mercredi 24 novembre 2010

:: Engels : "Lettre à Joseph Bloch"

Une lettre du 21-22 septembre 1890 dans laquelle Friedrich Engels s'élève contre les simplifications de la théorie marxiste. 

Cher Monsieur,

Votre lettre du 3 de ce mois m'a suivi à Folkestone, mais comme je n'avais pas le livre en question, je n'ai pu y répondre. Rentré chez moi le 12, j'y ai trouvé un tel amoncellement de travail pressant que j'en viens seulement aujourd'hui à vous écrire quelques lignes. Cela pour vous expliquer mon retard en vous priant de m'excuser.
[...]
D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant dans l'histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi n'avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu'un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde. La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure – les formes politiques de la lutte de classes et ses résultats, – les Constitutions établies une fois la bataille gagnée par la classe victorieuse, etc., – les formes juridiques, et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques, conceptions religieuses et leur développement ultérieur en systèmes dogmatiques, exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme. Il y a action et réaction de tous ces facteurs au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une nécessité à travers la foule infinie de hasards (c’est-à-dire de choses et d'événements dont la liaison intime entre eux est si lointaine ou si difficile à démontrer que nous pouvons la considérer comme inexistante et la négliger). Sinon, l'application de la théorie à n'importe quelle période historique serait, ma foi, plus facile que la résolution d'une simple équation du premier degré.

Nous faisons notre histoire nous-mêmes, mais, tout d'abord, avec des prémisses et dans des conditions très déterminées. Entre toutes, ce sont les conditions économiques qui sont finalement déterminantes. Mais les conditions politiques, etc., voire même la tradition qui hante les cerveaux des hommes, jouent également un rôle, bien que non décisif. Ce sont des causes historiques et, en dernière instance, économiques, qui ont formé également l'Etat prussien et qui ont continué à le développer. Mais on pourra difficilement prétendre sans pédanterie que, parmi les nombreux petits Etats de l'Allemagne du Nord, c'était précisément le Brandebourg qui était destiné par la nécessité économique et non par d'autres facteurs encore (avant tout par cette circonstance que, grâce à la possession de la Prusse, le Brandebourg était entraîné dans les affaires polonaises et par elles impliqué dans les relations politiques internationales qui sont décisives également dans la formation de la puissance de la Maison d'Autriche) à devenir la grande puissance où s'est incarnée la différence dans l'économie, dans la langue et aussi, depuis la Réforme, dans la religion entre le Nord et le Sud. On parviendra difficilement à expliquer économiquement, sans se rendre ridicule, l'existence de chaque petit Etat allemand du passé et du présent ou encore l'origine de la mutation consonnantique du haut allemand qui a élargi la ligne de partage géographique constituée par les chaînes de montagnes des Sudètes jusqu'au Taunus, jusqu'à en faire une véritable faille traversant toute l'Allemagne.

Mais, deuxièmement, l'histoire se fait de telle façon que le résultat final se dégage toujours des conflits d'un grand nombre de volontés individuelles, dont chacune à son tour est faite telle qu'elle est par une foule de conditions particulières d'existence; il y a donc là d'innombrables forces qui se contrecarrent mutuellement, un groupe infini de parallélogrammes de forces, d'où ressort une résultante – l'événement historique – qui peut être regardée elle-même, à son tour, comme le produit d'une force agissant comme un tout, de façon inconsciente et aveugle. Car, ce que veut chaque individu est empêché par chaque autre et ce qui s'en dégage est quelque chose que personne n'a voulu. C'est ainsi que l'histoire jusqu'à nos jours se déroule à la façon d'un processus de la nature et est soumise aussi, en substance, aux mêmes lois de mouvement qu'elle. Mais de ce que les diverses volontés – dont chacune veut ce à quoi la poussent sa constitution physique et les circonstances extérieures, économiques en dernière instance (ou ses propres circonstances personnelles ou les circonstances sociales générales) – n'arrivent pas à ce qu'elles veulent, mais se fondent en une moyenne générale, en une résultante commune, on n'a pas le droit de conclure qu'elles sont égales à zéro. Au contraire, chacune contribue à la résultante et, à ce titre, est incluse en elle. Je voudrais, en outre, vous prier d'étudier cette théorie aux sources originales et non point de seconde main, c'est vraiment beaucoup plus facile. Marx a rarement écrit quelque chose où elle ne joue son rôle. Mais, en particulier, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte est un exemple tout à fait excellent de son application. Dans Le Capital, on y renvoie souvent. Ensuite, je me permets de vous renvoyer également à mes ouvrages Monsieur E. Dühring bouleverse la science et Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, j'ai donné l'exposé le plus détaillé du matérialisme historique qui existe à ma connaissance. C'est Marx et moi-même, partiellement, qui devons porter la responsabilité du fait que, parfois, les jeunes donnent plus de poids qu'il ne lui est dû au côté économique. Face à nos adversaires, il nous fallait souligner le principe essentiel nié par eux, et alors nous ne trouvions pas toujours le temps, le lieu, ni l'occasion de donner leur place aux autres facteurs qui participent à l'action réciproque. Mais dès qu'il s'agissait de présenter une tranche d'histoire, c’est-à-dire de passer à l'application pratique, la chose changeait et il n'y avait pas d'erreur possible. Mais, malheureusement, il n'arrive que trop fréquemment que l'on croie avoir parfaitement compris une nouvelle théorie et pouvoir la manier sans difficulté, dès qu'on s'en est approprié les principes essentiels, et cela n'est pas toujours exact. Je ne puis tenir quitte de ce reproche plus d'un de nos récents “ marxistes ”, et il faut dire aussi qu'on a fait des choses singulières.

En ce qui concerne le point 1, j'ai trouvé hier (j’écrit ceci le 22 sept.) encore le passage suivant, décisif, et qui confirme le tableau que je viens de faire, dans SCHOEMANN: Antiquités grecques, Berlin 1835, “ mais il est connu que les mariages entre demi-frères et sœurs nés de mères différentes ne passaient pas pour inceste ultérieurement en Grèce ”.

J'espère que les épouvantables enchevêtrements qui sont venus sous ma plume parce que je voulais être bref ne vous feront pas trop reculer et je reste votre dévoué.

F. ENGELS.

:: Engels à propos de la gauche réformiste...

Une catégorie de socialistes 

"se compose de partisans de la société actuelle, auxquels les maux provoqués nécessairement par elle inspirent des craintes quant au maintien de cette société. Ils s'efforcent donc de maintenir la société actuelle, mais en supprimant les maux qui lui sont liés. Dans ce but, les uns proposent de simples mesures de charité, les autres des plans grandioses de réformes qui, sous prétexte de réorganiser la société, n'ont d'autre but que le maintien des bases de la société actuelle et, par conséquent, le maintien de cette société elle-même". 
[Friedrich Engels, "Principes du Communisme", 1847]

:: "Nombres d’intellectuels croient encore que la révolution provient de la diffusion d’idées révolutionnaires..."

"Nombres d’intellectuels croient encore que la révolution provient de la diffusion d’idées révolutionnaires qui s’emparent finalement des masses et les poussent à l’action décisive. Dans cette optique, la culture serait génératrice de la révolution, ou du moins, la novation culturelle engendrerait, à plus ou moins long terme, le processus révolutionnaires ; par là même, les intellectuels auraient une mission capitale dans un tel développement historique [...]. Pour le matérialisme historique, [...] la révolution surgit spontanément du mouvement des masses lorsqu’il en vient à se heurter frontalement aux institutions existantes et, à travers elles, au pouvoir de la classe dominante. Certes, Marx a écrit dans une œuvre de jeunesse : « la théorie devient force matérielle dès qu’elle pénètre les masses ». Mais il a de multiples fois précisé qu’une telle théorie ne pouvait germer que sur le terrain constitué par les intérêts, les revendications et les aspirations de classe des masses exploitées et opprimées. De plus, il a consacré, à partir des années 1846-1847, toute son énergie à la construction du parti ouvrier révolutionnaire mondial destiné à transformer la prolétariat de « classe-en-soi » – exploitée et idéologiquement dominée par la bourgeoisie – en « classe-pour-soi » – capable de renverser le mode de production capitaliste et de construire ensuite la société sans classe et sans Etat du communisme. [...] Pour le matérialisme historique, la conscience révolutionnaire, loin de provenir de la propagation d’idées révolutionnaires, résulte d’un effort incessant pour les acquérir en liaison étroite avec le travail de construction d’une organisation de combat".
[Pierre Fougeyrollas, Sciences sociales et marxisme]

:: Trotsky : "nous marcherons à leurs côtés"

Des propos toujours actuels, en dépit de la différence de période : 

"Lorsqu'on décide de participer aux élections, il faut toujours indiquer clairement le but que l'on poursuit. La tâche principale ou plutôt préliminaire de l'Opposition est de briser le mur entre nous et la classe ouvrière communiste organisée et de gagner la confiance des ouvriers révolutionnaires. [...]. Nous devons, par notre activité, donner [aux travailleurs] la certitude que dans tout combat contre l'ennemi de classe, nous marcherons à leurs côtés, tout en conservant notre liberté de critique. Les élections ne sont qu'une petite partie d'un grand combat" 
[Trotsky, "A propos des élections", 30 juillet 1930, lettre au camarade Pfemfert]

:: Les 21 conditions d'admission dans la 3ème Internationale

C'était en 1920...

"Le 2° Congrès de l'Internationale Communiste décide que les conditions d'admission dans l'Internationale sont les suivantes :"

1. La propagande et l'agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la III° Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d'une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d'éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l'autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la III° Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

2. Toute organisation désireuse d'adhérer à l'Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrierles remplacer par des communistes éprouvés, - sans craindre d'avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

3. Dans presque tous les pays de l'Europe et de l'Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l'organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l'état de siège ou de lois d'exception, les communistes n'ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l'action légale et de l'action illégale est indubitablement nécessaire.

4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d'exception, elle doit être menée illégalement ; s'y refuser serait une trahison à l'égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l'affiliation à la III° internationale.

5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n'est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n'a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L'action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l'accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c'est renoncer à la révolution prolétarienne.

6. Tout Parti désireux d'appartenir à la III° Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s'agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l'humanité des guerres impérialistes.

7. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d'une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L'action communiste conséquente n'est possible qu'à ce prix. L'Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L'Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, Mac Donald, Modigliani et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la III° Internationale, et qu'ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la III° Internationale à la II°.

8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la III° Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cour des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d'entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

9. Tout Parti désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicat professionnel syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l'ensemble du Parti.

10. Tout Parti appartenant à l'Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l'« Internationale » des syndicat jaune syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l'idée de la nécessité de la rupture avec l'Internationale Jaune d'Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l'union internationale des syndicats rouges adhérant à l'Internationale Communiste.

11. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d'en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d'exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l'agitation.

12. Les Partis appartenant à l'Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. À l'époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s'il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d'en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

14. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

15. Les Partis qui conservent jusqu'à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d'élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l'esprit de l'Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l'Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d'en appeler au Congrès de l'Internationale Communiste.

16. Toute les décisions des Congrès de l'Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l'Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l'Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n'adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l'Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d'adhérer à l'Internationale Communiste doit s'intituler Parti Communiste de... (section de la III° Internationale Communiste). Cette question d'appellation n'est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L'Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d'imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste.

19. Tous les Partis appartenant à l'Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2° Congrès de l'Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2° Congrès de l'Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la III° Internationale, mais qui n'ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2° Congrès s'étaient ouvertement prononcés pour l'adhésion du Parti à la III° Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l'approbation du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

:: "Faire ressortir cette duperie est le premier devoir du révolutionnaire prolétarien"

Pour Pierre Bourdieu,

"Marx a évacué de son modèle la vérité subjective du monde social contre laquelle il a posé la vérité objective de ce monde comme rapports de forces. Or, si le monde social était réduit à sa vérité de rapports de forces, s’il n’était pas, dans une certaine mesure, reconnu comme légitime, ça ne marcherait pas. […]. La représentation subjective du monde social comme légitime fait partie de la vérité complète de ce monde" [Questions de sociologie].
Le sociologue français, pour se permettre cette critique, opère en dissociant la "représentation subjective" des "rapports de forces". Il autonomise la première pour mieux relativiser le poids des secondes. A partir de là, l'émancipation ne se joue plus particulièrement sur le terrain de la lutte de classes -- à laquelle, du reste, Bourdieu ne croyait pas --, mais en ces lieux où se joue la définition de la "représentation subjective du monde social" -- sur le terrain de la communication en somme. Il n'est guère d'intellectuels (critiques ou pas) au cours de la seconde moitié du XXème siècle qui n'aient dit à peu près la même chose...

Trotsky, des décennies plus tôt, dans leur Leur morale et la nôtre (1939), leur avait déjà répondu : les marxistes ne rejette pas "la vérité subjective du monde social" ; ils rattachent simplement celle-ci aux conditions objectives de la lutte de classes en tant que "ressort principal de l'évolution des formes sociales". 

Extraits :
 
"L'idéalisme classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à séculariser la morale, c'est-à-dire à l'émanciper de la sanction religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachée des cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte de ces racines fut l'une des tâches du matérialisme. Après Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. Invoquer de nos jours les "vérités éternelles" de la morale, c'est tenter de faire rétrograder la pensée. L'idéalisme philosophique n'est qu'une étape : de la religion au matérialisme ou, au contraire, du matérialisme à la religion. [...]
L'évolutionnisme bourgeois s'arrête, frappé d'impuissance, sur le seuil de la société historique, ne voulant pas admettre que la lutte des classes soit le ressort principal de l'évolution des formes sociales. La morale n'est qu'une des fonctions idéologiques de cette lutte. La classe dominante impose ses fins à la société et l'accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à l'encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale officielle. Elle poursuit "le plus grand bonheur possible", non du plus grand nombre, mais d'une minorité sans cesse décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l'éthique lui est indispensable. La fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes petits-bourgeois. Ils peuvent faire jouer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ; ils ne sont, tout compte fait, que les apôtres de l'esclavage et de la soumission. [...]
La bourgeoisie, dont la conscience de classe est très supérieure, par sa plénitude et son intransigeance, à celle du prolétariat, a un intérêt vital à imposer "sa" morale aux classes exploitées. Les normes concrètes du catéchisme bourgeois sont camouflées à l'aide d'abstractions morales placées elles-mêmes sous l'égide de la religion, de la philosophie ou de cette chose hybride qu'on appelle le "bon sens". L'invocation des normes abstraites n'est pas une erreur désintéressée de la philosophie, mais un élément nécessaire du mécanisme de la lutte des classes. Faire ressortir cette duperie, dont la tradition remonte à des millénaires, est le premier devoir du révolutionnaire prolétarien".

:: Etre communiste aujourd'hui #3

Extrait de Lutte de classe [été 2007], la revue théorique mensuelle de l'Union Communiste Internationaliste (UCI) :

"Pour œuvrer à supprimer le capitalisme, il faut être socialiste, communiste et révolutionnaire, et pour cela, s'employer à construire des partis réellement révolutionnaires. Comme la seule classe révolutionnaire est le prolétariat, c'est-à-dire les travailleurs, qu'ils soient jeunes ou vieux, on ne peut pas s'adresser spécifiquement aux idées de la jeunesse lorsqu'elles ne sont pas celles-là. On ne peut pas leur parler d'écologie, d'altermondialisme, en un mot parler seulement leur langage dans l'espoir qu'ultérieurement, ils deviendront des militants révolutionnaires.

D'ailleurs, les travailleurs, même salariés, ne sont pas une classe absolument homogène. Dans le passé, on distinguait les « cols blancs » des « cols bleus », selon une expression anglaise, pour désigner les employés ou les ouvriers. Cette distinction existe encore en grande partie, bien que ces catégories se soient beaucoup interpénétrées et que, souvent, dans un même couple, la femme soit employée et l'homme, travailleur manuel. Mais il y a les « petits chefs », les cadres petits et grands, les techniciens ou les ingénieurs. Toutes ces couches sont plus ou moins proches de la petite bourgeoisie et plus ou moins influencées par l'idéologie ou la morale sociale de la bourgeoisie. Elles évoluent vers celle-ci ou vers la classe ouvrière, selon les circonstances, en isolant parfois les travailleurs les moins rétribués ou, au contraire, en s'associant à eux contre le patronat. L'idéologie, la conscience de beaucoup de ces couches est fluctuante, et les salariés du bas de l'échelle ne sont pas à l'abri des idées perverses, xénophobes ou racistes. C'est dire que le rôle principal d'un parti réellement révolutionnaire, son activité, son utilité, sont aussi de défendre la conscience sociale, la conscience de classe, au sein de toutes les catégories du monde du travail et, plus particulièrement, des plus exploitées et des moins cultivées.
Pour être des militants révolutionnaires, il faut une conscience, des convictions sociales qui se placent du point de vue de la classe ouvrière, la classe dont les intérêts politiques et sociaux sont fondamentalement opposés à ceux de la bourgeoisie. Même et encore plus si l'on est un intellectuel.
Un militant doit être le plus cultivé possible, connaître et comprendre l'histoire des sociétés, comprendre et avoir une claire vision de la transformation radicale de la société actuelle. C'est nécessaire pour construire des partis révolutionnaires constitués de militants compétents, dévoués à cette idée et prêts à avoir une solidarité de parti telle que les décisions, les choix qui peuvent être faits dans la préparation de la lutte soient exécutés par tout le monde comme par une armée, mais une armée sans hiérarchie, où la discipline est un choix volontairement consenti. Pour cela, il faut, nécessairement, des idées et une volonté communes.

Évidemment, il ne faut pas que cela se transforme en dictature d'un appareil. Il faut une démocratie totale au sein du parti. C'est pourquoi il faut recruter des militants formés, cultivés et conscients, aptes à juger et aptes à décider, c'est-à-dire créer des partis dont actuellement les jeunes ne veulent pas".

:: Etre communiste aujourd'hui #2

Robert Barcia (alias Hardy) dans La véritable histoire de Lutte Ouvrière (Paris, Denoël, 2003, pp. 319-323) :
"L'émergence d'une gauche tenant un langage plus radical n'est après tout pas impossible, si la droite est solidement installée au pouvoir et pour longtemps. Mais cela ne ferait que recréer, au mieux, une version moderne de l'ancien PSU, l'attitude courageuse de la dénonciation de la guerre d'Algérie en moins. Eh bien, ce n'est certainement pas dans cette perspective que nous militons.

Il nous reste à incarner une autre perspective, celle d'un parti représentant réellement les intérêts politiques de la classe ouvrière. Il nous reste à œuvrer pour que se construise un parti qui ne vise pas à s'intégrer dans l'ordre social actuel, fût-ce avec la prétention stupide de pouvoir le faire évoluer dans le bon sens, mais qui, au contraire, combatte pour la transformation radicale de la société. Un parti qui reste systématiquement dans le camp des exploités, des opprimés, sans abandonner ce camp pour quelque poste ministériel que ce soit. Un parti qui n'abandonne pas ses convictions pour s'adapter à la politique des dirigeants réformistes, même lorsque ceux-ci sont dans l'opposition. Un parti qui ne veuille pas dissimuler la réalité de la lutte des classes car cela ne sert que les intérêts de la classe exploiteuse qui, pour mener sa propre lutte de classe, n'a pas besoin de la nommer. Mais un parti qui, au contraire, cherche à mettre le doigt sur le caractère de classe de la politique menée, pour que les travailleurs opposent à la lutte de classe de la bourgeoisie leur propre lutte. Un parti qui ne se contente pas de dénoncer quelques abus du règne du fric ou de la domination des trusts sur une économie mondialisée, mais qui se donne pour objectif d'organiser la seule classe sociale, c'est-à-dire le prolétariat mondial, capable de mettre à bas le capitalisme et son sous-produit l'impérialisme. Un parti qui ne se contente pas de participer de temps à autre à une manifestation internationale, mais qui milite jour après jour dans les entreprises, dans les quartiers populaires, pour organiser et instruire les travailleurs dans le but de transformer la société.
Il est bien plus difficile de militer dans les ateliers, les bureaux, dans les chantiers, auprès du monde du travail, que de militer auprès des intellectuels et sur­tout des étudiants. Un étudiant a les moyens et les loi­sirs de réfléchir, de discuter, de lire et on peut l'aborder et entrer en relation relativement facilement.
Avec un travailleur, il n'en va pas de même. Dans la métallurgie par exemple, il est pratiquement impossible de discuter plus de quelques minutes au travail. Il y a le bruit, l'intensité du travail, la fatigue. Et les quelques pauses ne permettent pas de réfléchir. Le matin, les travailleurs arrivent au dernier moment s'ils le peuvent, et le soir ils repartent très vite pour ne pas rater leur train, leur car et, surtout pour les femmes, avoir le temps de faire quelques courses avant de préparer le repas.

Alors convaincre, gagner, défendre des idées dans ce milieu-là, c'est très difficile. Ce n'est pas que les travailleurs soient fermés à ces idées, au contraire, mais ils n'ont pas l'occasion de les connaître s'ils ne rencontrent pas de militants qui en soient le support. C'est pourquoi tous les groupes politiques d'extrême gauche se retrouvent finalement à militer essentiellement dans les milieux intellectuels. Là c'est plus facile, on peut discuter beaucoup, remuer des idées, surtout des idées qui n'engagent personne. Mais même lorsqu'on arrive à y gagner des militants, c'est bien souvent pour peu de temps, le temps des études, car après, même si la vie d'un enseignant par exemple permet de se consacrer éventuellement à la vie militante, bien souvent les conditions sociales étant très différentes, les convictions restent superficielles. Se tourner alors vers l'activité en milieu ouvrier paraît largement au-dessus des forces de beaucoup d'entre eux.

C'est pourquoi, s'il y a une crise des idées révolutionnaires, elle provient moins des travailleurs que des intellectuels de gauche. Il y a bien longtemps, Trotsky écrivait que « la crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ».

Et la crise de la direction révolutionnaire, c'est avant tout la défaillance des intellectuels de gauche. Beaucoup d'entre eux font un timide essai de quelques années, voire un engagement plus long d'une dizaine ou d'une quinzaine d'années; puis, voyant qu'ils ne sont pas immédiatement écoutés par les travailleurs, ils se disent que, décidément, le prolétariat n'est pas révolutionnaire et, comme Maximilien Rubel, concluent qu'il ne sera pas l'instrument de la transformation sociale.

Alors, oui, l'aspect fondamental de notre activité continuera à être la défense du programme d'émancipation de la classe travailleuse, le programme communiste. Défendre ce programme avant tout dans la classe ouvrière car c'est d'elle, et d'elle seule, que dépend sa réalisation future. Le défendre en particulier auprès des travailleurs qui se sont retrouvés pendant longtemps dans ou autour du Parti communiste et qui sont découragés, désorientés et à qui il faut redonner confiance et montrer que le courant communiste n'a pas disparu et que l'avenir lui appartient.
Nous voulons faire connaître ces idées à une génération de jeunes, de jeunes travailleurs aussi bien que d'étudiants. Il faut non seulement leur montrer que le monde qui est le nôtre est, d'une façon ou d'une autre, invivable pour tout le monde, que les concentrations de richesses entre quelques mains pendant que la pauvreté se généralise, sont insupportables. Comme est insupportable l'idée que la recherche du profit de quelques-uns conduit la terre vers une catastrophe écologique autant qu'économique.

Il est possible de transformer la société et chacun, travailleur ou étudiant, peut y jouer son rôle. Il faut éviter qu'ils soient abusés par ceux qui présentent de vieilles idées réformistes sous des couleurs modernes. Qui cherchent à les tromper en présentant quelques réformettes, une taxe par-ci, un allégement de dette par-là, comme des idées pour l'avenir, alors que tout cela est non seulement inefficace mais cautionne encore et toujours l'idée que le capitalisme serait réformable."

:: Etre communiste aujourd'hui #1

Qu'est-ce que ça veut dire d'être communiste, révolutionnaire, internationaliste, aujourd'hui, en 2010 ?
LO apporte sa réponse dans la Lutte de classe n°105. Extrait :

"Être révolutionnaire, c'est évidemment être pour un changement radical de société. Il ne s'agit pas de révolution dans les lettres, les arts, ou les mœurs comme en 1968 et les années qui suivirent, ni d'une « rupture », voire d'un changement de société comme le disent sans rire les dirigeants politiques des grands partis, y compris ceux de droite. Être révolutionnaire, c'est œuvrer à un changement aussi radical que le fut la révolution française au XVIIIème siècle et plus profond encore que le fut la révolution russe de 1917 qui se limita à un seul pays et, qui plus est, arriéré à 90 % de son économie et de sa population, et même le plus arriéré d'Europe. Un tel changement social viserait à la suppression de l'économie capitaliste et de ce qui lui est lié, l'impérialisme et son masque d'aujourd'hui, le « libéralisme » et la « mondialisation ». Cela signifie la suppression de la propriété privée d'une classe riche de tous les grands moyens de production, de distribution, de transport. Le pire n'est pas qu'elle possède ces instruments de production, le pire est que leur fonctionnement n'est pas cohérent. Il est cohérent à l'intérieur de chaque entreprise mais dans les relations entre ces entreprises et entre les pays, la répartition, les échanges se font d'une façon anarchique. Cela se fait par la recherche du profit le plus élevé possible et la concurrence entre tous au travers du marché capitaliste où la régulation des échanges ne se fait qu'à retardement, par à-coups catastrophiques. Cela aboutit à un énorme gâchis du produit social et à des crises économiques parfois catastrophiques. Ces crises entraînent une surexploitation des travailleurs qui n'est limitée que par les réactions éventuelles de ces derniers. La classe capitaliste enchaînée à son mode de production, de répartition, de régulation par le marché, ne peut qu'exploiter au maximum le monde du travail pour en tirer le plus de profits possible. Dans les pays économiquement développés, les réactions du monde du travail, concentré, puissant, même s'il n'utilise pas toujours cette puissance, limitent le degré des ponctions du capital sur le produit du travail. Mais même dans les pays pauvres, très pauvres, sous-développés, où le revenu moyen par habitant est souvent cent fois, voire plus, inférieur au revenu par habitant des pays industrialisés, et qui sont des pays où la misère est extrême, où l'espérance de vie est raccourcie de moitié, où la mortalité infantile est catastrophique, le capitalisme mondial est encore capable d'extraire de la plus-value du travail de ces miséreux. Bien moins par tête d'habitant que dans les autres pays, mais il se rattrape sur le nombre. Un changement de société nécessite d'enlever des mains des conseils d'administration des grandes sociétés, et même des autres, la puissance économique qui leur permet d'exercer une dictature sociale et politique, quelles que soient les formes plus ou moins démocratiques du pays, sur l'ensemble des autres classes. Être révolutionnaire, c'est œuvrer à la préparation d'un tel changement de société, d'une telle révolution. Pour cela, il faut des instruments, des partis qui représentent l'expérience des classes populaires, la mémoire de leurs luttes, qui en tirent les leçons, qui forment politiquement leurs membres. Il faut donc créer au moins un tel parti, dont la propagande et l'activité dans le monde du travail consisteront aussi à amener le maximum de travailleurs, jeunes ou moins jeunes, à s'organiser en commun dans le même but.

Dictature économique de la bourgeoisie sur toute la société ou démocratie sociale sans le pouvoir de la bourgeoisie
Mais les acteurs de cette transformation sociale, et surtout du régime social et politique qui en sortirait, ne peuvent être que les travailleurs salariés. En effet, pour lutter contre la dictature économique de la bourgeoisie, il faut qu'énormément d'individus intéressés à cette transformation, à cette révolution, participent aux décisions et aux actions. Pourquoi les travailleurs salariés et pas d'autres catégories sociales qui sont parfois, elles aussi, opprimées, sans toujours en avoir conscience, par le même système économique ? C'est le cas des artisans, voire des petits entrepreneurs, des membres des classes intellectuelles et de bien d'autres encore qui, même disposant de plus d'aisance financière que les travailleurs du bas de l'échelle, vivent dans une société inhumaine et peu propice au développement humain et culturel, y compris le leur. Les travailleurs salariés sont naturellement la catégorie sociale la plus concentrée sur les mêmes lieux de travail car ils s'y retrouvent quotidiennement par centaines ou par milliers. Quotidiennement, ils peuvent s'assembler, décider, discuter démocratiquement sans forcément s'en remettre à des dirigeants politiques éloignés d'eux. En tout cas, même s'ils doivent recourir à de telles délégations de pouvoir, ce qui est nécessaire dans un grand pays, ils ont les moyens de les contrôler, voire de les contraindre à agir dans le sens des intérêts de la population. C'est cela le communisme, c'est cela la démocratie sociale que l'on peut opposer à la dictature du capital. Bien sûr, par provocation ou slogan propagandiste, on peut dire comme le fit Karl Marx que ce serait une dictature aussi. Mais une dictature sociale de l'immense majorité, la classe des travailleurs, sur une infime minorité, la bourgeoisie, et n'agissant que dans les intérêts de toute la population. C'est pour cela que des révolutionnaires socialistes et communistes, aussi bien d'hier que d'aujourd'hui ou de demain, ne peuvent compter que sur les travailleurs pour changer les bases économiques de la société et instaurer un régime de gouvernement démocratique, gouvernement qui se fondrait peu à peu dans la quasi-totalité de la population en se décentralisant au fur et à mesure que les conflits entre exploiteurs et exploités disparaîtraient.

C'est cela être révolutionnaire, aujourd'hui comme hier, et c'est pour cela que les révolutionnaires ne peuvent se contenter de s'appuyer sur des révoltes ou même des luttes de la jeunesse, même si la jeunesse aurait une large place dans une telle révolution. C'est pourquoi nous cherchons à défendre auprès des jeunes les idées que nous défendons auprès du monde du travail. Nous ne voulons pas emboîter le pas à leurs actions ni aller dans le sens de leurs préoccupations immédiates et des voies dans lesquelles ils engagent leur radicalisme. Nous ne disons pas qu'ils ont eu raison à ceux qui sont allés à la Bastille manifester contre Le Pen en 2002, et encore moins à ceux qui ont voté ou appelé à voter Chirac à l'époque. Nous ne disons pas, et nous ne dirons pas, qu'ils ont raison à ceux qui ont manifesté, minoritairement, contre l'élection de Sarkozy. C'est avant, qu'il fallait se donner les moyens de changer les choses, pas une fois que l'élection est terminée. L'élection de Sarkozy n'est pas une catastrophe politique. Le présenter aujourd'hui de la façon dont on présentait Le Pen hier est la pire des façons de lutter contre l'oppression des puissances d'argent représentées politiquement par Sarkozy. Le Pen n'était pas le fascisme à la porte du pouvoir. Et Sarkozy n'est pas le fascisme à la présidence de la République. C'est une homme de droite, mais pas plus que Chirac, Giscard, Pompidou ou de Gaulle, et pas moins que François Mitterrand qui était un faux homme de gauche, ayant flirté avec le gouvernement de Pétain, mené la répression en Algérie, condamné à mort des militants du FLN et des militants français pro-algériens. Il ne faut pas voir le présent et l'avenir comme catastrophiques. Nous ne dirons pas à la jeunesse que la mondialisation est un phénomène nouveau et cataclysmique. Elle existe sous ses pires aspects depuis plus d'un siècle. Et ceux qui font un drapeau de l'antimondialisation ou de l'antilibéralisme n'ont d'autre alternative que de revendiquer le retour à des frontières économiques fermées, à des droits de douane qui renchériraient tout ce qui se consomme à l'intérieur du pays. Le réchauffement de la planète est une catastrophe annoncée, mais la société capitaliste engendre des catastrophes qui sont actuelles et aussi graves. Et c'est contre elles qu'il faut lutter et pas simplement essayer de convaincre les dirigeants politiques et économiques de la planète d'être plus conscients, ou encore de convaincre la population de circuler en vélo plutôt qu'en voiture. Des milliards d'habitants de la terre, à l'heure actuelle, n'ont aucun autre moyen de transport que leurs pieds. Car ils n'ont ni transports en commun ni transports individuels du tout. Et cela les oblige parfois à des dizaines de kilomètres à pied chaque jour. C'est cela qu'il faut essayer de contribuer à changer. Et pour cela, il faut des outils. Et le premier outil, nous l'avons dit, est un parti politique puissant, défendant les intérêts politiques du monde du travail, car c'est seulement le monde du travail qui a le nombre, la puissance et le rôle social voulu pour pouvoir changer la société à la fois sur le plan économique, social, voire écologique, et en faire une véritable démocratie. Nous nous présentons aux élections, certes, mais comme nous le disions plus haut, c'est fondamentalement pour défendre ces idées-là. Mais pas pour faire des scores avantageux. Quand nous en faisons, c'est justement sur la base de ces idées-là. Dans les élections, notre propagande contient des revendications que nous voulons populariser pour qu'elles soient celles des luttes à venir, surtout des luttes importantes. Et les luttes importantes des travailleurs ont la caractéristique de s'en prendre à la bourgeoisie, au patronat, en touchant la production, en arrêtant l'économie et, donc, en stoppant les profits. C'est là que réside l'épreuve de force. Et c'est alors que l'on peut imposer à la bourgeoisie des revendications essentielles. Et si nous parlons de certaines revendications économiques en fonction de la situation sociale des classes laborieuses comme, par exemple, le rattrapage du niveau de vie, que ce soit sur les plus bas salaires ou sur tous les autres, si nous revendiquons l'arrêt de toute subvention aux entreprises capitalistes pour consacrer cet argent à créer des emplois dans les services publics, ou encore une augmentation de l'imposition sur les bénéfices des sociétés, pour pouvoir construire le nombre de logements sociaux qui manquent cruellement à toute la population, nous mettons surtout en tête de notre programme l'objectif du contrôle par les travailleurs, les associations, toute la population, des comptabilités et des projets de toutes les grandes entreprises, sans oublier les moyennes ou petites qui dépendent des grandes. Ce n'est pas le programme d'une révolution, mais une revendication essentielle lors d'une lutte générale car ce serait un changement déterminant du rapport de forces social, voire politique, entre la population laborieuse et la bourgeoisie. Ce serait même une transition entre un programme strictement revendicatif et le programme qui conviendrait dans une crise révolutionnaire. Par contre, nous n'irons pas dans le sens des courants dominants parmi la jeunesse ou une partie des travailleurs en défendant des objectifs vagues et non déterminants comme l'altermondialisme, l'écologie, un anticapitalisme imprécis, simplement pour gagner des suffrages. « Faire des voix » n'est pas un but en soi. D'ailleurs, même si nous étions élus, nous ne pourrions rien changer à la société sans un mouvement de masse puissant réunissant une majorité de travailleurs. Voilà pourquoi, militants de Lutte Ouvrière, nous nous adressons avant tout aux travailleurs et à ceux, jeunes ou moins jeunes, qui le deviendront".

:: "Communistes contre Staline" de Pierre Broué

Un livre hommage indispensable pour se faire une idée du combat des militants de l'Opposition (les oppositsionneri) contre le stalinisme en URSS. 

Voici la quatrième de couverture :  

"Ils étaient quelques milliers quand ils s'organisèrent en opposition au sein du PC de l'URSS, en 1923. On en fusillait à la mitrailleuse des milliers encore en 1937 et 1938, dans les prisons puis les camps ; des jeunes gens avaient remplacé les vieux-bolcheviks assassinés. On les appela «oppositionnels», «bolcheviks-léninistes », «trotskystes», noms qu'ils n'avaient pas choisis mais qu'ils acceptèrent par défi. Ils ont lutté pendant quinze ans, sans jamais s'avouer battus. Exclus du parti, chassés de leur travail, exilés, «déportés». Vieilles prisons, isolateurs, camps ont entendu leurs débats et leurs chants ; ils défendaient l'idée lumineuse d'un communisme fraternel contre la brutalité et l'inculture staliniennes. A la fin, il ne restait que quelques anciens, le gros était formé de jeunes. En 1932, ils ont rallié autour d'eux tous les autres opposants communistes. Il ne restait plus à Staline qu'à les massacrer jusqu'au dernier dans des camps spéciaux consciemment copiés sur le modèle hitlérien. Cette histoire n'est pas celle d'une lutte politique comme les autres, car il ne fait pas de doute qu'il y a eu des bourreaux et des victimes, et que rien n'autorise l'historien à les renvoyer dos à dos. Méthodiquement étudié comme c'est le cas ici, cet aspect de la terreur stalinienne conduit à revoir l'histoire de l'URSS telle qu'on l'a écrite depuis plus de cinquante ans".

:: Pourquoi le mouvement trotskyste ?

Extrait de "Force, faiblesses et perspectives des gauchistes" publié par Lutte Ouvrière en août 1969.

"La seule tendance révolution­naire, qui, à l'échelle internationale, se place réso­lument sur le terrain du prolétariat est le mouvement trotskyste.
L'Opposition de Gauche russe, dont il est issu, com­battit, dès 1923, au nom du marxisme révolution­naire, les tendances bureaucratiques qui se dévelop­paient en Union Soviétique et qui devaient aboutir à la dégénérescence du premier Etat ouvrier du monde et à la bureaucratisation de l'Internationale communiste. Au niveau de l'Internationale commu­niste ces tendances subordonnèrent tout le mouve­ment ouvrier international à la politique extérieure de l'Etat russe au nom de la défense du « socialisme dans un seul pays ». Cette politique criminelle, qui tournait le dos à la classe ouvrière et à la révo­lution mondiale, aboutit partout à des catastrophes.
L'opposition de gauche s'insurgera d'abord contre le refus par Staline et sa clique de dénoncer en 1926, la trahison des dirigeants syndicaux anglais qui avaient fait avorter une grève générale de dix jours. L'atti­tude conciliatrice des dirigeants de l'Internationale communiste vis-à-vis des bonzes syndicaux britan­niques s'expliquait exclusivement par le fait que ces derniers étaient considérés comme des « amis de TU.R.S.S. » et avaient accepté de faire partie d'un Comité syndical anglo-russe.
La bureaucratie russe cautionna la trahison de la classe ouvrière anglaise pour ne pas « effaroucher » ses « amis ».
Dans le même temps, pendant la période 1925-27, Trotsky engageait la lutte contre la politique de l'Internationale communiste en Chine où elle encensa, pendant des mois, le parti nationaliste bourgeois du KuoMing Tang dirigé par Tchang Kai Tchek (consi­déré lui aussi comme un « allié » de l'URSS) et freina toute mobilisation prolétarienne dans le pays. Mais à peine installé au pouvoir le vénérable « ami de l'URSS » qu'était Tchang massacra les communistes et les ouvriers révolutionnaires. La même analyse vaut pour l'Espagne où, là aussi, Staline appuya les forces les plus réactionnaires du camp républi­cain et fit massacrer par milliers les militants révo­lutionnaires dont les trotkystes restés fidèles à l'internationalisme et au combat par la révolution socialiste. Cette politique de la bureaucratie, qui fai­sait passer la défense des intérêts diplomatiques de l'Etat russe avant ceux de la classe ouvrière, n'avait plus rien à voir avec l'internationalisme prolétarien. Elle aboutit d'ailleurs à transformer l'Internatio­nale communiste de Parti Mondial de la Révolution qu'elle était à l'origine, en un simple instrument de la politique étrangère de l'Union Soviétique. Elle fut ensuite dissoute en 1943.
Le mouvement trotskyste est né et a grandi en oppo­sition à cette politique opportuniste. Dès sa naissance il s'est voulu, sur le plan politique et théorique, le continuateur du courant marxiste révolutionnaire tel qu'il s'était exprimé au travers de la Première, de la Seconde et de la Troisième Internationale. Et c'est pour affirmer à la fois cet héritage et sa fidélité au mouvement ouvrier qu'il prit plus tard le nom de « communiste internationaliste ». C'est cette néces­saire continuité politique qui amena Léon Trotsky à fonder, en 1938, la IVe Internationale.
A cette époque l'audience des groupes trotskystes à travers le monde était faible. Leurs effectifs res­treints. Mais pour Trotsky cette décision correspon­dait avant tout à la claire conscience qu'à la veille de la guerre mondiale qui se préparait, il était plus que jamais nécessaire de relever le drapeau de l'internationalisme et du marxisme révolution­naire qui était successivement tombé des mains des sociaux patriotes de l'Internationale Socialiste et des staliniens de la Troisième Internationale. La jeune « IVe Internationale », si faible fut-elle, était la preuve que l'internationalisme prolétarien, trahi et souillé par les partis socialistes et communistes offi­ciels vivait toujours.
Par ce biais c'est l'héritage de 100 ans de lutte, de leçons et d'expériences du mouvement ouvrier que Trotsky et ses camarades ont transmis au mou­vement révolutionnaire d'aujourd'hui.
Par ses racines historiques le mouvement trotskyste est le courant révolutionnaire le plus apte à s'appuyer résolument sur la classe ouvrière car il n'a pas d'in­térêts distincts et séparés des intérêts à long terme du prolétariat mondial. Ses bases programmatiques sont donc les seules sur lesquelles puisse s'appuyer une nouvelle Internationale.
Mais jusqu'à présent l'attitude des différentes ten­dances trotskystes n'a guère été à la hauteur de leur programme.
Pour des raisons historiques que nous analysons, ailleurs, le mouvement trotskyste s'est maintenu et développé presque exclusivement dans le milieu de la petite bourgeoisie. Il en résulte de lourdes consé­quences.
D'une part, se sont développés en son sein des courants pro-castriste ou pro-maoïste qui ont repris à leur compte l'essentiel des théories politiques de la petite bourgeoisie du Tiers Monde, sans parler des courants suivistes par rapport au mouvement stali­nien. D'autre part, depuis la mort de Trotsky, aucune direction internationale digne de ce nom ne s'est imposée. Par direction il faut entendre une équipe éprouvée, sélectionnée par la lutte et qui, à ce titre puisse jouir d'un capital de confiance suffisant auprès de l'ensemble des militants révolutionnaires pour disposer de l'autorité nécessaire. Cete carence à la­quelle certains ont cru naïvement remédier en dur­cissant les règlements intérieurs de leur organisation internationale, n'a aboutit qu'à l'effritement du mou­vement et à l'apparition d'au moins trois « Quatriè­me Internationale » rivales, chacune affirmant bien sûr, être la seule légitime héritière de l'organisation créée par Trotsky en 1938.
C'est là une attitude irresponsable qui ne fait que discréditer le mouvement. Ce comportement n'a bien sûr rien à voir avec le sérieux nécessaire à la cons­truction d'une Internationale révolutionnaire qui puisse devenir l'instrument de la révolution socia­liste. Dans ce domaine comme dans tous les autres, le bluff ne paie pas, no peut payer.
Aujourd'hui, la IVe Internationale n'existe plus. Mais ce qui existe, c'est un mouvement trotskyste international avec lequel iL est possible et nécessaire de travailler. Dans un premier temps, un travail inter­national fécond passe par l'admission au sein de la même organisation avec droit de fraction, de toutes les organisations se réclamant du trotskysme et de la tradition de l'Opposition de Gauche, quelles que soient leurs divergences. Une telle organisation serait sans doute très loin de l'Internationale révolution­naire que nous voulons construire, mais elle permet­trait une confrontation continuelle des expériences et des idées du mouvement, ce qui serait déjà un premier pas. Le second serait la formation d'une direction internationale, seule capable d'unifier véri­tablement l'ensemble des trotskystes, mais aussi de gagner la confiance de nombreux militants révolu­tionnaires d'autres tendances, qui pour l'instant con­servent une attitude plus que réservée vis-à-vis des organisations issues de la IVe Internationale.
Si les voies et les moyens de construction de cette nouvelle direction ne nous sont pas connus, par contre les chemins qui lui tournent le dos sont aisément discernables. Ce sont ceux qui conduisent chaque tendance du mouvement à créer « son » Internatio­nale et à s'en contenter. Car nous sommes persuadés que ce n'est pas en construisant une apparence d'organisation qu'on pourra lui donner corps un jour".

:: "Jamais de compromis ?" (Lénine)

Lénine, dans La maladie infantile du communisme (le "gauchisme"), aborde ici le thème du compromis (avril-mai 1920). Le mouvement ouvrier de cette époque n'a évidemment rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui ; néanmoins, Lénine donne ici une leçon de dialectique qui reste instructive.

Jamais de compromis ?
 
Lénine [...] Quelle naïveté enfantine que d'ériger sa propre impatience en argument théorique !" (F. Engels, Internationales aus dem Volksstaat, 1874, n°73 Extrait de l'article "Le programme des communards-blanquistes".) Dans ce même article, Engels dit l'estime profonde que lui inspire Vaillant, il parle des "mérites indiscutables" de Vaillant (qui fut comme Guesde un des grands chefs du socialisme international, avant leur trahison du socialisme en août 1914). Mais Engels ne laisse pas d'analyser en détail une erreur manifeste. Certes, à des révolutionnaires très jeunes et inexpérimentés, et aussi à des révolutionnaires petits-bourgeois, même d'âge très respectable et très expérimentés, il paraît extrêmement "dangereux", incompréhensible, erroné d'"autoriser les compromis". Et nombre de sophistes (politiciens ultra ou trop "expérimentés") raisonnent précisément comme les chefs opportunistes anglais mentionnés par le camarade Lansbury : "Si les bolcheviks se permettent tel ou tel compromis, pourquoi ne pas nous permettre n'importe quel compromis ?" Mais les prolétaires instruits par des grèves nombreuses (pour ne prendre que cette manifestation de la lutte de classe), s'assimilent d'ordinaire admirablement la très profonde vérité (philosophique, historique, politique, psychologique) énoncée par Engels. Tout prolétaire a connu des grèves, a connu des "compromis" avec les oppresseurs et les exploiteurs exécrés, lorsque les ouvriers étaient contraints de reprendre le travail sans avoir rien obtenu, ou en acceptant la satisfaction partielle de leurs revendications. Tout prolétaire, vivant dans une atmosphère de lutte de masse et d'exaspération des antagonismes de classes, peut se rendre compte de la différence qui existe entre un compromis imposé par les conditions objectives (la caisse des grévistes est pauvre, ils ne sont pas soutenus, ils sont affamés et épuisés au-delà du possible), compromis qui ne diminue en rien chez les ouvriers qui l'ont conclu le dévouement révolutionnaire et la volonté de continuer la lutte, - et un compromis de traîtres qui rejettent sur les causes objectives leur bas égoïsme (les briseurs de grèves concluent eux aussi un "compromis"!), leur lâcheté, leur désir de se faire bien voir des capitalistes, leur manque de fermeté devant les menaces, parfois devant les exhortations, parfois devant les aumônes, parfois devant la flatterie des capitalistes (ces compromis de trahison sont particulièrement nombreux dans l'histoire du mouvement ouvrier anglais, du côté des chefs des trade-unions, mais presque tous les ouvriers dans tous les pays ont pu observer, sous une forme ou sous une autre, des phénomènes analogues).
Il se présente évidemment des cas isolés, exceptionnellement difficiles et complexes, où les plus grands efforts sont nécessaires pour bien déterminer le caractère véritable de tel ou tel "compromis", - de même qu'il est très difficile de décider, dans certains cas, si le meurtre était absolument légitime et même indispensable (par exemple, en cas de légitime défense), ou s'il est le résultat d'une négligence impardonnable, voire d'un plan perfide, habilement mis à exécution. (Il va de soi qu'en politique, où il s'agit parfois de rapports extrêmement complexes - nationaux et internationaux - entre les classes et les partis, de nombreux cas se présenteront, infiniment plus difficiles que la question de savoir si un "compromis" conclu à l'occasion d'une grève est légitime, ou s'il est le fait d'un chef traître, d'un briseur de grève, etc. Vouloir trouver une recette, ou une règle générale ("Jamais de compromis" !) bonne pour tous les cas, est absurde. Il faut être assez compréhensif pour savoir se retrouver dans chaque cas particulier. La raison d'être de l'organisation du parti et des chefs dignes de ce nom c'est, entre autres choses, qu'ils doivent par un travail de longue haleine, opiniâtre, multiple et varié de tous les représentants conscients de la classe en question, acquérir les connaissances nécessaires, l'expérience nécessaire et, de plus, le flair politique nécessaire à la solution juste et prompte de questions politiques complexes.
Les gens naïfs et totalement dépourvus d'expérience s'imaginent qu'il suffit d'admettre les compromis en général pour que toute limite soit effacée entre l'opportunisme, contre lequel nous soutenons et devons soutenir une lutte intransigeante, et le marxisme révolutionnaire ou le communisme. Ces gens-là, s'ils ne savent pas encore que toutes les limites dans la nature et dans la société sont mobiles et jusqu'à un certain point conventionnelles, on ne peut leur venir en aide que moyennant une longue étude, instruction, éducation, expérience de la vie et des choses politiques. Il faut savoir discerner, dans les questions de politique pratique qui se posent à chaque moment particulier ou spécifique de l'histoire, celles où se manifestent les compromis les plus inadmissibles, les compromis de trahison, incarnant l'opportunisme funeste à la classe révolutionnaire, et consacrer tous les efforts pour les révéler et les combattre. Pendant la guerre impérialiste de 1914-1918 où s'affrontaient deux groupes de pays également pillards et rapaces, la forme principale, essentielle de l'opportunisme fut le social-chauvinisme, c'est-à-dire le soutien de la "défense nationale" qui, dans cette guerre, signifiait en réalité la défense des intérêts spoliateurs de "sa" bourgeoisie nationale. Après la guerre : la défense de la spoliatrice "Société des Nations" ; la défense des coalitions directes ou indirectes avec la bourgeoisie de son pays contre le prolétariat révolutionnaire et le mouvement "soviétique" ; la défense de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme bourgeois contre le "pouvoir des Soviets", - telles ont été les principales manifestations de ces inadmissibles compromis de trahison qui ont toujours abouti, en fin de compte, à un opportunisme funeste au prolétariat révolutionnaire et à la cause.
" ...Repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis... toute politique de louvoiement et d'entente" écrivent les "gauches" d'Allemagne dans la brochure de Francfort. Il est bien étonnant qu'avec de pareilles idées, ces gauches ne prononcent pas une condamnation catégorique du bolchevisme ! Car enfin, il n'est pas possible que les gauches d'Allemagne ignorent que toute l'histoire du bolchevisme, avant et après la Révolution d'Octobre, abonde en exemples de louvoiement, d'ententes et de compromis avec les autres partis, sans en excepter les partis bourgeois ! Faire la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, guerre cent fois plus difficile, plus longue, plus compliquée que la plus acharnée des guerres ordinaires entre Etats, et renoncer d'avance à louvoyer, à exploiter les oppositions d'intérêts (fusent-elles momentanées) qui divisent nos ennemis, à passer des accords et des compromis avec des alliés éventuels (fusent-ils temporaires, peu sûrs, chancelants, conditionnels), n'est-ce pas d'un ridicule achevé ? N'est-ce pas quelque chose comme de renoncer d'avance, dans l'ascension difficile d'une montagne inexplorée et inaccessible jusqu'à ce jour, à marcher parfois en zigzags, à revenir parfois sur ses pas, à renoncer à la direction une fois choisie pour essayer des directions différentes ? Et des gens manquant à ce point de conscience et d'expérience (encore si leur jeunesse en était la cause : les jeunes ne sont-ils pas faits pour débiter un certain temps des bêtises pareilles !) ont pu être soutenus - de près ou de loin, de façon franche ou déguisée, entièrement ou en partie, il n'importe! - par certains membres du Parti communiste hollandais !
Après la première révolution socialiste du prolétariat, après le renversement de la bourgeoisie dans un pays, le prolétariat de ce pays reste encore longtemps plus faible que la bourgeoisie, d'abord simplement à cause des relations internationales étendues de cette dernière, puis à cause du renouvellement spontané et continu, de la régénération du capitalisme et de la bourgeoisie par les petits producteurs de marchandises dans le pays qui a renversé sa bourgeoisie. On ne peut triompher d'un adversaire plus puissant qu'au prix d'une extrême tension des forces et à la condition expresse d'utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus attentive, la plus circonspecte, la plus intelligente, la moindre "fissure" entre les ennemis, les moindres oppositions d'intérêts entre tes bourgeoisies des différents pays, entre les différents groupes ou catégories de la bourgeoisie à l'intérieur de chaque pays, aussi bien que la moindre possibilité de s'assurer un allié numériquement fort, fut-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. Qui n'a pas compris cette vérité n'a compris goutte au marxisme, ni en général au socialisme scientifique contemporain. Qui n'a pas prouvé pratiquement, pendant un laps de temps assez long et en des situations politiques assez variées, qu'il sait appliquer cette vérité dans les faits, n'a pas encore appris à aider la classe révolutionnaire dans sa lutte pour affranchir des exploiteurs toute l'humanité laborieuse. Et ce qui vient d'être dit est aussi vrai pour la période qui précède et qui suit la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
Notre théorie n'est pas un dogme, mais un guide pour l'action, ont dit Marx et Engels et la plus grave erreur, le crime le plus grave de marxistes aussi "patentés" que Karl Kautsky, Otto Bauer et autres, c'est qu'ils n'ont pas compris, c'est qu'ils n'ont pas su appliquer cette vérité aux heures les plus décisives de la révolution prolétarienne. "L'action politique, ce n'est pas un trottoir de la perspective Nevski" (un trottoir net, large et uni de l'artère principale, absolument rectiligne, de Pétersbourg), disait déjà N. Tchernychevski, le grand socialiste russe de la période d'avant Marx. Depuis Tchernychevski, les révolutionnaires russes ont payé de sacrifices sans nombre leur méconnaissance ou leur oubli de cette vérité. Il faut à tout prix faire en sorte que les communistes de gauche et les révolutionnaires d'Europe occidentale et d'Amérique, dévoués à la classe ouvrière, ne payent pas aussi cher que les Russes retardataires l'assimilation de cette vérité.
Jusqu'à la chute du tsarisme, les social-démocrates révolutionnaires de Russie recoururent maintes fois aux services des libéraux bourgeois, c'est-à-dire qu'ils passèrent quantité de compromis pratiques avec ces derniers. En 1901-1902, dès avant la naissance du bolchevisme, l'ancienne rédaction de l'Iskra (faisaient partie de cette rédaction: Plékhanov, Axelrod, Zassoulitch, Martov, Potressov et moi) avait conclu (pas pour longtemps, il est vrai) une alliance politique formelle avec le leader politique du libéralisme bourgeois, Strouve, tout en soutenant sans discontinuer la lutte idéologique et politique la plus implacable contre le libéralisme bourgeois et contre les moindres manifestations de son influence au sein du mouvement ouvrier. Les bolcheviks ont toujours suivi cette politique. Depuis 1905, ils ont systématiquement préconisé l'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie contre la bourgeoisie libérale et le tsarisme, sans toutefois refuser jamais de soutenir la bourgeoisie contre le tsarisme (par exemple, au scrutin de 2e degré ou au scrutin de ballottage) et sans cesser la lutte idéologique et politique la plus intransigeante contre le parti paysan révolutionnaire bourgeois, les "socialistes-révolutionnaires", qu'ils dénonçaient comme des démocrates petits-bourgeois se prétendant socialistes. En 1907, les bolcheviks constituèrent, pour peu de temps, un bloc politique formel avec les "socialistes-révolutionnaires" pour les élections à la Douma. De 1903 à 1912, nous avons séjourné avec les mencheviks, parfois pendant plusieurs années, nominalement dans le même parti social-démocrate, sans jamais cesser de les combattre sur le terrain idéologique et politique comme agents de l'influence bourgeoise sur le prolétariat et comme opportunistes. Nous avons conclu pendant la guerre une sorte de compromis avec les "kautskistes", les mencheviks de gauche (Martov) et une partie des "socialistes-révolutionnaires" (Tchernov, Nathanson); nous avons siégé avec eux à Zimmerwald et Kienthal, publié des manifestes communs; mais nous n'avons jamais cessé ni relâché notre lutte idéologique et politique contre les "kautskistes", les Martov et les Tchernov. (Nathanson est mort en 1919, étant "communiste-révolutionnarie" populiste très proche de nous, presque solidaire avec nous.) Au moment même de la Révolution d'Octobre, nous avons constitué un bloc politique, non point formel, mais très important (et très réussi) avec la paysannerie petite-bourgeoise, en acceptant en entier, sans y rien changer, le programme agraire des socialistes-révolutionnaires; c'est-à-dire que nous avons consenti un compromis indéniable, afin de prouver aux paysans que, loin de vouloir nous imposer, nous désirions nous entendre avec eux. Nous avons proposé en même temps (et nous réalisions peu après) un bloc politique formel - avec participation au gouvernement - aux "socialistes-révolutionnaires de gauche" qui dénoncèrent ce bloc au lendemain de la paix de Brest-Litovsk pour en venir ensuite, en juillet 1918, à une insurrection armée et, plus tard, à la lutte armée contre nous.
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Le capitalisme ne serait pas le capitalisme si le prolétariat "pur" n'était entouré d'une foule extrêmement bigarrée de types sociaux marquant la transition du prolétaire au semi-prolétaire (à celui qui ne tire qu'à moitié ses moyens d'existence de la vente de sa force de travail), du semi-prolétaire au petit paysan (et au petit artisan dans la ville ou à la campagne, au petit exploitant en général) ; du petit paysan au paysan moyen, etc. ; si le prolétariat lui-même ne comportait pas de divisions en catégories plus ou moins développées, groupes d'originaires, professionnels, parfois religieux, etc. D'où la nécessité, la nécessité absolue pour l'avant-garde du prolétariat, pour sa partie consciente, pour le Parti communiste, de louvoyer, de réaliser des ententes, des compromis avec les divers groupes de prolétaires, les divers partis d'ouvriers et de petits exploitants. Le tout est de savoir appliquer cette tactique de manière à élever, et non à abaisser le niveau de conscience général du prolétariat, son esprit révolutionnaire, sa capacité de lutter et de vaincre. Notons d'ailleurs que la victoire des bolcheviks sur les mencheviks a exigé, non seulement avant mais aussi après la Révolution d'Octobre 1917, l'application d'une tactique de louvoiement, d'ententes, de compromis, de celles et de ceux, bien entendu, qui pouvaient faciliter, hâter, consolider, renforcer la victoire des bolcheviks aux dépens des mencheviks. Les démocrates petits-bourgeois (les mencheviks y compris) balancent forcément 'entre la bourgeoisie et le prolétariat, entre la démocratie bourgeoise et le régime soviétique, entre le réformisme et l'esprit révolutionnaire, entre l'ouvriérisme et la crainte devant la dictature du prolétariat, etc. La juste tactique des communistes doit consister à utiliser ces hésitations, et non point à les ignorer; or les utiliser, c'est faire des concessions aux éléments qui se tournent vers le prolétariat, et n'en faire qu'au moment et dans la mesure où ils s'orientent vers ce dernier, tout en luttant contre ceux qui se tournent vers la bourgeoisie. Grâce à l'application de cette juste tactique, le menchevisme s'est de plus en plus disloqué et se disloque chez nous, isolant les chefs qui s'obstinent dans l'opportunisme et amenant dans notre camp les meilleurs ouvriers, les meilleurs éléments de la démocratie petite-bourgeoise. C'est là un processus de longue haleine, et les "solutions" à tir rapide: "Jamais de compromis, jamais de louvoiement" ne peuvent qu'être préjudiciables à l'accroissement de l'influence du prolétariat révolutionnaire et à la montée de ses effectifs.
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:: "Contre le sectarisme" [Extrait du Programme de transition, Trotsky]

Trotsky précise"Sous l'influence de la trahison et de la dégénérescence des organisations historiques du prolétariat, naissent ou se régénèrent, à la périphérie de la IV° Internationale, des groupements et des positions sectaires de différents genres. Ils ont à leur base le refus de lutter pour les revendications partielles ou transitoires, c'est-à-dire pour les intérêts et les besoins élémentaires des masses telles qu'elles sont. Se préparer à la révolution signifie, pour les sectaires, se convaincre soi-même des avantages du socialisme. Ils proposent de tourner le dos aux "vieux" syndicats, c'est-à-dire à des dizaines de millions d'ouvriers organisés - comme si les masses pouvaient vivre en dehors des conditions de la lutte de classes réelle ! Ils restent indifférents à la lutte qui se déroule au sein des organisations réformistes - comme si l'on pouvait conquérir les masses sans intervenir dans cette lutte ! Ils se refusent à faire en pratique une différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme - comme si les masses pouvaient ne pas sentir cette différence à chaque pas !
Les sectaires ne sont capables de distinguer que deux couleurs : le blanc et le noir. Pour ne pas s'exposer à la tentation, ils simplifient la réalité. Ils se refusent à faire une différence entre les camps en lutte en Espagne, pour la raison que les deux camps ont un caractère bourgeois. Ils pensent, pour la même raison, qu'il est nécessaire de rester neutre dans la guerre entre le Japon et les pays bourgeois et se refusent, vu la politique réactionnaire de la bureaucratie soviétique, à défendre contre l'impérialisme les formes de propriété créées par la révolution d'Octobre.
Incapables de trouver accès aux masses, ils les accusent volontiers d'être incapable de s'élever jusqu'aux idées révolutionnaires.
Un pont, sous la forme de revendications transitoires, n'est aucunement nécessaire à ces prophètes stériles, car ils ne se disposent nullement à passer sur l'autre rive. Ils piétinent sur place, se contentant de répéter les mêmes abstractions vides. Les événements politiques sont pour eux une occasion de faire des commentaires, mais non d'agir. Comme les sectaires, de même que les confusionnistes et les faiseurs de miracles de toutes sortes, reçoivent à chaque instant des chiquenaudes de la part de la réalité, ils vivent dans un état d'irritation continuelle, se plaignent sans cesse du "régime" et des "méthodes", et s'adonnent aux petites intrigues. Dans leurs propres milieux, ils exercent d'ordinaire un régime de despotisme. La prostration politique du sectarisme ne fait que compléter, comme son ombre, la prostration de l'opportunisme, sans ouvrir de perspectives révolutionnaires. Dans la politique pratique, les sectaires s'unissent à chaque pas aux opportunistes, surtout aux centristes, pour lutter contre le marxisme.
La majorité des groupes et cliques sectaires de ce genre, qui se nourrissent de miettes tombées de la table de la IV° Internationale, mènent une existence organisationnelle "indépendante", avec de grandes prétentions, mais sans la moindre chance de succès. Les bolcheviks-léninistes peuvent, sans perdre leur temps, abandonner tranquillement ces groupes à leur propre sort.
Cependant, des tendances sectaires se rencontrent aussi dans nos propres rangs et exercent une influence funeste sur le travail de certaines sections. C'est une chose qu'il est impossible de supporter un seul jour de plus. Une politique juste sur les syndicats est une condition fondamentale de l'appartenance à la IV° Internationale. Celui qui ne cherche ni ne trouve la voie du mouvement des masses, celui-là n'est pas un combattant, mais un poids mort pour le Parti. Un programme n'est pas créé pour une rédaction, une salle de lecture ou un club de discussion, mais pour l'action révolutionnaire de millions d'hommes. L'épuration des rangs de la IV° Internationale du sectarisme et des sectaires incorrigibles est la plus importante condition des succès révolutionnaires."