mardi 23 août 2011

:: Derrière la stratégie "anti-sarkozyste" de la gauche réformiste...

Depuis l’accession de Sarkozy au pouvoir, la seule stratégie électorale du Parti socialiste consiste à attendre que Sarkozy se déconsidère. Le Parti socialiste n’a rien à proposer sur le plan social, rien à proposer face à la crise et ses conséquences désastreuses et ne propose rien. Il attend que la politique de la droite fasse regretter la gauche et la renforce. Il est tout à fait dans la logique de cette « stratégie » que de faire de Sarkozy et de sa cour les responsables de tous les maux qui frappent ce pays. L’objectif de battre Sarkozy sur le plan électoral devient, explicitement ou en creux, la réponse à tout : au chômage, à la dégradation des conditions d’existence des classes populaires et tout le reste.

Ce n’est pas seulement stupide, bien que cela le soit. C’est très intéressé de la part du Parti socialiste. Gonfler l’importance de Sarkozy est une façon de dissimuler derrière la marionnette du père Fouettard ceux qui tirent les ficelles, le patronat, la grande bourgeoisie. Les mesures prises contre le monde du travail, contre les classes populaires, le sont parce qu’elles correspondent à des intérêts de classe bien plus puissants que la petite personne du président de la République.

Même dans l’opposition, le Parti socialiste reste un parti responsable vis-à-vis de la bourgeoisie. Il sait que si, d’aventure, il revient au pouvoir, il devra gouverner pour le compte de celle-ci, comme il l’a toujours fait lorsqu’il a été au gouvernement. D’où l’extrême prudence du Parti socialiste, même éloigné du pouvoir, vis-à-vis de toute promesse que les classes populaires pourraient prendre au sérieux en lui demandant des comptes le cas échéant.

À sa façon, la gauche réformiste participe à la fabrication d’un Sarkozy omniprésident. Pas seulement par cet aspect accessoire qui a les faveurs des commentateurs qui glosent sur les divisions de la gauche face à une droite plus ou moins unie derrière Sarkozy.

En s’en prenant à Sarkozy, le Parti socialiste contribue à l’installer sur un piédestal. Il y a un peu plus de quarante ans, la gauche réformiste, à l’époque surtout le Parti communiste, a contribué à tisser autour de De Gaulle la légende d’un pouvoir fort contre lequel il n’y avait rien à faire, y compris à une époque où ce pouvoir était usé et déclinant. Jusqu’à ce que Mai 1968 dissipe la légende et transforme l’homme du pouvoir fort en un président désemparé allant chercher secours auprès du général Massu et son armée stationnant en Allemagne. Et De Gaulle, c’était autre chose que Sarkozy !

Que le Parti socialiste substitue à la lutte de classe sociale les affrontements électoraux, c’est dans l’ordre des choses. Si le Parti socialiste a besoin du vote des classes populaires pour arriver au pouvoir, une fois installé il mènera une variante de la même politique antiouvrière que mène la droite au pouvoir.

C’est vrai même à des périodes où l’aggravation de la crise ne donne pas aux rapports de classes un caractère aussi dur qu’en ce moment. Si la droite et la gauche se distinguent dans leur langage, s’il y a une différence dans la nature de certaines mesures que l’une et l’autre prennent en fonction de ce qui plaît à leur électorat, sur le fond social l’une et l’autre défendent la domination, les intérêts de la grande bourgeoisie.

Oui, les choses se passent ainsi en toutes circonstances. Mais, en cette période de crise où la grande bourgeoisie est engagée dans une guerre féroce contre les classes laborieuses pour préserver ses profits, elle ne tolère et ne tolèrera aucun écart, même de langage, sur les questions qui sont essentielles pour ses intérêts.

Soit dit en passant, il est significatif que, à en juger par les derniers sondages, le meilleur cheval pour représenter le Parti socialiste dans la course présidentielle soit Dominique Strauss-Kahn. Cet homme, nommé avec l’aide de Sarkozy à la tête du Fonds monétaire international, une des institutions les plus symboliques de la bourgeoisie, montre à quel point lui comme ses semblables sont formés, dressés, pour être de bons gérants pour le compte de la grande bourgeoisie.

Encore une fois, que le Parti socialiste s’efforce de réduire la lutte de classe à la caricature dérisoire des compétitions électorales, c’est dans l’ordre des choses. Ce qui devrait l’être moins, c’est que les formations qui prétendent se situer sur la gauche du Parti socialiste en fassent autant. Et, cependant, non seulement du côté du Parti communiste ou du Parti de gauche, mais même du côté du NPA, « battre Sarkozy » devient ou redevient sinon l’unique objectif, du moins celui qui conditionne tout le reste.

Ce faisant, d’ailleurs, ils donnent au Parti socialiste les verges pour les battre. À six mois des élections régionales, mais à deux ans encore des élections présidentielle et législatives, le seul argument de « vente » du Parti socialiste se limite à l’affirmation que, puisque c’est lui qui est le plus à même de battre la droite sarkozyste, les autres devraient s’aligner derrière lui.

Et c’est ainsi qu’en cette période de crise où la classe ouvrière et les classes populaires sont confrontées à la véritable guerre de classe que leur mène le grand patronat, la droite comme la gauche institutionnelle se retrouvent à refaire de l’affrontement gauche - droite sur le terrain électoral, la clé de l’avenir.

Que Sarkozy suscite dans les classes populaires la haine qu’il mérite est normal. Mais le rôle de ceux qui ne confondent pas la réalité des choses avec leur reflet électoral devrait être de montrer la réalité des rapports de classes, la réalité du pouvoir de la bourgeoisie derrière l’homme politique qui l’incarne aujourd’hui, d’une manière particulièrement cynique, il est vrai.

La question politique clé des années à venir n’est certainement pas celle d’une alternative électorale à Sarkozy. La question clé est de savoir comment, quand, le prolétariat retrouvera confiance en lui-même pour imposer ses propres objectifs politiques à la bourgeoisie, au grand patronat, quels que soient leurs représentants politiques du moment à l’Élysée ou à Matignon. Il n’y a pas de véritable « alternative politique » dans les combinaisons électorales, avec ou sans le Modem, avec ou sans le Parti socialiste. L’alternative politique ne pourra venir que d’en bas, de l’intervention consciente des masses exploitées, de leur irruption dans la vie politique avec leurs objectifs de classe.

Extrait de la Lutte de classe 123, novembre 2009.

:: Malthusianisme... décroissance.. - Le retour de vieilles idées réactionnaires

La "décroissance" est une idée à la mode. Au-delà des seuls courants écologistes, il est fréquent d’entendre aujourd’hui que la solution à tous les maux qui frappent l’humanité serait de rompre avec une logique « croissanciste » - c’est-à-dire une politique tout entière tournée vers la croissance.
Ce courant est bien moins nouveau qu’on pourrait le croire : dans chaque période de crise – et elles ont été nombreuses sous le capitalisme – il réapparaît des courants qui s’en prennent non à l’organisation capitaliste de la société et à la classe parasitaire qui la dirige, la bourgeoisie, mais à un manque de ressources de la planète. C’est une résurgence des théories de Malthus, cet ecclésiastique des 18ème et 19ème siècles qui prétendait que la croissance des richesses ne pourrait permettre de faire face à la croissance de la population.
En 1968, cette théorie réactionnaire a connu une nouvelle jeunesse avec les thèses de Paul Ehrlich, qui voyait un facteur d’extinction de l’espèce humaine dans « la bombe P », (P comme population). En 1972, des économistes et des dirigeants politiques se mirent à prêcher « la fin de la croissance » comme remède à la crise économique mondiale.
Ces idées, même si elles séduisent un certain nombre de personnes révoltées par le fonctionnement du capitalisme ou inquiètes de la destruction de l’environnement et des ressources naturelles, sont fondamentalement réactionnaires. Nous sommes convaincus, à Lutte Ouvrière, que l’avenir de l’humanité n’est pas dans un vaste retour en arrière vers une économie « relocalisée », et que la surpopulation n’est nullement la cause des crises ou de la misère qui frappe des milliards d’êtres humains. L’avenir de l’humanité, c’est une économie planifiée, contrôlée par la population elle-même, et débarrassée du fléau de la propriété privée.
Du néo-malthusianisme des années 1970 à la décroissance actuelle, le lecteur trouvera dans ce dossier une compilation de textes de Lutte Ouvrière exprimant notre point de vue sur ces courants.
Dans ce fichier PDF téléchargeable, on trouvera les éléments suivants :
  • La « démondialisation » et le protectionnisme, entre démagogie cocardière et ineptie économique
  • « Le néo-malthusianisme : théorie réactionnaire à l’usage du capitalisme sénile » – Lutte de classe, 1973
  • « Malthusianisme, écologie, ou contrôle conscient sur toutes les activités économiques – ou comment assurer la survie de l’humanité » – Lutte de classe, 1974
  • « 6 milliards d’êtres humains... mais dans quelle société... ? » – Lutte Ouvrière, 1999
  • « La grève de la consommation : Un mythe inefficace et réactionnaire » – Lutte Ouvrière, 2006
  • « Marches pour la « décroissance » : Prêcher l’abstinence à ceux qui n’ont rien » – Lutte Ouvrière, 2006
  • « L’écologisme et le mythe de la surpopulation » – Extrait du Cercle Léon Trotsky du 13 décembre 1993
  • « La décroissance, une utopie réactionnaire » – Extrait du Cercle Léon Trotsky du 26 janvier 2007
  • « La décroissance, un point de vue parfaitement réactionnaire » – Lutte de classe, juillet 2009
  • « La décroissance, une doctrine qui prétend faire avancer la société… à reculons » – Cercle Léon Trotsky du 10 décembre 2009.

:: Le communisme, l’écologie et les écologistes

Table des matières (CLT n°71 du 13 décembre 1996)

:: "Voilà 4 mois maintenant que Mitterrand est président de la République..." [sept. 1981, @LutteOuvriere]


La gauche au gouvernement de la bourgeoisie
 
Le texte ci-dessous est extrait du meeting de Lutte Ouvrière, tenu à la Mutualité le 25 septembre.

Voilà quatre mois maintenant que Mitterrand est président de la République. Quatre mois que le gouvernement socialiste promet le changement. Quatre mois que les travailleurs attendent.
Mais cela fait aussi quatre mois que les prix continuent d’augmenter et le chômage de s’accroître.
De juin à fin août, les prix ont augmenté officiellement de 4,8 %, ce qui correspond à un rythme annuel de 17 %.
Le cap des 1 800 000 chômeurs a été franchi en juin. En un an, le chômage a augmenté de plus d’un quart, 26 % exactement, et il continue d’augmenter.
Le gouvernement Mitterrand-Mauroy prétend depuis quatre mois que sa priorité, c’est l’emploi. Mauroy s’est présenté comme un « chef de guerre dans la lutte contre le chômage » et il a fait connaître la semaine dernière son plan d’attaque.
Eh bien, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce fameux plan qui devait nous étonner par son audace, témoigne, en effet, d’une certaine audace du gouvernement qui n’hésite pas à présenter comme radicales et originales les vieilles recettes du gouvernement Barre. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Mauroy, comme Barre, prétend relancer l’économie en subventionnant les patrons. Il promet de les aider à prospérer, donc - prétend Mauroy - , à embaucher.
En fait, Mauroy lui-même ne se fait guère d’illusions sur l’impact de son plan contre le chômage, puisque l’objectif avoué de ces mesures est de créer - ou de maintenir - 210 000 emplois.
Ça, ce sont les objectifs du gouvernement. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont modestes ! Et il n’est pas dit que les embauches réelles atteignent ce chiffre. Mais même si les objectifs du gouvernement étaient remplis, cela ne suffirait même pas à réduire le nombre total de chômeurs. Car au rythme actuel, c’est 300 000 chômeurs supplémentaires qu’il y aurait en juin prochain.
Même en admettant donc que le plan Mauroy permette de maintenir ou de créer 200 000 emplois, on approcherait tout de même les deux millions de chômeurs officiels en juin... si tout va bien, si l’on peut dire, c’est-à-dire si la crise ne s’accélère pas encore.
Non, la guerre que Mauroy prétend mener contre le chômage n’est pas sérieuse. Ses objectifs sont si dérisoires que force est de constater qu’il ment tout simplement aux travailleurs quand il prétend que son souci majeur, c’est le chômage. Car le nouveau gouvernement sait fort bien que la politique qui consiste à distribuer de l’argent aux patrons ne crée aucune embauche. Lui qui vient de faire dresser le bilan du gouvernement précédent, il est bien placé pour le savoir.
Pendant des années, ce sont des dizaines et des dizaines de milliards que le gouvernement Barre a distribué au patronat sous forme de subventions, de prêts, de pactes pour l’emploi, d’aides de toutes sortes... et on connaît le résultat. Et Mitterrand et Mauroy le connaissent aussi !
Dans un contexte de crise, les patrons se contentent d’empocher les subventions, d’embaucher à bas prix ceux qu’ils auraient embauché de toute façon, mais ils ne créent pas d’emplois nouveaux.
Alors, si le gouvernement nous ressort aujourd’hui la même vieille politique qu’avait mené Barre pendant longtemps, ce n’est pas par souci d’efficacité contre le chômage.
C’est bien plutôt pour démontrer aux patrons que le gouvernement socialiste sait être aussi prodigue que le gouvernement précédent et qu’en tout état de cause, les patrons n’ont rien à craindre de lui, bien au contraire.

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Un plan de séduction du patronat

Le plan Mauroy n’est pas un plan de guerre contre le chômage, c’est un plan de séduction du patronat.
D’ailleurs, tout son discours à la Chambre la semaine dernière était fait pour rassurer les patrons et faire appel à leur bonne volonté. Mauroy a réaffirmé qu’il n’était pas question de toucher à la liberté des chefs d’entreprise. Le gouvernement est là pour les aider, pas pour les contraindre.
« Jamais le gouvernement n’a pensé que les créations d’emplois pourraient se faire sans ou contre les chefs d’entreprise » a-t-il déclaré.
« Je souhaite que les entreprises comprennent notre détermination à les aider et ce qu’il leur appartient de faire en réponse à notre attitude. La balle est dans leur camp » .
D’ailleurs, Mauroy a réaffirmé une nouvelle fois qu « ’il ne peut y avoir de dualité à la direction d’une entreprise » et que « le comité d’entreprise ne peut avoir de droit de veto, en particulier sur les licenciements » .
Mauroy l’avait déjà clairement dit le 6 septembre dans son discours de Douai : « il n’est nullement question de remettre en cause le droit de décider du chef d’entreprise, ni d’instaurer je ne sais quel droit de veto sur les licenciements » , droit de veto qui, soit dit en passant, figurait dans le manifeste adopté par le Parti Socialiste le 24 janvier dernier... juste avant les élections.
A l’époque, il fallait gagner les voix des travailleurs. Aujourd’hui, il s’agit de rassurer les patrons ; et on leur promet sur tous les tons, la liberté, la liberté de licencier à leur guise, celle d’embaucher s’ils le veulent bien.
Bref, Mauroy est aux petits soins. « Que les chefs d’entreprise qui s’émeuvent prennent la peine de ,nous écouter » supplie-t-il, « qu’ils forment leur opinion à partir de nos actes et non en fonction de leurs préjugés ». Si certains patrons pensaient que le gouvernement socialiste était là pour défendre les travailleurs et faire payer les patrons, ils n’ont qu’à ouvrir les yeux.
Le gouvernement n’a-t-il pas multiplié les actes de bonne volonté à leur égard, aux frais des contribuables bien sûr. Et Mauroy de rappeler qu’à peine le gouvernement avait décidé d’augmenter le SMIC, il avait immédiatement décidé aussi de débourser plus de deux milliards et demi pour payer 50 % des charges sociales à la place des patrons. Et Mauroy de rappeler que dès le mois de juin, le gouvernement avait augmenté de quatre milliards l’enveloppe des prêts à long terme aux entreprises, de cinq milliards les prêts consentis par le Fonds de Développement Économique et Social, etc.
Eh oui, Mauroy en la matière a fait mieux que Barre. Il a réussi à rajouter en quelques semaines, 15 milliards d’aides et de subventions diverses aux 17 milliards que Barre avait prévu. C’est presque le double !

Des subventions ...

Et ce n’est pas fini, puisque le plan Mauroy, en droite ligne de ce qui a été fait depuis quatre mois, débloque encore quelques milliards de plus d’aides et de subventions aux entreprises. Aux petites et aux grosses ! Augmentation des prêts, des aides au développement régional, des aides à l’innovation, des exonérations de taxes, des aides à la création d’emplois, etc.

Des commandes d’état...

Quant aux juteuses commandes d’État, elles ne risquent pas non plus de se tarir puisque Mauroy prévoit tout un programme de grands travaux - dont certains seront utiles à la population comme la construction de logements ou l’amélioration des transports publics urbains - , mais dont d’autres seront surtout des dépenses de prestige qui impliquent des choix qui ne correspondent pas forcément aux besoins prioritaires de la population comme le chantier de la Villette, les liaisons ferroviaires à grande vitesse, les six grands stades (quelques dizaines de petits stades seraient sûrement plus utiles aux sportifs), ou le fameux tunnel sous la Manche qui ne présente aucun caractère d’urgence dans un moment où on nous dit qu’il faut faire des sacrifices.
Quant aux dépenses franchement inutiles ou même nuisibles, les dépenses militaires, il n’est pas question d’y toucher, bien au contraire. Elles seront encore alourdies par le 7e sous-marin nucléaire, les porte-avions à propulsion nucléaire, et peut-être bientôt, la bombe à neutrons.
Dilapider l’argent de l’État dans des commandes qui ne sont pas toujours utiles à la population et qui sont parfois même franchement nuisibles, c’est encore une façon de subventionner les grosses entreprises. Et c’est bien dans la droite ligne de la politique du gouvernement précédent.
Le gouvernement socialiste ne veut pas lésiner sur les dépenses pour se concilier les bonnes grâces des chefs d’entreprise. Cela coûte très cher, mais il est prêt à payer le prix fort pour gagner la confiance des bourgeois.
Les bourgeois, ça ne les émeut pas outre mesure. Ils ont l’habitude. Giscard, Barre, avaient déjà tellement fait pour eux qu’il est bien difficile au gouvernement socialiste d’acheter leur adhésion à coups de milliards. Il s’y emploie tout de même pour leur montrer au moins qu’il ne fait pas plus mal.
Mais Mauroy veut démontrer qu’il peut faire encore mieux, et emporté par son zèle à vouloir convaincre les patrons, il a même lâché le morceau : « Les chefs d’entreprise comprendront-ils que la gauche au pouvoir apporte aux entrepreneurs ce que la droite n’a jamais pu leur assurer : un climat social de négociation et non d’affrontement » .

...et en prime la paix sociale

Bref, c’est Mauroy qui le dit : pour les patrons, la gauche, c’est encore mieux que la droite puisque non seulement elle continue à leur distribuer les deniers publics, mais en prime, elle leur promet la paix sociale.
Voilà les travailleurs avertis. Le gouvernement socialiste se sert du crédit que les travailleurs veulent bien lui accorder pour gagner les bonnes grâces des patrons ! Le voilà le principal titre de gloire de Mauroy auprès des patrons : c’est de faire tenir tranquille les travailleurs. Et il s’en vante publiquement. Non, décidément, Mauroy n’a pas manqué d’audace dans son discours.
Mais qu’est-ce que vous voulez, il est bien obligé de mettre les points sur les i, puisque les patrons font grise mine.
C’est qu’en France, les représentants naturels du patronat sont les hommes politiques de droite : ce sont eux qui ont presque toujours gouverné le pays. C’est avec eux que les patrons ont l’habitude de s’entendre depuis 23 ans. Et ni la classe politique, ni la bourgeoisie, ne sont préparés à l’alternance.

Et pourtant la droite proteste violemment

Et bien qu’à chaque fois que le Parti Socialiste ait été au pouvoir, il ait bien servi les intérêts de la bourgeoisie, elle ne lui fait pas de cadeaux.
Les dirigeants socialistes ont beau faire une cour effrénée aux patrons, il en faudrait encore beaucoup plus pour que la plupart des bourgeois gros ou petits, liés par une multitude de liens aux hommes politiques de la droite, pardonnent aux socialistes de leur avoir pris la place. Et le commun des bourgeois reproche aux politiciens du Parti Socialiste même le peu de démagogie à laquelle ils se sont livrés pour se faire élire. Et pourtant ils avaient bien pris soin de faire le moins possible de promesses inconsidérées. Oh, la bourgeoisie sait bien que ce sont des paroles en l’air, mais elle n’a aucune raison d’accepter - même pour tromper le peuple - que l’on fasse mine de la traîner dans la boue en chantant les vertus du socialisme. Et elle attend des dirigeants socialistes qu’ils se renient encore et encore. Aux politiciens du Parti Socialiste de se débrouiller ensuite avec les travailleurs et les pauvres gens qu’ils ont trompés pour parvenir au pouvoir. Ce n’est pas là le problème des bourgeois et ils n’ont ni pitié ni tendresse pour les politiciens du Parti Socialiste. Ce n’est pas eux qui leur ont demandé de venir au pouvoir, et ils n’ont aucune raison, ni envie, de leur faciliter la tâche.
Il n’est que de lire après le discours de Mauroy l’éditorial du journal Les Échos, bien révélateur d’une mauvaise foi du patronat qui ne désarme pas. Les Échos se moque franchement du gouvernement qui « cherche désespérément à convaincre les chefs d’entreprise de croire en sa bonne étoile et qui donnerait volontiers la lune à celui qui saurait désarmer la méfiance des investisseurs » . Et Les Échos ajoute « Depuis des années, l’entreprise privée, qu’elle soit grande ou petite, est présentée par les socialistes comme l’adversaire à abattre ; depuis des mois, la gauche prêche les vertus de l’étatisation et le contrôle tatillon de l’initiative individuelle pour contraindre le mur de l’argent à céder ; depuis des semaines, les ministres se répandent en propos vengeurs sur la nécessité de mettre au pas les affaires. Et on voudrait que les chefs d’entreprises, qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, se jettent à corps perdu dans la bataille pour l’emploi ! » « Bien fou serait aujourd’hui l’homme ou la femme qui, voyant le gouvernement jeter l’argent par les fenêtres, confisquer les fruits d’un dur labeur, assécher les ressources de ses administrations, se lancerait dans le moindre projet d’avenir » .
Que des hommes politiques de droite, Barre en tête, ne désarment pas, c’est après tout logique puisqu’ils cherchent à récupérer les places perdues. Et le jeu politicien qui amène Barre à dénoncer un gouvernement qui ne réussira pas à « associer la lutte contre l’inflation et la lutte contre le chômage » et qui explique sans humour que « la détérioration de l’emploi est toujours la sanction d’une politique incohérente » , cela peut faire sourire. Mais que les patrons refusent de se laisser séduire par la gauche qui déploie tant d’efforts pour eux, voilà ce que Mauroy doit trouver bien ingrat de leur part.
Les patrons à qui le gouvernement distribue des dizaines de milliards, se sont mis par exemple à pousser des cris d’orfraie à propos du projet d’impôt sur la fortune. Un impôt tout symbolique puisqu’à l’origine, il ne devait concerner que 200 000 familles dont les fortunes sont supérieures à trois millions de francs et qui auraient dû payer de 0,5 à1,5 % d’impôt. Et encore, il y avait des abattements de trois à cinq millions, prévus en particulier sous prétexte de préserver l’outil de travail, lequel a bon dos. Bref, le gouvernement qui avait promis de faire payer les riches se devait de faire un mini-geste, quasi symbolique, pour faire patienter les travailleurs qui, eux, n’ont pas droit aux milliards.
Eh bien, les bourgeois n’ont rien voulu savoir. Ceyrac lui-même a protesté : « Chaque jour, on nous dit qu’il faut faire payer les riches. Mais on s’apercevra très vite que cela ne signifie rien, parce qu’il n’y aura pas assez de riches pour faire face à l’immensité des dépenses supplémentaires. On sera donc amené à faire payer les moins riches » « Or, il faut prendre garde à ne pas décourager ceux qui entreprennent et ceux qui osent » « il n’est pas possible de séparer les entrepreneurs des entreprises » « et en taxant la fortune des entrepreneurs, on met les entreprises en danger » , etc.
Et Mitterrand, si désireux de ne pas déplaire aux bourgeois, vient de faire machine arrière en promettant, lors de sa conférence de presse, qu’une bonne partie des sommes dues au titre de cet impôt pourront être déduites si elles sont investies dans l’entreprise.
Autant dire que si cela est retenu, Mitterrand vient d’offrir à tous les capitalistes le moyen de ne payer pratiquement aucun impôt sur la fortune.
Il faut dire que les bourgeois ont vite compris que la grogne était payante et que c’était encore la meilleure façon d’obtenir des concessions supplémentaires d’un gouvernement si empressé à leur plaire.
Et c’est bien ce qui s’est passé aussi pour les nationalisations.

Nationalisations : les patrons ont fait monter les enchères

Certes, même dans les plus inconsidérées de ses promesses électorales, le Parti Socialiste n’a jamais envisagé de nationaliser sans indemniser les actionnaires. Et pourtant il serait normal, il serait juste, d’exiger des grands patrons, comme Dassault, qui possèdent d’énormes empires industriels et décident à eux seuls du sort de dizaines de milliers de travailleurs, qu’ils rendent à la société ce qui n’est après tout que des biens sociaux qu’il est aberrant de laisser dans les mains d’un seul individu ou d’une petite poignée d’actionnaires. Et Dassault aurait encore bien assez d’argent pour vivre une retraite paisible.
Mais là où l’idée même d’indemnisation devient encore plus choquante, c’est quand il s’agit, comme c’est le cas, d’entreprises dont la prospérité depuis des dizaines d’années provient de la manne de l’État. Car, c’est à coup de subventions et de commandes de l’État que la CGE, Thomson ou les autres, tout comme Dassault d’ailleurs, ont pu vivre et prospérer. Ce sont les deniers publics qui ont fait leur fortune et il faut aujourd’hui leur payer leur fortune une deuxième fois. C’est tout de même un comble.
Mais les socialistes ne veulent pas toucher, si peu que ce soit, aux privilèges de la haute bourgeoisie. D’ailleurs les nationalisations ne sont pas destinées à léser les bourgeois, bien au contraire.
La nationalisation des banques va faciliter la mise de leurs fonds à disposition de l’industrie. Mauroy déclarait d’ailleurs à Douai que « les entreprises publiques sont, ou le seront demain plus encore, le fer de lance d’une renaissance industrielle qui profitera à tous » .
La nationalisation des maisons-mères des cinq grands groupes industriels fera d’autant mieux travailler les filiales puisque l’État se propose d’investir massivement, et donc de passer de grosses commandes par le biais des entreprises nationalisées au privé.
Mais même si c’était pour profiter ensuite à tous les bourgeois, il n’était pas question pour le gouvernement socialiste d’en léser un seul. Mais malgré les intentions explicites du gouvernement, depuis des semaines, la droite et les milieux d’affaires ont mené campagne pour faire monter les enchères. Et on a vu en quelques semaines, le gouvernement s’incliner, reculer et accorder finalement un cadeau supplémentaire d’environ dix milliards de francs aux actionnaires.
Et pourtant, l’indemnisation prévue à l’origine était déjà rondelette. Sous prétexte de ne pas léser les petits porteurs, le gouvernement avait décidé d’arroser copieusement les gros sur la base de la valeur de leurs actions sur les trois dernières années. Et cela faisait déjà vingt-cinq milliards à débourser pour l’État.
L’affaire était déjà tellement intéressante que le cours de ces actions était monté, ces dernières semaines, en prévision justement de la nationalisation. Le gouvernement a même dû arrêter la cotation en bourse pour éviter la spéculation sur cette bonne affaire. Et dans les jours qui suivirent, ce sont les actions des filiales de ces sociétés, et celles des sociétés présumées nationalisables, mais qui n’avaient pas été retirées du marché, qui ont grimpé très rapidement.
D’ailleurs, un journal comme le Financial Times qu’on ne peut suspecter d’indulgence vis-à-vis du gouvernement socialiste, estimait que la proposition d’indemnisation du gouvernement était, selon ses propres termes, « tout à fait généreuse » , du même ordre que ce qu’elle aurait été sous un gouvernement de droite.
Cela n’a pas empêché en France les critiques de fuser de partout. Aussi bien de la droite que des milieux d’affaire. Quant au syndic des agents de change, il estima, par exemple, que si l’indemnisation des actionnaires n’est pas supérieure de 50 % à la moyenne des cours en bourse, les actionnaires seraient volés ! Et cela, sous prétexte que c’est la règle dans les OPA, les offres publiques d’achat, qui consistent à allécher les actionnaires pour pouvoir leur racheter leurs actions.
Eh bien, le gouvernement a maintenant accepté de verser une rallonge de près de 20 %. Ce n’est plus une indemnité, c’est tout simplement un cadeau. En somme, il suffit que les bourgeois ouvrent la bouche pour qu’on leur donne satisfaction. Mais ils n’en sont pas plus reconnaissants pour autant. Ils en veulent encore plus. Les Échos par exemple, titrait le 24 septembre« Indemnisation : pas de quoi pavoiser » et réclamait un mode de calcul qui permettrait aux actionnaires de toucher pour chaque action 60 % de plus que sa valeur actuelle.
Le porte-parole des actionnaires de St-Gobain reproche, lui, au gouvernement, de payer en « monnaie de singe ». Car il estime qu’il faudrait tenir compte de la dépréciation du franc depuis trois ans pour évaluer la valeur des actions.
Et chacun a son idée pour réclamer encore des milliards supplémentaires. Les Échos daté du 25 septembre 1981 ne prend d’ailleurs même plus de gants et menace carrément le gouvernement de procès. « Il ne restera aux victimes de la spoliation - car c’est bien d’une spoliation qu’il s’agit - qu’à mettre en œuvre toutes les ressources de la démocratie pour empêcher l’irréparable de s’accomplir » .
Il est vrai que la veille le même journal menaçait carrément le gouvernement d’un coup de force au nom du peuple évidemment « ce même peuple qui a délibérément choisi hier de donner les rênes du pouvoir à la gauche n’aura demain aucun scrupule, aucune hésitation, à les lui enlever, fût-ce de force, pour peu que ses espoirs profonds se trouvent déçus » .
Le gouvernement a accepté sans broncher les sarcasmes, les injures et les rebuffades de la part de ces messieurs les bourgeois. Et surtout il paie - en disant merci encore. Mauroy a eu par exemple cette formule unique pour définir la nationalisation de Dassault, « la formule retenue est un hommage à un ingénieur de grand talent qui a fait beaucoup pour les ailes françaises » . C’est tout dire !
Et en effet, l’État qui détient déjà 20 % des actions de la société Dassault, rachètera 31 % à Dassault contre le montant des droits de sa succession, environ un milliard de francs. Seulement voilà, il y a à Cannes, une autre société Dassault, la Société Centrale d’Études Marcel Dassault, qu’il n’est pas question de nationaliser, elle, et qui, outre qu’elle possède tout ou partie d’un certain nombre d’entreprises (I’Électronique Marcel Dassault, les Trois-Quartiers, les cinémas Gaumont, l’Institut Mérieux, la Banque Vernes, Jours de France), possède aussi les terrains et les usines de la première société Dassault, celle qui va être nationalisée, et les plans des avions qu’on y fabrique. Si la première société Dassault est nationalisée, elle devra donc payer à la seconde loyers et redevances qui, soyons-en sûrs, seront calculés au prix fort.
Alors, oui, Dassault qui se vante d’avoir déjà été nationalisé deux fois, sans s’en porter plus mal, bien au contraire, a de quoi être content de sa troisième nationalisation.

Dans le plan mauroy, rien ou presque pour les travailleurs

On le voit, le gouvernement socialiste n’est pas près d’ébranler le mur de l’argent sur lequel Mitterrand dit lui-même que bien des gens se sont cassé la tête. Au contraire, il s’incline, pour ne pas dire qu’il se met à plat ventre devant.
Et dans six mois, dans un an, il dira aux travailleurs que, décidément, il a fait tout ce qu’il a pu, mais qu’il s’est heurté à la mauvaise volonté des patrons qui ont saboté ses efforts.
En attendant, il demande aux travailleurs de patienter.
Comme il n’est pas question de toucher si peu que ce soit aux intérêts des patrons, le gouvernement ne peut guère dans cette période de crise donner satisfaction aux travailleurs et les faire patienter éternellement.
Delors, le ministre de l’Économie, prétend qu’une politique économique, c’est 50 % d’économie et 50 % de psychologie. 50 % de psychologie à l’usage des travailleurs et 50 % d’économie sous forme de subventions aux patrons sans doute.
Car depuis quatre mois, qu’y a-t-il eu pour les travailleurs ? Le gouvernement s’est contenté de faire un geste en juin, avec le relèvement du SMIC et des allocations familiales, histoire de dire aux travailleurs qu’ils ne perdraient rien à patienter, que le gouvernement ne les oubliait pas.
Mais ce n’était pas beaucoup plus qu’un geste. D’abord parce que les autres salaires n’ont pas suivi et parce que, même les smicards ont vu bien souvent les 10 % leur passer en grande partie sous le nez, les patrons, sur recommandation du CNPF, s’étant empressés d’intégrer dans le salaire toute une série de primes qui diminuaient d’autant le réajustement qu’ils étaient censés effectuer. Alors, on peut dire que les salaires n’ont guère bougé. Les prix par contre ont sérieusement augmenté et c’est le gouvernement lui-même qui en a donné l’exemple.
Cela ne l’empêche pas de fustiger les petits commerçants, les désignant ainsi au mécontentement populaire. Mais c’est tout de même bien le gouvernement qui est responsable des hausses du gaz, de l’électricité, des loyers, des tarifs de la SNCF, des transports en commun de la région parisienne, des deux augmentations de l’essence, de celle des péages d’autoroute, des tarifs postaux, sans oublier les tabacs.
Cette cascade de hausses suivie, bien sûr, de l’augmentation de tous les produits de consommation courante, a sérieusement écorné le pouvoir d’achat des travailleurs. Et on peut bien dire que, depuis quatre mois, s’il y a eu un changement en ce qui concerne le pouvoir d’achat des travailleurs, c’est plutôt à la baisse qu’à la hausse !
Et ce n’est pas fini puisque Mauroy a demandé dans son discours aux travailleurs d’accepter de « privilégier la réduction de la durée du travail par rapport à la revendication d’une hausse du pouvoir d’achat ».
DES EXPÉDIENTS QUI, TOUS, PORTENT ATTEINTE AUX SALAIRES
Bref, on travaillera moins, mais on gagnera moins. D’ailleurs, Mauroy a carrément déclaré « nous nous proposons de pallier le déficit d’emplois par une formule simple : un nouveau partage du travail » . Et il met les points sur les i en précisant qu’il faudra un« partage des revenus coïncidant avec le partage du travail » .
Et alors là, le gouvernement a plein d’idées dans son sac pour changer la vie des travailleurs :
- la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 39 heures, puis à 35 heures, en réduisant les salaires ;
- le travail à mi-temps, permettant d’embaucher deux travailleurs sur le même poste avec chacun la moitié de la paie ;
- la semaine de quatre jours pour les fonctionnaires avec 20 % de salaire en moins ;
- et même une année entière de vacances qu’il faudra se payer en versant régulièrement une partie de son salaire dans une caisse spéciale !
Il fallait y penser : inciter les gens à partir en chômage volontaire pendant un an, en se cotisant à l’avance pour se payer leur propre allocation chômage, et appeler cela vacances, ou année sabbatique. En voilà par exemple une idée lumineuse pour combattre le chômage !
Non, Mauroy n’a pas oublié les travailleurs dans son discours à la Chambre. Il a toutde suite pensé à eux quand il a eu fini de distribuer les milliards et qu’il a été question de demander des sacrifices au nom de la solidarité avec les chômeurs. Pour faire passer la pilule, il a tout de même promis une loi sur la retraite à 60 ans et l’extension de la préretraite à tous les travailleurs de 55 ans qui le souhaitent. Maisc’est bien la seule promesse envers les travailleurs qui sera tenue. Et ce n’est pas un cadeau puisque c’est eux qui paient pour leur retraite. Et, dans la situation actuelle, les ouvriers paient même beaucoup plus pendant leur vie active, que ce qu’ils reçoivent pendant leur retraite. Les OS par exemple, ne touchent en moyenne que 85 % de ce qu’ils ont versé et les manœuvres 66 % seulement. Alors pour eux, l’abaissement de l’âge de la retraite ce n’est que la réparation partielle d’un vol manifeste.
Mais à part l’abaissement de l’âge de la retraite, il n’y aura rien, mais rien, de changé. Les jeunes auront toujours droit au pacte pour l’emploi, inventé par Barre, qui permet aux patrons de les exploiter à bas prix pendant quelques mois, avant de les rejeter sur le pavé. Il est vrai que Mauroy a débaptisé la formule. Désormais, il s’agit du « plan avenir jeunes ». Histoire de faire oublier qu’il se contente de copier Barre. Mais il n’y a bien que le nom qui change et le publicitaire Seguela, qui vient de recevoir presque huit millions de francs lourds pour lancer une campagne de publicité pour ce fleuron de l’ancien régime, reconnaît tout de go que « le produit, « le pacte pour l’emploi », reste le même que sous le régime précédent, mais c’est la psychologie qui change ». Cela ne suffira peutêtre pas pour que lesjeunes ne s’aperçoivent pas que, pour eux, le changement c’est qu’il n’ya pas de changement. L’une des innovations du gouvernement, pour leur éviter le chômage, n’est-elle pas le maintien à douze mois du service militaire ? Il fallait y penser. Comme il fallait penser à leur demander d’en reprendre pour six mois ou un an (de service civil, cette fois) pour surveiller les forêts et les parcs nationaux. Tout cela arrangera probablement les statistiques du gouvernement, mais sans doute pas le niveau de vie des familles à qui le salaire d’un ou de plusieurs enfants continuera à manquer. Et c’est toujours la classe ouvrière qui continuera à supporter tout le poids du chômage.
Non, décidément, depuis quatre mois, il n’y a eu de changement ni pour les patrons qui ont pu continuer à puiser dans les caisses de l’État, ni pour les travailleurs surqui lacrise pèsetoujours aussi lourdement.

Les nationalisations, une arme bidon contre le chômage

Mais le gouvernement nous dit que ce qui va changer, ce sont les nationalisations qui vont lui permettre de contrôler la vie économique, de l’impulser et qui vont lui servir de levier dans la lutte contre le chômage.
Mais là encore, on peut douter que les nationalisations changent grand chose pour les travailleurs. Car des entreprises nationalisées et des entreprises publiques, il y en a déjà. Elles représentent dans l’économie du pays une part deux fois plus importante que les nationalisations à venir.
Mais jusqu’ici, le gouvernement ne s’est pas servi de cet atout-là pour agir sur le chômage. Chez Renault, les travailleurs continuent à faire plus de 41 heures, les cadences sont de plus en plus dures et la Régie prévoit, malgré cela, du chômage technique le mois prochain, exactement comme dans une entreprise privée. Ce n’est pourtant pas la mauvaise volonté d’un chef d’entreprise privée qui empêche le gouvernement d’y instaurer les 35 heures, de diminuer les cadences et d’embaucher en conséquence !
Et dans les services publics, qu’est-ce qui empêche le gouvernement d’embaucher massivement les centaines de milliers de personnes qui seraient nécessaires à leur bon fonctionnement ?
Pour 1981, le gouvernement n’a décidé la création que de 55 000 emplois publics. Pour les hôpitaux par exemple, il a embauché en tout et pour tout pour l’instant 2000 personnes. Cela a fait 66 personnes de plus pour l’ensemble des quarante établissements de l’Assistance Publique à Paris.
C’est tout simplement ridicule par rapport aux besoins. La CGT a chiffré à 120 000 le nombre de postes supplémentaires nécessaires dans tout le pays.
Mais même les 12 000 postes d’enseignants créés sont très très loin du compte puisqu’il manque encore des enseignants dans bien des établissements et que 40 000 jeunes sont restés à la porte des lycées d’enseignement professionnel faute de place.
Quant aux 12 000 emplois créés dans les postes, ils n’empêchent pas le courrier de mettre parfois trois jours pour traverser le pays. Ce n’est pas étonnant : les syndicats ont chiffré à 50 000 le nombre d’emplois supplémentaires nécessaires.
Alors oui, le gouvernement aurait de quoi en créer, directement, tout de suite, des emplois utiles à la collectivité.
Mais cela, c’est au compte-gouttes qu’il le fait. L’année prochaine, Mauroy n’envisage de créer que 61 000 emplois publics. Ce n’est pas beaucoup plus et on est bien loin des 210 000 emplois publics promis par Mitterrand dans les dix-huit mois. Et on est encore plus loin des 450 000 emplois publics que la CGT, elle, estime nécessaire de créer rapidement.
C’est que le gouvernement n’a décidé de consacrer que sept cents millions pour l’année 1981 à la création de postes de fonctionnaires Mais c’est quinze milliards de subventions supplémentaires qu’il a accordés aux patrons et c’est trente milliards d’indemnités qu’il va généreusement accorder à une poignée d’actionnaires.
C’est vingt-deux milliards de dettes dont il fait cadeau aux entreprises de la sidérurgie. Tous ces milliards ne créeront pas un seul emploi alors qu’ils auraient pu payer les salaires de centaines de milliers de personnes, si le gouvernement les avaient consacrés à créer directement des emplois utiles, au lieu d’en faire cadeau aux patrons, en faisant mine de croire que les patrons, eux, vont faire l’effort d’embaucher. Mais pourquoi donc les patrons embaucheraient-ils alors que l’État, lui, s’y refuse !
Les nouvelles nationalisations ne vont rien changer à cette politique. Les travailleurs, en tant que contribuables, vont avoir à payer fort cher pour indemniser les actionnaires, mais ils ne verront pas le chômage diminuer pour autant.
Barre disait que la priorité des priorités était la lutte contre l’inflation, même au prix d’un accroissement du nombre des chômeurs. Et avec lui, on a eu le chômage, mais aussi l’inflation.
Mauroy, lui, dit qu’il faut lutter en priorité contre le chômage, même si l’État s’endette et que l’inflation s’accélère un peu.
Alors, avec Mauroy, on aura la hausse des prix, mais aussi le chômage ! Comme avec Barre !
Il s’agit pour le gouvernement socialiste, tout comme pour les gouvernements de droite, d’aider les entreprises àassurer leur prospérité malgré la crise, et c’est à cela que passe le plus clair de l’argent de l’État.
Il n’est pas là pour aider les travailleurs à se protéger d’une crise dont ils ne sont pas responsables, mais il est là au contraire pour aider les patrons à ne pas faire les frais des à-coups de leur propre système.

Les travailleurs auront à se défendre

C’est dire que les travailleurs n’ont rien à en attendre. Et la patience que le gouvernement leur demande ne leur apportera rien. Au contraire, ils ont tout à perdre à se montrer patients, car chaque mois qui passe alourdit un peu plus la facture qu’on leur fait payer.
Chaque mois qui passe, ce sont des chômeurs en plus et des revenus en moins dans les familles ouvrières.
Chaque mois qui passe, ce sont les prix qui grimpent et les salaires qui se traînent derrière.
Et chaque mois qui passe, c’est encore un peu plus d’argent qui est distribué à d’autres.
Alors, pourquoi les travailleurs, eux, accepteraient-ils de voir peu à peu réduire, non pas leurs profits ou leur fortune - ils n’en ont pas - mais leur niveau de vie ?
Le gouvernement ne veut pas s’en prendre aux patrons. Mais les travailleurs ont les moyens, eux, de les rendre un peu moins arrogants, un peu moins gourmands et de les contraindre à faire leur part de sacrifices.
Pour la classe ouvrière, le choix est clair. Ou subir avec résignation les coups du patronat et s’apprêter à payer la crise de plus en plus cher, que le gouvernement soit socialiste ou pas, car cela ne change rien.
Ou alors riposter, se défendre, au moins sur les deux terrains dont dépend son avenir, c’est-à-dire combattre le chômage en imposant la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire, en interdisant les licenciements, en obligeant les entreprises, nationalisées ou pas, à réduire les horaires et à embaucher du personnel.
C’est-à-dire aussi combattre la dégradation de son niveau de vie en imposant l’échelle mobile des salaires, le réajustement automatique et mensuel des salaires en fonction de la hausse des prix.
Nous les révolutionnaires nous pensons que la classe ouvrière a la force de se défendre, et que, si elle n’attend pas du gouvernement ce qu’il ne peut pas et ne veut pas lui donner, elle saura gagner la guerre que lui ont déclarée les patrons.

:: Congrès de Tours. Ou comment, à peine né, le Parti communiste allait devenir un parfait parti stalinien

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Lorsque le Congrès de la social-démocratie française se tint à Tours du 25 au 30 décembre 1920, c’était dans un climat d’enthousiasme pour la Révolution d’Octobre et pour les militants bolcheviks qui l’avaient dirigée. La majorité des fédérations ouvrières, en particulier celles du Nord, se prononçait résolument pour l’adhésion à la IIIe Internationale, l’Internationale Communiste, dont les bases venaient d’être jetés à Moscou, et, à la fin du Congrès, le Parti communiste avait gagné 89 fédérations sur les 96 que comptait le Parti Socialiste. 

L’aile droite, représentée par Renaudel et Blum, les centristes autour de Longuet et de Pressemane, consommèrent la scission en rejetant l’adhésion à l’IC. Les 21 conditions imposées pour cette adhésion en août 1920 les éliminaient d’ailleurs pratiquement. Cette rupture, voulue et expliquée par Lénine, devait permettre au jeune Parti de rendre son action plus efficace grâce à la netteté de son programme, « opération salutaire, disait à l’époque Souvarine, propre à rendre force et vie au corps gangrené du Parti ». 

Le parti qui se fondait, Section Française de l’Internationale Communiste, rompait ainsi radicalement avec le courant réformiste et chauvin. Il adoptait le programme révolutionnaire du Komintern, et les principes bolcheviks en matière d’organisation. 

Le Congrès fut tumultueux et passionné, la majorité vibrante d’enthousiasme. On parlait des « russes » avec respect. Lorsque arrivèrent le télégramme de l’exécutif de l’Internationale, puis Clara Zetkin en personne, l’enthousiasme ne connut plus de bornes. L’aube de la révolution prolétarienne en France paraissait proche, et beaucoup en attendant voulaient aider les Russes dans leur lutte contre la coalition des impérialistes. Les orateurs de la majorité s’élevaient violemment contre la conception réformiste du passage « pacifique » au socialisme, soulignant l’aspect violent de la prise du pouvoir en Russie et, lorsque Blum utilisa les vieux arguments des opportunistes à propos de la défense nationale, on l’interrompit en criant « A bas la guerre » et en entonnant l’internationale. 

C’est le « Comité pour l’adhésion à la IIIe internationale », fondé en mai 1919 et son Bulletin communiste datant de mars 1920, qui fournit les meilleurs militants : des syndicalistes révolutionnaires comme Monatte et Rosmer, anciens zimmerwaldiens, des hommes comme Amédée Dunois, Souvarine, qui devint par la suite un des dirigeants du parti, pour être finalement exclu en 1924-25. 

Dans ces conditions la comparaison entre les Thorez, Duclos, Garaudy, et les Rosmer, les Souvarine de 1920 ne peut que laisser perplexe si l’on ne tient pas compte des caractéristiques spécifiques de la tradition sociale-démocrate en France et de la manière dont ils avaient imprégné tout le mouvement ouvrier jusque dans ses racines. Le parti français, composé pour sa plus grande partie de militants de cette social-démocratie, s’il avait verbalement rompu avec le réformisme et le chauvinisme, n’en resta pas moins profondément marqué par cette tradition qui constituait l’héritage d’idéologie démocratique et de moeurs parlementaires. Déjà Lénine avertissait les militants français : « la transformation d’un parti du type parlementaire, disait-il , réformiste dans ses actes, et légèrement coloré d’une teinte révolutionnaire, en parti réellement communiste, est une chose extrêmement difficile. L’exemple de la France montre cette difficulté de la façon, peut-être, la plus évidente » . 

L’histoire du Parti français dans les années qui ont suivi le Congrès de Tours est celle des rechutes et des flottement dans l’opportunisme et le pacifisme. 

Par une réaction, saine mais excessive, contre cet état de choses, les meilleurs éléments du parti, en particulier d’ailleurs les jeunesses, adoptaient souvent une attitude gauchiste qui s’est caractérisée essentiellement par un mépris pour les « dissidents » tel que la plupart étaient farouchement hostiles à l’idée du Front unique avec la social-démocratie et avec la CGT réformiste, Front unique préconisée par le Komintern. On craignait de revenir à la situation d’avant Tours et on méprisait la lutte pour les revendications immédiates. 

Dès le congrès de Marseille, en décembre 1921, la crise s’amorça au sein du parti. Dans un discours prononcé le 2 mars 1922, à la séance du Comité exécutif élargi de l’IC, Trotsky caractérisait ainsi la situation du parti français : « la scission de Tours fixa la ligne de partage fondamentale entre le réformisme et le communisme. Mais c’est un fait absolument indiscutable que le Parti communiste qui a surgi de cette scission a conservé, dans certaines de ses parties, la survivance du Parti réformiste et parlementaire, dont il peut se débarrasser et dont il se débarrassera par des efforts intérieurs en prenant part à la lutte de masse » . 

« Ces survivances du passé, dans certains groupes du parti, se manifestent : 
1 - Par une tendance à rétablir l’unité avec les réformistes. 
2 - Par la tendance à former un bloc avec l’aile radicale de la bourgeoisie. 
3 - Par la substitution du pacifisme humanitaire petits bourgeois à l’antimilitarisme révolutionnaire. 
4 - Par la fausse interprétation des rapports entre le parti et les syndicats. 
5 - Par la lutte contre une direction du parti est vraiment centralisée. 
6 - Par les efforts pour substituer une fédération platonique de partis nationaux à la discipline internationale d’action ». 

[...] de la Seine restait organisée sur une base fédérative et, pourtant, par la voix de Rappoport, le parti tendait à minimiser les divergences. Pendant ce temps une nouvelle tendance s’était fait jour, celle de l’opportunisme paysan représenté par Renaud Jean et Auclair dont les positions étaient proches de celle des socialistes révolutionnaires russes, tendance qui s’ajoutait à la tendance de droite d’Henri Fabre dont le Journal du Peuple était soutenu par Renoult et Frossard, les dirigeants du parti, et à celle d’extrême gauche de Victor Méric. 

Ainsi, dès son origine même, le PC s’est caractérisé par son manque d’homogénéité politique : droite réformiste et pacifiste, des tendances d’un gauchisme outrancier, un centre sans pensée politique nette, enfin une gauche révolutionnaire à peu près conséquente représentée par Souvarine, Rosmer, mais qui n’était qu’une minorité. 

À cette situation s’ajoutait une inculture marxiste généralisée, touchant même les cadres dirigeants. Cela en liaison étroite avec leur origine politique social-démocrate, en rien comparable à la formation sévère reçue par les bolcheviks. A la vérité, le parti manquait de cadres réellement éprouvés. Au début de 1921 Amédée Dunois demandait au Parti de lancer une campagne en vue d’un effort général pour la culture et le niveau intellectuel dans le parti. 

Il préconisait l’organisation de cercle d’études marxistes dans les sections. Il restait donc à faire un important travail d’éducation, de purification, de sélection : « pas d’opportunisme de droite, ni d’inopportunisme de gauche », selon le mot de Radek. 

Le Congrès de tours, s’il fut une grande date dans l’histoire du mouvement ouvrier français, ne s’annonçait pas cependant comme l’aube sans nuage de journées radieuses, mais au contraire comme chargé de difficultés, trop lourd de son passé. la volonté de devenir des révolutionnaires ne manquait pas, l’enthousiasme non plus, mais l’expérience était nulle et les bases de départ on ne peut plus faible. aussi le parti communiste, étroitement lié à l’internationale, vit son destin dépendre essentiellement de celui de l’ic et, par conséquent, de la révolution en urss. dès sa fondation, en 1920-22, la question de son évolution ultérieure se jouait en urss. sa base française étant ce qu’elle était, il n’était même pas question qu’il résistât à la dégénérescence bureaucratique aussi longtemps que le parti russe, le parti bolchevique. 

En URSS en effet, les vieux bolcheviks dirigeants du parti, en opposition avec le cours droitier suivi par la fraction stalinienne, s’il furent calomniés et si leur voix fut étouffée, ne furent pas exclus avant 1927. Connus des masses pour leur rôle pendant la Révolution, il eut été difficile à Staline de les exclure sans un long travail de préparation des esprits. Mais en France la situation n’avait rien de comparable et les meilleurs militants, ceux qui, malgré leurs attitudes souvent gauchistes, étaient restés foncièrement attachés à la cause du prolétariat, étaient restés d’une loyauté et d’une honnêteté scrupuleuse dans leurs rapports avec le parti et avec les masses qu’il influençait, tout ceux-là - les Monatte, les Rosmer, les Dunois - furent éliminés, exclus ou contraints de démissionner dès 1924-1925. Les manoeuvres d’appareil prévalurent, en matière d’organisation, et ce furent les hommes de ces manoeuvres, habiles aux contorsions et souples aux redressements, qui prirent en main le Parti. Dès le Congrès de Paris, d’octobre 1922, les hommes d’appareil firent élire un nouveau comité directeur, remplacèrent à la direction du Bulletin communiste Souvarine par le journaliste radicalisant Paul-Louis et, usant de la méthode des calomnies et des insinuations personnelles, créèrent dans le parti une atmosphère empoisonnée qui n’allait pas tarder à le pourrir complètement. 

À peine né le Parti communiste allait devenir un parfait parti stalinien, et les révolutionnaires français durent encore une fois s’éparpiller en de petits groupes fermés, ou se résoudre à rejoindre les rangs de la social-démocratie en espérant y former une minorité révolutionnaire. Pratiquement en France, depuis Tours, un parti révolutionnaire reste à créer. Ce devait être l’oeuvre de la génération précédente, ce sera la nôtre.