mardi 30 novembre 2010

:: La méthode dialectique [Ce que sont les "amis du peuple" #4]

Un seul point importe à Marx, y est‑il dit : découvrir la loi des phénomènes qu'il analyse... Ce qui lui importe surtout, c'est la loi du changement, de l'évolution de ces phénomènes, c’est‑à-dire la transition d'une forme à une autre, d'un ordre de rapports sociaux à un autre... Aussi Marx ne se soucie‑t‑il que d'une chose : établir, par une recherche scientifique précise, la nécessité d’une organisation déterminée des conditions sociales, et constater, avec le maximum d'exactitude, les faits qui lui servent de point de départ et de point d'appui. Il lui suffit amplement, pour cela, de prouver, en même temps que la nécessité de l'ordre actuel, la nécessité d'un ordre nouveau, qui doit inéluctablement naître du précédent ‑ que les hommes croient ou ne croient pas à cette nécessité, qu'ils en aient conscience ou non, peu importe. Marx considère l'évolution sociale comme un procès d'histoire naturelle régi par des lois qui ne dépendent pas de la volonté, ni de la conscience, ni des intentions des hommes, mais, au contraire, les déterminent. [Avis à MM. les subjectivistes qui dissocient l'évolution sociale de l'évolution de l'histoire naturelle, précisément parce que l'homme s'assigne des « buts » conscients et s'inspire d’idéals définis.] Si l'élément conscient joue dans l'histoire de la culture un rôle si subordonné, on conçoit que la critique qui a pour objet cette même culture, ne puisse s'appuyer à plus forte raison sur une forme ou un résultat quelconque de la conscience. En d'autres termes, son point de départ ne peut être l'idée, mais uniquement le phénomène extérieur objectif. La critique devra se borner à comparer, à confronter un fait, non pas avec l'idée, mais avec un autre fait. Ce qui lui importe, c'est que les deux faits soient étudiés avec toute la précision voulue, et qu'ils représentent, l'un par rapport à l'autre, des étapes différentes du développement; et ce qui est nécessaire surtout, c'est une étude non moins précise des différents états de leur succession, et de la liaison qui existe entre les divers degrés d'évolution. Marx n'admet précisément pas cette idée que les lois générales de la vie économique restent identiques, pour le passé comme pour le présent. Au contraire, chaque période historique possède ses lois propres. La vie économique est un phénomène analogue à celui que présente l'histoire de l'évolution dans les autres branches de la biologie. Les anciens économistes ne comprenaient pas la nature des lois économiques, quand ils les comparaient aux lois de la physique et de la chimie. Une analyse plus poussée montre que les organismes sociaux se distinguent entre eux aussi profondément que les organismes animaux ou végétaux. En s'assignant pour tâche d'étudier de ce point de vue l'organisation économique capitaliste, Marx formule, avec toute la rigueur scientifique, le but que doit poursuivre toute étude consciencieuse de la vie économique. La portée scientifique de cette étude, c'est d'expliquer les lois (historiques) particulières qui régissent l'apparition, l'existence, le développement et la mort d'un organisme social donné, et son remplacement par un autre plus élevé.

Lénine, "Ce que sont les 'amis du peuple'", in Œuvres, Tome 1 (1893-1894), pp. 182-183.