jeudi 13 septembre 2012

:: Existe t-il d’autres voies vers le socialisme que la révolution prolétarienne internationale ?

[Voix Ouvrière,  1er octobre 1967]

La crise de la direction révolutionnaire, qui éclata au grand jour en 1914, se pose aujourd’hui d’une manière plus aiguë que jamais. De l’incapacité où se sont trouvés placés les militants révolutionnaires de résoudre cette crise depuis un demi-siècle, certains se sont empressés de déduire que cet échec ne faisait que traduire en termes organisationnels la disparition de la conscience de classe du prolétariat, qui rendrait désormais impossible toute révolution socialiste.
Il est certain que dans les pays capitalistes avancés, l’impérialisme a corrompu, en lui abandonnant les miettes des surprofits réalisés dans l’exploitation des pays dits sous-développés, toute une aristocratie ouvrière, et l’on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas toute la classe ouvrière qui a été ainsi corrompue...
Du fait que dans un pays comme la France nombre de travailleurs possèdent la télévision, un réfrigérateur et une voiture, nombre d’éminents sociologues ont déduit que la classe ouvrière, au sens que cette expression pouvait avoir il y a 50 ans, n’existait plus.
Mais c’est oublier que si aucun nouvel état ouvrier est né depuis 1917, les luttes ouvrières n’ont nullement été absentes de la scène de l’histoire.
Faut-il rappeler, entre bien autre chose, la grève anglaise de mai 1926, la riposte de la classe ouvrière française à la manifestation fasciste du 6 février 1934, la lutte héroïque, en octobre de la même année des travailleurs des Asturies, le mouvement de juin 1936 en France, la résistance, le combat acharné et désespéré mené par le prolétariat espagnol de 1936 à 1939, malgré la trahison de ses directions. Et plus près de nous, les vagues de grèves qui marquèrent les années 47-48, 1953, 1955 en France, sans oublier l’insurrection de 1956 du prolétariat hongrois, qui 40 ans après Octobre retrouvait spontanément la forme d’organisation des conseils ouvriers.
Bien sûr, on pourra toujours dire que ces luttes ouvrières marquaient la fin d’une époque, étaient des combats d’arrière-garde, et que la conscience de classe du prolétariat a disparu.
C’est un fait que la conscience de classe, au sens de conscience socialiste, celle qui s’incarnait dans le parti ouvrier a disparu depuis plusieurs décennies, et on peut effectivement se demander si cela n’est pas lié à une évolution interne de la classe ouvrière elle-même.
Mais il faut tout d’abord noter que si le réformisme social-démocrate, apparu à l’apogée du capitalisme, fut un réformisme avoué, ce qui lui permettait l’existence d’une base sociale propre, l’aristocratie ouvrière corrompue par l’impérialisme, le mouvement stalinien, n’a jamais pu se permettre de renoncer complètement, devant les travailleurs, à une certaine phraséologie révolutionnaire.
Cela prouve que les bases sociales du réformisme, loin de se développer au fur et à mesure que le temps passe, se rétrécissent au contraire. Et ce ne sont pas les actuelles difficultés du gouvernement Wilson qui prouveront le contraire.
Et ce qui est plus significatif encore que le catalogue des luttes ouvrières depuis un demi-siècle, bien que moins spectaculaire, c’est, dans un pays comme la France, la tactique employée par les staliniens dans les mouvements revendicatifs, la manière dont ils s’imposent au mouvement ouvrier.
La volonté manifeste de la direction stalinienne de morceler les luttes revendicatives au maximum, de trouver des formes d’action, telles que les grèves tournantes, qui la mette autant que faire se peut à l’abri de toute possibilité de débordement, prouve qu’elle est sans cesse obligée de se méfier des réactions de la classe ouvrière, et de sa propre base.
C’est que spontanément, même privée de direction révolutionnaire, la classe ouvrière est capable de poser dans les faits la question du pouvoir, même si elle ne peut la résoudre. C’est ce qu’elle a fait en juin 1936, et la politique de l’appareil stalinien prouve clairement que pour lui, c’est un danger qui existe toujours.
Et les méthodes de gangstérisme employées pour maintenir sa domination sur le mouvement ouvrier, la lutte physique menée contre toute manifestation des idées révolutionnaires, montre également que la direction stalinienne est bien plus convaincue que certains soi-disant révolutionnaires, de l’écho que ces idées pourraient rencontrer dans la classe ouvrière.
Certes, le poids à soulever pour vaincre le stalinisme est lourd, mais il n’est si lourd que parce qu’il est destiné à neutraliser la pression révolutionnaire potentielle de la classe ouvrière.


Certains affirment que la révolution prolétarienne n’est plus, à cause des changements intervenus dans le monde depuis 50 ans, et de l’existence de l’URSS, le seul chemin menant au socialisme.
C’est ainsi que les staliniens justifient la théorie de la coexistence pacifique, et celle des voies pacifiques vers le socialisme.
La force du « camp socialiste » est aujourd’hui telle, expliquent-ils, que d’une part la guerre est désormais évitable, parce que l’impérialisme ne peut pas prendre le risque de sa propre destruction, et que d’autre part, après avoir été rattrapé et dépassé sur le plan économique, il capitulera sans aucun doute sans combat devant les « forces progressistes ».
Discuter la possibilité d’une coexistence pacifique illimitée entre l’URSS et l’impérialisme, n’est pas exactement, ici, notre propos, et il nous paraît vain d’opposer des arguments à des illusions capables de résister aux centaines de bombes que l’aviation américaine déverse chaque jour sur le Vietnam. Mais est-il possible que la bourgeoisie puisse un jour abandonner le pouvoir sans combattre ?
Une telle hypothèse ne serait pas impossible si la révolution socialiste avait déjà triomphé dans la plupart des pays industrialisés. Mais tant que l’impérialisme n’a pas été vaincu là où est sa force, dans les grandes métropoles de l’Europe occidentale et en Amérique du Nord, il est fou de rêver qu’il puisse quitter sans luttes la scène de l’histoire.
Et quand bien même cela serait possible, sans être certain, baser toute sa politique sur cette possibilité, confier le sort du prolétariat et du socialisme au hasard, serait une trahison. S’il y avait 99 chances sur 100 pour que la bourgeoisie accepte philosophiquement son sort, il faudrait tout de même armer physiquement, et surtout moralement le prolétariat pour la 100ème éventualité.
Mais il y a aussi des militants qui ne croient pas à la coexistence pacifique, ni aux possibilités de passage pacifique au socialisme, et qui s’appuient néanmoins sur les transformations que le monde a connues depuis 50 ans pour renoncer, plus ou moins explicitement, à la construction de partis ouvriers révolutionnaires de type bolchévik.
Et malheureusement, il y a parmi eux, nombre de militants se réclamant du trotskysme, et pas seulement les pablistes avoués.
Un tel renoncement découlait naturellement de l’analyse que ces camarades faisaient, et font encore, des démocraties populaires, et de certaines révolutions coloniales.
Pourquoi on effet s’obstiner à essayer de construire un parti ouvrier révolutionnaire, si un parti stalinien peut, ne serait-ce que dans certaines conditions, remplir, même d’une façon déformée, le même rôle ?
Pourquoi le faire dans les pays sous-développés si une direction nationaliste petite-bourgeoise peut, sous la contrainte des événements, créer un État ouvrier, même déformé ?
Il faudrait, pour s’obstiner dans la tâche difficile de construction du parti révolutionnaire, si l’on fait siennes de telles idées, être un maniaque de la perfection qui ne tolère pas la moindre petite « déformation » à un État ouvrier, ou être inconséquent.
Tout porte à croire que ces camarades sont plutôt inconséquents ! D’une analyse qui leur est fondamentalement commune, les uns ont déduit la nécessité d’un entrisme sui generis au sein du mouvement stalinien, ou lorsqu’il n’existait pas du mouvement social-démocrate, les autres ont crié à la trahison devant une telle perspective, mais n’ont pas hésité à s’accrocher aux basques de certaines organisations nationalistes petite-bourgeoises.
De quatorze ans d’échec dans la tâche de construction de partis ouvriers révolutionnaires, le pablisme tirait la conclusion qu’il fallait trouver de nouvelles voies. Mais on attend impatiemment de voir les fruits de quatorze ans d’entrisme « sui generis ».
Quant à la politique de la section française du Comité International, vis-à-vis du MNA de Messali Hadj, il n’y a pas eu besoin d’attendre si longtemps pour la voir jugée par les faits.
Il ne faut pas se faire d’illusions. Nul part l’histoire ne dispensera les révolutionnaires de la première de leurs tâches, construire une direction révolutionnaire, ce qui signifie à la fois reconstruire une Internationale révolutionnaire, et construire dans chaque pays un parti révolutionnaire.

Camarades, il y a 50 ans, la révolution socialiste mondiale remportait sa première victoire. Mais malgré des luttes grandioses et héroïques du prolétariat dans le demi-siècle qui suivit, luttes vouées à l’échec par suite de l’absence d’une véritable direction révolutionnaire, cette première victoire resta isolée.
Pourtant, l’évolution du monde impérialiste montre que le socialisme est, plus que jamais, la seule voie de salut pour l’humanité.
50 ans, c’est à la fois beaucoup et peu. C’est beaucoup dans la vie d’un homme, mais c’est bien peu au regard de l’histoire.
Brisés physiquement ou moralement par le stalinisme, les révolutionnaires qui se sont attelés au cours de ces 50 ans à la construction d’une direction révolutionnaire, dans l’Internationale Communiste d’abord, dans la Quatrième Internationale ensuite, n’ont pas pu mener leur tâche à bien.
Mais ils ont pu au moins transmettre l’acquis théorique du bolchévisme et du trotskysme.
Le stalinisme qui a représenté, pendant des années, le principal obstacle au travail des révolutionnaires est loin d’être mort. Mais il est incontestablement entré dans son déclin.
Notre génération se trouve placée dans des conditions infiniment plus favorables que ses devancières pour mener sa tâche à bien.
C’est à elle qu’il appartiendra de construire enfin l’Internationale nécessaire au triomphe de la révolution socialiste mondiale, si elle sait s’inspirer non seulement des idées, mais encore de l’exemple d’abnégation, de dévouement à la cause ouvrière, d’héroïsme dans les petites tâches quotidiennes comme dans les combats de la guerre civile, dans les jours sombres de la clandestinité, comme dans les jours brûlants de la révolution, que surent donner les militants du parti qui, il y a 50 ans, menait les travailleurs russes à la victoire.
Et en ce cinquantième anniversaire de la naissance du premier État ouvrier, crier « Vive la révolution socialiste d’Octobre » n’aurait aucun sens si nous n’ajoutions pas :
« Vive la lutte pour la reconstruction de la Quatrième Internationale ! »
« Vive la lutte pour la révolution mondiale ! »

:: Un jour dans la vie d’Armonie, militante communiste révolutionnaire

Ce n'est pas tous les jours qu'un grand média s'intéresse à une militante communiste révolutionnaire... alors ne boudons pas notre plaisir ! ;-)

"Un jour dans la vie d’Armonie", militante de #LutteOuvriere, un reportage de Sarah Lefèvre pour Là-Bas si j'y suis (de Daniel Mermet, #f_inter), diffusé le 28 août 2012.