samedi 22 juin 2013

:: Le prolétariat est-il encore capable de remplir son rôle historique ?

Extrait de l'exposé du 1er octobre 1967

La crise de la direction révolutionnaire, qui éclata au grand jour en 1914, se pose aujourd’hui d’une manière plus aiguë que jamais.
De l’incapacité où se sont trouvés placés les militants révolutionnaires de résoudre cette crise depuis un demi-siècle, certains se sont empressés de déduire que cet échec ne faisait que traduire en termes organisationnels la disparition de la conscience de classe du prolétariat, qui rendrait désormais impossible toute révolution socialiste.
Il est certain que dans les pays capitalistes avancés, l’impérialisme a corrompu, en lui abandonnant les miettes des surprofits réalisés dans l’exploitation des pays dits sous-développés, toute une aristocratie ouvrière, et l’on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas toute la classe ouvrière qui a été ainsi corrompue...
Du fait que dans un pays comme la France nombre de travailleurs possèdent la télévision, un réfrigérateur et une voiture, nombre d’éminents sociologues ont déduit que la classe ouvrière, au sens que cette expression pouvait avoir il y a 50 ans, n’existait plus.
Mais c’est oublier que si aucun nouvel état ouvrier est né depuis 1917, les luttes ouvrières n’ont nullement été absentes de la scène de l’histoire.
Faut-il rappeler, entre bien autre chose, la grève anglaise de mai 1926, la riposte de la classe ouvrière française à la manifestation fasciste du 6 février 1934, la lutte héroïque, en octobre de la même année des travailleurs des Asturies, le mouvement de juin 1936 en France, la résistance, le combat acharné et désespéré mené par le prolétariat espagnol de 1936 à 1939, malgré la trahison de ses directions. Et plus près de nous, les vagues de grèves qui marquèrent les années 47-48, 1953, 1955 en France, sans oublier l’insurrection de 1956 du prolétariat hongrois, qui 40 ans après Octobre retrouvait spontanément la forme d’organisation des conseils ouvriers.
Bien sûr, on pourra toujours dire que ces luttes ouvrières marquaient la fin d’une époque, étaient des combats d’arrière-garde, et que la conscience de classe du prolétariat a disparu.
C’est un fait que la conscience de classe, au sens de conscience socialiste, celle qui s’incarnait dans le parti ouvrier a disparu depuis plusieurs décennies, et on peut effectivement se demander si cela n’est pas lié à une évolution interne de la classe ouvrière elle-même.
Mais il faut tout d’abord noter que si le réformisme social-démocrate, apparu à l’apogée du capitalisme, fut un réformisme avoué, ce qui lui permettait l’existence d’une base sociale propre, l’aristocratie ouvrière corrompue par l’impérialisme, le mouvement stalinien, n’a jamais pu se permettre de renoncer complètement, devant les travailleurs, à une certaine phraséologie révolutionnaire.
Cela prouve que les bases sociales du réformisme, loin de se développer au fur et à mesure que le temps passe, se rétrécissent au contraire. Et ce ne sont pas les actuelles difficultés du gouvernement Wilson qui prouveront le contraire.
Et ce qui est plus significatif encore que le catalogue des luttes ouvrières depuis un demi-siècle, bien que moins spectaculaire, c’est, dans un pays comme la France, la tactique employée par les staliniens dans les mouvements revendicatifs, la manière dont ils s’imposent au mouvement ouvrier.
La volonté manifeste de la direction stalinienne de morceler les luttes revendicatives au maximum, de trouver des formes d’action, telles que les grèves tournantes, qui la mette autant que faire se peut à l’abri de toute possibilité de débordement, prouve qu’elle est sans cesse obligée de se méfier des réactions de la classe ouvrière, et de sa propre base.
C’est que spontanément, même privée de direction révolutionnaire, la classe ouvrière est capable de poser dans les faits la question du pouvoir, même si elle ne peut la résoudre. C’est ce qu’elle a fait en juin 1936, et la politique de l’appareil stalinien prouve clairement que pour lui, c’est un danger qui existe toujours.
Et les méthodes de gangstérisme employées pour maintenir sa domination sur le mouvement ouvrier, la lutte physique menée contre toute manifestation des idées révolutionnaires, montre également que la direction stalinienne est bien plus convaincue que certains soi-disant révolutionnaires, de l’écho que ces idées pourraient rencontrer dans la classe ouvrière.
Certes, le poids à soulever pour vaincre le stalinisme est lourd, mais il n’est si lourd que parce qu’il est destiné à neutraliser la pression révolutionnaire potentielle de la classe ouvrière.

Existe t-il d’autres voies vers le socialisme ?

Certains affirment cependant que la révolution prolétarienne n’est plus, à cause des changements intervenus dans le monde depuis 50 ans, et de l’existence de l’URSS, le seul chemin menant au socialisme.
C’est ainsi que les staliniens justifient la théorie de la coexistence pacifique, et celle des voies pacifiques vers le socialisme.
La force du « camp socialiste » est aujourd’hui telle, expliquent-ils, que d’une part la guerre est désormais évitable, parce que l’impérialisme ne peut pas prendre le risque de sa propre destruction, et que d’autre part, après avoir été rattrapé et dépassé sur le plan économique, il capitulera sans aucun doute sans combat devant les « forces progressistes ».
Discuter la possibilité d’une coexistence pacifique illimitée entre l’URSS et l’impérialisme, n’est pas exactement, ici, notre propos, et il nous paraît vain d’opposer des arguments à des illusions capables de résister aux centaines de bombes que l’aviation américaine déverse chaque jour sur le Vietnam. Mais est-il possible que la bourgeoisie puisse un jour abandonner le pouvoir sans combattre ?
Une telle hypothèse ne serait pas impossible si la révolution socialiste avait déjà triomphé dans la plupart des pays industrialisés. Mais tant que l’impérialisme n’a pas été vaincu là où est sa force, dans les grandes métropoles de l’Europe occidentale et en Amérique du Nord, il est fou de rêver qu’il puisse quitter sans luttes la scène de l’histoire.
Et quand bien même cela serait possible, sans être certain, baser toute sa politique sur cette possibilité, confier le sort du prolétariat et du socialisme au hasard, serait une trahison. S’il y avait 99 chances sur 100 pour que la bourgeoisie accepte philosophiquement son sort, il faudrait tout de même armer physiquement, et surtout moralement le prolétariat pour la 100ème éventualité.
Mais il y a aussi des militants qui ne croient pas à la coexistence pacifique, ni aux possibilités de passage pacifique au socialisme, et qui s’appuient néanmoins sur les transformations que le monde a connues depuis 50 ans pour renoncer, plus ou moins explicitement, à la construction de partis ouvriers révolutionnaires de type bolchévik.
Et malheureusement, il y a parmi eux, nombre de militants se réclamant du trotskysme, et pas seulement les pablistes avoués.
Un tel renoncement découlait naturellement de l’analyse que ces camarades faisaient, et font encore, des démocraties populaires, et de certaines révolutions coloniales.
Pourquoi on effet s’obstiner à essayer de construire un parti ouvrier révolutionnaire, si un parti stalinien peut, ne serait-ce que dans certaines conditions, remplir, même d’une façon déformée, le même rôle ?
Pourquoi le faire dans les pays sous-développés si une direction nationaliste petite-bourgeoise peut, sous la contrainte des événements, créer un État ouvrier, même déformé ?
Il faudrait, pour s’obstiner dans la tâche difficile de construction du parti révolutionnaire, si l’on fait siennes de telles idées, être un maniaque de la perfection qui ne tolère pas la moindre petite « déformation » à un État ouvrier, ou être inconséquent.
Tout porte à croire que ces camarades sont plutôt inconséquents ! D’une analyse qui leur est fondamentalement commune, les uns ont déduit la nécessité d’un entrisme sui generis au sein du mouvement stalinien, ou lorsqu’il n’existait pas du mouvement social-démocrate, les autres ont crié à la trahison devant une telle perspective, mais n’ont pas hésité à s’accrocher aux basques de certaines organisations nationalistes petite-bourgeoises.
De quatorze ans d’échec dans la tâche de construction de partis ouvriers révolutionnaires, le pablisme tirait la conclusion qu’il fallait trouver de nouvelles voies. Mais on attend impatiemment de voir les fruits de quatorze ans d’entrisme « sui generis ».
Quant à la politique de la section française du Comité International, vis-à-vis du MNA de Messali Hadj, il n’y a pas eu besoin d’attendre si longtemps pour la voir jugée par les faits.
Il ne faut pas se faire d’illusions. Nul part l’histoire ne dispensera les révolutionnaires de la première de leurs tâches, construire une direction révolutionnaire, ce qui signifie à la fois reconstruire une Internationale révolutionnaire, et construire dans chaque pays un parti révolutionnaire.

Conclusion

Camarades, il y a 50 ans, la révolution socialiste mondiale remportait sa première victoire. Mais malgré des luttes grandioses et héroïques du prolétariat dans le demi-siècle qui suivit, luttes vouées à l’échec par suite de l’absence d’une véritable direction révolutionnaire, cette première victoire resta isolée.
Pourtant, l’évolution du monde impérialiste montre que le socialisme est, plus que jamais, la seule voie de salut pour l’humanité.
50 ans, c’est à la fois beaucoup et peu. C’est beaucoup dans la vie d’un homme, mais c’est bien peu au regard de l’histoire.
Brisés physiquement ou moralement par le stalinisme, les révolutionnaires qui se sont attelés au cours de ces 50 ans à la construction d’une direction révolutionnaire, dans l’Internationale Communiste d’abord, dans la Quatrième Internationale ensuite, n’ont pas pu mener leur tâche à bien.
Mais ils ont pu au moins transmettre l’acquis théorique du bolchévisme et du trotskysme.
Le stalinisme qui a représenté, pendant des années, le principal obstacle au travail des révolutionnaires est loin d’être mort. Mais il est incontestablement entré dans son déclin.
Notre génération se trouve placée dans des conditions infiniment plus favorables que ses devancières pour mener sa tâche à bien.
C’est à elle qu’il appartiendra de construire enfin l’Internationale nécessaire au triomphe de la révolution socialiste mondiale, si elle sait s’inspirer non seulement des idées, mais encore de l’exemple d’abnégation, de dévouement à la cause ouvrière, d’héroïsme dans les petites tâches quotidiennes comme dans les combats de la guerre civile, dans les jours sombres de la clandestinité, comme dans les jours brûlants de la révolution, que surent donner les militants du parti qui, il y a 50 ans, menait les travailleurs russes à la victoire.
Et en ce cinquantième anniversaire de la naissance du premier État ouvrier, crier « Vive la révolution socialiste d’Octobre » n’aurait aucun sens si nous n’ajoutions pas :
« Vive la lutte pour la reconstruction de la Quatrième Internationale ! »
« Vive la lutte pour la révolution mondiale ! »

dimanche 16 juin 2013

:: 1936, le sursaut du monde ouvrier

Sous la plume de beaucoup de commentateurs, l’année 1936 évoque des événements essentiellement français, et la conquête des premiers congés payés par la classe ouvrière. Ce n’est pourtant là qu’un aspect mineur d’une secousse sociale et politique qui concerna plusieurs pays, et dont l’issue n’a pas fini d’influencer l’histoire de l’humanité. La décennie s’était ouverte, avec quelques semaines d’avance, par le « jeudi noir » du 25 octobre 1929, qui avait vu l’écroulement de la Bourse de New York, premier signe de la grande crise économique qui devait mener à la Seconde Guerre mondiale. 

Partie des États-Unis, la crise frappa rapidement l’Europe, et en premier lieu l’économie allemande que les conséquences du traité de Versailles imposé par les vainqueurs de 1918 avaient fragilisée. Il s’en suivit la montée du nazisme, auquel la bourgeoisie allemande ouvrit les portes du pouvoir le 30 janvier 1933, pour briser la classe ouvrière et pour préparer une guerre destinée à remettre en cause le partage du monde, tel que les vainqueurs l’avaient remanié quinze ans plus tôt.

Un an plus tard, en février 1934, la classe ouvrière autrichienne fut brisée, ses organisations interdites, malgré une héroïque résistance armée des travailleurs. Cette arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, l’interdiction des deux plus grands partis ouvriers du monde capitaliste et de toutes les organisations syndicales, l’internement dans des camps de concentration...

La suite dans la brochure de Lutte Ouvrière ici.

Table des matières :
  • 1936, LE SURSAUT DU MONDE OUVRIER - p.3
  • AUTRICHE, FÉVRIER 1934 - p.9
  • EN URSS, LE PREMIER PROCÈS DE MOSCOU - p.12
  • EN FRANCE, LES GRÈVES DE MAI-JUIN - p.23
  • LES CONQUÊTES SOCIALES - p.51
  • LE FRONT POPULAIRE ET LES FEMMES - p.59
  • ESPAGNE, LA RÉVOLUTION ÉTOUFFÉE - p.65
  • DANS LES COLONIES - p.83
  • D’AUTRES LUTTES OUVRIÈRES EN EUROPE - p.103
  • LA LAME DE FOND DU MOUVEMENT OUVRIER AMÉRICAIN - p.113


mardi 11 juin 2013

:: Afrique du Sud - La fin de l'apartheid, ou la continuation de la politique anti-ouvrière sous une autre forme

Texte intégral de l'exposé n°118 du 29 janvier 2010

lundi 10 juin 2013

:: Les retraites : faire face aux attaques contre la classe ouvrière

Texte intégral de l'exposé n°92 du 31 janvier 2003

vendredi 7 juin 2013

:: La nécessité d’un parti pour la classe ouvrière

Les menaces qui pèsent sur la classe ouvrière pendant la période à venir sont à la fois matérielles et politiques. Les deux sont étroitement liées.
Le nouveau gouvernement continue rigoureusement la même politique que les précédents. [...]
La situation matérielle de fractions croissantes de la classe ouvrière est déjà dramatique. Mais cela continuera à s’aggraver s’il n’y a pas, rapidement, des mesures radicales. L’influence de l’extrême droite sur une partie des classes populaires est une conséquence de la misère croissante. Mais cette influence, déjà néfaste, pourrait devenir un facteur rendant les luttes de la classe ouvrière bien plus difficiles, aggravant la misère.
Tout se tient. Ceux qui font la réclame pour toutes sortes de potions magiques contre Le Pen en "oubliant" d’où sort son influence mentent comme ils ont menti lorsque, au gouvernement ou le soutenant, ils ont appuyé des politiques appauvrissant la classe ouvrière. Ils portent une responsabilité écrasante dans le fait que la classe ouvrière, trompée, trahie, dépourvue de perspectives n’était pas en situation de faire face aux dangers qui menacent.
La classe ouvrière réagira, tôt ou tard. L’incroyable cynisme du patronat qui continue à licencier, à sortir des plans sociaux même en cette période où ses affaires vont bien ; le culot de Gandois - un patron social, disait-on pourtant ! - et de ses semblables à réclamer plus, toujours plus du gouvernement, tout cela finira par faire exploser la colère.
Cette explosion de la colère ouvrière est indispensable. Sans elle, sans que le patronat ait vraiment peur, rien ne changera. 

Mais cela ne suffit pas. 

Il faut que la classe ouvrière réagisse sur le plan politique. Il lui faut un parti politique. Pas un parti électoral, mais un parti qui soit présent dans les luttes, qui les impulse, qui sache et veuille les organiser, les unifier, les rendre victorieuses, en faisant des grèves, des manifestations des travailleurs, consciemment, une arme politique.
Ce parti n’existe pas. Le PCF n’est plus réformable depuis longtemps, même si nombre de ses militants ouvriers trouveront leur place dans le futur parti représentant réellement les intérêts politiques de la classe ouvrière. Le Parti socialiste, n’en parlons même pas.
Quant aux groupes d’extrême gauche, ils sont trop faibles en nombre, en présence dans les entreprises ou dans les différentes régions pour pouvoir prétendre être le parti, sans même parler du fait que certains d’entre eux, à force de suivisme envers les modes politiques dominantes dans la petite bourgeoisie, ont oublié ce qu’est le communisme révolutionnaire et ce qu’est un parti pour la classe ouvrière.
[...]
Un parti politique pour la classe ouvrière n’est pas seulement une nécessité historique - elle l’est depuis des décennies ! - mais une nécessité à court terme pour faire face aux menaces qui pèsent sur les travailleurs.

[LO, Lutte de Classe, Série actuelle (1993 - ) n°14 (Été 1995)]