vendredi 15 juin 2012

:: D’où vient le Parti Communiste Français ? #3 (1939-1953)













Le Pacte germano-soviétique fut un rude coup pour le Parti Communiste Français. L’opposition totale et manifeste entre la politique de la bureaucratie soviétique et celle de la bourgeoisie française ne laissait pas de place aux louvoiements, aux tergiversations. Il fallait choisir. Après de violents déchirements, le Parti a choisi de défendre la politique de la bureaucratie. Mais il a payé cher ce choix. Son assise sociale, acquise sur la base de cinq années de politique nationaliste, réformiste, s’effondrait. Interdit, pourchassé, il perdit ses municipalités, ses députés et ses élus de toutes sortes, le contrôle d’une grande partie des syndicats, enfin tout ce qui lui donnait une fonction, un rôle social au sein de la société capitaliste. Habitué, cinq années durant, à naviguer le vent en poupe, soutenu par une opinion publique favorable à son « défensisme », à sa sagesse de parti national de fraîche date, il se brisait après 1939 contre cette même vague chauvine qui l’avait porté auparavant.
Tout comme au début des années 30, le PC est à nouveau réduit à quelque chose près, à l’appareil. Cependant, la férocité même de la répression gouvernementale va contrebalancer dans une certaine mesure, tout au moins au niveau de l’appareil, les conséquences disloquantes du tournant de 1939. Restructurer, consolider l’appareil, l’adapter aux conditions de clandestinité est une question de vie ou de mort. La répression ne laisse pas au Parti le temps de cuver sa crise, ni aux militants la possibilité de peser leur choix. Et c’est finalement sous Daladier et bien avant l’invasion allemande que le PC se rode à la lutte clandestine et refait l’expérience des prisons et des camps.
En considérant superficiellement les choses, et surtout après cinq ans de politique platement chauvine, cette période de deux ans qui va jusqu’à l’invasion de l’URSS par Hitler, pourrait apparaître comme un retour à l’internationalisme prolétarien de la part du Parti. En fait, ces cinq ans ne sont pas passés sans traces, et le PC était déjà organiquement incapable de mener une politique prolétarienne dans quelque domaine que ce soit. S’il renvoyait dos à dos les deux camps impérialistes, c’était au nom de l’intérêt national bien compris. Comme le proclamait l’Humanité clandestine : « Ni soldats de l’Angleterre avec de Gaulle ! Ni soldats de l’Allemagne avec Pétain ! Vive l’Union de la nation française. » Le combat pour « l’indépendance de la France » reste le leitmotiv de la propagande stalinienne, seulement le nom de Churchill s’ajoute et parfois supplante celui de Hitler comme ennemi principal de cette indépendance.
Cependant, le nationalisme n’est pas quelque chose d’abstrait. Il doit se concrétiser par la soumission à la politique de la bourgeoisie nationale. La bourgeoisie française et son « opinion publique » n’avaient que faire du nationalisme abstrait du PC qui, malgré ce nationalisme, restait en porte-à-faux jusqu’au 22 juin 1941.
L’invasion de l’URSS par l’armée allemande sera considérée par le Parti comme une véritable délivrance. Après deux ans d’interruption, la fidélité à la bureaucratie soviétique et la conformité aux intérêts nationaux : (c’est-à-dire ceux de la bourgeoisie nationale) agissent à nouveau dans le même sens.
Le Parti suivra avec d’autant plus d’enthousiasme l’ordre du Kremlin de se jeter avec toutes ses forces dans le combat contre l’Allemagne, que ce combat lui permettra de retrouver sa place dans « l’unité nationale », tout au moins dans celle qui s’est formée autour de de Gaulle. Le PC redevient ce qu’il s’est fait une vocation d’être : le parti des patriotes.
Dès lors, il n’est plus question de renvoyer dos à dos les impérialismes anglo-saxon et allemand. L’adhésion sans réserve de l’URSS au bloc des pays « démocratiques » en opposition au bloc fasciste, impose au Parti une politique unitaire vis-à-vis de tout ce qui n’est pas pro-allemand. Le PC se distingue dorénavant des autres organisations anti-allemandes que par une combativité plus grande et par un chauvinisme plus répugnant.
Quoique toujours en clandestinité et en butte à une répression encore plus grande, le Parti retrouve une audience : à la base d’abord, non seulement il apparaît à nouveau comme un parti national, mais comme le parti national le plus, sinon le seul, organisé, entrainé, rodé au combat. Il va contrôler la quasi-totalité des organisations de résistance intérieure ; il attire et organise tous ceux qui désirent combattre l’occupation. Au sommet ensuite, le Parti fait le voe d’allégeance aux représentants de l’impérialisme français auprès des alliées, à de Gaulle en particulier.
Le 4 avril 1944, pour la première fois dans son histoire, deux représentants du PC, Grenier et Billoux, entrent dans un gouvernement bourgeois, ou ce qui en tient lieu : le Comité français de Libération Nationale de de Gaulle. C’est la reconnaissance et la consécration de son rôle par les représentants politiques pro-alliés de la bourgeoisie française.
Mêlant la faucille et le marteau à la croix lorraine, le Parti s’efforce de s’identifier avec la Résistance et y parvient, sous la houlette de de Gaulle il est vrai. Il va sacrifier des milliers de militants à l’autel de l’entente avec la bourgeoisie. Mais il aura acquis d’apparaître dans la France libérée main dans la main avec les autres formations, et même en parti au pouvoir.
Il est impossible de comprendre l’évolution actuelle du Parti Communiste Français sans pénétrer la signification et les conséquences de sa politique pendant cette période qu’il a acquis l’implantation qui est aujourd’hui encore, la sienne, et qui, en dernier ressort, détermine sa nature.
De l’entrée en guerre de l’URSS jusqu’au début de la guerre froide, pendant près de six ans, les intérêts de la bureaucratie soviétique coïncident avec ceux des impérialistes alliées en général et de la bourgeoisie française en particulier : vaincre l’Allemagne d’abord, puis assurer que la transition de la guerre à la paix se fasse sans heur et sans mal, autrement dit sans menace de révolution prolétarienne.
La politique d’union sacrée sans pudeur, plus totale et plus ouverte que celle jamais réalisée par un parti social-démocrate en 1914 poursuivie par le PCF comme par les autres partis staliniens n’était somme toute, que le pendant local de la Sainte-Alliance entre la bureaucratie et l’impérialisme symbolisée par Yalta. En ce sens, le chauvinisme puis la politique franchement contre-révolutionnaire du Parti n’était que le reflet des intérêts de la bureaucratie russe. Il n’en reste pas moins qu’en « faisant retrousser les manches », en aidant le redémarrage de la production capitaliste, en aidant la reconstitution de l’appareil d’État, on contrôlant et brisant toute initiative ouvrière, le PCF remplissait une fonction sociale propre (nationale) : la même que celle qui fut dévolue au lendemain de la première guerre à l’appareil social-démocrate. L’assise sociale qu’il a acquise ce faisant était de la même nature que celle de la social-démocratie. Le PCF l’a acquise d’ailleurs, sinon au détriment des socialistes - puisque ceux-ci connurent aussi un relatif développement - du moins en concurrence avec eux.
Le développement du parti, l’accroissement de son implantation furent vertigineux. Ses effectifs passèrent de 333 000 en 1937 à 545 000 fin 1945 et à 804 000 en 1946. Son électorat, de l’ordre de 1 500 000 électeurs (15 % des suffrages) en 1937 passe à 5 400 000 (28 % des suffrages) en 1946. Cette influence accrue se concrétisait par 158 sièges de député (sur 544), par la conquête de milliers de municipalités, des places de conseillers généraux. Enfin le Parti détenait des places dans le gouvernement, dans l’appareil étatique.
Parmi ces centaines de milliers de nouveaux venus qui gonflèrent les effectifs du PC et ces millions qui votèrent pour lui, bien peu le faisaient parce qu’ils le considéraient comme un parti révolutionnaire. Il était à leurs yeux un parti de gauche, certes, mais surtout le parti de la Résistance et encore davantage un parti au pouvoir. Il est même à constater qu’alors que le Parti connaît un énorme afflux de petits bourgeois patriotards ou tout simplement affairistes vers ses rangs, il ne progressera que peu, ou reculera même dans les régions industrielles du Nord, de la Région Parisienne et du Sud-Est (d’après Fauvet, Histoire du PCF).
Solidement implanté dans la petite bourgeoisie, dans l’aristocratie ouvrière par l’intermédiaire de la conquête de l’appareil CGT, dans les administrations locales, le Parti Communiste le restera jusqu’aujourd’hui. L’assise sociale actuelle du Parti date des années 1945-1946. Elle fut acquise grâce à une politique commandée par les impératifs de la défense de la bureaucratie. Mais elle sera et est encore une serre chaude pour tout un ensemble d’influences nationales foncièrement étrangères à celles de Moscou.
Cette coïncidence des intérêts des deux pôles d’où partent les lignes de force qui déterminent la politique du Parti n’a certes pas duré. Le début de la guerre froide, en mettant fin à la Sainte-Alliance internationale, a mis fin aussi à l’Union Sacrée si bénéfique au PC Pendant six ans, le Parti sera à nouveau rejeté par toutes les formations mêmes oppositionnelles et contraint, en même temps, à une politique plus dure.
Pour les mêmes raisons qu’en 1939, le Parti Communiste connaîtra des flottements en 1947, quand, à nouveau, les intérêts de la bureaucratie et ceux de la bourgeoisie divergent. Cette divergence d’intérêts lui coûtera sa place au gouvernement, sa position de parti au pouvoir. Moscou aura bien du mal à resserrer les liens et à rappeler le PCF à l’ordre. A la réunion du Cominform qui se tiendra quelques mois après la fin de la participation gouvernementale, le Parti Communiste Français sera particulièrement sur la sellette. Il sera accusé de « s’être laissé manoeuvrer par Ramadier et Blum », on lui reprochera de continuer à se présenter comme parti gouvernemental, etc... Il est vrai que de telles attitudes furent deux ans auparavant, non seulement pardonnées, mais recommandées par Moscou. Seulement, le PCF s’est si bien trouvé dans la paix du parti gouvernemental qu’il était prêt à continuer de l’être pour son propre compte, même contre le désir du Kremlin.
Si malgré tout, les tensions entre le PCF et la bureaucratie n’ont pas entraîné de rupture, si malgré ses hésitations le PCF a, encore une fois, pris le virage, c’est que d’une part, il ne perdit pas tout et d’autre part, ce qu’il perdit, il ne pouvait pas ne pas le perdre.
La bourgeoisie française ne tenait plus à la participation gouvernementale du PC ; donc en cette matière, le Parti n’avait pas le choix. D’un autre côté, s’il fut repoussé dans l’opposition et même dans l’isolement au sein de l’opposition, il ne perdra ni ses municipalités, ni ses parlementaires, ni sa mainmise sur la CGT, en un mot, il gardera tout ce qui fait sa force, il gardera son assise. Rien de comparable donc à la débâcle de 1939.
Si dans les années 1951-1952, l’anti-américanisme virulent, les actions aventuristes du type de la manifestation contre Ridgway, imposés au Parti, entraînèrent un certain fléchissement de son influence, la perte du tiers de ses effectifs et d’une partie de son électorat, il n’a jamais été vraiment à contre-courant. Au fond, la petite bourgeoisie s’accommodait fort bien de ce nationalisme anti-américain. L’isolement du Parti était politique, mais n’impliquait pas de rupture avec les couches qui lui ont permis de se développer.
Depuis 1953, après le vote pour Mendès, et surtout depuis 1956, après le vote des pouvoirs spéciaux pour Guy Mollet, le Parti a rompu cet isolement politique vis-à-vis des autres formations. Il a déjà réintégré l’opposition officielle. 


[source]