mercredi 25 janvier 2012

:: Le congrès des peuples d'Orient à Bakou - Les peuples opprimés appelés en renfort de la révolution prolétarienne (1920)


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Le 1er septembre 1920, plus de deux mille militants venus de toute l'Asie centrale, de la Russie soviétique et des principaux pays impérialistes se retrouvaient à Bakou, capitale de la toute jeune république socialiste d'Azerbaïdjan. Ce congrès des peuples d'Orient proclamait que l'alliance du prolétariat des pays industrialisés et des peuples colonisés ou opprimés par l'impérialisme pouvait en finir avec l'ordre capitaliste et construire un monde vivable pour les opprimés.

Il le faisait à Bakou, la ville du pétrole russe, aux bords de la mer Caspienne, où les travailleurs de cette industrie, originaires de toutes les nationalités d'Asie centrale, s'étaient fondus en une classe ouvrière révolutionnaire, aux avant-postes du mouvement depuis le début du siècle. Pour l'Internationale Communiste, regroupant depuis 1919 les ouvriers révolutionnaires des pays développés et qui avait convoqué ce congrès des peuples d'Orient, il s'agissait de proposer une perspective et une politique au milliard et demi d'opprimés de ce qu'on n'appelait pas encore le Tiers Monde
TEMPETE SUR L'ASIE
Si la Révolution russe de 1917, explosant après trois ans de guerre mondiale, avait marqué le début d'un processus révolutionnaire dans les pays industrialisés, elle avait aussi puissamment accéléré l'agitation sociale et les crises révolutionnaires dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Au moment même où les ouvriers luttaient pour le pouvoir en Allemagne, en Hongrie, en Finlande, en Italie, la domination impérialiste était contestée en Turquie, en Chine, en Perse, en Inde, etc. De plus, la Révolution russe ne symbolisait pas seulement la victoire possible du prolétariat et la construction d'un État ouvrier, mais aussi l'alliance entre le prolétariat et une paysannerie pauvre, immense, opprimée et humiliée, qui ressemblait par bien des traits à celle des pays d'Asie. En outre, une des premières mesures du jeune État ouvrier avait été de mettre fin à l'oppression nationale exercée depuis des siècles par l'État russe sur les peuples de son Empire. Si la Russie des tsars avait été surnommée « la prison des peuples », la Russie soviétique avait brisé ces barreaux et détruit ces murailles. De là étaient nées la Finlande et la Pologne, qui s'étaient éloignées de la Russie soviétique, et les républiques d'Ukraine, d'Azerbaïdjan et d'autres, qui allaient constituer avec elle l'Union soviétique. L'Internationale Communiste pouvait donc s'adresser aux masses opprimées d'Asie en s'appuyant sur le bilan de la Révolution russe qui avait donné la terre aux paysans et la liberté aux peuples opprimés. Et en effet, l'écho d'Octobre 1917 avait puissamment résonné en Asie et les délégués qui avaient parcouru des milliers de kilomètres pour se rendre à Bakou n'avaient pas grand-chose à voir avec les politiciens socialistes d'Europe de l'Ouest ni même avec les bolcheviks russes. Ces derniers furent en effet assez surpris de voir qu'un certain nombre de délégués avaient profité du voyage pour faire des affaires commerciales et que d'autres, ou les mêmes, interrompaient les travaux du congrès à l'heure de la prière. La flamme de la révolution attirait à cette époque les papillons les plus bigarrés.
DE LA REVOLUTION RUSSE A LA REVOLUTION MONDIALE
En 1919, le Manifeste du premier congrès de l'Internationale Communiste affirmait : « Esclaves coloniaux d'Afrique et d'Asie, l'heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l'heure de votre délivrance. » Comme Lénine l'expliquait cette même année, la capacité de résistance des bourgeoisies était, entre autres, fondée sur l'exploitation éhontée des peuples coloniaux, laquelle leur permettait à la fois d'entasser d'immenses richesses et d'en distraire une partie pour servir d'amortisseur social dans les métropoles impérialistes. Aussi la révolution sociale devait-elle attaquer de l'intérieur, par des révolutions ouvrières, et de l'extérieur, par des luttes d'émancipation dans les colonies et semi-colonies, pour vaincre les puissantes bourgeoisies d'Angleterre, de France, des États-Unis.
L'alliance avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies correspondait à une nécessité vitale pour l'État ouvrier russe. Ce dernier était alors menacé militairement par les armées impérialistes. Des mouvements dans les colonies auraient immédiatement desserré l'étau entourant la forteresse révolutionnaire.
C'est Lénine lui-même qui rédigea et défendit les thèses sur la question nationale et coloniale au deuxième congrès de l'Internationale Communiste, en août 1920. Et ce sont quelques-uns des dirigeants de ce congrès qui, à son issue, se rendirent à Bakou pour y rencontrer les délégués des peuples d'Orient. Cette confiance dans les capacités révolutionnaires des peuples les plus opprimés, véritables damnés de la terre, rompait avec les traditions du mouvement ouvrier d'avant-guerre. Car si Marx et Engels avait affirmé en leur temps qu'un « peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre » et soutenu les révolutionnaires irlandais et les révoltés indiens contre la Grande-Bretagne, leurs successeurs sociaux-démocrates avaient la plupart du temps fermé les yeux sur la politique coloniale. Et il ne fut pas facile de les faire ouvrir à certains. En 1921, Trotsky écrivait : « Il nous faut profiter de toutes les occasions pour inculquer aux ouvriers l'idée que les colonies ont le droit de se soulever contre la métropole et de s'en séparer. Nous sommes tenus, en toute occasion, de souligner que le devoir de la classe ouvrière est de soutenir les colonies qui s'insurgent contre la métropole. Non seulement en Angleterre, mais en France, la révolution sociale comporte, en même temps que l'insurrection du prolétariat, l'insurrection des peuples coloniaux contre la métropole. »
UNE POLITIQUE COMMUNISTE
Les résolutions du deuxième congrès de l'Internationale définissaient les tâches des communistes dans les pays d'Orient et soulignait la nécessité « que les éléments des plus purs partis communistes soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c'est-à-dire leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique ». Le congrès de Bakou, en même temps qu'il s'adressait aux peuples d'Orient dans leur ensemble, tentait de jeter les bases d'un mouvement communiste dans chacune des régions concernées.
L'explosion révolutionnaire sortie de la guerre mondiale a commencé à refluer dans les années suivantes et ce reflux a emporté avec lui jusqu'au souvenir du congrès du Bakou et d'une politique révolutionnaire à l'échelle de la planète. Mais, malgré tout, l'alliance de fait de l'État ouvrier, du prolétariat des pays industrialisés et des peuples opprimés a prouvé sa validité. En effet en ce début des années 1920 l'impérialisme, incapable de combattre sur tous les fronts, avait été obligé de laisser vivre l'État ouvrier russe... même si l'isolement de ce dernier allait permettre en quelques années à un appareil bureaucratique d'usurper le pouvoir.
Paul GALOIS (LO, 1er septembre 2010)