la réalisation du socialisme», précisait le projet présenté par Lénine. Dans ce combat, la Deuxième Internationale avait définitivement fait faillite.
À l'égard des chefs socialistes passés à l'union sacrée, aucune attitude conciliatrice n'était possible. Il n'était pas question de recoller les bouts, comme l'auraient voulu les pacifistes, mais d'une lutte implacable qui, à terme, ne pouvait conduire qu'à la création d'une nouvelle Internationale. «Dans ce petit village de la montagne suisse, écrivit Trotsky, Lénine posa les premières pierres de l'Internationale révolutionnaire.»

Un texte de compromis fut rédigé par Trotsky et adopté à l'unanimité. Lénine estimait en effet que les bolcheviks et la gauche internationaliste «avaient réussi à faire admettre nombre d'idées fondamentales du marxisme révolutionnaire», c'est pourquoi il vota le texte. «Le Manifeste, expliquait-il, constitue un pas en avant vers la lutte effective contre l'opportunisme, vers la rupture et la scission avec lui. Ce serait du sectarisme que de renoncer à ce pas en avant avec la minorité des Allemands, des Français, des Suédois, des Norvégiens et des Suisses.»

Vers la révolution

Effectivement, le premier pas fait à Zimmerwald fut suivi de bien d'autres. Dans l'immédiat, la conférence resta ignorée de la grande masse des ouvriers et des soldats, la censure des gouvernements et des partis socialistes se combinant pour en étouffer l'écho. Mais, avec leurs faibles moyens, les internationalistes réussirent à la faire connaître à ceux qui, dans le mouvement ouvrier, se posaient des questions. Rosmer décrit ainsi comment leur situation s'en trouva modifiée en France: «En provoquant un réveil général, la conférence de Zimmerwald a atteint son but essentiel, elle a tiré le mouvement ouvrier de la honteuse torpeur de l'union sacrée... On peut déjà dire que le règne du socialisme de guerre est fini, bien qu'il faudra un long temps encore pour l'abattre. Mais il ne cessera plus de décroître, alors que le phare de Zimmerwald rassemblera des forces grandissantes.» Les horreurs de la guerre, la difficulté de l'existence à l'arrière allaient donner vie à la perspective tracée par Lénine à Zimmerwald: transformer la guerre impérialiste en révolution.

Daniel MESCLA (LO n°1936)

:: 27 juillet 1953 : fin de la guerre de Corée. La partition de la péninsule imposée par les États-Unis

Le 27 juillet 1953, la signature d'un simple armistice mettait fin à la guerre de Corée en confirmant la division de la péninsule en deux territoires. Elle avait commencé trois ans plus tôt, quand la Corée du Nord comme celle du Sud entendaient imposer par la force la réunification du pays. Mais ce conflit Nord-Sud était dominé par d'autres enjeux, ceux du conflit entre les États-Unis et l'URSS qui menaçait de se transformer en un conflit mondial.
 
Sous la férule impérialiste

En 1916, les États-Unis avaient garanti leur mainmise sur les Philippines en abandonnant la Corée au Japon, qui en avait fait sa colonie. L'impérialisme japonais en avait pillé les matières premières, mais il y développa des industries, si bien qu'en 1945 la Corée était devenue la seconde économie d'Asie.
Le peuple coréen, comme d'autres peuples à la sortie de la guerre, aspirait à l'indépendance. Mais à la conférence de Yalta, en février 1945, le président américain Roosevelt avait imposé que la Corée reste sous « administration conjointe » des États-Unis et de l'URSS, alors alliés. Six mois plus tard, pour limiter l'influence de l'URSS, Washington imposait la partition de la péninsule en deux zones, de part et d'autre du 38e parallèle.

Dès la défaite du Japon, la République populaire fut proclamée à Séoul. Les États-Unis tentèrent de reprendre le contrôle du sud, où ils rétablirent l'administration et la police de l'époque japonaise. Ils interdirent les comités populaires, les organisations communistes, les syndicats et arrêtèrent en masse leurs militants. Ils installèrent la dictature de Syngman Rhee avec l'accord des grands propriétaires. En 1946, pendant des mois, l'armée américaine réprima sans ménagement le soulèvement des ouvriers et des paysans.

Au nord, le régime de Kim Il-sung, soutenu par l'URSS, puis par la Chine à partir de 1949, lança une réforme agraire et nationalisa les industries japonaises, tandis qu'au sud le régime défendait les grands propriétaires et réprimait la contestation populaire.

Les conflits frontaliers entre les dictatures du Nord et du Sud étaient incessants. La guerre éclata le 25 juin 1950 avec l'invasion de la Corée du Sud par les troupes nordistes. Pour se justifier, les dirigeants nord-coréens arguèrent d'une attaque du Sud quelques jours avant. Syngman Rhee n'était en effet pas avare de déclarations va-t-en-guerre.

Quant aux États-Unis, ils soufflaient le chaud et le froid. On était au début de la guerre froide. La politique américaine était celle du containment (l'endiguement), visant à empêcher toute avancée du « communisme ».

Le déroulement de la guerre

De juin à août 1950, l'offensive nordiste balaya les forces sud-coréennes et américaines, les repoussant jusqu'à la ville portuaire de Pusan à l'extrême sud-est de la péninsule. Mais les États-Unis, mandatés par l'ONU, réagirent. Le 15 septembre, à la tête d'une coalition de seize pays, dont la France, le général MacArthur lançait la contre-offensive. Avec le soutien de son aviation et de sa marine, il débarqua des troupes à Inchon, non loin de Séoul. Le 28 septembre, Séoul était repris, et le 30 les Nord-Coréens reculaient au-delà du 38e parallèlle, repoussés jusqu'au fleuve Yalou, frontière naturelle entre la Chine et la Corée du Nord.

MacArthur vit dans cette facile reconquête l'occasion d'infliger une défaite totale au « communisme ». Il plaida auprès de l'administration du président Truman le droit de franchir la frontière chinoise et de lancer des bombes atomiques sur le territoire de la Chine. On craignit alors une nouvelle guerre mondiale.
La Chine de Mao ZeDong réagit et mobilisa des centaines de milliers de soldats. Le 4 janvier 1951, les forces sino-coréennes reprenaient Séoul pour un temps. En mars-avril 1951, on était revenu au point de départ. MacArthur fut destitué. Des négociations s'ouvrirent qui allaient piétiner pendant deux ans, tandis que les opérations militaires se poursuivaient de part et d'autre. Finalement, l'armistice du 27 juillet 1953 reconfirma pour l'essentiel l'existence de deux Corée séparées par une zone démilitarisée au niveau du 38e parallèle.

Au moins un million de Coréens, et certainement bien plus, périrent durant cette guerre. La péninsule était dévastée, et particulièrement le Nord, qui supporta des bombardements incessants de l'aviation américaine. Près de 9 000 usines furent détruites, plus de 600 000 maisons, 6 000 écoles et hôpitaux, les ponts, les routes. On estime que 40 % du potentiel industriel de la Corée du Nord, plus industrialisée que le Sud, alors plutôt agricole, auraient été ainsi détruits.

À partir de là, et avec le soutien financier massif des États-Unis, la Corée du Sud distança le Nord, d'autant plus que ce dernier subissait un embargo l'isolant du marché mondial. La Corée du Nord survécut un temps avec l'aide de la Chine et des pays d'Europe de l'Est. Mais le rétablissement de relations entre la Chine et les États-Unis, puis la fin des régimes staliniens en Europe rendirent la situation dramatique pour la Corée du Nord. La pénurie énergétique entrava le fonctionnement des infrastructures. De mauvaises récoltes entraînèrent de graves pénuries alimentaires. Tout cela n'empêche pas Washington, jusqu'à aujourd'hui, de présenter ce pays exsangue comme une menace pour le monde entier !

Jacques FONTENOY (LO n°2350)