dimanche 9 novembre 2014

:: 1989 : la fin du "bloc soviétique", la désagrégation du stalinisme, mais pas la fin du communisme

Certains dans les milieux bourgeois pavoisent parce que ce serait la fin du communisme ! Ceux-là n’auront pas des lendemains qui chantent ! Car la disparition par forfait du prétendu « bloc soviétique » aujourd’hui, pas plus que son existence pendant 40 ans, n’a jamais eu à voir avec le communisme... si ce n’est qu’il en était une odieuse contre-façon. La plus grande escroquerie du siècle ! 

Mais laissons les anti-communistes les plus frustres se féliciter du déclin de l’URSS sur la scène mondiale. Les politiciens ou journalistes liés aux milieux dirigeants américains eux, n’éprouvent pas la même jubilation. De leur côté, il y a une inquiétude évidente.


« Est-ce que le déclin de l’URSS est la clé d’un futur plus stable ? » , demande un certain Goldberg dans une revue de Washington. L’auteur n’est pas du tout sûr de la réponse ! « Beaucoup de gens prétendent », dit-il « que les démocraties sont forcément beaucoup plus pacifiques que les dictatures. Cela n’a rien d’évident, et l’histoire ne le prouve pas. En réalité, la guerre froide était dans le monde un élément de stabilité ». Et ce journaliste bourgeois américain ne raisonne pas seulement en fonction du bloc soviétique. Il ne constate pas seulement que les bureaucrates soviétiques ont contribué, depuis des décennies, au maintien de l’ordre impérialiste mondial. Il constate aussi que la division du monde a aidé les Américains à maintenir l’ordre dans leur bloc, dans ce « bloc occidental » rendu peut-être aujourd’hui plus fragile.

La prétendue « menace soviétique » ou autre « main de Moscou », a indéniablement aidé les Américains à faire passer leurs intérêts pour ceux de l’ensemble de l’humanité, du « monde libre » ils disaient. Et à faire accepter au monde entier, et en particulier aux travailleurs des pays riches, sans qu’ils réagissent, sans qu’ils se sentent vraiment concernés, quarante ans de massacres dans le Tiers-Monde. Aujourd’hui évidemment que la « menace soviétique » a fait son temps, est-ce que ça ne va pas être aussi pour l’impérialisme américain la « vérité des prix » ?

Les dirigeants américains s’inquiètent déjà pour la « solidarité occidentale » qui paraîtra vraisemblablement moins évidente, entre puissances impérialistes elles-mêmes, dont on constate qu’elles sont plus ou moins solidaires jusqu’à présent, mais néanmoins rivales. Et si les contradictions inter-impérialistes s’exacerbaient, est-ce que l’absence de ce « bloc soviétique » présenté comme irréductiblement opposé et antagoniste et contre lequel il fallait serrer les rangs, ne pourrait pas favoriser la réapparition de luttes âpres entre États impérialistes ? Est-ce que la tension des relations internationales entre le Japon et les États-Unis, entre l’Allemagne et le Japon, ou entre l’Allemagne et l’Angleterre ne pourrait pas être encouragée ? Cela dépend de la concurrence économique entre les impérialismes, certes. Leur lutte n’est pas à son état critique. Mais c’est un fait que si l’impérialisme américain n’apparaît plus comme le chef inconteste d’un bloc, le monde peut repartir...comme en 1914, ou comme en 1940 !

Nous n’en sommes pas là. Pas encore du moins, et pour le moment, ce qui inquiète les dirigeants du monde impérialiste, c’est la situation dans les pays pauvres. En fait dans tous les pays qui ne sont pas les quelques métropoles impérialistes.

L’économie impérialiste, même si elle ne retrouve pas la croissance des années 1950 à 1973 qui a marqué son « âge d’or » dit avoir surmonté les crises les plus graves des quinze ans passés, et connaître à nouveau une « reprise », lente mais sûre.

Le renforcement apparent de l’impérialisme n’est pas dû à sa dynamique économique interne ou à son absence de contradictions, ou à la puissance de l’économie de marché.

Entre les deux guerres, c’est son économie, ses contradictions, qui l’avaient conduit à une crise catastrophique génératrice de la crise révolutionnaire des années 30 et de la guerre mondiale qui a clos la même décennie.

Et si l’impérialisme s’est sorti sans encombre de la crise sociale et politique des années 30, c’est grâce à la trahison de la bureaucratie soviétique. Ce fut une intervention politique volontaire, car ces dirigeants craignaient la révolution prolétarienne encore plus, si c’est possible, que les dirigeants impérialistes pouvaient la craindre.

La Deuxième Guerre mondiale fut crainte par tous les dirigeants impérialistes, car ils avaient l’expérience de la façon dont la première s’était terminée, par une gigantesque crise révolutionnaire que avait secoué toute l’Europe et une partie de l’Asie.

Quand ils se sont engagés, à leur corps défendant, dans la Deuxième Guerre mondiale, ils savaient que la guerre à laquelle ils étaient acculés par les « mérites » de leur économie de marché, portait en elle ce risque majeur.

Mais Staline avait fait massacrer, dans la même décennie de 1930 à 1940, des dizaines de milliers de militants révolutionnaires, de militants communistes, en avaient démoralisé bien d’autres encore, avait laissé sacrifier des dizaines de milliers de militants communistes au fascisme en Allemagne, avait corrompu, du haut en bas, le mouvement ouvrier européen.

Et de plus, durant la guerre, il apporta un appui décisif à la politique impérialiste des alliés en stérilisant dans l’oeuf toute posibilité pour le prolétariat européen ou asiatique de retrouver spontanément la voie révolutionnaire.

Enfin, dans l’immédiat après-guerre, les dirigeants de l’URSS n’ouvrirent pas à l’immense réservoir de forces constitué par les révolutions coloniales, la possibilité de se transformer en révolution prolétarienne, facteur d’extension possible de détruire l’impérialisme, au lieu simplement de le gêner très momentanément.

Aujourd’hui les dirigeants de la bureaucratie russe ont joué leur partie jusqu’au bout et ils en sont victime. car l’impérialisme a survécu là où il aurait pu mourir mille fois, en prenant l’apparence, aux yeux du monde entier, d’un régime fort, idéal, en expansion, et qu’aucun autre régime, aucune autre société, ne peut contester.

Ceux qui annoncent aujourd’hui une « reprise économique » l’interprêtent en tout cas comme le fruit d’une exploitation toujours plus dure des travailleurs et des masses populaires, d’un creusement dramatique des inégalités. Autant dans les pays riches que dans les pays pauvres, même si les effets n’y sont encore les mêmes.

Et c’est ce qui inquiète les dirigeants de l’impérialisme. Ils savent bien que la prétendue disparition du communisme n’est pas un véritable succès politique pour eux. Ils savent bien que la prétendue reprise économique n’est est pas un non plus. Ils savent qu’ils n'ont pas à pavoiser. Ils savent que tout est pour le pire dans leur meilleur des mondes.

Ils savent qu’un système où on peut perdre chaque année davantage d’argent sur les tables de jeu du Nevada que les États-Unis n’en consacrent à l’aide au pays sous-développés, ou encore qu’un système où les Américains peuvent dépenser davantage en un an pour nourrir leurs chiens que ne dépensent les 600 millions de personnes qui ont faim dans le monde, qu’un tel système n’est ni défendable, ni tenable.

Un dénommé Georges Kennan, prétendu théoricien de la théorie du containment de l’URSS, en 1947, explique qu’il n’y avait vraiment plus rien à endiguer en URSS. Seulement des profits à y faire, peut-être. Par contre « s’il y a un danger réel pour les USA, c’est en nous-mêmes » écrit-il, « dans le Tiers Monde et sa misère » ... « c’est cela qu’on a aujourd’hui à « contenir » ».

Oui, ce n’est plus un « bloc » que l’impérialisme a à endiguer. C’est un monde. Et si les quelque quatre milliards 900 millions de prolétaires de la planète (à supposer qu’il y ait même cent millions de riches) décidaient d’en finir avec l’Apartheid par l’argent, on ne serait pas si loin que cela du communisme, et du vrai.

Car ce qu’on peut conclure de ces décennies d’explosion, puis de dégénérescence et de déclin de l’URSS, c’est que si le stalinisme a perdu, peut-être définitivement, la partie contre l’impérialisme, la classe ouvrière, elle, n’a perdu que des batailles mais pas la guerre de classe qui ne cessera qu’avec l’exploitation.



samedi 8 novembre 2014

:: 1917, la révolution russe

L’année 1917, l’année trouble, disait Poincaré ; entendez par là l’année où la bourgeoisie vit se dresser devant elle, pour la première fois depuis le début du conflit, le spectre de la révolution.
 
Depuis près de trois ans, la guerre piétinait. Vingt-huit pays belligérants, ayant mobilisé 74 millions d’hommes, s’affrontaient de la Flandre à la Suisse, du golfe de Finlande à la Mer Noire, dans les Balkans et en Asie Mineure.


Les patriotes professionnels avaient chanté la guerre fraîche et joyeuse. Mais dans la boue des tranchées, les soldats qui avaient pu y croire perdirent vite leurs illusions. Le conflit semblait ne devoir jamais se terminer ; des milliers, des millions d’hommes tombaient dans des offensives meurtrières, pour quelques mètres carrés de fange et de barbelés.


Alors, peu à peu, pénétra dans la conscience des soldats la conviction profonde qu’eux seuls pourraient mettre fin à la tuerie.


En mars 1917, pour la première fois, des mutineries éclataient dans la flotte allemande. Elles furent réprimées.


Mais en Russie, le 4 mars (23 février suivant le calendrier Julien en vigueur dans l’Empire des tzars), à l’occasion de la « journée internationale des femmes », la grève générale éclatait à Pétrograd. La plus grande partie de la garnison passait du côté des insurgés et, en cinq jours, l’autocratie s’écroulait.


Certes, le gouvernement provisoire qui se formait alors ne représentait en aucune manière les intérêts des travailleurs. Serviteur fidèle, bien que gêné par les événements, de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers, il entendait ne rien changer à l’ordre social existant, et maintenir le pays dans la guerre.


Mais les masses s’étaient organisées. Elles avaient formé leurs soviets. La révolution ne faisait que commencer.


Les insurgés furent moins heureux en France. En mai, après l’échec de la meurtrière offensive Nivelle sur le Chemin des Dames, la révolte éclatait. Les éléments de 54 divisions se soulevèrent, désertèrent, refusèrent tout service, arborèrent les drapeaux rouges, réclamèrent la paix, menacèrent de marcher sur la capitale. Il n’existait plus que deux divisions sûres entre Soissons et Paris.


La révolte fut brisée, la répression, dirigée par Pétain, sanglante. Et pendant des mois, alors que la révolution continuait à se développer en Russie, plus aucun soulèvement ne se produisit dans les armées en guerre.


Mais le printemps de 1917 avait au moins montré à la bourgeoisie sur quelle poudrière elle était assise.


Il avait aussi montré qu’il ne suffisait pas d’une mutinerie pour en finir avec la guerre, qu’il fallait une véritable révolution, brisant le pouvoir des classes dominantes. Or, s’il suffit de mutins pour faire une mutinerie, il faut des révolutionnaires pour faire une révolution, et il faut même un parti révolutionnaire.


Mais en Russie, il y avait un parti révolutionnaire ; il y avait ce parti bolchévik qui, depuis trois ans, prêchait la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.


Le parti n’en connut pas moins une période de flottement, au lendemain de Février, lorsque certains dirigeants, dont Staline, prétendirent l’amener à une politique de soutien du gouvernement provisoire.


Mais dès le retour d’émigration de Lénine, en avril, il fit sien le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets », considérant ceux-ci comme l’embryon du futur État prolétarien.


En fait, bien peu de choses pouvaient empêcher les masses de prendre leur propre sort en mains, si ce n’est leurs préjugés, et les illusions qu’elles nourrissaient sur les autres partis se réclamant du socialisme : les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.


Au début, c’étaient ces derniers qui détenaient la majorité dans les soviets, et les bolchéviks n’en constituaient qu’une faible minorité. Mais dans les mois qui suivirent, les masses purent faire l’expérience de ce que valaient les promesses des menchéviks et des S-R.


Les travailleurs réclamaient du pain, mais le gouvernement provisoire, soutenu par ces partis, se montrait incapable de conjurer la catastrophe imminente, parce qu’il se refusait à prendre des mesures radicales contre les spéculations de la bourgeoisie.


Les paysans voulaient la terre, mais on leur demandait d’attendre l’Assemblée Constituante et, quand ils voulaient s’emparer eux-mêmes des terres qu’ils cultivaient, on leur envoyait les gendarmes.


Les soldats réclamaient la paix, et le gouvernement du socialiste Kérensky se lançait dans la folle aventure de l’offensive de Juin.


Aussi, malgré la répression qui s’abattit sur les bolchéviks après les Journées de Juillet, leur influence ne cessa-t-elle de croître. Fin août, ils étaient majoritaires dans les soviets de Pétrograd et de Moscou et, les uns après les autres, ceux des villes industrielles allaient tomber entre leurs mains.


L’heure de la révolution prolétarienne avait sonné.


Rien ne ressembla moins à un putsch, au coup de main d’une minorité agissante, que l’insurrection d’Octobre. Ce fut l’insurrection des masses, en ce sens que, même si, sur le plan militaire, elle ne fut exécutée que par une minorité, l’immense majorité des travailleurs et des soldats en avait compris la nécessité.


Et pour eux, ce fut, pourrait-on dire, une insurrection légale. Du moins du point de vue de la légalité soviétique, la seule qui comptait désormais.


En effet, si la date du 25 octobre 1917 restera à jamais liée au souvenir de la première révolution prolétarienne victorieuse, et cela en dépit du changement de calendrier, le processus insurrectionnel s’amorça en réalité plus de 15 jours auparavant.


Le divorce entre le soviet de Pétrograd et le gouvernement provisoire fut effectivement consommé le 7 octobre, lorsque le soviet, qui s’opposait à l’éloignement de la garnison, créa son Comité Militaire Révolutionnaire, et nomma ses commissaires auprès de toutes les unités, isolant ainsi complètement Kérensky et l’État major.


Aucun ordre désormais ne fut plus exécuté sans l’accord des autorités soviétiques. Le soviet se trouvait être le pouvoir de fait. II n’y avait pas un grand pas à franchir pour balayer le gouvernement fantoche. Sous couvert de la préparation de la défense du deuxième congrés des soviets, qui devait tenir ses assises fin octobre, s’organisait l’insurrection.


Celle-ci fut déclenchée dans la nuit du 24 au 25 octobre. Au matin, les bolchéviks étaient maîtres de la plupart des bâtiments publics. Mais ce n’est que dans la nuit suivante que le Palais d’Hiver, siège et dernier bastion du gouvernement provisoire, tomba à son tour.


A la même heure était réuni le Congrès des soviets des députés ouvriers et soldats de toute la Russie. Ce n’étaient pas des députés bien habillés, fleurant le parfum à la mode et arborant de luxueuses serviettes de maroquin.


C’étaient des ouvriers du rang, des soldats en grossier uniforme, des paysans barbus. Et c’est sans doute pour cela qu’ils firent ce qu’aucun gouvernement n’avait encore jamais fait dans l’Histoire : qu’ils traduisirent immédiatement en acte le programme du parti majoritaire, les promesses faites aux masses.


Le premier décret adopté concernait la Paix. Le congrès des soviets proposait à tous les belligérants d’entamer immédiatement des négociations pour la conclusion d’une paix sans annexion ni indemnité, et, en premier lieu, afin d’arrêter, dès l’ouverture des pourparlers, les massacres sans nom de la guerre, une trêve de trois mois.


Mais la révolution ne s’adressait pas qu’aux gouvernements : elle s’adressait aux peuples, aux travailleurs et plus particulièrement, disait-elle, « aux ouvriers conscients des trois nations les plus avancées de l’humanité et des États les plus importants engagés dans la guerre, l’Angleterre, la France et l’Allemagne », et elle les appelait « à mener jusqu’au bout la lutte pour la paix, et en même temps, la lutte pour l’affranchissement des masses laborieuses et exploitées de tout esclavage et de toute exploitation ».


Et quand le Congrès, après avoir adopté cet appel, se leva, quand tous les délégués, debout, entonnèrent l’Internationale, ce ne fut pas seulement l’hymne des travailleurs qui retentit, ce fut vraiment, par-dessus les tranchées, par-dessus les villages incendiés, par-dessus les vastes champs où des millions d’hommes assassinés dormaient de leur dernier sommeil, par-dessus l’Europe en flammes, l’appel à la révolution qui jaillit. « Debout les damnés de la terre », jamais peut-être les vieilles paroles de l’Internationale n’avaient été aussi chargées de sens.

La politique des bolcheviks au pouvoir


Puis, le calme revenu, le Congrès passa au décret sur la terre. Il abolissait « immédiatement et sans aucune indemnité la propriété des propriétaires fonciers », et en faisait la propriété du peuple tout entier. Toute la terre devenait bien nationale. Et la jouissance en était accordée à tous les citoyens qui désirent exploiter la terre par leur travail, « tant qu’ils sont capables de l’exploiter », le travail salarié étant interdit. Ce n’était pas là, bien sûr, une mesure « socialiste ». Ce n’était même pas le programme agraire du Parti bolchévik. Mais c’était ce que voulaient les paysans. Et, disait Lénine, « l’essentiel, c’est que les paysans résolvent eux-mêmes toutes les questions, qu’ils édifient eux-mêmes leur vie. »


Car ce que voulaient les bolchéviks, ce n’était pas construire une société socialiste dans le cadre de la seule Russie. Mieux que quiconque, ils savaient que cela n’avait aucun sens.

Ce qu’ils voulaient, c’était attacher les couches les plus larges du peuple au sort de la révolution socialiste.


Le prolétariat russe ne représentait qu’une faible minorité de la nation, et en son sein les éléments conscients, sachant ce que représentaient exactement la révolution et le socialisme, constituaient une bien plus faible minorité encore.


Mais toute la classe ouvrière savait que seuls, le pouvoir des soviets, les bolchéviks, pouvaient être capables d’assurer le pain et la liberté.


Mais une grande partie de la paysannerie avait pris conscience que seul le pouvoir des soviets pouvait en finir avec les tergiversations, et donner enfin aux paysans la libre jouissance de la terre qu’ils cultivaient.

Mais la majorité des soldats, et des travailleurs qui portaient le poids de la guerre, avait compris que seule la révolution pourrait mettre fin à la guerre.


C’est pour cela qu’ils avaient soutenu la révolution d’octobre.


Et le problème qui se posait aux bolchéviks au pouvoir, ce n’était pas de construire une économie « socialiste », c’était de resserrer toujours davantage l’union des masses travailleuses autour de leur pouvoir.


Le 25 octobre, la Russie était devenue le premier bastion de la révolution socialiste mondiale. Le problème, maintenant, c’était de tenir, en attendant que la révolution embrase à leur tour d’autres pays.


Sous la plume des dirigeants bolchéviks devenus commissaires du peuple, les décrets remplaçaient les textes de propagande. Ils n’auraient d’ailleurs souvent pas eu d’autre valeur immédiate, si les masses ne s’étaient chargées de les appliquer elles-mêmes, car dans les premières semaines de la révolution, le nouveau gouvernement ne possédait aucun appareil central capable de mettre ses textes en pratique.


Mais ce qui faisait la force du nouveau pouvoir, c’était de répondre aux aspirations de millions d’hommes, c’était d’être le pouvoir de millions d’hommes. Car le pouvoir des soviets, ce n’était pas seulement le pouvoir du congrès pan-russe, c’était aussi le pouvoir du soviet de la plus petite ville, du village le plus reculé.


Le parti bolchévik ne comptait certes, en octobre 1917, que quelques dizaines de milliers de membres. Mais en mobilisant la grande masse de tous les exploités, de tous les opprimés de Russie pour la défense du seul pouvoir capable du satisfaire leurs revendications immédiates, il faisait de chacun d’eux un soldat de la révolution socialiste mondiale.


Et quand les bolchéviks parlaient de révolution socialiste mondiale, il ne s’agissait pas d’un rite, ou d’une formule de politesse révolutionnaire. Il s’agissait des fondements mêmes de leur politique.


« Si l’on envisage les choses à l’échelle mondiale, écrivait Lénine en 1918, il est absolument certain que la victoire finale de notre révolution, si elle devait rester isolée, serait sans espoir... » « Nous ne remporterons la victoire finale que lorsque nous aurons réussi à briser, et pour toujours, l’impérialisme international. Mais nous n’arriverons à la victoire qu’avec tous les ouvriers des autres pays, du monde entier. »


Et les bolchéviks ne se contentaient pas d’attendre passivement que la révolution socialiste triomphe dans d’autres pays. Ils se servaient du pouvoir comme de la plus formidable tribune, et dans chacun de leurs actes, on trouve cette préoccupation de savoir quelle répercussion cela pourra avoir sur le développement de la révolution européenne.


Nous les avons vus déjà, lors du vote du décret sur la paix, s’adresser, par-dessus la tète des gouvernants, aux peuples et en premier lieu, aux travailleurs.


C’est le même souci qui anime toutes les tendances du parti lors de la discussion sur la paix de Brest-Litovsk, au début 1918. Si la tendance Boukharine voulait la guerre révolutionnaire, c’était parce qu’elle considérait que l’État ouvrier ne pouvait pas, sans se déconsidérer aux yeux des prolétaires du monde entier, signer une telle paix avec l’impérialisme allemand. Si Trotsky, qui savait l’armée russe hors d’état de mener cette guerre révolutionnaire, était partisan de la formule « ni paix, ni guerre », c’est parce qu’il voulait faire la preuve, devant le prolétariat européen, qu’il n’y avait pas de collusion des bolchéviks avec l’impérialisme allemand. Si Lénine préconisait, en dépit de leur caractère humiliant, d’accepter les conditions de paix des empires centraux, c’est parce qu’il pensait que la révolution en Europe n’était pas encore mûre, et qu’il fallait se préparer à tenir encore des mois en restant isolé.


La construction d’une nouvelle Internationale, destinée à coordonner et à diriger la lutte du prolétariat dans tous les pays du monde, était d’ailleurs au premier rang des préoccupations du parti bolchévik.


Dès 1914, Lénine écrivait : « La Deuxième Internationale a cessé de vivre, une autre Internationale la remplacera. » Et c’est dans cette optique de reconstruire l’Internationale que les bolchéviks avaient participé aux conférences de Zimmervald, en 1915, et de Kienthal, en 1916, qui réunirent des internationalistes appartenant à différents partis socialistes européens.


Les bolchéviks au pouvoir disposaient de moyens accrus pour mener cette tâche à bien. Outre le prestige considérable que leur conférait leur victoire, ils bénéficiaient des énormes moyens matériels qui sont ceux d’un État.


Malheureusement il n’existait pas encore de direction révolutionnaire internationale, ni même, à l’intérieur de chaque pays européen, un parti révolutionnaire capable de jouer le rôle qui avait été celui du parti bolchévik en Russie, quand la vague de soulèvements prolétariens que les révolutionnaires appelaient de leurs voeux déferla sur l’Europe.


Et l’absence d’une telle direction allait se faire cruellement sentir.

[...]

mardi 23 septembre 2014

:: Les fondements programmatiques de notre politique (Lutte Ouvrière, 2003)

En 1848, Marx et Engels écrivaient dans le Manifeste du parti communiste : « Le caractère distinctif de notre époque, de l’époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classe. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat ».

C’est sur cette assertion capitale, vérifiée par plus d’un siècle et demi de développement historique, que se fondent le programme et la pratique des révolutionnaires prolétariens.

Dès l’aube du XVIe siècle, le développement de la bourgeoisie, de la production manufacturière, avec le commerce vers les Amériques, l’Afrique et les Indes, ont entraîné l’extension du commerce mondial, souvent sous la forme du pillage et, en retour, la création d’un marché intérieur et mondial.

L’industrialisation provoqua un exode des campagnes vers les villes, une urbanisation croissante et l’apparition du prolétariat industriel s’entassant près des lieux de production dans des taudis insalubres avec des conditions de travail abominables.

C’est avec la révolution industrielle au tout début du XIXe siècle que le marché mondial s’est développé considérablement et que l’industrialisation de l’Europe occidentale, puis de la côte est des États-Unis, a créé une véritable division internationale du travail et donné naissance au prolétariat moderne.

Le développement des capacités de production tant industrielle qu’agricole, lié au développement de la bourgeoisie, a créé les fondements économiques susceptibles de satisfaire tous les besoins tant physiques que matériels et intellectuels de toute la population mondiale.

Il est d’ores et déjà possible de construire un monde débarrassé de la faim, de la misère, de l’exploitation et de l’aliénation. Ce sera cette société communiste à laquelle nous voulons oeuvrer.

La surnatalité dans la plupart des pays sous-développés ne sera pas un problème, contrairement à ce que disent certains économistes qui la rendent responsable du sous-développement. Car on a pu juger que, dans les pays occidentaux, sous l’effet du niveau de vie et de la culture, la natalité se stabilise, voire diminue et que la population n’y augmente que grâce à l’apport de l’immigration en provenance des pays pauvres.

La lutte du prolétariat ne saurait donc se concevoir limitée au cadre de frontières nationales. C’est, au contraire, une lutte internationale, se donnant pour but la destruction de la puissance économique et politique de la bourgeoisie et l’organisation de la classe ouvrière en classe économiquement et politiquement dominante à l’échelle mondiale. L’internationalisme exprime cette communauté fondamentale des intérêts et des objectifs, et non pas une simple solidarité. Il implique sur le plan politique que, pour reprendre l’expression du Manifeste communiste, « dans les différentes luttes nationales des prolétaires, (les communistes) mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat ». C’est parce que la révolution russe est restée isolée qu’elle a connu l’épouvantable dégénérescence bureaucratique incarnée par Staline.
Gagner aux idées communistes révolutionnaires une fraction de la classe ouvrière et des autres classes prolétariennes directement ou indirectement exploitées pour construire un parti communiste révolutionnaire ici même, en France, ne peut se concevoir que dans le cadre de la construction ou, au moins, dans la perspective d’un parti mondial de la révolution socialiste.
C’est pourquoi, malgré l’absence d’une telle internationale, nous devons en permanence nous efforcer de poser les problèmes politiques du prolétariat et de la société française en fonction des intérêts politiques et sociaux du prolétariat mondial.

Notre programme se fonde sur les acquis politiques du mouvement communiste révolutionnaire et, en conséquence, sur les bases programmatiques exprimées par le Manifeste communiste, les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste et le Programme de transition, programme de fondation de la Quatrième internationale.

Le Manifeste communiste de 1848, en affirmant que « le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital de la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante... », exprime le rôle irremplaçable du prolétariat dans la transformation sociale.

Ce passage donne aussi la véritable signification de l’expression « dictature du prolétariat » exprimée en 1852 sous la plume de Marx comme le pouvoir démocratique du « prolétariat organisé en classe dominante » (ce qui n’a rien à voir avec la déformation de cette notion imposée par les staliniens pour justifier la dictature de la bureaucratie en URSS). Elle n’est une dictature que dans la mesure où sa fonction essentielle sera de procéder à la « violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production... comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier ».

Le pouvoir ouvrier sera l’antithèse de l’État de la bourgeoisie qui, même sous l’apparence des régimes les plus formellement démocratiques, a un caractère dictatorial dans sa fonction fondamentale de défendre la propriété bourgeoise et le mode de production capitaliste.

La « dictature démocratique du prolétariat » devra être d’emblée plus démocratique que le plus démocratique des pouvoirs bourgeois où, derrière les institutions électives, le grand capital impose sa propre dictature. Un pouvoir politique destiné à s’éteindre pour laisser la place à « une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ».

Cette conception marxiste de l’État, de son rôle et de sa nature, bourgeoise aujourd’hui, prolétarienne après la révolution, et sa disparition inéluctable, progressive, au fur et à mesure que la société se transforme, a été exposée et surtout défendue par Lénine, en août  1917, entre les deux révolutions, celle de février 1917 qui avait renversé le tsarisme et celle d’octobre-novembre de la même année qui renversa la bourgeoisie.

Lénine, dans sa brochure L’État et la Révolution, écrite en août 1917, rétablit la pensée de Marx sur cette question, déformée par tous les opportunistes qui l’avaient soi-disant représentée, en éclairant les idées de Marx et Engels par l’expérience des révolutions russes de 1905 et de février 1917 et de la situation de crise révolutionnaire de la période où la brochure a été écrite.

Des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, nous tirons la conviction qu’un Parti est indispensable pour que le prolétariat puisse accomplir la révolution socialiste.

« Ce n’est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis et possédant un programme d’actions susceptible d’être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n’est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d’un travail durable d’édification communiste de la société par le prolétariat ». (Texte adopté en juillet 1920 par le 2e congrès de l’Internationale communiste).

Cela nous distingue non seulement des anarchistes, mais aussi d’une multitude de courants d’aujourd’hui qui répudient toute idée d’organisation politique des classes exploitées et opprimées pour ne parler que de « mouvements sociaux » et qui cachent toujours des objectifs politiques réformistes voire réactionnaires, derrière l’apolitisme.

Mais cela nous distingue, aussi, des partisans d’un « parti ouvrier de masse ». Un parti oeuvrant pour la transformation révolutionnaire de la société ne pourrait être un parti de masse que dans un contexte de montée révolutionnaire lorsque la grande majorité de la classe ouvrière elle-même est convaincue de la nécessité de s’emparer du pouvoir politique. La notion de « parti ouvrier de masse » sert en général de refuge à ceux qui défendent une politique réformiste. L’ensemble des travailleurs n’est pas révolutionnaire en temps normal. Les masses sont au contraire réformistes et ce n’est que dans des périodes critiques que la nécessité d’un changement radical de politique s’empare des masses. En dehors de ces périodes, on ne peut gagner aux idées révolutionnaires qu’une minorité du monde du travail.

Le Programme de transition (septembre 1938) prolongeant les textes programmatiques précédents, outre son analyse de la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier et sa défense du programme communiste contre les déformations staliniennes, définit ce que sont les « revendications transitoires » qu’il met en avant : « partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat », par opposition à la séparation entre le programme minimum qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise et le programme maximum qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme".

C’est guidés par ce programme qu’en fonction de la situation économique, sociale et politique actuelle, nous mettons en avant la revendication de l’interdiction des licenciements collectifs sous peine de réquisition surtout dans les entreprises qui affichent cyniquement des profits. C’est une revendication transitoire car sa mise en oeuvre nécessite un niveau de luttes sociales en mesure de mettre en cause la propriété privée capitaliste.

Comme est une revendication transitoire la revendication de l’abolition du secret commercial et bancaire dans la mesure où ce ne peut être que le prolétariat qui se charge de son application. Bien entendu, si la publicité des comptabilités, la transparence des affaires restaient des articles de loi ou si seuls des organismes de collaboration de classe, genre comités d’entreprise, avaient le droit de vérifier les comptes des entreprises, de révolutionnaires ces objectifs deviendraient platement réformistes. Si, cependant, le prolétariat mobilisé les prend en charge, cela l’amène à contrôler les comptes des entreprises et des banques, à intervenir dans leur gestion et, en fin de compte, à remette en cause la disposition totale du capital industriel, commercial et bancaire par la grande bourgeoisie.

Le Programme de transition est également la clé de la compréhension de la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier et de toutes les déformations introduites par le stalinisme dans le programme et dans les valeurs fondamentales du mouvement ouvrier. Nous avons toujours défendu l’analyse trotskyste contre des courants, et ils ont été nombreux, qui, avant même la mort de Trotsky et plus encore après, en abandonnant pour l’URSS la notion d’État ouvrier dégénéré ont en fait abandonné la notion d’État ouvrier tout court.

En ne remettant pas fondamentalement en cause, même aujourd’hui, cette appréciation alors que l’Union soviétique est morcelée et que la quasi-totalité de ses dirigeants oeuvrent au retour du capitalisme, nous nous plaçons dans la continuité de ce combat politique car, même aujourd’hui, certains traits de la société ex-soviétique ne s’expliquent pas sans un raisonnement basé sur les analyses trotskystes et, surtout, parce que l’évolution vers la domination sociale et économique totale de la bourgeoisie est loin d’être encore accomplie.

La Quatrième internationale, fondée par Léon Trotsky en 1938, a en effet été, jusqu’à la mort de ce dernier en 1940, la seule continuatrice politique du mouvement successivement incarné par l’Association internationale des travailleurs de Marx et Engels, par la Deuxième internationale jusqu’à la Première Guerre mondiale et par l’Internationale communiste des années 1919-1923. Si, en tant que direction internationale, la Quatrième internationale n’a pas résisté à la Seconde Guerre mondiale, le Programme de transition, son programme constitutif, malgré la marque des circonstances où il fut écrit, est encore le meilleur guide existant pour les révolutionnaires prolétariens. C’est en quoi la tâche fondamentale de ceux-ci est la reconstruction d’une Internationale communiste révolutionnaire.

Notre programme politique

La reconstruction d’une Internationale implique la construction, dans tous les pays du monde, de partis prolétariens, défendant le rôle historique du prolétariat, ce qui n’empêche pas, au contraire, de défendre ses intérêts immédiats, mais sans perdre de vue et en restant dans le cadre de la défense de ses intérêts généraux, c’est-à-dire de ceux de toute la société.

Il en résulte, à notre échelle, que nos camarades d’entreprise participent aux luttes petites et grandes que les travailleurs et les exploités en général mènent pour défendre leurs conditions d’existence. Comme il en résulte qu’ils doivent se donner une activité syndicale. Mais, dans les luttes petites et grandes contre la bourgeoisie et son État, comme dans l’activité syndicale, les révolutionnaires communistes, pour reprendre l’expression du Manifeste communiste, « représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité ».

La construction de partis authentiquement prolétariens et la lutte pour la révolution socialiste nécessitent une délimitation rigoureuse, tant politique qu’organisationnelle, du terrain de classe sur lequel les révolutionnaires doivent se placer. Face aux « fronts » de toutes sortes visant à mettre la classe ouvrière à la remorque d’organisations et d’intérêts bourgeois, les révolutionnaires doivent en particulier défendre la nécessité d’une organisation et d’une politique prolétariennes indépendantes, se donnant pour but l’instauration du pouvoir démocratique du prolétariat représenté par un pluralisme des partis révolutionnaires.

La société bourgeoise entretient et reproduit bien des formes d’oppression ou d’exclusion contre les femmes, des minorités nationales, voire ethniques et bien d’autres, car elle en suscite sans cesse de nouvelles - les sans-papiers, les sans-logis - provoquant des réactions de protestation, momentanées ou permanentes. Comme en provoquent fréquemment les multiples conséquences du fonctionnement de l’économie capitaliste.

Les révolutionnaires communistes soutiennent la contestation, même limitée et partielle, de l’organisation capitaliste de la société, sans pour autant attribuer automatiquement à ces mouvements un caractère révolutionnaire que, le plus souvent, ils n’ont pas.

Le stalinisme a déformé ou vidé de sens la plupart des objectifs du mouvement ouvrier. Il en est ainsi des notions d’« anti-impérialisme », d’« anti-capitalisme », voire d’« internationalisme ». Cela fait qu’aujourd’hui bien des courants politiques n’ayant aucun lien, ni passé, ni présent, avec le mouvement ouvrier peuvent s’emparer de ces mots et faire d’autant plus de bruit avec qu’ils les ont vidés de sens.

Le courant altermondialiste n’est que le dernier avatar de ce type de courants qui utilisent certaines notions héritées du mouvement ouvrier, mais vidées de contenu, en canalisant l’indignation voire la révolte que soulève telle ou telle injustice criante ou telle ou telle conséquence catastrophique de l’économie capitaliste.

Nous devons nous démarquer clairement et fermement de ces courants, lever les ambiguïtés de leur langage et dénoncer leur politique qui, derrière des aspects contestataires, est fort respectueuse de l’ordre social.

De façon analogue, le stalinisme a déformé la tradition bolchévique du parti communiste révolutionnaire, reprise par la Troisième internationale. À la notion de parti, à la fois discipliné et démocratique et, surtout, entièrement dévoué aux intérêts politiques du prolétariat, il a substitué celle de parti stalinien où la discipline est remplacée par un autoritarisme destiné à interdire toute critique susceptible de dévoiler que le parti a abandonné les intérêts du prolétariat pour se mettre d’abord au service de la bureaucratie ex-soviétique puis, par son intermédiaire, de la bourgeoisie de chaque pays.

L’évolution des partis staliniens, leur social-démocratisation sur le plan politique et organisationnel, ont parachevé une évolution. Sous prétexte de remise en cause de leur passé stalinien, les PC - et le PCF en particulier - ont surtout abandonné leurs références aux traditions communistes. Cette évolution a contribué au rejet de l’idée même que le prolétariat a besoin d’un parti politique démocratique, mais centralisé et discipliné, pour parvenir à son émancipation. Entraînant derrière eux bien des organisations pseudo-révolutionnaires qui affirment aujourd’hui que le parti n’est plus le principal dans la révolution sociale.

La nécessité d’un parti communiste révolutionnaire refusant de se fondre dans des fronts plus larges n’est pas seulement vraie pour les pays capitalistes avancés, où les tâches de la révolution démocratique bourgeoise ont été accomplies et où le prolétariat constitue une classe très nombreuse.

Cela est également vrai pour les pays « sous-développés » où les tâches de la révolution démocratique bourgeoise n’ont pas été accomplies et qui sont soumis au pillage impérialiste et dont le prolétariat, souvent numériquement faible, est soumis à une exploitation forcenée.  Bien que la quasi-totalité des pays pauvres de la planète ne soit plus soumise à l’oppression coloniale directe, ils subissent toujours, et de façon aggravée, la domination économique et politique de l’impérialisme. Le principal changement apporté par la décolonisation réside dans le fait qu’une couche dirigeante autochtone a pris en charge les tâches d’oppression de l’ancienne métropole coloniale. Les États des pays pauvres sont le plus souvent des dictatures corrompues qui, après les prélèvements de l’impérialisme, pressurent encore leur population pour en extraire ce qui pourrait rester à en soutirer. La misère des masses pauvres n’y a pas de limite.

Les contradictions de classe restent, en conséquence, explosives dans les pays pauvres. Les aspirations de larges masses à des droits démocratiques et surtout à une vie meilleure ont été canalisées pendant toute une période historique, pendant et après le mouvement de  décolonisation, par l’influence d’organisations petites-bourgeoises nationalistes plus ou moins progressistes, se prétendant même, parfois, marxistes-léninistes.

Le pillage impérialiste ne fait cependant pas que saigner ces pays. Il les a aussi fait régresser sur le plan de la conscience politique. L’ère du nationalisme « progressiste », du panafricanisme, du tiers-mondisme de différentes variétés, cède la place à l’ère de la montée des forces réactionnaires, de l’intégrisme dans certains pays, de l’ethnisme dans d’autres. La domination impérialiste repousse nombre de pays pauvres vers une barbarie moyenâgeuse, vers les guerres permanentes et le règne des seigneurs de guerre.

Dans tous les pays pauvres, les révolutionnaires prolétariens devraient prendre en charge les aspirations anti-impérialistes des masses, ainsi que leurs aspirations aux droits et libertés démocratiques. Un parti prolétarien chercherait à se mettre à la pointe de cette lutte en démontrant par sa politique qu’il est le seul à pouvoir aller jusqu’au bout de ce combat.

Mais il doit le faire sur un terrain de classe, ce qui exige sa rigoureuse indépendance de classe. Il doit le faire en éclairant sans cesse les travailleurs urbains et ruraux sur leurs intérêts de classe et sur ce qui les sépare ou les oppose aux catégories sociales dont les représentants sont susceptibles d’utiliser un langage « anti-impérialiste ». Cela l’opposera de façon radicale aux courants intégristes, ethnistes, etc., mais cela l’opposera également aux organisations nationalistes petites-bourgeoises même à prétention progressiste.

Nous n’avons jamais prétendu être une Internationale, même au sens qu’avait la IVe internationale au moment de sa fondation. Même en étant organisationnellement extrêmement faible, la IVe internationale de l’époque était dirigée par Trotsky qui représentait à lui seul le capital politique issu de l’expérience de la révolution russe et celui de la IIIe internationale, capital qui a disparu presque totalement avec lui. Les différents courants trotskystes qui ont joué à l’Internationale, outre le caractère dérisoire de ces jeux, masquaient en même temps l’abandon des efforts d’implantation dans la classe ouvrière de leurs pays, c’est-à-dire l’abandon en fait de la construction des partis communistes révolutionnaires.

Nous avons cependant toujours essayé de raisonner en fonction des intérêts du prolétariat international. C’est de ce point de vue-là que nous avons analysé les phénomènes politiques nouveaux depuis la mort de Trotsky, comme les Démocraties populaires ou la révolution chinoise. Cela nous a amenés souvent à nous différencier, voire à nous opposer aux différents courants trotskystes existants. Avec la disparition des Démocraties populaires, l’objet de nos divergences a disparu, mais pas leur histoire et pas la différence dans les méthodes d’analyse sociale. Ces différences, on les retrouve dans nos jugements respectifs des courants nationalistes plus ou moins radicaux qui existent dans les pays pauvres. Comme elles se retrouvent dans nos attitudes respectives vis-à-vis de la social-démocratie et ses avatars divers.

Nous avons également considéré de notre devoir, quand l’opportunité s’en présentait, d’aider des militants d’autres pays à militer sur la base des idées communistes révolutionnaires.

Malgré un certain nombre de succès électoraux relatifs - relatifs à notre implantation dans la classe ouvrière -, notre tâche fondamentale reste la même qu’il y a vingt ou trente ans.

Outre qu’elle est modeste, l’influence électorale ne fait pas le parti. Aussi, si nous sommes amenés à participer à bien des manifestations de solidarité envers tel ou tel peuple ou fraction de la population particulièrement opprimée, et si nous continuons, comme il est du devoir des communistes révolutionnaires, à nous présenter aux élections, toutes ces activités doivent se placer dans la perspective de la construction d’un parti communiste révolutionnaire prolétarien et lui être subordonnées.

L’émergence d’un tel parti ne dépend évidemment pas que de nous, mais aussi des circonstances, de la reprise de confiance du prolétariat en lui-même, ici, en France, comme ailleurs. Ce qui dépend de nous, c’est de ne pas abandonner les idées, le programme hérités de plus d’un siècle et demi d’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire, de ne pas les dissoudre dans des alliances ou fronts en vue de succès éphémères, de chercher à organiser des travailleurs autour de ces idées.

Quant aux circonstances favorables qui permettront à ce qui est semé aujourd’hui de pousser demain, nous en puisons l’espoir dans le fait que l’évolution historique donnera raison aux objectifs de transformation sociale du mouvement ouvrier révolutionnaire car notre conviction est que le capitalisme, l’exploitation, l’oppression, les guerres ne peuvent pas représenter le seul avenir de l’humanité.

mercredi 2 juillet 2014

:: 14 juillet 1789 : l'intervention des masses populaires parisiennes sur la scène politique

La révolution française déblaya sans aucun doute le terrain pour le développement de la bourgeoisie non seulement en France mais aussi à l'échelle de l'Europe. Et les dirigeants bourgeois qui imposent aujourd'hui leur loi au monde ont, au fond, quelques bonnes raisons de lui être redevables.

Mais, devant la réalité de leur système d'exploitation et du cortège d'horreurs et de massacres qui l'accompagne, la déclamation solennelle de formules telles que "les hommes naissent libres et égaux en droit" devant des Rajiv Gandhi, des Omar Bongo, des Mobutu, etc., sous la houlette des représentants en chef des puissances impérialistes qui pillent la planète, restera comme un sommet d'hypocrisie au milieu de cette hypocrisie générale de la commémoration du Bicentenaire de 1789.

Car que commémorait-on au juste, dans cette circonstance officielle ?

Certainement pas l'ébranlement révolutionnaire qui mit en mouvement des millions de gens du peuple pendant cinq années, qui amena les pauvres des campagnes les plus reculées à s'éveiller à la vie politique et à vouloir y participer à leur manière. Et pas davantage l'enthousiasme que l'événement souleva jusqu'en Amérique latine, avec son pendant : la frayeur et la haine des rois et des princes.

Cet aspect, cette révolution de masse, les hommes politiques, les commentateurs de toute sorte et la plupart des historiens, du moins ceux qui sont à la mode, ont plutôt envie de l'oublier et tendance à le gommer.

Il y a bien-sûr les plus ouvertement réactionnaires, qui rejettent la Révolution tout entière et pour lesquels elle ne fut qu'une "catastrophe" pour la France. Mais parmi tous les autres, y compris les soi-disant héritiers d'une tradition "de gauche", la thèse qui fait fureur (mais elle est loin d'être nouvelle) consiste à diviser la Révolution en deux lots : d'abord une année 1789, touchante et respectable, culminant avec la Déclaration des droits de l'homme du 26 août ; et puis les années 1792-1794 qui, avec leur violence, auraient tout gâché, fait tout "déraper".

En réalité, un processus révolutionnaire d'une telle profondeur et d'une telle ampleur ne se laisse évidemment pas découper en tranches. Il a ses lois et ses enchainements internes. ET lorsque, aujourd'hui, tous ces gens déclarent préférer commémorer 1789, en rejetant ce qu'ils appellent le "dérapage" de 1793, ils ne font la preuve que de leur aversion pour la Révolution tout court.

De l'année 1789 elle-même, ils voudraient ne retenir que les mois de mai et juin, c'est-à-dire la Révolution parlementaire qui, dans le cadre des Etats généraux, cherchait à accoucher d'une variété de monarchie constitutionnelle. Mais il se trouve que la monarchie précisément ne voulait pas d'une constitution limitant son pouvoir. Et il fallut, pour que le roi fasse seulement mine de l'accepter, que les masses populaires interviennent brutalement elles-mêmes sur la scène, à plusieurs reprises. A commencer par le 14 juillet 1789, par cette prise de la Bastille, qui ne fut certes pas "propre", mais bel et bien violente.

***

Les Etats généraux, convoqués par le roi parce que la monarchie était en faillite et avait besoin d'argent, s'étaient réunis le 5 mai. Les bourgeois qui s'y étaient fait élire comme représentants du Tiers état voulurent, forts de leur puissance économique en pleine ascension, de leur "Lumières" et du sentiment de leurs droits, en profiter pour obtenir leur juste place dans l'organisation et la gestion des affaires de l'Etat. Ils voulaient en premier lieu l'égalité civile intégrale et mettre fin aux privilèges dont bénéficiaient ceux qui ne "s'étaient donné que la peine de naître", comme disait le Figaro de Beaumarchais.

Devant la résistance des privilégiés, ils se proclamèrent Assembée nationale le 17 juin, prétention à laquelle le roi opposa une fin de non-recevoir le 23.

Pourtant, ils criaient "Vive le roi" en toute occasion, ils ne recherchaient qu'un arrangement, un modus vivendi avec la monarchie. Mais Louis XVI fit appel à ses troupes de mercenaires étrangers, allemands et suisses, 33 régiments encerclèrent Paris et Versailles. Et alors, devant la menace de la force brutale, et malgré leur audace sur la scène parlementaire, les bourgeois du Tiers Etat se retrouvèrent impuissants. parce qu'ils étaient obsédés par la crainte permanente que le peuple ne s'en mêlât.

***

Le peuple s'en mêlait, en effet. Depuis des mois, des émeutes de la faim, des scènes de pillage éclataient à travers un grand nombre de provinces. Les 27-28 avril, une foule d'ouvriers de Paris s'en prirent à une manufacture de papiers peints dans le quartier de Saint-Antoine. La troupe fit à cette occasion un massacre : le nombre des morts est évalué aujourd'hui à quelque 300. Ce n'était qu'un échantillon de la violence des l'ordre monarchique. Des rancunes et des haines, les masses populaires en avaient accumulé de manière explosive. De la notion de justice, l'armée des magistrats en tout genre qui faisaient torturer, envoyer aux galères ou au bagne "au nom du roi", ne leur avait donné aucune idée. et la toile de fond pour les masses, dans les villes comme dans les campagnes, c'était la menace de la famine, l'affamement perpétuel. On disait qu'un pacte liait les riches, les spéculateurs, les accapareurs de denrées et les "mauvais ministres", pour s'enrichir sur le dos du peuple.

Si la réunion des Etats généraux, le 5 mai, avait soulevé bien des espoirs, la situation pour le peuple ne s'était nullement arrangée sur ce plan au début de l'été. Et le fait que Paris se trouvait encerclé par les troupes, quasiment en état de siège, faisait planer la menace de l'assaut.

Pendant ce temps, l'Assemblée discourait, se montrait inquiète, mais ne prenait aucune initiative. C'est le peuple de Paris qui en prit une, lorsque le 12 juillet lui parvint la nouvelle que le roi renvoyait le seul ministre un peu populaire, Necker. Il entreprit de s'organiser pour se défendre lui-même. Il voulut s'armer, harangué notamment par le jeune journaliste Camille Desmoulins. Portant des cocardes vertes, les artisans, compagnons, petits boutiquiers, ouvriers, se précipitèrent aux Invalides où ils s'emparèrent d'armes. Mais c'est en fin de compte vers la forteresse de la Bastille qu'ils tournèrent leurs regards, pour se procurer des munitions.

La raison de l'attaque de la Bastille, le mardi 14, fut donc très concrète, même si cette Bastille était aussi un symbole de l'arbitraire royal détesté. Dans un premier temps, les assaillants crurent que le gouverneur de la forteresse leur livrait la place : ils s'engouffrèrent dans une première cour, ce qui leur valut un massacre. Les morts ont été dénombrés : 98. Les têtes des deux autorités portées ensuite au bout de piques par la foule, en signe de vengeance, ne constituaient sûrement pas un spectacle bon enfant. Mais que dire de celui de la centaine de simples gens du faubourg Saint-Antoine couchés par terre par la mitraille que ces autorités avaient commandée ?

Parmi les assaillants de la Bastille, des gens d'échoppes et de petits métiers, très peu de bourgeois. Et on ne commémore pas aujourd'hui les noms des Hulin ou du sous-lieutenant Elie, qui rallièrent à eux une partie des soldats des troupes du roi, celui de l'enfant Lavallée qui fut l'un des premiers à monter sur les tours de Pannetier (épicier), de Davanne ou Turnay (charrons)...

*** 

L'histoire officielle retient pourtant les noms de Bailly et de la Fayette, grands récupérateurs de la situation.

 Les notables parisiens, électeurs des députés du Tiers état de Paris, n'avaient pas perdu le nord pendant le tumulte. Dès la nuit du 12 au 13, ils s'étaient rassemblés dans l'Hôtel de ville pour, prudents, organiser une milice bourgeoise. Le mercredi 15, ils nommèrent Bailly comme maire et La Fayette comme commandant de la garde devenue nationale (ce même La Fayette qui, deux ans plus tard, le 17 juillet 1791, fit fusiller au Champ-de-Mars les porteurs d'une pétition républicaine). Le roi dut venir de Versailles à l'Hôtel de Ville et s'incliner devant ces nominations.

Pour l'heure, l'urgence pour Bailly et La Fayette était de désarmer le peuple et de réglementer l'accès à leur milice bourgeoise. Ils sûrent finalement conserver le contrôle des événements et firent remplacer la cocarde verte des insurgés par la cocarde tricolore, en symbole d'union nationale, accepté par le roi. Dès lors, la préoccupation des hommes politiques bourgeois fut de "mettre de justes bornes aux idées exagérées que la multitude se fait de ses droits".

Ainsi, il est bien difficile de voir dans le 14 juillet 1789 une promenade touchante et fraternelle, unanime autour d'un "bon roi" comme le voudrait l'espèce d'image d'Epinal qui en a été donnée depuis.

***

Oui, la société bourgeoise a été enfantée dans la douleur et la violence. En son temps, la révolution bourgeoise en Angleterre avait, elle aussi, décapité un roi, commis pas mal de massacres et connu la dictature de Cromwell, pour pouvoir s'imposer.

Lorsque la Révolution française eut à faire face à la coalition menaçante de tous les rois de l'Europe et à la contre-révolution en France même, elle dut concentrer tous les pouvoirs das une dictature terroriste pour dresser un rempartncontre un possible retour de l'Ancien Régime, et pour cela ses dirigeants de l'heure s'appuyèrent sur le peuple en armes. Ce fut l'audace de Robespierre, Marat, Saint-Just, et c'est ce qui leur vaut l'ingratitude de nos bourgeois d'aujourd'hui et de leurs gens de plume. Pourtant, ils restaient des défenseurs de la propriété privée. Et ils conservèrent le contrôle de ces masses. Dans tout le cours de la Révolution, y compris en 1793, le peuple n'a jamais exercé le pouvoir pour son propre compte : il s'est borné à faire le travail révolutionnaire pour le compte de la classe des bourgeois. Mais s'appuyer sur le peuple en armes, c'est bien dangeureux. N'est-ce pas risquer le "règne de la canaille" ?

A vrai dire, s'ils mettaient toute hypocrisie de côté, les penseurs de la bourgeoisie ne pourraient pas déplorer la violence et le terrorisme en général. Car la violence de leur calsse au pouvoir, ils ne la renient pas ! Les massacreurs d'ouvriers de juin 1848 n'attirent pas plus leur opprobre que ceux de la Commune de Paris qui, rien qu'au cours de la Semaine sanglante, firent plus de morts que les 16 000 victimes de la guillotine en 1793-94. Au spectacle du massacre de juin 1848, Ernest Renan, pourtant bien modéré, s'exclamait : "La classe bourgeoise a prouvé qu'elle était capable de tous les excès de notre première terreur, avec un degré de réflexion et d'égoïsm en plus".

Mais dans la dictature jacobine, ce que ces "penseurs" de la bourgeoisie rejettent en vérité, c'est le rôle des masses mobilisées, des démunis, des affamés ; c'est leur intervention risquant de ne pas s'arrêter aux limites de la propriété privée. C'est ce spectre-là qu'ils cherchent à exorciser en fulminant contre les "excès" de la Révolution. Et à compte, là plupart n'apprécient pas vraiment non plus la prise de la Bastille, d'initiative populaire, et préfèrent pleurnicher sur le triste sort de Marie-Antoinette et autres aristocrates, avec la pointe de nostalgie royaliste qui semble être à la mode...

Tant c'est un exercice ambigu, pour une classe exploiteuse et tous ceux qui s'en font les défenseurs, que de commémorer une intervention révolutionnaire des masses, même si c'est à elle qu'ils doivent l'avènement de leur domination.

Lutte Ouvrière n°1103, 22 juillet 1989


mercredi 28 mai 2014

:: Le prolétariat d’Europe, avec ses composantes originaires de tous les continents, constitue une seule et même classe sociale


Paris, Meeting Elections européennes (16 mai 2014), intervention de Nathalie Arthaud et de Jean-Pierre Mercier

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,

Comme l’a dit Jean-Pierre, ces élections donnent aux travailleurs l’occasion de se faire entendre.
Mais pour faire entendre leurs intérêts, les travailleurs ne doivent pas se laisser entraîner dans les faux débats qui agitent cette campagne, que ce soit sur les frontières de l’Europe, sur le protectionnisme ou sur l’euro.

Les principaux politiciens opposent l’euro au Franc pour ne pas avoir à se positionner sur le niveau des salaires. Ils opposent la France à l’Europe pour masquer la responsabilité patronale. Ils opposent le protectionnisme à la mondialisation, pour ne pas parler du capitalisme.
Du front de gauche jusqu’au Front national en passant par le PS et la droite, tous jouent à ce jeu là. C’est une diversion.

En plus de détourner les travailleurs des combats qu’ils ont à mener, ces idées distillent le poison de la division, du nationalisme, quand ce n’est pas celui de la xénophobie.

Alors les travailleurs doivent rejeter ces idées nuisibles et réaffirmer l’internationalisme porté depuis toujours par le mouvement ouvrier en proclamant : prolétaires de tous les pays unissez-vous !

**********
Beaucoup, au premier rang desquels le Front National nous disent que tout est de la faute de Bruxelles et qu’il faut considérer les travailleurs des autres pays d’Europe comme des concurrents, des adversaires, des ennemis.


Des adversaires, ceux qui aux quatre coins d’Europe subissent les mêmes licenciements, les mêmes blocages des salaires, la même démolition des services publics ? Des ennemis, ceux qui sont comme nous sous le diktat des banques et des grands groupes capitalistes ? Des concurrents ceux qui viennent travailler sur les chantiers de construction en France ? Non ! Des travailleurs comme nous tous ici, des exploités bien forcés d’aller où ils peuvent gagner leur croute !

La classe ouvrière est internationale par nature. Elle existe dans tous les pays parce que, partout où le capitalisme s’est imposé, il a généralisé la condition d’exploité à l’immense majorité de la population.

Internationale, aussi parce que les travailleurs de tous les pays se sont mélangés depuis toujours. Marx disait « Les travailleurs n’ont pas de patrie ». Et ce n’était pas qu’une façon de prendre le contrepied du nationalisme de bourgeoisie, c’était un constat. Le constat que dans cette société capitaliste, les travailleurs sont forcés de se déplacer, forcés d’aller vivre où ils trouvent du travail.
Aujourd’hui en France quand on est licencié d’une usine, il faut de plus en plus changer de ville ou de région pour espérer retrouver du travail. Mais combien d’ouvriers espagnols, portugais ont été forcés de laisser leurs familles pour venir se faire embaucher sur les chantiers en France, depuis que la crise les a privés de tout moyen de vivre dans leur pays ?

Combien d’autres travailleurs sont forcés de faire des milliers de kilomètres, de changer de continent, de langue, d’abandonner leurs attaches dans l’espoir tout simple de trouver du travail et de pouvoir vivre ?

Il est aujourd’hui beaucoup question des « travailleurs détachés » roumains, bulgares ou polonais. Mais combien de paysans italiens, algériens, marocains, ont été détachés de leurs champs tout au long du 20ème siècle pour venir travailler dans les mines, sur les ports, dans les usines de montage ?

Au 19ème siècle déjà, Londres, Paris, les grands chantiers de construction de chemin de fer ou les régions minières étaient des points de rassemblement de travailleurs français, allemands, anglais, irlandais, belges, polonais.

Comme aujourd’hui, la bourgeoisie a toujours cherché à profiter de la misère ouvrière pour mettre en concurrence les travailleurs, casser les salaires et aggraver l’exploitation. Mais les travailleurs n’en sont pas restés à se regarder en chiens de faïence. Ils y ont répondu de la seule manière possible : en s’organisant et en combattant ensemble.

Le mouvement ouvrier, à l’image de la classe ouvrière, a toujours été international. Sur les barricades de 1848, les Gavroche ont côtoyé des ouvriers italiens, allemands, suisses, belges. Le premier gouvernement ouvrier, la commune de Paris de 1871 avait nommé à sa direction un Hongrois, Leo Frankel, et un Polonais, Dombrowski, à son commandement général.

La première grande organisation ouvrière fut l’Association internationale des travailleurs créée à Londres, en 1864, à partir de liens existants entre les ouvriers de toute l’Europe. Karl Marx résuma son but en deux phrases « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » et c’est sur cette base que se développèrent les premiers partis ouvriers nationaux dans les années suivantes.

Pour les dirigeants qu’étaient Marx, Engels, Lénine, Trotsky ou Rosa Luxembourg et qui avaient l’internationalisme chevillé au corps, il était évident que le combat des travailleurs était un combat international, mais ça l’était aussi pour un grand nombre de militants.

Leur internationalisme allait de pair avec la lutte de classe et il en va de même aujourd’hui. La conscience internationaliste est indissociable du combat des travailleurs.

C’est la conscience qu’au-delà de leurs différences, au-delà des nationalités et des frontières, les travailleurs ont les mêmes intérêts et forment une seule et même classe sociale.
C’est la conscience que ce qui sépare les hommes, ce ne sont pas les frontières géographiques, mais les frontières sociales, les frontières de classe qui divisent la société en exploités d’un côté et en exploiteurs de l’autre. C’est le rejet du nationalisme et du chauvinisme.

C’est la conviction que les luttes des travailleurs dans quelque pays que ce soit font avancer le sort de tous. C’est la conviction que le combat des uns est le combat de tous.

Cette conscience n’a jamais été innée. Elle s’est construite et elle s’est transmise au travers des organisations ouvrières, au travers de journées de lutte internationale comme le premier mai, au travers aussi du rejet des hymnes et des drapeaux nationaux remplacés par le drapeau rouge et le chant de l’internationale.

C’est peu dire que les partis de gauche n’ont plus cette politique. Cela fait bien longtemps que le Parti Communiste Français a fait sien le drapeau bleu blanc rouge et la Marseillaise, bien longtemps que ses représentants ne parlent plus au nom des travailleurs mais, au nom des « français », comme tous les partis bourgeois.

Le PC comme le Parti gauche se placent comme les politiciens bourgeois sur le terrain du nationalisme. « Qu’est-ce qui sera bon pour la France ? Qu’est-ce qui sera bon pour l’économie du pays ? », se demandent-ils. Mais autant se demander ce qui sera bon pour Bouygues, pour Peugeot, pour Bettencourt, car les intérêts de la France sont toujours les intérêts de la bourgeoisie française, jamais ceux des travailleurs et des pauvres.

Eh bien les travailleurs conscients doivent opposer à tout ce monde là leur point de vue de classe et leur internationalisme et se demander non pas ce qui sera bon pour la France, mais qu’est-ce qui sera bon pour les travailleurs et qu’est-ce qui sera bon pour tous les travailleurs, quelles que soient leur nationalité et leur origine.

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L’internationalisme n’est pas qu’une question de solidarité entre exploités et d’efficacité dans le combat, c’est la seule issue pour l’humanité. C’est la conviction que les travailleurs ne pourront pas s’émanciper dans un seul pays.

Il n’y a pas de société plus folle que cette société capitaliste. Pourquoi sommes nous plongés dans une crise dont personne ne voit le bout ? Non pas parce qu’il manque des bras pour produire, des millions de travailleurs sont condamnés au chômage. Pas parce qu’il manque des usines, des dizaines si ce n’est plus, sont fermées chaque jour en Europe. Pas parce qu’il manque des capitaux, des milliards sont gâchés, dilapidés dans des dépenses extravagantes ou pire, dans la spéculation.
Près d’un milliard de personnes sont condamnées à la sous-alimentation alors que nous produisons de quoi nourrir deux fois la population de la planète. Des centaines de millions d’êtres humains sont privés de l’accès à un logement digne ce nom, à des soins convenables, à la culture, voire simplement à de l’eau courante.
Tout cela pourquoi ? A cause des lois du capitalisme. Parce que les capitalistes ne produisent que pour ceux qui sont solvables, parce qu’ils n’investissent que dans ce qui est le plus rentable, parce qu’ils préfèrent le gain rapide de la spéculation à celui moindre de la production. Parce qu’au lieu d’organiser rationnellement la production et de produire pour les besoins de tous, les capitalistes sont lancés dans une accumulation individuelle délirante et une concurrence à mort.
La seule issue pour l’humanité est de renverser le capitalisme et de fonder l’économie sur des bases collectives. Mais cette économie ne peut pas fonctionner autrement que sur une base mondiale.
L’économie capitaliste étouffe de ses propres contradictions, elle étouffe sous l’effet de la loi du profit et de la propriété privée, de la concurrence. Mais à toutes ces contradictions internes, s’ajoute le fait que l’économie et les entreprises sont internationalisées alors que le monde et les continents sont morcelés en Etats nationaux.
C’est peu dire que le capitalisme est mondialisé depuis toujours, il s’est développé à partir du commerce international. Le commerce avec l’Afrique, avec l’Asie et le moyen Orient, le commerce triangulaire et la traite esclavagiste aux 17 et 18e, ont été à la base de la révolution industrielle.
C’est la bourgeoisie montante qui a réalisé la première mondialisation et elle a ainsi étendu ses méfaits, l’exploitation, les rapines, le pillage et les massacres à la planète entière.
Depuis lors, les échanges internationaux n’ont fait que s’intensifier, les capitaux se sont mêlés, les travailleurs aussi. Le marché est devenu mondial. Les agriculteurs se fournissent et vendent sur le marché mondial. La moindre usine travaille pour, ou avec des entreprises étrangères. Pour être fabriqué, le moindre produit nécessite une chaîne d’échanges internationaux.
Bien malin celui qui voudrait consommer 100 % français ! Un journaliste s’y est frotté en essayant de vivre un an « made in France ». Il s’est débarrassé de 95 % de son mobilier et de ses appareils électriques, a remplacé le café et le thé par la chicorée et le jus de pomme. Grand déchirement paraît-il, il a du se passer de ses jeans, de son réfrigérateur, de son coupe-ongles.
S’il avait cherché de quel acier était fait son opinel, il aurait du aussi s’en séparer car son acier inoxydable est…suédois. Quand à sa mobylette, elle ne roulait sûrement pas au vin rouge. Il n’a pas non plus poussé son expérimentation jusqu’à rechercher une énergie 100 % française, ce qui l’aurait forcé de s’éclairer à la bougie, à supposer qu’il y ait même des bougies et des allumettes 100 % françaises…
Comme quoi, tous ces gens-là sont peut-être naïfs mais pas fous ! Disons, à la décharge de ce journaliste, qu’il a payé un peu de sa personne, quand un Montebourg, chantre du « made in France », et bien placé pour savoir que ses discours ne valent rien, s’est contenté de porter une marinière trois minutes, le temps d’une photo.
Montebourg ressemble à ces bonimenteurs de foire, vous savez, ceux qui sont payés pour raconter et vendre n’importe quoi à des gogos. Parce que son histoire de patriotisme économique c’est vraiment ça !
Regardez son cinéma autour d’Alstom. Il s’excite et fait mine d’œuvrer pour l’intérêt supérieur en poussant l’offre de Siemens. Mais il sait que la décision n’appartient pas au gouvernement. Il sait que dans cette société le pouvoir est dans les mains de ceux qui détiennent les capitaux.
Et ce n’est pas le décret qu’il vient de prendre qui changera cela. Qu’en fera-t-il d’ailleurs ? Que le gouvernement n’imagine pas une seconde nationaliser Alstom, montre qu’il veut pas s’immiscer dans les affaires du groupe. Alors tout cela n’est que gesticulation.
Si les grands actionnaires d’Alstom, à commencer par Bouygues, actionnaire pour 29%, trouvent plus d’intérêt à vendre à GE qu’à Siemens, ils vendront à GE. N’en déplaise au gouvernement, à Montebourg et ses sornettes patriotiques.
Sornettes patriotiques vraiment car ce que ne dit pas Montebourg c’est que les turbines à gaz fabriquées par Alstom l’ont été pendant une décennie sous licence GE, sous licence américaine. C’est cela que Montebourg appelle l’indépendance énergétique de la France ?
Alstom compte 18 000 salariés en France mais 70 000 salariés dans le monde. Avec son activité essentiellement tournée vers l’exportation, Astom n’est pas plus « française » que GE qui emploie 11 000 salariés dans le pays et fait travailler aussi des centaines de sous-traitants.
Quant à faire croire que l’emploi et les intérêts des travailleurs en France seront mieux défendus si le pavillon français est hissé sur le toit de l’usine, c’est se moquer du monde. Les ouvriers de Belfort en savent quelque chose. Qu’ils travaillent chez Alstom ou chez General Electric, ils ont été confrontés aux suppressions d’emplois, aux restructurations, au chantage à la compétitivité.
Alors, laissons les bonimenteurs de foire discourir sur l’indépendance de la France et pleurer sur la perte des « fleurons français » qui ne sont ni des « fleurons » ni « français ». Ils ne sont bons qu’à cela !
L’idée de produire et consommer 100% français est une idée réactionnaire et stupide. On ne va pas installer des usines d’assemblage d’avions de partout. On ne va pas cultiver des oranges ou des bananes ou des cacaoyers en Bretagne ! Les groupes pétroliers parviendront peut-être à leur fin en exploitant le gaz de schiste qu’ils ont trouvé dans le sous-sol français, mais ils n’y trouveront pas de pétrole.
Ce sont les échanges de matière première, de technologies, de produits, de capitaux, d’idées et d’hommes qui irriguent l’économie et lui permette d’avancer. Bien sûr cette économie avance surtout au profit d’une minorité et s’il y a quelque chose à changer c’est cela.
Car la mondialisation est un fait. Il n’y a pas plus de produits français que de produits allemands ou chinois. Le moindre produit nécessite l’intervention d’une myriade de métiers, de services, de pays, de travailleurs. L’imbrication de l’économie à l’échelle de la planète est telle qu’il est impossible de revenir en arrière sans imposer des privations sans fin et une régression effroyable.
Ce que les travailleurs ont à combattre dans la mondialisation capitaliste, ce sont les rapports de domination, le pillage, le sous-développement, et les répercussions néfastes qui en découlent sur l’environnement et la planète, ce que les travailleurs ont à combattre dans la mondialisation capitaliste, ce ne sont pas les échanges, ce n’est pas la mondialisation, c’est le capitalisme.

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L’accord de libre échange transatlantique que l’Europe est en train de négocier avec les Américains est maintenant le symbole de la mondialisation qu’il faudrait combattre. Biensûr il faut dénoncer ce que les multinationales manigancent derrière notre dos. Mais gardons nous de faire croire que les multinationales européennes ou françaises sont meilleures que les américaines !

Le poulet au chlore que les adversaires de ce traité présentent comme une spécialité américaine n’est certes pas très appétissant, mais n’oublions pas que manger européen ne nous a protégé ni de la vache folle ni des lasagnes à la viande de cheval.
Souvenons-nous du scandale du Mediator, vendu à des millions de patients de par le monde comme un coupe-faim par Servier, grand patron français s’il en était, décoré de la légion d’honneur par Sarkozy. Et c’est sans oublier le scandale de l’amiante dont la nocivité fut établie il y a un siècle, qui ne fut interdite qu’en 1997 en France, et qui tue aujourd’hui encore.
Cet accord permettrait aux multinationales de prendre le pouvoir sur les Etats nous-dit on. Comme si elles ne l’avaient pas depuis longtemps !
Alors n’agitons pas des chiffons rouges et gardons-nous de faire croire que le problème est le libre échange et la circulation des marchandises !
Les liens économiques, sociaux et humains qui ont été tissés au travers de cette mondialisation sont des liens précieux, c’est la base sur laquelle un système plus productif que jamais s’est développé. Et cela il ne faut pas le détruire, mais le maîtriser, il faut que les travailleurs le reprennent à leur compte de sorte qu’il serve à l’humanité toute entière.
Cela nécessite de se débarrasser de la dictature d’un nombre restreint de groupes industriels et financiers, en concurrence les uns avec les autres. De faire en sorte que ces immenses possibilités scientifiques, technologiques et productives de la société, ne soient plus subordonnées à la recherche du profit.
Les multinationales sous le contrôle des capitalises ont un grand pouvoir de nuisance, mais ces mêmes multinationales mises au service de la population pourraient être demain les outils fantastiques pour maîtriser notre vie économique, pour l’organiser consciemment, rationnellement de façon à économiser les ressources de façon à combattre la pollution.
Aucun des grands problèmes qui se posent à l’humanité – qu’il s’agisse de nourrir toute la planète, de guérir de maladies meurtrières, de pourvoir le monde entier en énergie, en transports, en logements ne peut être résolu avec le repli national. Toutes ces questions se posent désormais à l’échelle de la planète. S’il revient aux travailleurs de prendre le pouvoir et d’organiser la production, ils devront le faire à l’échelle du monde.

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En 1914, alors qu’éclatait la première guerre mondiale, Trotsky parlait ainsi des objectifs que le prolétariat devait se fixer : « Pour le prolétariat européen, il ne s’agit pas de défendre la « Patrie » nationaliste qui est le principal frein au progrès économique. Il s’agit de créer une patrie bien plus grande : les Républiques des États-Unis d’Europe, première étape sur la voie qui doit mener aux États-Unis du monde.
A l’impérialisme sans issue du capitalisme le prolétariat ne peut qu’opposer une organisation socialiste. Pour résoudre les problèmes insolubles posés par le capitalisme, le prolétariat doit employer ses méthodes : le grand changement social ».
Mais la révolution prolétarienne n’ayant pas vaincu, la construction européenne a été l’œuvre de la bourgeoisie.
Elle n’a pas été l’œuvre d’idéalistes, inspirés par le désir de mettre fin aux guerres et de fonder les relations intereuropéennes sur l’amitié entre les peuples. Elle a été l’œuvre de banquiers, d’industriels, de marchands obsédés par la concurrence.
Pour les bourgeois d’Europe, la construction de l’Europe a été tout à la fois une nécessité et une impossibilité.
Une nécessité parce que l’’industrie française ou allemande, en commençant par celle de l’acier et du charbon ne pouvaient pas se développer dans les frontières étroites des marchés nationaux. Parce qu’elles ne pouvaient pas espérer jouer dans la cour des Etats-unis ou du Japon sans faire un grand marché européen.
Mais une impossibilité aussi parce chaque bourgeoisie voulait bien accéder au marché du voisin tout en continuant à protéger son propre marché. Parce que chaque gouvernement voulait bien des institutions européennes tout en gardant leurs prérogatives.
Cette contradiction ne fait que s’exacerber aujourd’hui avec des groupes capitalistes toujours plus internationalisés, œuvrant à l’échelle de la planète mais toujours plus demandeurs de la protection et des subventions de leur Etat.
Le résultat de ces compromis est l’Union Européenne que l’on connaît : une espèce de mariage de raison où chacun fait chambre à part, défend son pré carré et où ne met surtout son compte bancaire en commun !
C’est une Europe rabougrie, qui au bout de 60 ans, ne compte que 28 pays sur les 45 qui existent en Europe, c’est une UE qui n’englobe toujours pas toute la moitié orientale de l’Europe, la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, sans parler de la Turquie. Et si des voix s’élèvent aujourd’hui, ce n’est pas pour élargir l’Europe, mais pour la rétrécir en officialisant une Europe à deux vitesses.
Que les défenseurs de l’Europe en soient à vanter le programme Erasmus et l’obligation de la ceinture de sécurité à l’arrière comme les grands acquis de l’Europe montre qu’ils n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent pour nous faire aimer l’Union Européenne !
Leur ultime argument et le seul un peu conséquent, est que l’Union Européenne a garantit la paix.
Mais ces vingt dernières années, du Rwanda à la Yougoslavie en passant par l’Irak, des millions de femmes et d’hommes ont péri sous les bombes ou sous les coups de machettes, des pays entiers ont été ravagés ! L’enfer de la guerre est aujourd’hui le quotidien en Syrie, en Centrafrique, mais du moment que ces Messieurs dorment sur leurs deux oreilles, ils appellent ça la paix !
Les dirigeants français, allemands et britanniques se vantent d’être des forces de paix parce qu’ils ne font pas s’entretuer leur propre peuple comme ils l’ont fait pendant les deux guerres mondiales. Mais ils font s’entretuer d’autres peuples dans le tiers monde.
Ils envoient leurs avions de combats aux quatre coins du monde, ils font sillonner les mers par leurs sous-marins nucléaires, les airs par leurs drones de combat et quand leurs intérêts sont en jeu, ils mettent des pays entiers à feu et à sang.
Les grandes puissances européennes à la tête de l’Europe n’ont rien de vigies pacifiques. Comme les Etats-unis, ce sont des puissances impérialistes, prêtes à tout pour sauvegarder leur influence et leurs intérêts aux quatre coins du monde y compris la guerre.
Et se vanter d’avoir installé la paix en Europe au moment où l’Ukraine s’enfonce dans la guerre civile, guerre dont l’Europe partage la responsabilité avec les Etats-Unis et la Russie, est proprement révoltant !

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Quant au fait qu’en 60 ans de construction, rien n’ait avancé sur le terrain des droits démocratiques et sociaux, il ne faut pas en être surpris. L’Union Européenne a été conçue et créée par et pour les intérêts des groupes capitalistes.

Il n’a jamais été question de créer un espace où les salaires, les droits sociaux, même les droits des femmes, soient alignés vers le haut.
Que les salaires roumains ou bulgares soient 5 à 10 fois inférieurs aux salaires allemands ou français, que Malte, Chypre, la Pologne ou l’Irlande continuent d’interdire l’avortement, et le gouvernement espagnol l’envisage sérieusement, les dirigeants européens s’en moquent complètement. Parler « d’Europe sociale », c’est bon pour les campagnes électorales, mais cela n’engage à rien.
Même un droit aussi élémentaire que la libre circulation des personnes n’est pas complète aujourd’hui, par exemple pour les Roumains, les Bulgares ou les Croates !
Et regardez comment les Roms sont traités. Pour les Roms, la construction de l’Europe aurait pu avoir une signification concrète, et que fait l’Union Européenne ? Elle ne leur laisse que l’étroite possibilité d’errer et d’être chassé d’une ville à une autre, d’un pays à un autre !
Ce que les dirigeants politiques ont appelé la construction européenne n’est qu’une histoire de marchandages sordides où les travailleurs et les plus pauvres n’entrent pas en ligne de compte. C’est une machine de guerre commerciale, un instrument d’oppression de la bourgeoisie, qui s’ajoute à l’instrument d’oppression que constituent les Etats nationaux.
Car nous ne sommes pas de ceux qui rejettent l’Europe pour vanter le repli national ! Combattre l’Europe pour s’en remettre aux institutions et à la souveraineté nationale n’est qu’une autre façon de servir la soupe à la bourgeoisie.
Il est stupide d’opposer la souveraineté nationale à l’Europe quand la souveraineté est dans les mains des capitalistes et qu’elle s’imposer à chacun des pays, comme à l’échelle du monde. Il est stupide d’opposer les responsables de Bruxelles ou d’Europe à ceux de la France ! Ce sont les mêmes politiquement, voire ce sont les mêmes tout court !
Bruxelles ne prend aucune décision importante qui ne soit voulue ou, du moins, avalisée par les gouvernements nationaux, au premier rang desquels il y a le gouvernement français. Quant à celui-ci, il ne prend aucune décision économique de quelque importance que ce soit, sans que celle-ci ne soit elle-même avalisée par le grand patronat.
Ceux qui prétendent que les coups contre les services publics, contre les quelques articles de loi protégeant les travailleurs, viennent de Bruxelles, des institutions européennes ou de Merkel, visent à dégager la responsabilité de chacun des gouvernements et à dédouaner ceux qui sont les laquais de la bourgeoisie.
Non Merkel ne mène pas Hollande par le bout du nez. Ce n’est pas l’égoïsme allemand qui en fait baver à toute l’Europe. Les dirigeants français et allemands sont d’accord pour faire ce que les financiers demandent. Ils ont été d’accord pour étrangler les travailleurs grecs ou espagnols. Ils ont été d’accord pour imposer à tous les Etats des politiques d’austérité.
S’il faut faire porter la responsabilité des décisions prises par l’Europe, c’est sur le couple franco allemand, les deux plus grandes puissances qui dominent la zone euro. Car c’est une caractéristique de l’Europe que d’avoir maintenu les rapports de domination entre les pays les plus riches de l’Europe et ceux plus pauvres comme la Grèce.
Quant à l’Europe de l’est encore beaucoup plus pauvre, elle n’a été que le champ clos des rivalités des multinationales françaises, allemandes et britanniques.
Et les classes populaires de toute la partie orientale de l’Europe, de la Pologne à la Bulgarie ont de quoi être déçues par cette construction européenne dont ils n’ont vu que les banques et les multinationales françaises ou allemandes se comporter en prédateurs. De l’Europe ils n’ont vu que les huissiers leur demandant d’abandonner les maigres protections dont ils disposaient, ils n’ont vu que la crise les condamnant au chômage et c’est en partie ce qui explique la virulence plus grande de l’extrême droite dans cette partie de l’Europe.
L’Union Européenne est à l’image du capitalisme, inégalitaire, injuste, gangrénée par la spéculation et la crise. Mais encore une fois, ce n’est pas l’Europe qui est en cause, mais le capitalisme. Et tous les démagogues qui font croire l’inverse et brandissent le nationalisme emmènent les peuples dans une impasse mortelle.
L’Europe, l’Allemagne, la France, la Grèce, sont des paravents derrière lesquels se cachent la domination des industriels et des financiers de toutes origines. Poser les problèmes en termes nationaux, c’est faire oublier qu’il y a des exploités et des exploiteurs dans tous les pays.
N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, l’Allemagne n’est pas un pays de nababs retraités qui vivent sur le dos des travailleurs français jeunes et productifs comme il le laisse entendre ! L’Allemagne c’est aussi ces millions de travailleurs allemands, turcs qui vivotent avec 700, 800 € par mois tout en travaillant dur.
Et Jean-Pierre l’a rappelé, Regardez comment après avoir accusé les Grecs d’avoir vécu au-dessus de leurs moyens, ils disent cela de nous aujourd’hui !
Alors être sensible à ce genre d’arguments nationaliste, quand il s’agit des Grecs ou des allemands, opposer les peuples les uns aux autres, ne pas voir les responsabilités de nos propres gouvernements c’est se condamner à subir.
Ce qui se passe en Ukraine doit être pour tous un avertissement. Depuis la chute de Ianoukovitch, les évènements se sont précipités avec l’agitation des bandes nationalistes. A l’agitation des bandes nationalistes dans la partie occidentale de l’Ukraine dont certains ne cachent pas leur inspiration nazie répond l’agitation de celles de la partie orientale.
Chacun désigne l’autre camp comme l’adversaire, le responsable de tous les maux alors que la réalité des pensions de misère, les fermetures des mines, le chômage de masse est autant partagé d’un côté que de l’autre ! et des deux côtés ce sont les mêmes bureaucrates qui amassent des fortunes pendant que leur peuple sombre dans la misère. Le nationalisme est devenu pour la population ukrainienne un piège mortel.
Alors quelle que soit sa forme, A bas le nationalisme !

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Faire croire que l’État-nation pourrait protéger les travailleurs est une escroquerie. Croire que le repli sur les frontières nationales et le protectionnisme pourraient être d’un quelconque secours pour les travailleurs est un leurre.

Le protectionnisme, prétendument solidaire version Melenchon ou gouvernemental version Montebourg, n’est pas meilleur que le protectionnisme xénophobe de Le Pen. Il forme un seul et même piège. Le protectionnisme c’est d’abord des taxes en plus pour les consommateurs.
Tout le monde se plaint des taxes et des augmentations d’impôt, mais le protectionnisme c’est un impôt supplémentaire sur tout ce qui est importé. Les produits bon marché, qui permettent justement aux plus pauvres de joindre les deux bouts, seront renchéris. C’est sûr que cela ne posera pas de problème aux riches mais aux familles populaires, si.
La baisse de l’euro, voire la sortie de l’euro aura les mêmes conséquences. Car baisser la valeur de l’euro, c’est aussi augmenter le prix de tout ce qui est importé et en particulier celui du pétrole. Pour tous les travailleurs qui hésitent à faire le plein de carburant, ce sera bien plus difficile encore.
L’objectif de toutes ces mesures protectionnistes est nous dit-on de remplacer les produits d’importation par des produits « made in France ». A condition que ces Messieurs les capitalistes veuillent bien investir et trouvent un quelconque avantage à produire ces produits en France.
Prenez le secteur du bâtiment. Il manque un million de logements à des prix abordables pour un salaire de travailleur. C’est un secteur protégé de la concurrence, du tout cuit pour les Bouygues, pour les Vinci et autres marchands de béton. Mais ce n’est pas assez rentable à leur goût et ils préfèrent se lancer dans des partenariats public-privé juteux, voire dans la construction de tours de 800 mètres de haut à Dubaï…
Faire croire que le protectionnisme, via des taxes ou la baisse de la monnaie relancera automatiquement la production, l’industrie, la croissance et les emplois est une fumisterie. Croire d’ailleurs que l’on pourrait arrêter les importations tout en continuant de vendre nos propres produits à l’étranger est une escroquerie.
Le protectionnisme, ce n’est pas la fin de la guerre commerciale, c’est son aggravation. C’est une déclaration de guerre dans la guerre. C’est plus de frontières séparant les peuples, plus d’insanités patriotiques. Car le protectionnisme est l’expression économique du nationalisme, ce sont les deux faces d’une même pièce. Et faut-il rappeler que le protectionnisme des années 1930 a débouché sur seconde guerre mondiale ?
Non le protectionnisme n’est pas la recette miracle pour que ce système tourne rond pour les exploités. Il ne le peut pas ! Les travailleurs n’ont pas à choisir entre être exploité à la sauce libre-échange ou protectionnisme, ils ont à se battre contre l’exploitation.

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Le Pen est sans doute celle qui crie le plus fort contre l’Europe. A l’entendre, tout est de la faute à l’Europe, de la commission européenne, de Bruxelles. Rien du patronat ! Rien de la rapacité patronale. Le grand patronat, ses bénéfices, ses dividendes, l’exploitation et les bas salaires qu’il impose, cela n’existe pas pour elle, parce qu’elle est de leur monde.

Pour Le Pen, comme pour les autres, l’exploitation est dans l’ordre des choses, elle est normale et les travailleurs sont voués à la subir. Le Pen fait de la démagogie, elle plaint les travailleurs, elle verse une larme sur les retraités modestes et sur les chômeurs mais elle se prépare à servir le système qui les écrase comme Sarkozy et comme Hollande avec des conséquences pires pour les travailleurs.
Toute la politique du patronat consiste à diviser les travailleurs, à les monter les uns contre les autres. Le Pen fait la même chose. En opposant les travailleurs qui ont la carte d’identité française à ceux qui ne l’ont pas, en opposant les travailleurs musulmans aux autres, quand ce n’est pas les chômeurs à ceux qui ont du travail, Le Pen sème le poison de la division parmi les travailleurs.
Elle accuse les travailleurs détachés des pays de l’Est de faire une concurrence déloyale aux Français. Mais en France, le plus grand contingent de travailleurs détachés, ce sont les Français salariés au Luxembourg !
C’est le propre du capitalisme que de mettre en concurrence les travailleurs les uns avec les autres, de nous mettre tous en concurrence les uns avec les autres, les jeunes et les anciens, les diplômés et les non diplômés, ceux qui ont le permis et la voiture et ceux qui ne l’ont pas. Le piège mortel serait de nous combattre !
Alors Oui Le Pen est l’ennemi mortel des travailleurs. C’est une démagogue qui s’appuie sur la démoralisation et la résignation pour distiller son poison. La seule force qui la fera reculer c’est celle des travailleurs en lutte.

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Beaucoup déplorent que face au Front national, il n’y ait pas d’unité à « l’extrême gauche ». Mais la force de l’extrême-droite réside dans l’absence de perspectives à l’opposé, c’est-à-dire dans l’absence d’un courant politique qui milite sur le terrain de la lutte de classe, dans l’absence d’un parti révolutionnaire, qui rejette non seulement les politiciens qui se succèdent mais l’ordre capitaliste lui-même.
La seule façon d’enrayer l’influence du FN dans la classe ouvrière c’est que les travailleurs reprennent confiance dans leur force, dans leur capacité de peser, qu’ils retrouvent leur combativité. Il ne faut pas chercher une énième combinaison électorale, il faut lever le drapeau des luttes.
Et c’est une évidence que ce n’est pas la politique de Melenchon. Toute la politique de Mélenchon consiste à ressusciter la gauche. Et avec qui ? Avec les 41 députés qui se sont abstenus lors du vote de confiance pour s’écraser ensuite lamentablement ! Avec les Ecologistes qui ont certes quitté le gouvernement mais qui ne sont pas dans l’opposition !
Voilà le nouveau parti de gauche auquel rêve Mélenchon ! Une énième combinaison gouvernementale qui pourrait le hisser au pouvoir en faisant croire que cette fois elle ferait vraiment une politique de gauche ! Mais cela fait des décennies que les travailleurs sont baladés par de faux espoirs.
Le NPA dit avoir proposé une alliance électorale tant à LO qu’au Front de gauche et il regrette avoir obtenu une fin de non recevoir que ce soit d’un côté comme de l’autre. Mais le simple fait d’être prêt à s’unir aussi bien avec Melenchon et avec nous montre que nous ne partageons pas la même démarche.
Encore une fois, ce n’est pas d’un parti de gauche supplémentaire dont les travailleurs ont besoin. Mais d’un parti ouvrier qui parte du point de vue et des intérêts des travailleurs.
Un parti qui ne dise pas aux travailleurs « votez et nous ferons le reste ». Un parti qui milite pour redonner confiance aux travailleurs. Qui affirme que les travailleurs ont une force considérable car ils font marcher toute l’économie. Un parti ouvrier qui mette en avant les seuls moyens que la classe ouvrière a de peser : les luttes et le rapport de force.
Qui affirme que tant que l’on n’a pas la force de renverser ceux qui nous oppriment on est bien obligé de subir mais que les travailleurs ne doivent pas se taire !

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Pour porter ces perspectives il faut faire renaître un parti ouvrier révolutionnaire.
Nos adversaires réformistes ont souvent caricaturé les communistes révolutionnaires en les dépeignant comme les partisans du « grand soir », l’air de dire qu’en dehors de préparer la mythique révolution, ils ne servent à rien.
Mais c’est bien dans les combats quotidiens d’aujourd’hui, dans les combats politiques comme dans les combats sociaux, qu’il manque un parti qui agisse dans la perspective de l’émancipation des travailleurs par le renversement de l’ordre capitaliste.
C’est précisément parce qu’il n’y a pas un tel parti révolutionnaire que des partis de la bourgeoisie, étiquetés à gauche, ont pu pendant des années prétendre représenter les intérêts des travailleurs.
C’est précisément à cause de cela que même un parti dont les objectifs et les moyens sont aux antipodes des intérêts de la classe ouvrière comme le Front national peut prétendre aujourd’hui qu’il représente les travailleurs.
Toute la société est marquée par la montée des idées réactionnaires. Mais la montée du racisme, de l’antisémitisme, de la misogynie, du communautarisme, de la xénophobie, le poids des religions dans la vie sociale ne sont pas suspendus en l’air. Ils résultent de rapports de force au sein de la société, rapport de force entre des femmes et des hommes, entre des courants conservateurs et progressistes.
Le rapport de force entre ceux qui tirent la société en arrière et ceux qui représentent l’avenir a toujours été, à l’époque du capitalisme triomphant, lié aux rapports de force dans la lutte des classes.
Des périodes de recul dans la vie sociale, le passé en a connu quelques-unes. L’opposition la plus radicale aux forces réactionnaires venait toujours du mouvement ouvrier, de sa fraction révolutionnaire.
Eh bien, voilà ce qu’il est indispensable de recréer.
Cela paraît ambitieux comme perspective quand on sait à quel point le courant ouvrier communiste est minoritaire aujourd’hui et à quel point le réformisme social-démocrate puis le stalinisme ont laissé un champ de ruines dans les consciences.
Mais, en même temps, les idées que nous défendons, les idées de la lutte de classe, sont du vécu pour des millions de travailleurs et elles retrouveront le chemin de la classe ouvrière.
Un des obstacles que nous rencontrons, est que nous n’avons pas la crédibilité d’un grand parti. Mais cette crédibilité ne surgira pas à partir de rien. Elle se construit dans les luttes de la classe ouvrière, dans les grèves, dans les affrontements inévitables avec l’Etat de la bourgeoisie.
Mais elle se gagne aussi dans le travail politique sur le terrain, dans les luttes politiques entre autres électorales.
Oh ces européennes, comme les municipales du mois de mars seront vite oubliées par l’écrasante majorité de la population ouvrière, comme par tout le monde. Mais si ces deux campagnes ont pu rendre plus conscients ne serait-ce que quelques centaines ou quelques milliers d’exploités, si elles les ont engagé un tant soit peu dans le combat social, cela servira pour l’avenir.
Car ce seront les événements eux-mêmes, l’arrogance des Gattaz, le mépris de la bourgeoisie et de ses politiciens, la violence de la lutte de classe, qui amèneront un nombre plus important de travailleurs à la conscience que cela ne peut pas durer.
C’est vous dire qu’une fois les élections terminées, les efforts pour que se reconstitue dans ce pays un courant qui se batte au nom de l’émancipation des travailleurs doivent continuer.
Nous sommes une petite organisation, bien sûr. Mais nos camarades qui défendent nos idées depuis des décennies, les camarades ouvriers qui militent dans les entreprises et dans les quartiers populaires, ont pu démontrer qu’ils ne sont pas des girouettes qui changent de politique en fonction de l’air du temps ou d’alliances électorales fugaces.
Et ils seront encore là demain pour continuer de transmettre à d’autres les idées et les pratiques dont ils sont porteurs, notamment à ceux qui nous ont rejoints pendant cette campagne électorale. Il faut que les liens tissés en cette occasion se prolongent.
Ce sera moins visible, et les médias ne s’y intéresseront plus, si tant qu’ils s’y soient intéressés même durant la campagne électorale.
Pour ne citer que cet aspect anecdotique des choses, notre courant a eu droit, dans le cadre des émissions officielles, à deux séquences de 1 minute 26 secondes ! Et il ne suffit même pas de comparer ce temps de parole dérisoire à celui dont disposent les grands partis de la bourgeoisie. C’est du matin au soir et dans toutes les informations que télévision, radio, presse répètent et enfoncent dans les cranes le point de vue de la bourgeoisie.
Il n’y a pas à s’en étonner. Ce n’est jamais grâce à la grande presse, tenue en main par la bourgeoisie, que le mouvement ouvrier s’est développé. Il s’est développé en se donnant les moyens de s’exprimer indépendamment.
Le premier de ces moyens est tout simplement la parole de ceux qui se retrouvent dans les idées du camp des travailleurs. Les traditions du mouvement ouvrier se sont transmises de bouche à oreille, de travailleur à travailleur, elles se transmises par des femmes et des hommes qui avaient la volonté de prendre le contrepied des idées et des préjugés favorables à la bourgeoisie.
Il faut que cela continue aujourd’hui. Il faut que dans les entreprises où réside la force de frappe du monde ouvrier, comme dans les quartiers populaires, on fasse entendre un autre son de cloche que celui du conservatisme social et de la résignation.
Pour cela, il faut bien sûr des militants qui soient sûrs de leurs idées et qui aient la volonté de combattre cet ordre social injuste et dépassé. Mais il faut tout autant des relais, les plus nombreux possibles dans les classes populaires, des femmes et des hommes qui font leurs ces idées et qui ont à cœur de profiter de toutes les occasions, les queues des supermarchés, les files d’attente de la sécu, les discussions de cafés pour les diffuser.
Nous pouvons propager nos idées sans attendre que France 2 et Pujadas nous y invite ! Et n’en doutons pas, quand les travailleurs retrouveront confiance en eux, ces idées se répandront comme une trainée de poudre et elles deviendront une force !

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Alors dans les huit jours qui nous restent pour cette campagne, faisons le maximum pour convaincre le plus possible d’électeurs de faire entendre le camp des travailleurs.
Le programme de lutte des travailleurs et ses perspectives d’émancipation vont de pair avec l’internationalisme. Tout se tient, c’est le même programme, c’est la même vision communiste. Dans le combat contre la bourgeoisie, toute l’histoire du mouvement ouvrier montre que les travailleurs seront opposés non pas à une bourgeoisie nationale, mais à la bourgeoisie mondialisée depuis longtemps.
Car la bourgeoisie elle-même a été forcée par la logique propre de son système à dépasser les frontières. Elle a étendu son système sur toute la planète et a de fait rapproché les peuples et uni les exploités dans un sort commun.
Il faut en faire une force. L’ouvrier français, roumain ou allemand vivent la même exploitation, le même diktat patronal, la même galère de logement, la même tutelle du banquier, ils peuvent même avoir le même patron. Alors moins il y a de frontières, plus les occasions de tisser des liens sont nombreuses, mieux c’est pour le prolétariat
La bourgeoisie mise sur la résignation, sur les préjugés nationalistes, elle mise sur le fait que les travailleurs ne sauront pas réagir s’ils sont mis en concurrence les uns avec les autres.
Ne tombons pas dans le piège. Ayons une politique vis-à-vis des travailleurs nouveaux venus, regroupons-nous.
Il ne suffit pas de dénoncer les insanités anti-immigrés du Front national. Il faut en prendre le contrepied, non pas au nom de repliements identitaires aussi réactionnaires, mais au nom des idées, des valeurs du mouvement ouvrier.
Dans un passé, il est vrai bien lointain, l’honneur du mouvement ouvrier dans les pays développés, où il était le plus puissant, n’était pas seulement de prendre la défense des travailleurs immigrés et d’en être solidaires, c’était de les intégrer dans le mouvement ouvrier, de leur transmettre les idées révolutionnaires et d’en faire des compagnons de combat.
Beaucoup de travailleurs des pays de l’est européen, d’Inde, de Chine d’Indochine ou du Maghreb, transformés humainement et politiquement par le mouvement ouvrier de France ou d’Allemagne ont contribué à répandre ces idées dans leur pays d’origine.
C’est ainsi que les idées socialistes puis communistes se sont développées dans les pays de la partie pauvre de l’Europe, qu’elles ont traversé l’Atlantique et atteint l’Amérique et qu’elles sont allées jusqu’en Asie.
Mais cela s’est fait parce qu’il y avait des organisations, des syndicats, qui transmettaient les idées de lutte de classe, la dignité d’appartenir à une classe sociale qui non seulement produisait tout dans cette société mais qui était porteuse de la transformation sociale.
Aujourd’hui encore, les exploités peuvent tirer profits des migrations et du mélange des travailleurs, ils peuvent retourner la situation à leur avantage à condition d’avoir la volonté de s’unir autour d’une politique qui représente leurs intérêts de classe. A condition de transmettre les idées de lutte de classe, la fierté d’appartenir à une classe sociale qui non seulement produit tout dans cette société mais qui est porteuse de la transformation sociale.

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Le vote Lutte ouvrière permettra aux travailleurs de rejeter non seulement tous les politiciens au service de la bourgeoisie, à commencer par le gouvernement Valls-Hollande, mais de rejeter aussi l’ordre capitaliste lui-même.
Il représentera sans ambigüité les intérêts de classe des travailleurs en affirmant que ce n’est ni l’unification européenne ni l’euro que les travailleurs ont à combattre, mais la dictature des financiers.
Il représentera le combat de tous les travailleurs, contre toutes les oppressions, contre les restrictions à la liberté de circuler, contre la chasse aux immigrés, contre les expulsions des sans-papiers.
Voter Lutte Ouvrière, qui se revendique du communisme, c’est prendre la position la plus radicale contre les organisations d’extrême droite qui constituent une menace pour la classe ouvrière.
Et je veux m’adresser aux jeunes qui sont nés et ont grandi en communiquant et en échangeant avec les quatre coins du monde, à ces jeunes qui ne pourraient pas envisager leur vie sans la liberté de circuler à l’échelle de la planète,
Rejetez ces barbelés,
Rejetez ces frontières artificielles que l’extrême droite veut vous mettre dans la tête,
rejetez les idées nationalistes, le racisme, la xénophobie.

Voter Lutte Ouvrière, c’est opposer l’internationalisme à toutes les formes de démagogie nationaliste.
Voter Lutte ouvrière c’est affirmer que le carcan, ce n’est pas l’Europe, c’est la loi du profit. Le verrou qu’il faut faire sauter, c’est le pouvoir absolu de la bourgeoisie, des financiers, c’est cette dictature qui pèse sur les travailleurs que ce soit à l’échelle nationale européenne ou mondiale.
Qui fera éclater ce carcan ? Qui démarrera le combat ? Les mineurs de Turquie ? Les ouvrières du Bangladesh ? Les ouvriers de Tunisie, d’Espagne, de Grèce, de France ? L’avenir nous le dira.
Mais pour affirmer que le prolétariat d’Europe, avec ses composantes originaires de tous les continents, constitue une seule et même classe sociale,
Pour affirmer la nécessité d’une société débarrassée de l’exploitation, votez et faites voter Lutte Ouvrière.


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Camarades et amis,

Lutte Ouvrière se présente aux élections européennes dans toutes les circonscriptions, parce que nous voulons donner la possibilité à tous les travailleurs d’exprimer sans ambiguïté leur mécontentement et leur écœurement.

Ce n’est pas cela qui suffira à faire changer la situation – pour cela, il faudra que ce soit dans la rue et dans les entreprises que la colère explose – mais puisqu’on nous donne l’occasion de nous exprimer, eh bien nous n’avons aucune, mais alors aucune raison de nous taire et nous devons faire en sorte que dans ces élections le camps des travailleurs se fasse entendre !
Le personnel politique – qu’il soit français ou européen –tente d’expliquer aux électeurs que ces élections pourraient changer quelque chose à leur sort.
Sur un site du Parlement européen, il est ainsi expliqué que ces élections « permettent de décider de la composition politique du Parlement européen » – bon, admettons.
Mais ensuite, que voter « permet de peser directement sur les décisions de l’Union européenne » ! Quelle blague ! Comme si le Parlement européen était moins soumis que les Parlements nationaux aux intérêts de la bourgeoisie, comme s’il était plus « démocratique », plus soucieux de l’avis des électeurs.

Il faudrait demander leur avis à ce sujet aux travailleurs grecs, que l’Europe a jetés dans la misère avec une violence inouïe, pour satisfaire aux intérêts des banquiers français et allemands !

Eh bien, nous tenons à Lutte Ouvrière à nous présenter à ces élections, ne serait-ce que pour permettre aux travailleurs qui le souhaitent, justement, de ne pas donner leur voix aux grands partis qui se succèdent, ici, au pouvoir, depuis des décennies les mêmes politiques anti-ouvrières.
Mais au-delà, cette élection n’a aucune portée réelle. Elle est encore moins démocratique, encore plus éloignée des réalités que la plupart des élections nationales, avec ces grandes circonscriptions ridicules issues d’on ne sait quel tripatouillage bien opaque – avec cette circonscription du Nord qui inclut, allez savoir pourquoi, la Normandie, ce grand Est qui inclut la Nièvre… et je ne parle pas de la circonscription « coloniale », qui va des Antilles à Tahiti en passant par Saint-Pierre et Miquelon et la Réunion.

Les élections municipales ont montré de façon éclatante à quel point ceux qui nous gouvernent se moquent éperdument de l’avis de la population – et même de l’avis de leur propre électorat.
Souvenez-vous, c’était il y a deux mois à peine, le résultat des municipales a été sans appel : une raclée historique pour le Parti socialiste, et une abstention record qui a permis à la droite de s’emparer de dizaines de villes. Unanimes, les membres du gouvernement se sont succédé dans les médias, pour délivrer le même message : « Nous avons entendu, nous avons compris, les choses vont changer ».

Et en effet, les choses ont changé.

En guise de réponse au mécontentement, à la déception, à la frustration de l’électorat populaire, Hollande a choisi d’accentuer sa politique : faire payer les classes populaires pour servir encore plus les riches et les actionnaires des grandes entreprises… Il a choisi de cogner plus fort. Il a remplacé Ayrault, qui passait pour trop mou et était définitivement discrédité, par l’homme le plus ouvertement anti-ouvrier du Parti socialiste, Manuel Valls.
Manuel Valls, l’ancien candidat aux primaires socialistes qui voulait supprimer les 35 heures ; l’ancien ministre de l’Intérieur qui se vantait d’être sans pitié avec les sans-papiers, qui dénonçait à la télévision la poussée des cambriolages due – je le cite – à l’afflux en France de Géorgiens, de Bulgares et de Roumains.

Valls qui expliquait que les Roms ne peuvent pas s’intégrer dans ce pays, qui estimait que le marché d’Évry manquait de « Blancs, de white, de blancos » ;
Valls, l’homme politique socialiste le plus populaire parmi les policiers et les gendarmes,
Valls, dont le fond de la pensée politique consiste à croire que serrer les mâchoires et mettre le menton en avant suffit pour avoir l’air d’un vrai dur,
Valls, enfin, dont la ressemblance physique, politique, et morale avec Sarkozy est telle que même les membres de l’UMP n’arrivent pas à lui trouver des défauts.

Oui, la nomination de Valls à Matignon au lendemain des municipales a été une provocation. Une façon de dire aux électeurs de gauche déçus et dégoûtés : « Vous n’avez encore rien vu ».
Il y a quelques jours, Hollande, interrogé à la télévision, disait qu’il n’avait, je cite, « rien à perdre ». Élu en 2012 en ayant convaincu des millions de travailleurs dégoûtés de Sarkozy qu’il allait apporter « le changement », il s’est montré pire que lui – plus dur encore et plus brutal contre le monde du travail, les retraités, et les pauvres en général.
En réalité, Hollande n’est pas différent de tous les autres hommes politiques de la bourgeoisie : ils sont prêts à tout perdre tant est absolu leur dévouement à la grande bourgeoisie, au grand patronat. Que ce dévouement leur coûte leur popularité, et la plupart du temps la certitude de ne pas être réélus la prochaine fois, ils le savent, c’est la règle du jeu.

Ces hommes et ces femmes – en tout cas ceux qui sont sélectionnés pour accéder aux plus hautes responsabilités de l’appareil d’État – sont certes tous des carriéristes, mais fondamentalement, ils sont plus dévoués aux intérêts de la bourgeoisie qu’à leur propre carrière.
Alors, au lendemain de son accession à Matignon, Hollande et Valls, en guise de « réponse » à la déception de l’électorat populaire, ont annoncé un plan de 50 milliards d’économies faites uniquement sur le dos de la population, qui sonne lui aussi comme un véritable bras d’honneur aux classes populaires.

D’un côté, la suppression totale des cotisations sociales pour les patrons qui exploitent des travailleurs au smic ; de l’autre, l’augmentation des taxes, impôts et charges qui accablent les travailleurs.

D’un côté, des baisses d’impôts sur les entreprises et les bénéfices, de l’autre, la destruction programmée des services publics, la suppression de milliers de postes de fonctionnaires et le gel de leur salaire – ce qui donne l’exemple aux patrons du privé de ce qu’ils doivent faire, le gel, c’est-à-dire, compte tenu de l’inflation, la baisse des pensions pourtant déjà misérables des retraités, des chômeurs, des handicapés.
Jamais encore, depuis l’accession de Hollande au pouvoir, qui pourtant en avait déjà fait beaucoup, n’avait été exprimée avec autant de cynisme et d’arrogance la volonté du gouvernement de faire payer les faibles pour enrichir, encore un peu plus, les riches.
Alors vraiment, après ces municipales et leurs conséquences, il faut être ou bien un menteur patenté, ou bien sacrément naïf, pour faire croire que les élections peuvent servir à changer quoi que ce soit !

Il y a 150 ans, Marx avait une formule toute simple pour définir les élections dans la société capitaliste. Il disait que les élections ne servent qu’à une chose : permettre aux travailleurs de « choisir quel représentant des classes dirigeantes va fouler aux pieds leurs intérêts » dans les Parlements.

Les choses n’ont pas évolué de nos jours, et elles n’évolueront jamais tant que ce sera le grand patronat qui dirigera la société plutôt que nous, les travailleurs : la seule chose qu’on nous laisse décider dans les urnes, c’est qui, de la gauche ou de la droite, va aider nos exploiteurs à nous dépouiller. Rien d’autre !

Et ce qui est vrai à l’échelle de la France l’est, peut-être plus encore, à l’échelle européenne.
Nous avons pu, lors des élections municipales, donner la possibilité aux travailleurs d’exprimer leur écœurement de la politique gouvernementale, mais dans un nombre limité de villes.
L’avantage de ce scrutin européen, c’est qu’il nous permet de nous exprimer à l’échelle nationale, que sur tout le territoire, les travailleurs qui le veulent pourront faire ce geste de dire leur ras-le-bol, d’exprimer clairement leurs revendications et leurs exigences, de dire qu’il n’est plus possible d’accepter que la société ne soit dirigée qu’en fonction des intérêts des riches.
Oh, cela ne suffira pas à changer le rapport de forces, bien sûr.

Aujourd’hui, si un Valls peut fanfaronner et rouler des mécaniques, si les représentants des patrons eux-mêmes, comme Gattaz, peuvent se permettre de vouloir remettre en cause jusqu’à l’existence du smic, c’est uniquement parce qu’ils ne rencontrent aucune opposition réelle.
Parce que, au-delà des péripéties électorales, qui n’ont au fond de réelle importance que pour ceux dont la carrière en dépend, ils n’ont pour l’instant pas à faire face à une réaction massive, collective, explosive, du monde du travail. Tant qu’une telle réaction n’aura pas lieu, le gouvernement, qu’il soit de gauche ou de droite, continuera de porter ses coups.

Cette réaction, il ne faut pas compter sur les confédérations syndicales pour l’organiser.
La politique des grandes centrales syndicales à l’occasion de la journée de grève des fonctionnaires, hier va à l’opposer de redonner confiance à tous les militants et au-delà aux travailleurs.

Au lieu de tout faire pour unir les salariés du public et du privé, au lieu de mettre tout leur poids et toute leur énergie à faire que le fameux « tous ensemble » ne soit pas seulement une incantation mais devienne une réalité, dans la rue, les grandes confédérations, CGT en tête, ont laissé les fonctionnaires défiler seuls.

Alors que le minimum de la conscience exigerait de se saisir de chaque opportunité, de chaque occasion, pour manifester tous ensemble et combattre, de toutes ses forces, ces divisions absurdes et néfastes entre public et privé face aux attaques du gouvernement, les confédérations continuent de les entretenir.

Et ce contre l’avis d’un certain nombre de militants syndicaux, à la base, qui eux ont appelé à manifester hier, parce qu’ils savent que la situation exige l’union la plus large entre tous les travailleurs. Et ils ont mille fois raison !

L’attitude des confédérations, une fois de plus, ne fait que rajouter à la démoralisation et au défaitisme du monde du travail.

Cette complicité des directions syndicales avec le gouvernement et sa politique anti-ouvrière n’a rien de surprenant. Car les syndicats, ce ne sont pas seulement leurs sommets, responsables devant la bourgeoisie ; ce ne sont pas seulement leurs appareils, liés par mille liens à l’appareil d’État. Ce sont aussi leurs bases, leurs militants, qui reflètent à leur façon les aspirations, les préoccupations des travailleurs.

Les dirigeants ont toutes les raisons de craindre que, s’ils tiennent un langage combatif, s’ils prennent des initiatives dont les militants pourraient s’emparer, les dirigeants confédéraux pourraient être pris au sérieux bien au-delà de ce qu’ils souhaitent.

Ces dirigeants ont, en permanence, la peur de voir éclater un mouvement qui risquerait de les déborder. C’est cela qui explique leur prudence, leur manque total de combativité, le fait qu’ils soient encore moins critiques à l’égard du gouvernement que les députés du PS qui, dans les débats feutrés du Parlement, se sont permis de se démarquer de Valls en s’abstenant.
Et s’il y a une chose dont nous sommes certains, c’est que malgré cette attitude démobilisatrice, la colère du monde du travail finira quand même par éclater, avec ou sans l’assentiment des confédérations syndicales !

Et des raisons d’être en colère, nous en avons chaque jour en peu plus.
Semaine après semaine, mois après mois, le gouvernement continue son baratin sur la courbe du chômage… et la courbe du chômage continue de monter.
Chaque jour ou presque apporte ses annonces de suppressions d’emploi, sans compter celles qui ne font pas la une de l’actualité.

À chaque fois, c’est une démonstration plus révoltante non seulement de l’incapacité de ce système de faire face à la crise autrement qu’en jetant les travailleurs dans la déchéance, mais aussi du manque absolu de volonté de la part du gouvernement de s’y opposer.

À chaque occasion, il se trouve un ministre – de préférence un Montebourg, qui ne rate jamais une occasion de se ridiculiser sur ce terrain – pour expliquer que ce gouvernement « fera tout » pour limiter les conséquences en matière d’emploi. Souvenez-vous, lors du feuilleton du rachat de SFR, le gouvernement avait expliqué qu’il veillerait à ce que cela ne se traduise par aucune suppression de poste.

Et voilà que lundi dernier, on apprenait que Bouygues Télécom se prépare à mettre à la porte un quart de ses salariés, soit 1500 à 2000 personnes, pour un groupe qui n’est vraiment pas au bord de la faillite : Bouygues Télécom a annoncé pour 2013 un résultat brut d’exploitation de 880 millions d’euros… et ce n’est que la branche télécom du groupe : sa branche construction annonce qu’elle bénéficie d’une réserve de trésorerie de 3 milliards d’euros.

Quant à Martin Bouygues, le propriétaire du groupe, il a vu sa fortune augmenter de 18% en 2013.

Les grands capitalistes et leurs serviteurs sont bien les seuls, dans ce pays, à voir leurs revenus s’offrir de telles envolées. En même temps que Valls annonçait le gel des pensions des retraités et le salaire des focntionnaires – c’est-à-dire, vu le niveau de l’inflation, leur diminution nette – la presse économique publiait les résultats des grands groupes capitalistes.

On pouvait alors piocher dans les journaux des titres tels que « rebond des profits en 2014 » : selon les prévisions des spécialistes, lorsque les comptes de 2013 seront clos, deux entreprises seulement, sur les 40 que compte le CAC40, annonceront des pertes.

Pour les autres, ce sera non seulement des profits, mais des profits en hausse parfois considérable : le journal Les Échos annonce ainsi des profits en augmentation de 219% pour Orange, de 208% pour la Société générale, de 62% pour Airbus, et ainsi de suite.

Il n’y a pas que le chômage qui atteigne des records historiques dans ce pays : les profits aussi. Selon les Échos toujours, cette année sera la meilleure depuis le début de la crise, avec 87 milliards d’euros de profits pour les entreprises du CAC 40, soit près de 15 milliards de plus que l’année précédente.

Récemment aussi, la presse a publié le palmarès annuel des salaires des PDG des grandes entreprises.

4 millions d’euros de salaire pour le patron de L’Oréal, ou, mieux, Maurice Lévy, pour le patron de Publicis, avec 4,5 millions.

Et pourtant… la vie n’est pas si facile pour ces gens-là, et il ne faut pas croire qu’ils ne sont pas capables de faire des gestes de solidarité avec les pauvres.

Ainsi ce même Maurice Lévy, interrogé la semaine dernière à la radio, répondait à la question de savoir pourquoi le siège de son groupe, Publicis, restait en France, sa réponse, réellement émouvante, n’a pas tardé : « J’ai décidé de rester en France pour souffrir avec les Français ». Puis, réalisant tout de même l’énormité de ce qu’il venait de dire, ce monsieur (qui gagne 12 300 euros par jour rien qu’en salaire) a ajouté : « Enfin… souffrir de façon assez luxueuse, je l’avoue ».

Il faut le rappeler, ces grands PDG ne sont que des salariés de haut vol, des serviteurs, grassement payés des grands actionnaires.

Lorsque l’on voit le niveau de leurs rémunérations, cela donne une petite idée de ce que gagnent les vrais patrons, les capitalistes, les propriétaires des entreprises.

Ceux-là ne se préoccupent même pas, bien souvent, de faire semblant d’être adeptes du « patriotisme économique », comme Lévy, et préfèrent s’installer en Suisse ou en Belgique.
C’est le cas d’un des principaux actionnaires du groupe Auchan, Régis Mulliez, récemment interviewé pour la radio dans sa propriété près de Bruxelles, qui répond à la journaliste qui le questionne sur le montant de sa fortune : « Oh, je ne suis pas comptable, moi… je ne sais pas… ça change tout le temps… autour de 28 milliards. »

Vous avez bien entendu : 28 milliards. Expliquant avoir quitté la France pour échapper « à la rage taxatoire », il poursuit avec un humour aussi léger que de bon goût : « Comme disent nos camarades syndiqués, je suis ici pour profiter des acquis. Les acquis de non-taxation des plus-values. » Le tout, avant de se lancer dans une longue diatribe contre « les assistés », « les gens qui ne sont pas capables de se lever » (le matin), et d’ajouter visiblement très fier : « Nous, dans la famille Mulliez, on ne travaille ni dans la drogue, ni dans les jeux, ni dans la femme ». Il est vrai qu’il aurait pu ajouter : « On ne travaille pas… du tout ! ».

Car ces gens-là se contentent d’accumuler des milliards en usant au travail des milliers de caissières et de manutentionnaires – et je peux témoigné pour avoir travaillé comme de milliers de jeunes travailleurs pendant plusieurs années à Auchan ou dans la grande distribution, quand on fait de la mise en rayon là-bas, on n’a pas besoin de comptable pour savoir ce qui reste sur son compte à partir du 15 du mois tellement les salaires sont faibles !

Et on peut en dire autant à PSA. Dans le groupe, tout les salariés sont légitimement choqué de savoir que, dans une entreprise soi-disant aux abois, le nouveau patron, Carlos Tavares, gagnera entre 1,3 et 3,3 millions d’euros par an selon les résultats – soit 3 500 à 9 000 € par jour, samedi et dimanche compris.

Mais qu’est-ce que ce salaire, sinon une goutte d’eau, à côté des 100 millions d’euros de jackpot exceptionnels que viennent de s’accorder les actionnaires de PSA ?

Voilà à quoi ressemble leur société !

Pour nous, les ouvriers, cela a été la fermeture de l’usine d’Aulnay – avec, contrairement, à ce que prétend la direction, des centaines de licenciements et de travailleurs qui pointent aujourd’hui à Pôle emploi, sans aucune solution.

Cela a été 12 500 suppressions de poste à l’échelle du groupe. C’est encore aujourd’hui des menaces qui planent sur plusieurs usines du groupe, dont plus personne n’ose croire qu’elles seraient à l’abri d’une nouvelle fermeture.

Tout cela, au nom d’une soi-disant baisse de l’activité. Mais à PSA Poissy où je travaille maintenant comme plusieurs centaines de mes camarades d’Aulnay, la baisse d’activité nous ne la voyons pas, c’est le moins qu’on puisse dire.

Depuis des mois, alors que les cadences sont tellement dures que personne ne peut plus les tenir sans se détruire la santé, la direction impose la semaine de six jours pour l’équipe du matin, avec tous les samedis travaillés.

Voilà d’où viennent les 100 millions que viennent de s’offrir les actionnaires de PSA , famille Peugeot en tête : de la descente vers la pauvreté de travailleurs licenciés et de la surexploitation quotidienne de ceux qui restent.

Ce que je décris là n’est évidemment pas seulement le lot des travailleurs de PSA. C’est celui des salariés de toutes les entreprises – des usines aux bureaux, des hypermarchés aux centres d’appels téléphoniques, des entrepôts de logistique aux chantiers… Et puisque l’occasion nous est donnée d’en parler, il est évident que cette situation, bien au-delà de la France, est celle des travailleurs de l’Europe entière.

L’unification de l’Europe s’est faite au moins sur un point : d’un bout à l’autre de l’Europe, le sort des exploités s’aggrave. D’un bout à l’autre de l’Europe, les politiques d’austérité succèdent aux politiques de rigueur, les budgets publics subissent des coupes drastiques, les salaires baissent, les prix augmentent, l’exploitation s’aggrave.

Bien sûr, on ne peut pas mettre sur le même plan les pays les plus riches de l’Union, comme la France ou l’Allemagne, et les plus pauvres – la Roumanie, ou la Bulgarie.

Sans compter ceux qui étaient moins pauvres mais que la crise et la rapacité des grandes banques a rejeté des décennies en arrière, comme la Grèce ou l’Espagne.

Mais partout, des grandes puissances impérialistes comme l’Allemagne et la France jusqu’à la Roumanie où le salaire minimum est de 180 euros par mois, ou à la Lettonie où il atteint tout juste 280 euros mensuels, partout la tendance est la même : faire payer la crise aux travailleurs, avec partout les mêmes attaques, les mêmes méthodes infectes – et partout dans le même but : permettre aux capitalistes de l’industrie et de la banque, les responsables de la crise, de s’en sortir au mieux.

L’une des différences majeures étant, quand même, que dans cette Europe soi-disant unie, il subsiste toujours un fossé considérable entre les quelques puissances impérialistes et les autres, ceux que les capitalistes considèrent comme leur arrière-cour ou leur atelier de production.
Ce sont les trusts français et allemands – à commencer par PSA et Renault – qui surexploitent les ouvriers d’Europe de l’est. Et pire encore, ce sont les grandes banques d’Europe de l’ouest, en particulier les banques françaises, qui sont responsables de la descente aux enfers de pays comme la Grèce. Ne serait-ce que pour cela, l’unification européenne actuelle est une chimère !
Et il faut toute la stupidité et la crasse réactionnaire des nationalistes du Front national pour s’en prendre aux pays de l’Est comme fauteurs de chômage.

Car tout de même, à ce que l’on sache, ce ne sont pas les banques lituaniennes qui ruinent l’économie française, pas les industriels roumains qui licencient ici à tour de bras, pas les ministres de l’économie grecs qui imposent des coupes drastiques dans le budget de la Fonction publique française ! Mais ce sont bien, en revanche, les grands bourgeois et les dirigeants politiques français qui font tout cela dans la partie la plus pauvre de l’Europe ! Ce sont eux qui étranglent les peuples d’Europe !

Évidemment, nous ne parlons pas dans ces élections du fonctionnement de la Commission européenne, de la répartition des tâches entre la commission, le conseil, le Parlement et les mille et une autres composantes de la bureaucratie européenne. La façon dont la bourgeoisie s’organise pour nous exploiter et nous spolier à l’échelle de la France ou de l’Europe n’est pas notre préoccupation …

Mais en revanche, les problèmes que nous évoquons sont fondamentalement ceux de tous les travailleurs européens – et les revendications, les exigences que nous exprimons pourraient, et devraient se traduire dans toutes les langues d’Europe.
Car quel pays d’Europe échappe aujourd’hui au cancer du chômage, de l’explosion de la précarité et de la montée de la misère ?

La Grèce devient, de plus en plus, un pays du Tiers monde – un pays où des organisations comme Médecins sans frontière sont obligées de distribuer tant bien que mal des médicaments aux plus pauvres. 60% des jeunes y sont chômeurs ! Et ce n’est pas fini. Les milliers de licenciements annoncés chez les fonctionnaires grecs vont se rajouter à la disparition de 200 000 emplois dans la fonction publique depuis 2010. Dans un petit pays de 11 millions d’habitants, c’est énorme, et c’est un tsunami social.

La population est plongée dans l’abîme, avec un recul sans précédent du niveau de vie. Mais ce qui retient l’attention des dirigeants de l’Union européenne, c’est d’avoir évité que le pays se déclare en cessation de paiement vis-à-vis des banques, ce qui aurait pu entraîner la faillite de grandes banques françaises.

Voilà ce que c’est que leur Europe.

En Espagne, depuis cinq ans, les travailleurs subissent de plein fouet les conséquences de la crise.

Quatre millions d’emplois ont été supprimés. Les statistiques officielles annoncent plus de 6,2 millions chômeurs, soit plus de 27 % de la population active. 2 millions d’entre eux sont au chômage depuis plus de deux ans et donc sans allocation.

Le chômage des jeunes atteint près de 60%. Près de 2 millions de ménages ne disposent pas de revenus liés à un emploi, parce que tous les membres de la famille sont sans emploi. La situation est tellement catastrophique que près de 300 000 jeunes Espagnols n’ont pas trouvé d’autre solution que de quitter leur pays pour trouver un emploi, comme cela se faisait au milieu du XXe siècle.

Et pourquoi un tel naufrage social ?

Là encore des centaines de milliards d’euros ont été dépensés par tous les gouvernements, de droite et de gauche, pour renflouer les banques en vidant les caisses publiques et en aggravant la dette.

Cela n’a pas remis l’économie en marche et cela n’a aucunement protégé en quoi que ce soit les pauvres. Mais cela a permis à la bourgeoisie espagnole comme à ses comparses d’Europe de se refaire une santé.

Voilà, encore, ce que c’est que leur Europe !

Dans les pays de l’Est, les plus pauvres, comme la Roumanie, l’adhésion à l’Union n’a nullement empêché la pauvreté de se développer, à tel point que des milliers de travailleurs de ces pays cherchent à tout prix à venir s’installer ici, parce que vivre dans un bidonville insalubre en France est encore moins pire que de vivre la misère en Roumanie.

L’Europe se gargarise d’apporter la prospérité à ses membres, mais il faut vraiment tout le cynisme de hauts fonctionnaires grassement payés pour estimer que c’est un progrès suffisant de voir le smic letton passer de 280 à 320 euros en juillet prochain – alors que le minimum de l’unification européenne, si ce mot avait un sens, serait d’imposer que les 28 membres de l’Union adoptent un salaire minimum calé sur le plus élevé des pays membres !

Mais même dans les pays les plus riches de l’Europe, la situation se dégrade rapidement. Je ne reviendrai pas sur ce que nous vivons ici, en France – nous le savons tous.
Je voudrais simplement faire remarquer que lorsque Valls a le culot de dire que « la France vit au dessus de ses moyens », il utilise exactement les mêmes termes que ceux qui, depuis des années, sont utilisés pour qualifier la Grèce. Au même diagnostic – aussi mensonger que cynique – correspondront à coup sûr les mêmes recettes, les mêmes attaques si les travailleurs ne ripostent pas.

Mais regardez l’Allemagne, ce pays qui, selon les convictions des uns et des autres, est érigé en modèle ou fait figure d’épouvantail : modèle de libéralisme débridé, pour la droite et le PS ; épouvantail pour les démagogues nationalistes qui expliquent qu’il faut « dégermaniser l’Europe ».

Mais l’Allemagne, c’est pour nous avant tout un pays où les attaques pleuvent sur nos frères, les travailleurs d’Allemangne.

Déremboursement des médicaments, abaissement du taux de remplacement des retraités à 50 %, généralisation du travail précaire et des emplois sous-payés (les « mini-jobs ») pratiquement exonérés de charges sociales, licenciements facilités, réduction des indemnités chômage, les lois Hartz ont fait reculer la condition ouvrière en Allemagne de plusieurs années.
Au bout d’un an de chômage, les travailleurs ne reçoivent plus que, en tout et pour tout : 382 euros d’aide sociale pour une personne seule, même après toute une vie passée sur les chantiers ou à l’usine.

Le but de toutes ces mesures est de contraindre les chômeurs à accepter des emplois payés à 4 ou 6 euros de l’heure, des emplois qu’on compte aujourd’hui par millions dans le privé. Dans le public, les maisons de retraite et autres associations, il y a même des jobs à 1 euro de l’heure.
Au total, en Allemagne, un quart des travailleurs touche moins de 9 euros de l’heure. Cela fait de l’Allemagne l’un des pays de l’Europe avec la plus forte proportion de travailleurs pauvres, plus qu’en Hongrie, en Espagne ou au Portugal. Tout cela pourquoi ? Pour que les millionnaires et les milliardaires se comptent toujours plus nombreux, et pour que les profits des entreprises soient toujours plus impressionnants.

Alors, camarade, nous le redisons : il n’y a pas plus de « modèle allemand » qu’il n’y a de « modèle social » français ! Il y a une Europe capitaliste, dont tous les États fonctionnent sur le même modèle, la seule différence étant que certains, les plus pauvres, sont exploités par des entreprises étrangères et d’autres, les plus riches, par des capitalistes « bien de chez eux », ce qui ravit les nationalistes mais ne rapporte pas un centime de plus aux exploités !
La vérité, c’est que les travailleurs d’Europe sont tous engagés sur la même pente, la pente qui va vers la dégradation des conditions de vie et de travail, la pente qui mène vers la pauvreté, tout cela au nom de la prospérité des capitalistes… il faudra bien, un jour, que les opprimés de l’Europe entière se lèvent ensemble, pour combattre ensemble, contre leurs oppresseurs communs !

Les objectifs de lutte que nous défendons dans ces élections – ceux que nous défendons depuis que la crise démolit la société tout entière – sont valables dans toute l’Europe, sans avoir besoin de quelque « adaptation » que ce soit ou, pour parler dans le jargon de la commission européenne, de « transposition ». Hormis la barrière de la langue, il n’y a pas un seul pays en Europe où ces objectifs ne puissent être directement compris des travailleurs, et où ils ne seraient pas indispensables.

Contre le chômage, il faut interdire les licenciements !

Dans l’Espagne et ses 27 % de chômeurs, dans la Grèce où les petits boulots de type vendeur de cigarettes à l’unité se développent ; dans l’Allemagne dont le fameux groupe Siemens vient d’annoncer 10 000 licenciements ; dans la Grande-Bretagne dont des secteurs entiers de l’industrie ont été littéralement pulvérisés – oui, dans tous ces pays comme en France, il faut stopper l’hémorragie du chômage en imposant l’interdiction des licenciements, en imposant l’idée que dans une situation sociale aussi dramatique, chaque licenciement supplémentaire est insupportable et criminel.

Et il ne faudra pas seulement interdire les licenciements, mais imposer que le travail soit réparti entre tous les bras et tous les cerveaux, sans baisse de salaire.

Et que cela se fasse aux frais des grands capitalistes qui existent dans tous les pays – car y compris les pays pauvres d’Europe ont leurs milliardaires.

En face des ouvriers sous-payés de Pologne, il y a un Jan Kulcyk, propriétaire d’une société d’import export de gaz et de pétrole, dont la fortune est supérieure à celle de la famille Peugeot. En république Tchèque, où le smic est de 327 euros par mois, Pietr Kellner, patron d’un groupe bancaire, possède une fortune de 10 milliards de dollars. Et je ne parle pas des armateurs grecs, dont la crise n’a pas émoussé la fortune, du patron espagnol de Zara et de ses 57 milliards d’euros de fortune personnelle… Et même si la fortune des capitalistes locaux n’y suffisait pas, il ne serait que justice que les milliards de profits que les trusts comme PSA, Renault, la Société générale ou Siemens génèrent dans les pays pauvres d’Europe reviennent enfin à ceux qui les produisent !
Il faut augmenter les salaires, les allocations, les pensions et les indexer sur les prix !
Là aussi, la réalité est la même dans toute l’Europe. Partout les salaires sont bloqués ou, même quand ils augmentent, le font moins vite que les prix de la vie courante et que les impôts.
Une telle revendication ne serait-elle pas comprise jusqu’en Lituanie, où le gouvernement a imposé une baisse de 20 % des salaires des fonctionnaires ? En Grande-Bretagne, où, dans certaines villes, le prix de l’immobilier a augmenté cette année de 18 %, alors que les salaires stagnent ou baissent ?

Dans tous les pays européens, la baisse des salaires par le biais de la hausse des prix est une vieille habitude des patrons ; il faudra que tôt ou tard, les travailleurs remettent les pendules à l’heure en imposant l’échelle mobile des salaires, seul moyen de ne pas voir son niveau de vie dégringoler !

Et surtout, pour que toutes ces mesures vitales deviennent possibles, il faudra partout imposer le contrôle de la population sur les comptes des capitalistes et des États. Imposer la suppression du secret commercial, bancaire, industriel, la mise en place d’une véritable transparence – pas la transparence bidon que le gouvernement a fait semblant de mettre en place après l’affaire Cahuzac, et que personne n’est en mesure de contrôler, mais une transparence réelle, totale, sans limite, parce que exercée par les travailleurs eux-mêmes.

Cela est vrai dans chaque pays pris individuellement, d’abord.

Parce qu’en Grèce, ce serait une mesure de salut public que les travailleurs et la population sachent réellement ce qui s’est tramé dans les bureaux bien fermés de la Commission européenne, et qui a abouti à la mise sous tutelle d’une population entière.

Parce que dans tous les pays, les capitalistes agissent en secret, préparent leurs plans et leurs sales coups dans la plus totale opacité – c’est inscrit dans l’ADN du capitalisme. Parce que partout, ils justifient les licenciements et les baisses de salaire par des difficultés économiques et financières que personne ne peut vérifier et contrôler.

Mais à l’échelle de l’Europe, de l’Europe prise comme un tout, c’est presque encore plus vrai.
Parce que les politiciens comme les capitalistes d’Europe mettent en permanence les travailleurs de chaque pays en concurrence les uns contre les autres. Mais si partout, les travailleurs imposaient la transparence, s’ils mettaient fin au secret industriel et bancaire, cela permettrait à chacun, au-delà même des frontières, de savoir ce qu’il en est vraiment.

Lors de la révolution russe, en 1917, le premier acte de Trotsky, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, a été de publier tous les traités secrets passés entre la Russie et les autres pays – ce qui a donné des armes politiques utiles aux révolutionnaires de tous les autres pays.
Imaginez déjà qu’à l’échelle d’un pays comme la France, les travailleurs se donnent les moyens de se communiquer, d’un secteur à l’autre, toutes les informations auxquelles ils ont accès, à quel point cela serait utile pour les luttes de tous les autres. Les travailleurs des banques – qui savent tout sur les industries car ce sont elles qui les contrôlent – pourraient donner aux ouvriers des informations essentielles sur la politique de leur patrons, sur l’état précis de leur fortune.
Les travailleurs d’une entreprise pourraient communiquer des informations aux sous-traitants, et ainsi de suite…
Eh bien, il est facile d’imaginer comment la transparence ou l’ouverture des comptes pourrait aussi donner à l’internationalisme du mouvement ouvrier un contenu très concret ! En particulier, dans un pays comme la France qui est un pays impérialiste, qui nuit à des dizaines de pays plus pauvres.
D’imaginer ce que les travailleurs de la Société générale auraient à raconter aux travailleurs grecs, s’ils avaient accès à toutes les décisions infâmes que cette banque a prises pour les appauvrir. Ce que les travailleurs de Renault pourraient faire savoir à leurs frêres de Dacia, en Roumanie, ceux de PSA à ceux de Trnava en Slovaquie…
L’ouverture des comptes, la publicité de tous les sales petits secrets des capitalistes, serait un formidable ferment de solidarité et surtout d’aide à la lutte des travailleurs des autres pays.
Les capitalistes, ont le dit souvent, savent tout sur leurs ouvriers. Mais au-delà, ils savent tout aussi des entreprises concurrentes. Avant de commencer à négocier sur le rachat d’Alstom, comment imaginer que Siemens n’a pas déjà accès à toutes les informations stratégiques les plus sensibles ?
Comme le disait Trotsky, encore, « Le « secret » commercial est toujours justifié par les exigences de la « concurrence ». Mais en fait, les trusts n’ont pas de secrets l’un pour l’autre. Le secret commercial, à l’époque actuelle, est un complot constant du capital contre la société. Les projets de limitation de l’absolutisme de « patrons de droit divin » restent de lamentables farces tant que les propriétaires privés de moyens sociaux de production peuvent cacher aux producteurs et aux consommateurs les machinations de l’exploitation, du pillage, de la tromperie. »

Eh bien, ce qui était vrai en 1938 l’est encore plus aujourd’hui, à l’époque de l’Union européenne à 28. Les liens unissant les entreprises d’un pays à l’autre, que ce soit des liens de coopération ou des liens de soumission, dans le cadre des rapports entre les pays impérialistes et les pays pauvres d’Europe, sont plus étroits que jamais. Et de ce point de vue, les travailleurs ont plus de moyens que jamais de se donner les uns aux autres les informations qu’ils trouveraient, s’ils se mêlaient eux-mêmes, directement, de contrôler les comptes des entreprises.

Cela couperait l’herbe sous le pied des tentatives patronales de diviser les travailleurs d’Europe, car tous verraient alors qui les trompe et comment. Ce serait déjà le début de la remise en question de la dictature des capitalistes sur la population.

L’unification européenne, depuis sa mise en place dans les années 1950, est uniquement une unification capitaliste – qui met en avant la libre circulation des capitaux et des marchandises, et permet aux plus gros trusts impérialistes d’intervenir plus facilement dans davantage de pays.
Une véritable unification européenne, sans parler des États-Unis d’Europe que le courant communiste révolutionnaire a toujours appelé de ses vœux, n’existeront que lorsque les travailleurs d’Europe prendront directement leur sort en main. L’ouverture des comptes, la publicité des secrets de la grande bourgeoisie à l’échelle européenne, serait un premier pas vers une véritable Union européenne, non pas l’Europe des bourgeois, mais l’Europe des travailleurs.
C’est pour toutes ces raisons que Lutte Ouvrière se présente à ces élections européennes, pour mettre en avant des revendications, des objectifs de lutte, dont nous pensons qu’ils devraient être celles de tous les travailleurs d’Europe ; et pour permettre à tous les travailleurs qui le souhaitent, ici, dans tout le pays, d’exprimer à la fois leur colère mais aussi leur conviction que le monde du travail ne doit pas baisser les bras.

Sur tout le territoire, les travailleurs sont appelés à s’exprimer ? Il faut qu’ils se saisissent de cette occasion pour le faire, surtout ne pas se taire et laisser la parole à leurs adversaires, au camp d’en face.

Il est probable que, comme lors des municipales, beaucoup d’électeurs des classes populaires exprimeront leur dégoût avec leurs pieds, c’est-à-dire en s’abstenant.

Mais s’abstenir, c’est se taire, s’abstenir, c’est tout simplement ne rien dire.

Et quel travailleur, quel chômeur, quel ouvrier ou employé retraité pourrait n’avoir rien à dire ?

L’abstention est une fausse solution qui peut, elle aussi, se retourner contre ceux qui l’utilisent. Car lorsqu’on ne dit rien, lorsque l’on se tait, on n’est pas maîtres de la façon dont ce sera interprété.

Par contre, personne, dans les grands partis bourgeois, personne ni à gauche, ni à droite, ni au FN, ne pourra s’approprier le vote pour Lutte Ouvrière !

Ce vote, ce sera le nôtre – ce sera celui des nôtres, le vote de la classe ouvrière, le vote des ouvriers et des employés aussi exploités dans les usines que dans les bureaux, le vote des chômeurs qui ne supportent plus d’être laissés au bord du chemin, le vote des retraités qui n’acceptent pas de survivre avec une pension de misère après des années de travail, le vote des mères de famille qui n’en peuvent plus de devoir restreindre chaque mois un plus les achats essentiels !

Et plus encore, ce ne sera pas seulement le vote des travailleurs, mais ce sera le vote des travailleurs conscients, ceux qui ne se font pas avoir, ceux qui ne pensent pas que la crise est la faute à l’Europe ou la faute aux immigrés ou aux Roms, ou la faute aux fonctionnaires, ou la faute aux plus pauvres qu’eux, mais que la situation que nous vivons, en France comme en Europe, est due au système capitaliste et à son caractère délirant, que les responsables de tous nos maux, ce sont les banquiers, les industriels, et les politiciens à leur service !

Les listes que nous présentons, dans les sept circonscriptions de métropole et, avec nos camarades de Combat ouvrier, dans la 8e circonscription d’Outre-mer, représentent le monde du travail. Nos candidats sont ouvriers, employés, enseignants, infirmières, cheminots, retraités ou sans emploi. Et nous, à Lutte Ouvrière, nous ne sommes pas comme bien des partis qui appliquent la parité parce que c’est obligatoire mais qui relèguent les femmes en fin de liste ! Sur nos huit listes, sept sont conduites par des femmes, et nous en sommes fiers !

Alors, camarades, dimanche 25 mai, il faut faire voter pour les listes Lutte Ouvrière. Pour montrer qu’il existe un courant ouvrier qui ne se résigne pas à accepter la crise comme une fatalité, qui estime que c’est à la bourgeoisie de payer la crise dont elle est responsable. Pour mettre en avant l’idée qu’il existe un courant, même minoritaire, qui pense que seules les luttes pourront renverser le cours des choses – et qui a une confiance inébranlable dans la capacité de la classe ouvrière à relever la tête et prendre son avenir en main !

Votez et faites voter Lutte ouvrière, pour dire que vous partagez l’idée que le monde du travail a mille fois le droit moral de protéger ses conditions de vie et de travail, de refuser de se laisser dépouiller pour enrichir les parasites capitalistes. Parasites, et je pèse mes mots ! Si vous regardez les listes que nous présentons dans ces élections, vous y verrez des gens qui sont tous, à un degré ou un autre, utiles dans la société – qu’ils soient instituteurs ou techniciens, dessinateurs ou employé d’hypermarché, laborantine, cuisinier ou enseignante, cheminot ou secrétaire. C’est en cela que nos listes sont représentatives du monde du travail, de ce nous continuons d’appeler le prolétariat, c’est-à-dire, comme disait Marx, ceux qui n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes, parce qu’ils ne possèdent rien. Ce prolétariat, c’est cette classe sociale qui fait tout fonctionner, sans laquelle la société s’effondrerait. Imaginez que demain, en Europe, tous les capitalistes disparaissaient. La société ne s’en porterait que mieux ! Mais s’il n’y avait plus personne pour produire, pour conduire les trains, pour entretenir les avions, pour soigner les gens, pour travailler la terre, c’est le monde entier qui s’effondrerait, qui s’arrêterait, au sens propre, de fonctionner.

Alors, soyons fiers de porter dans ces élections les couleurs de la classe ouvrière, la seule classe utile et productive de cette société et, même si je serai malheureusement bien incapable de le dire dans toutes les langues d’Europe, je le dis haut et fort :

Vive la classe d’ouvrière de toute l’Europe !

Vive le communisme !