dimanche 23 octobre 2011

:: Construire la IVème Internationale... Mais sérieusement

[...] Une Internationale révolutionnaire est plus que jamais nécessaire. De plus, le fait que ces camarades ne mettent aucun préalable, le fait aussi qu'il ne s'agisse pas d'une adhésion formelle à un bout de la IVème qui se proclame la seule, la vraie, l'authentique direction révolutionnaire du prolétariat, mais qu'il s'agit d'essayer de travailler ensemble, sans s'illusionner sur l'importance de nos forces, nous incite d'autant plus à prendre part à cette conférence.

Mais, bien que la tenue de la conférence constitue un premier pas en avant dans le regroupement d'organisations révolutionnaires, ce premier pas ne garantit nullement le succès de la tentative. Car les organisations du C.I. nous semblent aborder de manière fausse un certain nombre de problèmes et ces fautes risquent de compromettre gravement l'avenir. Nous avons donc l'intention lors de la conférence, de prendre toutes nos responsabilités et de lutter pour que le Comité International corrige ses faiblesses et que, mieux armé, il s'attaque résolument à la tâche qu'il s'est fixé.

1°) Tout d'abord sur le plan théorique il est nécessaire de réanalyser le monde moderne à la lumière de la théorie marxiste. Il ne s'agit pas pour nous de remettre en cause l'analyse de la nature de l'Union Soviétique. Celle qu'en a donné Trotsky est la complète complète faite jusqu'à présent et sa valeur nous parait totale ! Mais le C.I. a hérité d'un certain nombre d'analyses de la IVe Internationale qui elles, nous paraissent radicalement fausses. Et sur le plan théorique, cela conduit ces camarades à d'insolubles contradictions. Par exemple, ces camarades parlent de l'Etat ouvrier chinois et de l'Etat bourgeois cubain. Pourtant, si nous analysons le processus qui a conduit à la formation de ces deux Etats, nous ne voyons aucune différence de nature entre eux. Mais alors que leur analyse de l'Etat cubain s'est faite après leur rupture avec le courant pabliste, leur analyse de la Chine est celle qu'ils ont héritée directement et sans changer une ligne, de la IVème Internationale dite pabliste. Et le fait qu'ils puissent faire coexister deux conceptions d'un même phénomène montre de leur part un manque de rigueur certain dans l'emploi des méthodes d'analyse marxistes, il prouva que ces camarades ne font pas assez attention à la théorie, malgré leurs affirmations.

Quelle sera la nature de notre intervention ?

Et bien longtemps après leur rupture avec Pablo, ces camarades soutiennent encore la théorie des Etats ouvriers dégénérés ou déformés dans le glacis. L'expression figure dans 1a résolution éditée par le C.I.

2°) Ensuite, il est de la plus haute importance d'analyser clairement les causes qui ont conduit à l'échec de la IVème Internationale. C'est la la condition "sine qua non" pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs et aboutir aux mêmes échecs. Et l'analyse que donne le C.I. de l'échec de la IVème Internationale est celle aussi d'une certaine insuffisance théorique. Nous lisons entre autres dans le texte du C.I. :
"l'opportunisme petit-bourgeois sous la forme d'une tendance révisionniste cristallisée pénétrant toutes les sections du mouvement trotskyste, a détruit la IVème Internationale... (p. 9), puis, plus loin : "un tel centre (c'est-à-dire le S.I. de Pablo) ne discutait pas des expériences vivantes des sections dans le cours du développement du programme et de la théorie marxiste, mais, au lieu de cela, il laissait les sections sans direction, ou bien intervenait bureaucratiquement (sur la base des statuts les plus "bolchevik") pour imposer une ligne internationale aux sections" (p. 17).

Mais d'où venait cette tendance révisionniste ? Comment a-t-elle pu non seulement se développer, mais aussi triompher dans l'Internationale ? Nous n'avons nulle part une explication satisfaisante de ce phénomène. Les méthodes bureaucratiques de Pablo n'expliquent rien. Une partie des groupes rattachés au Comité International et qui avaient rompu politiquement et organisationnellement avec Pablo en 1953, l'ont rejoint dix ans plus tard, sans pression bureaucratique possible. Une autre explication aussi peu satisfaisante est celle qui énonce que :
"... la dégénérescence révisionniste au sein de la IVème Internationale est un phénomène de classe de caractère international correspondant aux besoins de l'impérialisme dans sa phase ultime de contradictions extrêmes et de dépendance pour sa survie, de la bureaucratie stalinienne, de la social-démocratie et des dirigeants nationalistes" (p. 16).


Faire de la situation objective (la crise de l'impérialisme) une des causes de la destruction de la IVème Internationale, c'est finalement faire endosser ses propres responsabilités à la "situation". Si cela peut expliquer l'apparition d'une tendance petite-bourgeoise dans la IVème Internationale, cela n'explique absolument pas pourquoi cette tendance a rallié à elle la majorité des sections.

Car loin de voir dans le pablisme un corps étranger, pénétrant la IVe Internationale, l'immense majorité des sections a reconnu en Pablo sa propre image. Image petite bourgeoise, bien sûr, opportuniste, bien sûr, mais c'est parce que depuis la mort de Trotsky, la IVème Internationale était une organisation opportuniste et petite-bourgeoise.

Affirmer que l'échec de la IVème Internationale est du à Pablo, à ses méthodes organisationnelles, à sa politique, c'est grandir considérablement son importance. C'est faire de lui une espèce d'escroc politique de génie qui non seulement arriverait à mystifier des centaines de militants révolutionnaires, mais à faire que ceux-ci se transforment, par une "transcroissance sui generis" sans doute, en opportunistes petit-bourgeois, en couverture de gauche de la bureaucratie, en flanc-gardes de la bourgeoisie.

Ces camarades ne voient pas les vrais problèmes car ils se mettent un bandeau sur les yeux. Et ce bandeau s'appelle Pablo. Mais à marcher les yeux bandés, on risque la chute. Et si la cécité de ces camarades persiste, cette chute sera l'échec de notre entreprise commune.
Notre intervention dans cette tentative de réunification consistera donc aussi à tenter d'amener ces camarades à analyser correctement les causes de la dégénérescence de la IVème.
C'est-à-dire que non seulement nous défendrons l'analyse qui est la nôtre et que je viens d'exposer ce soir mais nous défendrons aussi, ce qui en est le corollaire, les méthodes organisationnelles propres à tenter d'écarter des organisations trotskystes les éléments petit-bourgeois et opportunistes.

Lorsqu'une tendance petite-bourgeoise apparut à la veille du la guerre au sein de la section américaine le S.W.P., Trotsky, que personne n'accusera je suppose de sous-estimer l'importance de l'élaboration théorique et politique, conseilla fermement aux trotskystes américains toute une série de mesures organisationnelles pour mettre à l'épreuve les militants d'origine petite-bourgeoise.

Cette préoccupation de se préserver des éléments petit-bourgeois n'apparaît nulle part, et pour cause, dans le texte du C.I. et, de plus, dans le domaine politique, ces camarades font preuve de pratiques opportunistes qui nous procurent de grandes craintes quant au succès de notre entreprise commune.

3°) En effet, le fait qu'ils n'analysent pas correctement les causes de l'échec de la IVème Internationale les conduit naturellement à négliger les symptômes de la maladie qui a fait mourir la IVème Internationale que peuvent présenter leurs propres organisations. Nous négligerons ici les reproches et les critiques qui pourraient paraître polémiques pour ne prendre qu'un exemple.

Manifestement dans la résolution du C.I. un certain nombre de phrases et d'affirmations sont incontestablement le résultat de compromis politiques. Nous dirons même théoriques, en particulier, justement, à propos de l'analyse de la nature des pays du "glacis soviétique". Que des divergences existent au sein du C.I. ou même à l'intérieur des organisations qui y sont affiliées c'est normal. Mais qu'un texte d'orientation soit mi-chèvre, mi-chou pour ne choquer personne, c'est une façon peu sérieuse de procéder, et qui peut être grave pour l'avenir, de deux points de vue différents.

D'abord ce genre de compromis est l'indice d'une certaine façon de poser, ou plutôt de ne pas poser les problèmes politiques. On peut envisager beaucoup de compromis mais certes pas sur plan des idées. On doit exprimer clairement accords et désaccords mais ne pas rédiger un texte qui ne reflète ni la position des uns, ni celle des autres et qui sert à façonner une bien piètre unité de façade. Et qui veut-on, qui espère-t-on tromper ?

D'un autre point de vue, cela est grave pour l'avenir car cela déconsidère du point de vue théorique et du point de vue organisationnel la direction internationale que l'on veut reconstituer. Ce n'est qu'avec beaucoup de rigueur, et aucun compromis de cette sorte, que la future IVème Internationale pourra gagner le crédit politique nécessaire à l'autorité sur toutes les sections. Il faut que cette Internationale puisse être un centre d'attraction, un guide révolutionnaire du monde entier.

La résolution du C.I. ne laisse pas bien augurer de cela et pour gagner et mériter la confiance de tous, à notre avis, ces camarades devront là aussi faire un effort pour écarter de leur méthodologie des pratiques politiques qui ne sont ni marxistes, ni bolcheviques, ni trotskystes.
Notre critique dans ce domaine sera fraternelle et autant que possible constructive car nous sommes les premiers à souhaiter que l'Internationale Révolutionnaire renaisse mais elle sera ferme car il ne faut pas compter sur nous pour accepter des compromis de cette sorte ou même les voir sans les dénoncer.

4°) Tels seront les points essentiels de notre participation à la discussion, Nous ne nous faisons cependant guère d'illusions sur les difficultés de cette reconstruction. Il se peut que très facilement les camarades du C.I. fassent leur l'analyse que nous faisons.
Bien plus difficile sera la mise en accord de la pratique quotidienne avec cette analyse. Les différents groupes de la IVème Internationale ne sont toujours pas implantés réellement dans la classe ouvrière.

La pression de l'entourage petit-bourgeois est toujours aussi sensible que par le passé. Se délimiter de cet entourage est chose bien difficile surtout quand les évènements politiques font que les succès que nos idées rencontrent sont toujours plus grands en milieu intellectuel que dans le milieu des ouvriers d'industrie. Même des pratiques militantes et organisationnelles rigoureuses ne mettent pas à l'abri de cette pression et de ses répercussions politiques. Nous avons nous-mêmes à le vivre tout les jours.

Mais une chose est certaine et nous pouvons malheureusement le dire avec la même assurance qu'en 1944 :

Si les militants et les organisations du C.I. ne se penchent pas immédiatement sur ces questions en se, donnant les moyens moraux et matériels de les régler, leur tentative, et la notre donc, car nous sommes solidaires, sera un nouvel échec.

Il faudra attendre plusieurs années encore pour que, dans différents pays, de nouvelles générations venues au trotskisme dans d'autres conditions peut-être, reconstruisent pour de bon une Internationale Révolutionnaire qu'il faudra très certainement appeler Vème Internationale car elle consacrerait l'échec définitif de toute une génération de militants.

Nous ne le souhaitons pas. Nous espérons militer suffisamment sérieusement pour être un facteur suffisant pour que cette tentative-ci soit la bonne.