Personne, si ce n'est Hitler, n'a porté au socialisme autant de coups mortels que Staline. Il n'y a la rien d'étonnant : Hitler a attaqué la classe ouvriere du dehors tandis que Staline, lui, l'attaquait du dedans. Hitler attaque le marxisme, Staline ne se contente pas de l'attaquer, il le prostitue. Pas de principe qui n'ait ete pollué, pas d'idée qui n'ait été souillée. Les mots même de socialisme et de communisme ont été cruellement compromis du jour ou des policiers incontrôlés, gagnant leur vie grâce a un passeport "communiste", ont baptisé "socialisme" leur régime policier. Profanation révoltante ! Les casernes du G. P. U. ne sont pas l'idéal pour lequel combat la classe ouvrière. Le socialisme signifie un système social pur et limpide adapté au gouvernement des exploités par eux-mêmes. Le régime de Staline repose sur une conspiration des gouvernants contre les gouvernés. Le socialisme implique la croissance ininterrompue de l’égalité universelle. Staline a érigé un systeme de privileges révoltants. Le socialisme s'assigne comme but la floraison et l'épanouissement en tout sens de la personnalité individuelle. Où et quand la personnalité de l'homme a-t-elle été aussi profondement dégradée qu'en URSS. ? Le socialisme ne reconnait aucune valeur en dehors des rapports non égoïstes, honnêtes et humains entre êtres humains. Le regime de Staline a imprégné les rapports sociaux et personnels de mensonge, de carriérisme et de trahison. Ce n'est pas Staline, bien entendu, qui détermine la route de l'Histoire. Nous possédons la connaissance des facteurs objectifs qui ont preparé en URSS. la voie de la réaction. Mais ce n'est pas un hasard si Staline a chevauché la crête de la vague thermidorienne. C'est parce qu'il a etc capable de donner leur expression la plus vicieuse aux gloutons appétits de la nouvelle caste. Staline n'est pas responsable de l'Histoire, mais il est responsable de ce qu'il est, et de son rôle dans l'Histoire. Son rôle est criminel. II est si criminel que la répugnance, ici, est multiplié par l'horreur.
[extrait de : La révolution espagnole (1930 - 1940), Léon Trotsky, textes recueillis et présentés par Pierre Broué, pp. 406-407]