mardi 14 août 2012

:: Le défi que nous avons à relever

Le défi que nous, révolutionnaires internationalistes actuels, avons à relever : enflammer pour nos idées internationalistes toute cette génération combattante, qui malgré l’épreuve de l’histoire et des révolutions nationales fourvoyées, a acquis artificiellement une nouvelle tradition selon laquelle le nationalisme serait progressif.
Du temps des IIe et IIIe Internationales, l’internationalisme, comme la conscience de classe, c’étaient les organisations ouvrières qui le véhiculaient. Aujourd’hui, ce sont les conditions techniques et économiques de l’impérialisme qui rendent la nécessité du combat internationaliste plus évidente que jamais. Mais plus que jamais aussi, il est rejeté par les appareils militaires ou bureaucratiques qui encadrent les masses ou se précipitent à leur tête.
En fait, le problème n’est pas tout-à-fait nouveau. Lénine aussi, en son temps, bien avant 1917, avant 1905, dut combattre la politique de ces « libéraux armés de bombes » , comme il disait, de ces militants étrangers au prolétariat même si pour se mettre au goût de l’époque ils s’intitulaient socialistes-révolutionnaires, et qui voulaient faire le bonheur du peuple malgré lui.
Aujourd’hui, là précisément où la révolution est à l’ordre du jour dans bien des pays du monde, nous avons à combattre la politique des mêmes libéraux bourgeois, non seulement armés de bombes, mais disposant désormais de petits appareils militaires et bureaucratiques, et surtout, surtout, y compris quand ils ne disposent pas encore de tels appareils, d’un savoir-faire dans l’art d’encadrer les masses et l’art d’en prendre la direction sans craindre qu’elles les débordent.
Notre tâche, c’est d’acquérir le savoir-faire inverse. « L’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes ». C’est cette conviction profonde qui doit guider nos interventions politiques et militantes. Partout où nous sommes. En quelques circonstances que ce soit, y compris au cours des luttes les plus modestes, ici même.
L’une de nos tâches, c’est de permettre aux masses dès lors qu’elles se mettent en mouvement, et elles se mettent en mouvement dans bien des pays, et elles se mettront en mouvement ici aussi, d’apprendre à déborder leurs appareils réformistes ou nationalistes, ou tout simplement les hommes qui se sont empressés de se mettre à leur tête.
Car ces gens-là, immanquablement, inévitablement, leur disent à un moment ou à un autre au nom d’un prétendu intérêt supérieur, celui de la nation, de l’économie de la nation, de la religion de la nation, qu’elles doivent rentrer dans le rang, dans le rang de l’ordre bourgeois.
La tâche paraît grande, en regard des faibles forces des trotskystes et parmi eux, de ceux qui ont conscience de cette tâche. Mais sa réalisation est peut-être plus proche que jamais. Car les circonstances objectives ne nous sont pas défavorables, bien au contraire. Elles sont au moins aussi favorables qu’elles l’étaient pour Lénine en 1902.
Et puis, il y a des circonstances où le problème n’est pas d’être nombreux, mais d’être là, seulement lié à sa classe, et de savoir ce qu’on veut.
Prenez les grèves polonaises du mois d’août.
Walesa avait jusque-là toute la confiance de la classe ouvrière en lutte contre le régime de Jaruzelski. Et puis on a vu comment Walesa, qui n’a pas trop perdu de temps pour assimiler les leçons des bureaucraties ouvrières occidentales a pris sa lance à incendies et est allé faire le tour des chantiers, des mines et des usines en grève pour faire reprendre le travail.
Il restait au moins 20 000 grévistes dans le pays, dont Walesa avait dit lui-même qu’ils étaient très déterminés, des jeunes de 20 ans dont Walesa disait quelques jours auparavant qu’ils étaient bien plus combatifs que ceux de 1980. Il n’empêche. Walesa a finalement réussi à faire reprendre le travail, sans rien en échange, comme tout le monde l’a vu.
Mais si les grévistes ont quand même repris le travail, ce n’est pas parce qu’ils faisaient encore confiance à Walesa. Non. Partout où Walesa est passé, au mieux, c’est un silence glacial qui l’a accueilli. Et plus souvent, c’étaient les protestations, les injures, les silences hostiles ou la colère rentrée, et les cris de « trahison ».
Mais voilà, et c’est souvent comme ça que les choses se passent : même avec des larmes de rage, les ouvriers polonais ont quand même arrêté leur grève. Car si leur leader le plus populaire les trahissait, ils n’avaient pas d’autres dirigeants, plus proches d’eux, qu’ils contrôlaient mieux, prêts à se saisir de la direction de la continuation de la grève.
A Gdansk, il y avait sans doute des centaines de jeunes grévistes prêts à tout. Mais il n’y avait pas, sinon on l’aurait vu, cette dizaine de jeunes ouvriers, soudés, organisés entre eux, avertis des retournements possibles d’un Walesa, liés par les mêmes idées prolétariennes fièrement proclamées, connus de leurs camarades de travail pour ces idées, mais aussi pour les critiques qu’ils avaient à faire à la direction de Solidarité.
Bref, cette dizaine de gars-là n’était pas là au moment où Walesa se retournait contre la base ; ils n’étaient pas là pour s’avancer et se porter eux-mêmes candidats à la direction de la grève et pour dire : « Nous proposons un nouveau comité de grève pour la continuation de la grève, et nous appelons tous les camarades des autres usines à nous envoyer, comme en 1980, leurs représentants au nouveau comité de grève ».
Ils n’étaient pas là, car en Pologne, il n’y a pas d’organisation révolutionnaire prolétarienne, même minoritaire, pour instruire l’avant-garde la plus combative et la plus consciente de telles tâches. Alors, les grévistes polonais ont repris le travail, parce qu’ils n’ontt pas trouvé en leur sein une nouvelle direction de rechange. Mais peut-être que si ces hommes-là s’étaient proposés, tout le poids de la direction de Solidarité sur ses cinq millions de membres aurait volé en éclats en quelques jours...
Car c’est toujours la même histoire. C’est quand les travailleurs sont forts, comme les ouvriers polonais l’étaient encore en août, qu’ils sont en grand danger d’être trahis.
Mais c’est aussi alors la chance des révolutionnaires, même minoritaires jusque-là, mais sachant tirer partie de cette force des travailleurs quand ils sont mobilisés et déterminés, de savoir préserver bec et ongles cette force des travailleurs, en leur donnant des objectifs qui leur permettent de vaincre, et en leur désignant tous ceux qui veulent briser cette force. C’est un peu cela aussi l’art de la prise du pouvoir à la tête des masses, avec les masses.
Notre tâche peut nous paraître parfois démesurée en regard de la force des appareils réformistes comme du crédit de leurs dirigeants. Mais il arrive toujours un moment, une situation critique où l’objectif passe à portée de la main, parce que la force des travailleurs qui entrent en lutte dépasse celle des appareils. Et ceux qui militent au sein de la classe ouvrière et ne savent pas se saisir de telles situations, n’ont pas encore vraiment appris le métier de révolutionnaire.
Tout cela, bien sûr, s’est passé en Pologne. Mais ce qui s’est passé en Pologne est ce qui peut se passer ici, en France, demain.
Ici aussi des grèves qui se généralisent sur les salaires, comme en Pologne, peuvent survenir et faire peur à l’ensemble du patronat et de son personnel politique. Ici aussi, il y aura alors un Krasucki, un Maire, un Bergeron, ou leurs successeurs, pour dire comme Walesa que réflexion faite, la grève n’est pas vraiment la bonne chose à faire. Ici aussi il y aura des cartes syndicales qui voleront et des cris de trahison. Mais ça ne suffira pas.
Contrairement à ce qui s’est passé en Pologne, il faudra que les révolutionnaires aient eux aussi la volonté de diriger, l’audace d’y aller, de foncer, de prendre leurs responsabilités devant leurs camarades de travail. Car c’est dans ces circonstances-là, justement, que loin d’être un obstacle, nos idées nous permettent d’aller jusqu’au bout de la situation.
Oui, c’est possible, si nous avons suffisamment confiance en nos propres idées, pour être convaincus comme Marx nous l’a appris, que les idées deviennent des forces quand elles s’emparent des masses. Mais pour qu’une telle réaction en chaîne se produise encore faut-il que ceux qui détiennent ces idées n’y renoncent à aucun prix.
Première chose, donc, tenir à nos propres idées, plus qu’à tout :
- Seul le prolétariat peut être l’artisan de la révolution socialiste communiste.
- La classe ouvrière, la classe des prolétaires, celle de ceux qui n’ont rien à perdre, qui n’ont ni patrie, ni propriété à défendre, est la seule classe révolutionnaire jusqu’au bout.
- Le prolétariat devra certes s’allier à d’autres classes sociales pour remporter la victoire, mais il ne devra pas être à leur remorque, même quand il participera à des combats communs.
- La révolution socialiste peut éclater dans un seul pays. Mais aucun pays ne peut vivre par lui-même. Car le rôle historique de la bourgeoisie, son seul rôle progressif en fait, c’est, on le voit encore aujourd’hui, d’avoir créé une économie qui fait éclater les frontières.
Et le socialisme qui veut survivre à l’intérieur de certaines frontières, que ce soit celles de l’URSS immense, du continent chinois, ou de la minuscule Cuba, ne peut être qu’un socialisme de la misère et au bout du compte une utopie réactionnaire.
- Cela fait près d’un siècle que le capitalisme arrivé à son stade impérialiste se survit en passant d’une crise à l’autre, d’une guerre mondiale à l’autre, sans résoudre aucune de ses contradictions.
Cela fait depuis le début du siècle que la crise du capitalisme est plus ou moins permanente et le monde plus ou moins vivable. Car s’il vaut sans doute mieux vivre aujourd’hui à Berlin qu’à Mexico, entre 1944 et 1945, quand l’aviation alliée bombardait les villes allemandes, il valait sans doute mieux vivre à Mexico qu’à Berlin. Aucun endroit du monde n’est épargné. Même pas ces Iles Malouines, au bout du monde, on l’a vu il n’y a pas si longtemps.
Il n’y a pas d’évasion possible.
- Toutes les revendications prolétariennes restent à l’ordre du jour. Seul le prolétariat mondial sera en mesure de faire sauter les chaînes des frontières nationales.
- Seule une économie planifiée à l’échelle mondiale sur la base de la technologie la plus avancée, permettra à l’Humanité de franchir un nouveau pas dans la maîtrise de son histoire et de son évolution. Cela signifiera une production non pas pour le profit, mais une production pour les besoins dans la limite de ces besoins, en trouvant un équilibre entre les besoins matériels et l’exploitation des ressources naturelles de la planète, tout en permettant enfin l’essor illimité des besoins intellectuels et artistiques de l’ensemble de l’Humanité.
La société impérialiste, elle, n’est capable que de créer une abondance à caractère pathologique à un bout, la misère et le dénuement concentrationnaire à l’autre. On ne peut pas imaginer que l’Humanité puisse continuer à vivre ainsi : avec la famine au Soudan et la jachère en Europe ; avec une saison de sécheresse aux États-Unis qui a fait la fortune de quelques exportateurs de blé en Argentine, alors même qu’en Argentine la misère s’installe brutalement avec la nouvelle dévaluation de la monnaie qui suit plusieurs années d’inflation galopante.
Toutes ces inégalités, ces injustices : les restaurants du coeur et la charité pour la recherche médicale, mais les impôts pour fournir des armes lourdes aux dictateurs qui envoient leurs peuples s’entretuer, sans parler de ces frontières nationales qui dans certains endroits font revenir les peuples au Moyen Age, tout cela ne durera pas. Cela ne peut pas durer.
Et c’est là où le rôle des individus, de quelques dizaines de milliers d’individus à l’échelle de la planète, peut être déterminant. Car justement, un parti révolutionnaire ne peut pas être un parti de masse. Il ne peut l’être seulement qu’au travers de la révolution. Et en dehors de telles crises révolutionnaires, le rôle des individus, des militants, du volontarisme, est un rôle important, déterminant. Les classes dominantes l’ont su elles qui ont toujours tenté de se protéger de ces minorités révolutionnaires dans les périodes critiques.
Un parti révolutionnaires, une Internationale, c’est cela, une organisation de quelques dizaines de milliers d’individus : pas n’importe qui, des gens qui se sont donné un but véritable dans la vie, en un mot, une organisation qui est capable, quand elle devient une organisation de masse, de vaincre là où d’autres ont dégénéré.
Voilà notre ambition.
Vive l’Internationale du prolétariat !
Vive la IVe Internationale !