vendredi 19 octobre 2012

:: Le Programme de transition, réponse à la crise du capitalisme

Programme de transition,
Léon Trotsky
Editions Les Bons Caractères

La crise financière qui secoue le monde capitaliste depuis l’été 2007 (mais dont les prémisses sont bien antérieures) est la démonstration éclatante de la vanité des discours de tous ceux qui prétendaient que le marché était le meilleur régulateur possible de l’économie et que les crises, la lutte des classes, appartenaient au passé.

La lutte des classes, la bourgeoisie la mène impitoyablement. Dans tous les pays industrialisés, dans l’immense majorité des pays sous-développés, celle-ci s’attaque au niveau de vie des travailleurs, s’efforçant sans relâche d’accroître ses profits en diminuant la part du revenu national qui échoit aux salariés.
À un moment où la domination croissante du capital financier sur l’économie a conduit le monde dans une crise dont le Premier ministre français, Fillon, dit lui-même qu’elle a conduit le monde « au bord du gouffre », les mots d’ordre du Programme de transition sont plus que jamais d’actualité.

Échelle mobile des salaires, pour lutter contre une inflation qui rogne le pouvoir d’achat des salariés. Échelle mobile des heures de travail, pour lutter contre ce drame social que sont le chômage et ses corollaires, la multiplication des temps partiels imposés et des emplois précaires. Et comme il ne s’agit pas là d’articles d’un programme électoral dépendant de la seule bonne volonté du Parlement, mais d’objectifs à avancer dans les luttes des travailleurs, cela implique la mobilisation de ceux-ci pour exercer un contrôle ouvrier sur les entreprises, pour l’abolition du secret bancaire et du secret commercial, sans quoi un tel contrôle serait vain.

D’une brûlante actualité aussi, dans le cas de la crise actuelle, est le mot d’ordre de l’expropriation des banques privées et de l’étatisation du système de crédit pour mettre fin à la domination du capital financier.

Ces mots d’ordre qui étaient au cœur du Programme de transition, qui pourrait dire aujourd’hui qu’ils sont dépassés ?

[...]

La quatrième internationale après Trotsky

Du vivant même de Trotsky, la décision de proclamer l’existence de la Quatrième Internationale avait suscité bien des réticences, voire des divergences déclarées, dans les groupes qui se réclamaient de lui. En Espagne, la majorité de la Gauche communiste d’Espagne (ICE) avait suivi Andrès Nin dans sa politique de fusion avec le Bloc ouvrier et paysan pour constituer le POUM, parti qui, soumis à l’épreuve du feu en 1936, se rallia au Front populaire lors des élections de février et fournit un ministre de la Justice au gouvernement bourgeois de Catalogne six mois plus tard. En France, toute une partie des militants se réclamant de Trotsky, derrière Pierre Frank et Raymond Molinier, s’était orientée en 1935 vers un « organe de masse » se donnant comme but de regrouper des militants sur la base d’un accord politique limité à quelques points, c’est-à-dire sans programme véritable. Ce fut La Commune, et les GAR (Groupes d’Action Révolutionnaire) qui n’eurent qu’une existence éphémère, mais qui témoignaient par la négative de l’importance que revêtait l’adoption d’un programme clair.

Le problème est qu’en dehors de l’URSS, c’étaient surtout des intellectuels qui avaient rejoint les rangs de l’Opposition de gauche internationale. C’était particulièrement vrai de la France qui, par son histoire récente, occupait une grande place dans les préoccupations de Trotsky. Les dirigeants staliniens avaient creusé un véritable fossé moral, difficilement franchissable, entre eux et la base ouvrière du PCF. En revanche, les contacts étaient bien plus faciles avec une social-démocratie qui se disait encore en paroles « révolutionnaire », et dont nombre de jeunes militants trotskystes étaient issus, surtout à partir de 1935. Beaucoup avaient gardé des liens dans ce milieu, qui ne constituait pourtant pas une bonne école politique.
Trotsky espérait cependant que dans les bouleversements que la guerre à venir allait entraîner, la Quatrième Internationale se renforcerait et dirigerait de grandes luttes révolutionnaires, comme la Troisième l’avait fait vingt ans plus tôt. Il n’en a malheureusement rien été.

Le poids des circonstances objectives explique pour une large part que les organisations trotskystes n’aient pas joué un rôle déterminant, en l’absence de mouvements révolutionnaires prolétariens. La sainte-alliance des impérialismes alliés et de la bureaucratie soviétique à partir de 1941, pour éviter que la guerre ne débouche sur des explosions révolutionnaires dans les pays industrialisés, a été efficace. Le caractère impérialiste du deuxième conflit mondial a largement été occulté aux yeux des masses par la prétendue « croisade des démocraties contre le fascisme ». Et si la guerre a bien débouché sur des secousses révolutionnaires, celles-ci n’ont touché que les pays coloniaux et semi-coloniaux, où l’absence de toute direction prolétarienne a laissé une complète latitude à des directions petites-bourgeoises pour prendre la tête de mouvements de masse et se hisser ainsi au pouvoir.

Les militants trotskystes étaient en outre confrontés au gangstérisme stalinien qui n’hésitait pas à recourir à l’assassinat.

Mais les circonstances extérieures n’expliquent pas le naufrage politique de la grande majorité des groupes qui se réclamaient de la Quatrième Internationale. La composition petite-bourgeoise de la majorité des sections de l’Internationale, dont Trotsky connaissait parfaitement les dangers (il n’est que de voir l’importance qu’il donne au recrutement ouvrier, dans ses interventions sur la crise du SWP en 1939-40), produisait ses effets.

Cela commença en France dès l’effondrement militaire de mai-juin 1940 et l’occupation allemande, avec la main tendue par certaines tendances trotskystes aux « bourgeois pensant français ». Et cela continua avec un suivisme quasi systématique vis-à-vis de tous les courants qui traversaient la petite bourgeoisie intellectuelle. C’est ainsi que les démocraties populaires furent reconnues par la plupart des organisations se réclamant du trotskysme comme des « États ouvriers déformés », qualificatif qui revenait à attribuer à la bureaucratie soviétique un caractère révolutionnaire, alors qu’elle avait tout fait à la fin de la guerre pour y museler le prolétariat. Il en fut de même pour la Chine de Mao Tsé-toung, c’est-à-dire pour un régime qui se mit en place en chevauchant une insurrection paysanne, sans aucune intervention de la classe ouvrière. Et on n’en finirait pas d’énumérer les mouvements nationalistes présentés comme « socialistes », en Yougoslavie, en Indochine, en Algérie, à Cuba, au Vietnam ou au Nicaragua, pour ne citer que les plus connus.

C’est qu’en fait la Quatrième Internationale, en tant qu’organisation se donnant pour but de diriger les combats de la classe ouvrière dans la perspective de la révolution socialiste mondiale, n’avait pas résisté au choc de la deuxième guerre mondiale. Trotsky mort, elle avait perdu sa boussole politique.

Cela n’empêcha évidemment pas un certain nombre de dirigeants de groupes se réclamant du trotskysme, souvent même parmi ceux qui s’étaient opposés à Trotsky du vivant de celui-ci, de se proclamer direction internationale. Et comme aucun n’avait une autorité politique reconnue par l’ensemble du mouvement, les scissions se multiplièrent au fil des ans, et il est devenu difficile de dresser un tableau exhaustif de tous les regroupements qui, d’une manière ou d’une autre, se proclament « Quatrième Internationale ».

L’actualité du programme de la Quatrième Internationale

Mais si l’Internationale prolétarienne reste à construire, le programme de 1938 reste un capital irremplaçable pour tous ceux qui se sont attelés à cette tâche. Car si le monde a profondément changé en soixante-dix ans, sous tous ces changements les mêmes problèmes demeurent, du moins pour ceux qui ont choisi de consacrer leur activité militante à la défense d’une politique prolétarienne.

LO, 6 octobre 2008

[tous les jours, un nouvel extrait du Programme de transition sur @recriweb, le Tumblr]