mardi 23 mars 2010

:: LA DIALECTIQUE MATÉRIALISTE (par Lénine, 1914)

EXTRAIT DE LA REVUE "LE SURREALISME AU SERVICE DE LA REVOLUTION" N°6 -

« EN LISANT HEGEL »

J’ai reçu, au début de l’année, de Charles Hainchelin, la traduction de quelques-unes des notes prises par Lénine au cours d’une lecture dela Science de la Logique de Hegel, lecture faite à Berne, à la fin de 1914. De la part d’Hainchelin, cette traduction devait constituer un des éléments d’une collaboration que le mauvais état de sa santé ne lui a pas permis de réaliser entièrement.

Le texte que nous reproduisons a été établi d’après l’édition allemande de la Marxistische Bibliothek. En tête de chaque paragraphe figure un chiffre qui est celui de la page correspondante du volume de cette édition :comme la Science de la Logique n’est pas traduite en français, cette référence m’a paru la plus simple. Quelques notes, pourtant, se rapportent à la Petite Logique de l’Encyclopédie traduite par A. Vera sous le titre : Logique-de Hegel. Dans le cours du texte, les citations de Hegel sont toujours placées entre guillemets.

Fallait-il ou non commenter cette publication ? L’édition allemande est, à ce sujet, d’une grande retenue. Il m’a semblé que cette manière était la meilleure, tant pour rester dans le cadre d’une revue qui n’est pas à proprement parler une revue philosophique, que pour ne pas alourdir inopportunément un texte dont la nature même appellerait une très longue exégèse.

Ce n’est là, encore une fois, qu’une partie des trois Cahiers philosophiques ou Lénine traite de la Logique de Hegel. Il appartenait aux surréalistes qui, à l’exception de quelques philosophes professionnels, sont seuls ici à se réclamer de la pensée hégélienne et à rapporter constamment leur démarche propre à cette pensée, d’imprimer pour la première fois en France des fragments du dialogue Hegel-Lénine. Pour nous il ne s’agit évidemment pas à ce propos de faire étalage d’érudition, non plus que de piquer par jeu la curiosité. L’effet qu’a produit sur chacun de nous la lecture des textes qui suivent nous a conduit à leurs reconnaître la plus grande puissance de choc sur tous ceux qui aspirent à dégager les lois de l’évolution de tous les objets matériels et intellectuels. Pas une face de l’activité surréaliste où l’utilité de retenir les jugements De Lénine sur la dialectique soit niable. Pas un de ces jugements où nous ne touchions pour nous quelque chose de très grave, de très nécessaire.

Plus particulièrement attiré, en ce qui me concerne, par les problèmes d’ordre politique, je dois dire – au risque d’aiguiller la pensée du lecteur vers une direction particulière – que la date de rédaction de ces textes m’a frappé. Il est remarquable qu’au moment même où venait de se produire l’effondrement de la 2 e Internationale, Lénine ait jugé indispensable d’aller de nouveau interroger Hegel, et ceci en réaction contre le fait que les plus célèbres théoriciens social démocrates l’avaient curieusement négligé. Sans doute Lénine considéra-t-il ce travail comme le complément nécessaire à la dénonciation, à laquelle il se livra alors, de la trahison des partis socialistes.

L’histoire se répète ; les événements dont l’ Allemagne, depuis la fin de janvier, est le théâtre paraissent de nature à donner aux préoccupations théoriques qui furent à ce moment celles de Lénine plus d’actualité que jamais.

André THIRION.

4. Retourner : La logique et la théorie de la connaissance doivent être dérivées de l’évolution de toute la vie matérielle et intellectuelle.

6-7. Les catégories de la logique sont des abréviations de la « quantité infinie » des « particularités infinies de l’existence extérieure et de l’activité ». De leur côté ces catégories servent à l’homme dans la pratique.

8. Objectivisme. Les catégories de la pensée ne sont pas des moyens auxiliaires de l’homme, mais l’expression des lois aussi bien de la nature que de l’homme.

9. Mais Hegel exige une logique dans laquelle les formes doivent être pleines d’un contenu vivant, réel, auquel elles sont liées d’une manière inséparable.

9. La logique est l’enseignement, non des formes extérieures de la pensée, mais des lois de l’évolution de tous les objets matériels, naturels et intellectuels, c’est-à-dire de l’évolution de l’ensemble du contenu concret du monde et de sa connaissance, c’est-à-dire le résultat, le total, la conclusion de l’histoire de la connaissance du monde.

10. Devant l’homme est déployé un réseau de phénomènes naturels. L’homme instinctif, le sauvage, ne s’élève pas au-dessus de la nature, l’homme conscient et actif, lui, s’élève au-dessus ; les catégories sont le degré de cette élévation, c’est-à-dire de la connaissance du monde, les nœuds dans le réseau qui aident à le connaître et à s’en rendre maître.

11. On doit dériver les catégories (et non pas les prendre arbitrairement ou mécaniquement) (non « en racontant », « en assurant », mais endémontrant) en partant des plus simples, des fondamentales (l’être, le néant, le devenir) (pour ne pas nommer les autres) ici, en elles, est « tout le développement dans le germe ».

15. Très important, à mon avis, cela signifie :

1° Nécessaire est la connexion, la connexion objective de toutes les faces, forces, tendances, etc., du domaine donné des phénomènes.

2° « La naissance immanente des différences »… la logique interne objective de l’évolution et du combat des différences de la polarité.

17. La dialectique :

= « saisir le contradictoire dans son unité ».

17. Une forme magnifique : « non seulement l’universel abstrait, mais un universel tel qu’il contienne en soi la richesse du particulier, de l’individuel, de l’isolé, toute la richesse du particulier et de l’individuel » ! Très bien !

18. « Non abstrait, mort, inanimé, mais concret » (caractéristique ! Esprit et Essence de la dialectique !)

18. Kant : « borner » la raison et fortifier la foi.

19. Ciel. Nature. Esprit. Le ciel ôté : matérialisme.

20. Je m’efforce avant tout de lire Hegel en matérialiste. Hegel est le matérialisme placé sur la tête (d’après Engels) – c’est-à-dire je laisse le bon Dieu, l’absolu, l’Idée pure, etc. pour la plus grande partie de côté.

22. « Ce qui est le premier dans la science a dû se montrer historiquement le premier » (cela résonne d’une manière extrêmement matérialiste !)

26. La dialectique est l’enseignement qui montre comment les contraires peuvent être identiques, ont l’habitude d’être (comment ils le deviennent) – sous quelles conditions ils sont identiques en se transformant l’un en l’autre, pourquoi l’entendement humain ne doit pas saisir ces contraires comme morts, gelés, mais comme vivants, conditionnés, mobiles, se transposant l’un dans l’autre. En lisant Hegel…

27. Pensée sur la dialectique. En lisant Hegel.

… l’élasticité universelle, sous toutes ses faces, des notions, élasticité qui va jusqu’à l’identité des contraires – là gît l’essentiel. Cette élasticité, subjectivement appliquée = éclectique, sophistique. Si cette élasticité est employée objectivement, c’est-à-dire si elle reflète toutes les faces du processus matériel et son unité, alors elle est dialectique elle est l’exact reflet de l’évolution éternelle du monde.

70. La loi est le reflet de ce qu’il y a d’essentiel dans le mouvement de l’univers.

71. Phénomène, totalité. (Loi = Partie). Le phénomène est plus riche que la loi.

72. La loi est un rapport.

77. Le développement de la totalité des moments de la réalité N.-B – L’essence de la connaissance dialectique.

78. « La substance est un degré essentiel dans le procès évolution de l’idée. »

Lis : un degré important dans le procès de l’évolution de la connaissance humaine de la nature et de la matière

82. La nécessité ne disparaît pas en devenant liberté.

85. Renverser : les notions sont le plus haut produit du cerveau, du plus haut produit de la matière

92. Le phénomène est une manifestation de l’essence (91. Hegel pour la connaissabilité de l’objet en soi).

99. Aphorisme : on ne peut comprendre complètement le « Capital » de Marx et particulièrement le 1 er chapitre si l’on n’a pas étudié à fond et compris toute la logique de Hegel. C’est pourquoi, depuis un demi-siècle, aucun marxiste n’a compris Marx.

99. Aphorisme.

… Et Hegel a réellement démontré que les formes et les lois logiques ne sont pas une enveloppe vide, mais le reflet du monde objectif. Plus exactement non démontré, mais génialement deviné.

107. Dialectique matérialiste

Les lois du monde extérieur, de la nature, leur division en mécaniques et chimiques (cela est très important) sont les fondements de l’activité de l’homme, dirigée vers un but. Dans son activité pratique, l’homme a devant lui le monde objectif dont il dépend et qui détermine son activité.

De ce côté, vue du côté de l’activité pratique de l’homme (s’étant proposé un but) la causalité mécanique (et chimique) du monde (de la nature) apparaît comme quelque chose d’extérieur, comme quelque chose de subordonné, comme quelque chose de caché.

Deux formes du processus objectif : la nature (le mécanique et le chimique) et l’activité se proposant un but de l’homme. Le rapport réciproque de ces formes. Les buts de l’homme paraissent au début étrangers, « autres » dans leurs relations avec la nature. La conscience de l’homme, la science (« la notion ») reflète l’essence, la substance de la nature, mais cette conscience est en même temps une chose externe par rapport à la nature (elle ne coïncide pas avec elle tout de suite, simplement).

C’est pourquoi la technique mécanique et la technique chimique servent aussi des buts humains parce que leur caractère état) consiste dans leur détermination par des rapports extérieurs (les lois de la nature).

108. En réalité les buts humains sont créés par le monde objectif et le supposent ; ils le trouvent à l’avance comme quelque chose de donné, de présent. Mais il semble à l’homme que ses buts naissent hors du monde, sont indépendants du monde (« liberté… »)

110. Les catégories de la logique et de la pratique humaine.

...On doit retourner la chose : l’activité pratique de l’homme devait conduire des milliards de fois la conscience de l’homme à la répétition des différentes figures logiques, afin que ces figures puissent recevoir l’importance d’axiomes.

111. L’homme par sa pratique, démontre la justesse objective de ses idées, notions, connaissances, de sa science.

115. N.-B. – La connaissance est l’approche éternelle et infinie de la pensée vers l’objet. Le reflet de la nature dans la pensée humaine n’est pas à comprendre comme mort, « abstrait » sans mouvement, sans contradictions, mais il faut le comprendre dans le processus éternel du mouvement, de la naissance et de la négation des contradictions.

116. Hegel a génialement deviné la dialectique des objets (des phénomènes, du monde, de la nature) dans la dialectique des notions.

117. Cet aphorisme pourrait être exprimé d’une manière plus populaire, sans le mot dialectique, par exemple ainsi :

Hegel a génialement deviné dans le changement, dans la dépendance réciproque de toutes les notions, dans l’identité de leurs contraires, dans les passages d’une notion dans une autre, dans l’éternel changement, dans le mouvement des notions, le même rapport des objets, de la nature. Mais seulement deviné, pas plus.

117. En quoi consiste la dialectique ?

N.-B. – Chaque notion se trouve dans un certain rapport, dans une certaine connexion avec les autres.

118. Les moments de la connaissance (= de l’Idée) de la nature par l’homme, ce sont les catégories de la logique.

120. La dialectique n’est pas dans l’entendement de l’homme, mais dans l’« Idée », c’est-à-dire dans la réalité objective.

120. L’idée est processus.

121. La vérité est un processus. De l’idée subjective, l’homme parvient à la vérité objective par la « pratique » (et la technique).

121-2. L’idée est la « vérité ». L’idée c’est-à-dire la vérité comme processus – car la vérité est un processus, traverse trois degrés dans sonévolution : 1° la vie ; 2 le procès de connaissance qui inclut la pratique humaine et la technique ; 3° le degré de l’idée absolue (c’est-à-dire de la pleine vérité). La vie crée le cerveau. Dans le cerveau humain se reflète la nature. En faisant dans la pratique et la technique la preuve de la justesse de ces reflets et en les employant, l’homme parvient à la vérité objective.

122. Toute science est logique appliquée.

135. « La pratique est plus haute que la connaissance (théorique), car elle n’a pas seulement la dignité de l’universel, mais aussi de la réalité immédiate. »

142. L’unité de l’idée théorique (de la connaissance) et de la pratique – ceci N.-B. – et cette unité, justement dans la théorie de la connaissance, car l’« idée absolue » en résulte comme une somme (mais l’idée « le vrai objectif »).

144. (Éléments de la dialectique).

1° L’objectivité de l’examen (pas d’exemples, de digressions, mais l’objet lui-même) ;

2° la totalité des rapports variés de cet objet avec les autres objets ;

3° l’évolution de cet objet (ou du phénomène) son mouvement propre, sa vie propre ;

4° les tendances internes (et les faces) se contredisant dans cet objet ;

5° l’objet (le phénomène, etc.), comme somme et unité des contraires ;

6° le combat, ou le développement de ces contradictions, le caractère contradictoire des efforts, etc...

145. 7° L’union de l’analyse et de la synthèse, la décomposition des parties isolées et le total, l’addition de ces parties.

[La dialectique peut être brièvement définie comme la doctrine de l’unité des contraires. Ainsi le noyau de la dialectique est compris, mais cela exige des éclaircissements, un développement].

8° Les rapports de tout objet (phénomène) ne sont pas seulement variés, mais généraux, universels. Tout objet (phénomène, processus, etc.), est lié à tout.

9° Non seulement l’unité des contraires, mais les passages de chaque détermination, de chaque qualité, de chaque trait, de chaque face, de chaque propriété en chaque autre (en sens contraire ?)

10° Le processus infini de l’apparition de nouvelles faces, de nouveaux rapports, etc.

11° Le processus infini de l’approfondissement de la connaissance de l’objet, des phénomènes, des processus, etc., par l’homme, du phénomène à l’essence et de l’essence la moins profonde à la plus profonde.

12° De la coexistence à la causalité et d’une forme de connexion, d’une dépendance réciproque à une autre plus profonde, plus générale ;

13° la répétition de certains traits, de certaines propriétés, etc., du stade inférieur dans le supérieur ;

14° le retour apparent à l’ancien (négation de la négation) ;

15° Le combat du contenu avec la forme et inversement.

Le rejet de la forme avec la transformation du contenu ;

16° Le passage de la quantité à la qualité et vice-versa (15 et 16 sont des exemples de 9).

150. Ce n’est pas la négation pure, la négation légère et non réfléchie, la négation sceptique, l’hésitation, le doute qui est caractéristique et essentiel dans la dialectique – qui sans aucun doute contient en soi l’élément de la négation et en fait élément le plus important – non, mais la négation comme moment de la connexion, comme moment de l’évolution, avec maintien du positif, c’est-à-dire sans aucune hésitation sans aucun éclectisme.

La dialectique consiste principalement dans la négation de la première thèse, dans son remplacement par la deuxième (dans le passage de la première à la seconde, dans la production de la relation entre la 1 re et la 2 e, etc.), la seconde peut être fait prédicat de la 1ère.

Par exemple. – Le fini est infini. Un est multiple. L’individuel est universel.

153. Ceci est important :

1° la caractéristique de la dialectique : autodynamique, source de l’activité, mouvement de la vie et de l’esprit ; coïncidence de la notion du sujet (de l’homme) avec la réalité ;

2° l’objectivisme à son plus haut degré(le « moment le plus objectif »).

154. La « triplicité » de la dialectique est sa face extérieure, superficielle.

156. N.-B. ceci : le plus riche est le plus concret et le plus subjectif.

LÉNINE