mercredi 26 août 2015

:: 23 août 1939 : signature du pacte germano-soviétique


Le 23 août 1939, à Moscou, Ribbentrop et Molotov, les ministres des Affaires étrangères respectifs de l'Allemagne nazie et de l'URSS, signèrent un pacte de non-agression. Staline espérait ainsi contenir les ambitions de conquête d'Hitler vers l'est. Illusion de courte durée, puisque deux ans plus tard l'Allemagne nazie envahissait la Russie soviétique.

Pour défendre l'URSS menacée par l'expansionnisme de l'Allemagne nazie, Staline ne comptait pas sur la politique révolutionnaire qui avait été celle du jeune État soviétique, en 1917. Depuis la fin des années vingt, il avait tourné le dos à toute idée de révolution prolétarienne. À partir de 1934, il privilégia l'alliance, bien illusoire d'ailleurs, avec les États capitalistes comme la France (pacte Laval-Staline). Ce fut la politique « d'alliance des démocraties » et des « Fronts populaires » contre « les agresseurs fascistes ». En France, les dirigeants du Parti Communiste abandonnèrent toute idée de révolution sociale. Le PC devint nationaliste et même chauvin. Il se transforma en champion de la défense nationale. Pour lui, le conflit qui s'annonçait n'avait plus le caractère d'une guerre inter-impérialiste, mais celui d'un affrontement des « démocraties » contre le « fascisme ».

Face aux revendications de l'Allemagne nazie sur les Sudètes, en Tchécoslovaquie, Chamberlain pour la Grande-Bretagne et Daladier pour la France signèrent les accords de Munich, en 1938, avec Hitler et Mussolini. Ce fut une capitulation sans condition où ils donnèrent la Tchécoslovaquie en pâture à Hitler, espérant ainsi retarder la guerre. Chamberlain comme Daladier, représentants respectifs de leur bourgeoisie, laissaient ainsi les mains libres à Hitler pour son expansion à l'est et espéraient bien que celui-ci finisse par régler son compte à Staline. Tenu volontairement à l'écart de cette paix impérialiste par ses anciens alliés d'hier, Staline fit volte-face et signa un pacte avec Hitler.

Ce pacte scandalisa l'opinion bourgeoise et social-démocrate. En fait, il était dans la continuité de la politique menée par Staline depuis 1935, qui recherchait à échapper à la guerre grâce à une alliance avec un des deux camps impérialistes. Mais il incluait en outre des clauses secrètes prévoyant le partage de la Pologne entre l'Allemagne et la Russie, dont la mise en oeuvre fin septembre désorienta encore plus les Partis Communistes et les dizaines de milliers de militants pour qui Hitler, fossoyeur de la classe ouvrière allemande, était l'ennemi mortel des travailleurs.

Un virage diplomatique à 180° de la bureaucratie stalinienne

Cettte politique démoralisa et désorienta les classes populaires, et les militants communistes de ces « prétendues démocraties », comme l'écrivait Trotsky. En France, l'annonce de ce pacte fit l'effet d'une bombe. Certains militants communistes refusèrent d'y croire. D'autres le justifièrent en parlant de manoeuvre de Staline pour gagner du temps. De nombreux militants, écoeurés, déchirèrent leur carte. Des députés donnèrent publiquement leur démission et prirent des distances avec leur ancien parti. Tout comme le firent à leur tour nombre d'intellectuels, compagnons de route du parti. Et comment pouvait-t-il en être autrement, après avoir expliqué depuis 1934, à des centaines de milliers de militants, que l'ennemi c'était le fascisme ? Staline vendait désormais du pétrole et du manganèse à Hitler, expliquant que le peuple allemand aimait son Führer et que l'Allemagne était victime du « bloc impérialiste » anglo-français !

En France, la répression s'abat sur le Parti Communiste

Le pacte isola la Russie sur le plan international. En France, le gouvernement accentua la répression contre le Parti Communiste, qui avait déjà commencé au lendemain des accords de Munich. Le 25 août 1939, les deux quotidiens du PC l'Humanité et Ce Soir furent interdits, tandis que les distributeurs de tracts et les colleurs d'affiches communistes étaient systématiquement arrêtés. Le 2 septembre, la France déclara la guerre à l'Allemagne, qui avait envahi la Pologne la veille. Daladier demanda des crédits militaires supplémentaires et les députés communistes les votèrent ! Mais le gouvernement se fichait comme d'une guigne des actes de loyalisme du PCF qu'il qualifiait de « parti de l'étranger ». Lorsque la Russie envahit à son tour la Pologne, le 17 septembre, la chasse aux communistes fut ouverte. Le 26 septembre, le Parti Communiste et toutes les organisations communistes, liées ou pas au PCF, furent dissoutes par décret-loi adopté en Conseil des ministres à l'unanimité. Le PCF n'avait plus d'existence légale et fut réduit à l'activité clandestine. Le 8 octobre, les premiers députés communistes furent arrêtés. Daladier autorisa l'internement administratif, le 18 novembre. Durant les neuf mois qui suivirent la signature du pacte, la police française opéra 15 000 perquisitions et arrêta plus de 5 500 militants communistes français et étrangers résidant en France. En avril 1940 le décret Sérol - du nom d'Albert Sérol, ministre de la Justice et député SFIO (socialiste) de la Loire, ancien ministre de Léon Blum - autorisait la peine de mort pour qui nuirait à la défense nationale. Ce décret visait essentiellement les militants communistes.

Cette répression brutale porta un coup d'arrêt à l'intégration du PCF au sein de la société bourgeoise, commencée quelques années plus tôt avec la politique du Front Populaire. Elle provoqua toutefois un réflexe de solidarité chez les militants communistes, y compris ceux écoeurés par le pacte germano-soviétique. Le Parti Communiste entra alors dans une période difficile où, pour survivre dans la clandestinité, il dut affronter non seulement la répression de la police de Vichy, mais aussi celle de l'occupation allemande. Il connut de nouveau un succès à partir de 1942-1943, alors que l'URSS attaquée par l'Allemagne était redevenue alliée des impérialismes anglais et américain, puis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais sur la base d'une politique nationaliste « d'Union sacrée ».

Il n'était plus d'ailleurs la « section française » d'une Internationale Communiste que Staline avait dissoute en mai 1943 pour complaire à ses alliés anglo-américains, mais le Parti Communiste Français. Ce qu'il est resté.

René CYRILLE (LO n°2142)

:: Août 1968 à Prague : les tanks contre le "Printemps"


Le 21 août 1968, les tanks des troupes du pacte de Varsovie - qui regroupait autour de l'URSS ses satellites d'Europe centrale et orientale - envahissaient la Tchécoslovaquie pour mettre un terme à ce qu'on appelait le " Printemps de Prague ".


Les dirigeants du Kremlin voyaient d'un mauvais oeil les changements qui se produisaient depuis des mois à la tête de la Tchécoslovaquie dite " socialiste ", d'autant qu'ils s'accompagnaient d'un air de liberté jamais vu pour sa population. Eux et les dirigeants des autres Démocraties populaires (les pays de l'Est sur lesquels Staline avait établi son emprise après 1945) craignaient qu'un tel exemple ne suscite des émules dans la région.

Dans la période qui avait suivi la mort de Staline, l'État alors unique des Tchèques et des Slovaques était sans doute, de toutes les démocraties populaires, celui qui avait le moins causé de souci à Moscou. Gottwald, le Staline tchèque, était mort la même année que le " petit père des peuples ". Un autre stalinien, Novotny, lui avait succédé sans que grand-chose ne change à la tête de la Tchécoslovaquie durant 15 ans.

L'équipe Novotny faisait figure d'anachronisme rescapé de la " déstalinisation ". Mais à la direction du PC, des voix commençaient à réclamer des réformes comme il y en avait eu en Hongrie ou en Pologne. Des changements aussi, et d'abord que Novotny ne cumule plus les postes de chef du parti et de chef de l'État.

Fin 1967, le congrès des écrivains tchécoslovaques mit sur la sellette le régime et Novotny, sans que des arrestations pleuvent sur les " fautifs ". Après une réforme économique, avortée aussitôt que lancée, c'était un nouveau signe du fait que Novotny ne tenait plus vraiment la barre.

Le printemps en janvier ?

C'est dans ce contexte qu'un membre de la direction, le Slovaque Dubcek, s'imposa comme l'homme du compromis entre les clans du pouvoir. Début janvier 1968, Novotny dut lui céder la tête du parti. En mars, il perdit la présidence de la République. Et en avril, le quatuor " réformateur " - Dubcek, Svoboda (chef de l'État), Smrkovsky (président du parlement), Cernik (Premier ministre) - élimina l'ancienne équipe des organes dirigeants.

Pour vaincre la résistance des novotnistes, Dubcek et ses alliés avaient quêté l'approbation du Kremlin. Mais il avaient aussi l'appui de la jeunesse universitaire, que Novotny avait fait matraquer fin 1967, des écrivains et des journalistes, qui étalèrent sur la place publique les turpitudes de l'ancienne équipe.
Tout l'hiver, la population avait été tenue à l'écart des luttes au sommet. Et cela servait d'argument à Dubcek qui, auprès de Moscou, pouvait se targuer d'avoir la situation bien en main. Mais les choses changeaient : l'effervescence de l'intelligentsia gagnait toute la population.

Dans les universités, les usines, les bureaux, on se passionnait pour les débats sur le passé, les réformes à venir, la " voie tchécoslovaque vers le socialisme ", annoncée par Dubcek et vilipendée par Brejnev. La nouvelle direction promettait d'abolir la censure (qui ne s'exerçait déjà plus), d'épurer la police politique, de châtier les auteurs des crimes staliniens, de donner plus de champ à l'Église. En écho aux aspirations slovaques, l'État allait se doter d'une structure fédérale. Autre projet : établir une distinction nette entre le gouvernement et le parti.

Il s'agissait essentiellement de promesses. Mais elles soulevaient d'espoir tout un peuple. Et il faisait bloc derrière Dubcek en qui il plaçait sa confiance.

Le talon de fer de la bureaucratie russe

Si Dubcek contrôlait la situation en Tchécoslovaquie, et face aux PC des " pays frères " se posait en apôtre de " la transition à une qualité nouvelle de la société socialiste ", les dirigeants du pacte de Varsovie, craignant que le vent de libéralisation qui soufflait à Prague ne finisse par atteindre leurs pays, se faisaient de plus en plus menaçants. Le 15 juillet, ils lancèrent un ultimatum, enjoignant aux autorités de Prague de sévir contre " les forces antisocialistes menaçantes ". Le 21 août, les tanks de l'armée soviétique passaient à l'action.

Le camp des puissances impérialistes poussa des hauts cris. Mais il n'était pas mécontent que la bureaucratie se charge à nouveau du sale travail, en mettant un terme à une effervescence populaire au coeur de l'Europe. Car ce phénomène aurait pu être contagieux. Dans les pays de l'Est et peut-être au-delà. Après tout, la grève générale de mai-juin 68 en France venait juste de prendre fin. Et puis, au moment où l'impérialisme américain était embourbé dans la guerre du Vietnam, impopulaire aux États-Unis même, leurs dirigeants se frottaient les mains : une fois encore, les héritiers de Staline donnaient du socialisme l'image hideuse de leurs crimes.

La logique de la capitulation

En attendant, le secrétaire général du Parti Communiste d'Union soviétique, Brejnev, se heurtait à un mur. La population tchécoslovaque s'efforçait de paralyser l'armée d'invasion, s'adressant à ses soldats, sabotant la signalisation routière. Face à cette unanimité agissante, le Kremlin qui n'avait ni appui local, ni équipe de rechange, se trouvait dans une situation difficile.

C'est Dubcek qui le tira d'embarras en signant " les accords de Moscou ". Entérinant l'intervention, ils justifiaient l'occupation sous prétexte d'éviter le pire. Cela n'évita pas le sang de couler quand des jeunes affrontaient, seuls, les forces d'occupation et, de plus en plus souvent, la police de Dubcek. Cela n'évita pas le désespoir de tout un peuple qui, ayant placé ses espoirs dans un homme, le vit se faire le complice de la " normalisation ". Jusqu'à ce que celle-ci étant désormais en route, Dubcek, devenu inutile, soit éjecté de ses fonctions.

Pierre LAFFITTE (LO n°2090)