lundi 31 août 2015

:: 13 août 1961 : construction du Mur de Berlin. Une prison des peuples qui n'allait pas être la dernière

Dans la nuit du 12 au 13 août 1961 débuta la construction du Mur de Berlin. Pendant près de trente ans, jusqu'à sa chute le 9 novembre 1989, il allait symboliser la division entre les deux Allemagne et, plus généralement, entre les puissances impérialistes rangées derrière les États-Unis d'une part, l'Union soviétique et ses États satellites d'autre part.



Berlin avait conservé le statut qui était le sien à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'en 1949 s'étaient créés deux États allemands, la République fédérale d'Allemagne (RFA) à l'ouest et la République démocratique allemande (RDA) à l'est, Berlin était resté une ville quadripartite, occupée par les armées des anciens alliés qui avaient vaincu le régime hitlérien. À l'ouest stationnaient les troupes américaines, anglaises et françaises, tandis que la moitié est de la ville était occupée par l'armée russe. En outre, Berlin était enclavé dans la RDA.

Mais jusqu'en 1961, et même au plus fort de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS, on pouvait circuler librement entre les zones d'occupation. Ainsi, par exemple, quelque 60 000 habitants de Berlin-Est se rendaient quotidiennement à l'ouest pour leur travail, tandis que 10 000 Berlinois des zones occidentales faisaient le trajet inverse.

Aussi les Berlinois furent-ils stupéfaits lorsque, le matin du 13 août, ils virent qu'une frontière encerclait désormais le secteur occidental de la ville.
Une ville coupée en deux

Ce n'était pas encore un mur -- il allait être construit dans les jours et les semaines suivantes. Mais durant la nuit du samedi au dimanche, 20 à 30 000 soldats, policiers et miliciens est-allemands avaient pris position le long de la ligne de démarcation entre les deux zones de la ville, bloquant les voies d'accès. Un rideau de barbelés avait été déployé, les rues et les places proches dépavées pour empêcher la circulation automobile, le train urbain et le métro arrêtés à la dernière station orientale.
La frontière n'était pas encore hermétique, elle n'était que symbolique et seule la crainte des hommes en armes qui la gardaient empêchait les Berlinois de la franchir. Mais durant l'été 1961 le premier mur, de 165 kilomètres de long, fut doublé d'un second avec miradors et chevaux de frise, séparé du premier par un no man's land dans lequel patrouillaient soldats et policiers ; les maisons donnant sur la frontière avaient été vidées de leurs habitants, leurs portes et fenêtres murées.

La frontière entre les deux Allemagne devint elle aussi infranchissable, un no man's land constamment surveillé, du côté de la RDA, empêchant toute tentative de fuite vers l'ouest.

« Un mur de protection antifasciste » ?

Le 14 août, le quotidien du SED, le parti communiste est-allemand, présentait la construction du mur comme « une mesure pour protéger la paix et la sécurité de la RDA, qui sera à l'abri de la guerre froide ». Et le gouvernement de la RDA parlera ensuite constamment du mur comme d'une « protection antifasciste contre les attaques impérialistes ».

Dans le même journal, Neues Deutschland, on pouvait aussi lire ce commentaire : « Désormais, les enfants seront protégés des kidnappeurs », une manière bureaucratique, c'est-à-dire outrée et mensongère, de révéler le problème qui se posait à la RDA.

En 1961, on n'était plus dans le contexte de guerre froide entre les deux puissances qui pouvait faire craindre qu'elle ne débouche sur une véritable guerre, même si des tensions existaient, notamment à Berlin qui était en Europe le point de rencontre entre leurs zones d'intervention, qui auraient pu être le facteur déclenchant d'un conflit plus vaste. Mais de toute façon, ce n'était pas ce mur de trois mètres de haut qui aurait pu empêcher une intervention américaine.

Non, le problème que rencontraient les dirigeants de la RDA était que ce petit pays de 17 millions d'habitants se vidait de ses habitants. Chaque année, 150 000 à 200 000 Allemands de l'Est émigraient vers l'Ouest, essentiellement des jeunes et des diplômés à la recherche d'un avenir plus lucratif mais aussi plus libre, de l'autre côté de la frontière. En 1953, après la révolte des ouvriers de Berlin-Est, et en 1956, quand le régime soviétique écrasa la révolution hongroise, ils furent plus de 300 000 à quitter la RDA. C'était facile, il suffisait de prendre le métro ! Le mur avait pour but de stopper cette émigration qui par elle-même était l'aveu que le prétendu « socialisme » de la RDA avait tendance à faire fuir ses citoyens.

Stabilisation des frontières

Les dirigeants des pays impérialistes ne s'y trompèrent d'ailleurs pas. Ni Kennedy, ni de Gaulle, ni le britannique Macmillan n'interrompirent leurs vacances au lendemain du 13 août pour discuter de la nouvelle situation créée par la construction du mur, contrairement à ce qui s'était passé en 1948 quand les Russes avaient fait le blocus de Berlin, où les États-Unis avaient réagi en alimentant la ville par un pont aérien.

En fait, pour eux, c'était surtout le signe que l'URSS de Khrouchtchev avait définitivement abandonné l'idée d'une seule Allemagne, et que les dirigeants de la RDA, qui ne se maintenaient au pouvoir que grâce à l'appui de la bureaucratie soviétique, ne revendiqueraient plus la partie occidentale de Berlin qu'ils auraient pu facilement absorber, vu sa position géographique. Malgré les protestations de façade et les hauts cris relayés par la presse qui dénonçait la « prison » dans laquelle les Allemands de l'Est étaient enfermés -- ce qui était un fait -- ils laissèrent faire car cela amenait une stabilisation des frontières entre les deux États allemands. Ce qui ne les empêcha pas de s'en servir comme d'un instrument de propagande, ne se privant pas d'assimiler la RDA stalinienne et bureaucratique à un régime communiste, alors qu'elle était son opposé.

Cette situation ne prit fin qu'avec la chute du Mur en novembre 1989, après que les dirigeants de l'URSS eurent décidé d'abandonner les pays d'Europe de l'Est à leur sort. L'année suivante, les deux Allemagne furent réunifiées sous la coupe de l'Allemagne de l'Ouest capitaliste. Mais même si elle allait être présentée ainsi, la fin de l'Allemagne de l'Est n'était pas la fin d'un socialisme qui en fait n'avait jamais existé, mais celle d'un régime qui s'était illustré pendant des années par ce mur hideux emprisonnant tout un peuple. Officiellement, 136 personnes qui essayèrent de le franchir y laissèrent la vie ; à ajouter aux quelque 1 000 morts le long de la frontière séparant les deux États.

Pendant des années, jusqu'en 1989, les dirigeants occidentaux eurent beau jeu de dénoncer les régimes d'Europe de l'Est qui retenaient leur population derrière des murs et des barbelés.

Mais, depuis, on a pu voir que le monde occidental ne se fait pas faute d'ériger de tels murs, souvent au sens propre, comme entre Israël et la Palestine, les États-Unis et le Mexique, le Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, financées par l'Union européenne. Et chaque jour des hommes meurent noyés au large des côtes de l'Europe pour avoir voulu franchir le mur invisible érigé par ses dirigeants face aux pauvres venus d'Afrique ou d'Asie et voulant gagner le « paradis » capitaliste.

Marianne LAMIRAL (LO n°2246)

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