mercredi 13 juin 2012

:: D’où vient le Parti Communiste Français ? #1 (1917-1931)

Le PCF, de Tours à Moscou
La formidable vague révolutionnaire de 1917 qui a balayé d’abord le tsar, puis le gouvernement Kerensky, n’était pour les révolutionnaires d’alors que la première de cette marée qui devait emporter les fondements du capitalisme de par le monde. La victoire du prolétariat russe devait être suivie par celle de leurs camarades de l’Occident. L’Internationale Communiste proclamée en 1919 se voulait être l’instrument de combat du prolétariat mondial. Ses sections nationales devaient donner une direction prolétarienne de type bolchevik à la classe ouvrière de chaque pays.
Cependant, si la révolution russe, puis la formation de la IIIe Internationale, ont servi de catalyseur dans le regroupement des meilleurs éléments du mouvement socialiste et syndicaliste, si elles ont entraîné la rupture de fractions plus ou moins importantes des organisations social-démocrates avec la IIe Internationale, si les adhésions à l’Internationale révolutionnaire se multiplièrent, le problème de la formation de directions de type bolchevik n’a pas pour autant été résolu. Une telle direction trempée n’existait en fait qu’en Russie.
Il revenait donc au parti bolchevik la lourde tâche de transmettre aux jeunes sections sa propre expérience, de les éduquer et de les amener à s’éduquer elles-mêmes au combat, de les débarrasser petit à petit des dirigeants les plus marqués par leur passé réformiste, en un mot de forger des directions révolutionnaires dans chaque pays.
Le parti bolchevik n’a pas eu le temps d’accomplir sa tâche. La dégénérescence du premier État ouvrier a entraîné sa propre dégénérescence. Le rôle prédominant du parti bolchevik au sein de l’Internationale Communiste, de facteur révolutionnaire s’est transformé en un obstacle insurmonté, sinon insurmontable, à l’acquisition d’une trempe révolutionnaire par les sections de l’IC. Sous l’influence de la bureaucratie soviétique, l’Internationale elle-même, est devenue une annexe du ministère des affaires étrangères russe et les liens de fraternité révolutionnaire entre sections ont cédé la place à l’obéissance aveugle aux dirigeants du Kremlin. De ce qui fit la force du parti bolchevik et de l’Internationale, Staline n’a gardé qu’une caricature grossière ou des vestiges déformés mais conservés parce qu’utiles à la bureaucratie.
Commencée à l’école de Lénine, la formation des partis dits communistes s’est achevée à celle de Staline. Or, on n’apprend pas à être révolutionnaire à cette école-là. On y apprend tout au plus l’obéissance et la soumission. Mais dans la mesure même où cette soumission à la bureaucratie soviétique excluait la formation et la politique révolutionnaires, elle rendait inévitablement réceptif au réformisme.
Dès lors, et tel est l’aboutissement de l’évolution des partis staliniens occidentaux de masse, rien ne les distingue plus fondamentalement de leurs confrères dits « socialistes » que ce lien de dépendance à Moscou, lui-même soumis à de rudes épreuves.
L’histoire du Parti Communiste Français se place dans ce cadre.
Si quelques éléments venus du syndicalisme révolutionnaire, tel Rosmer par exemple, ont joué un rôle important dans sa formation, son ossature et la quasi-totalité de ses dirigeants étaient ceux du Parti Socialiste, de ce même PS qui a fait si honteusement faillite pendant la guerre. En fait, c’est la grande majorité de ce parti qui a opté pour l’adhésion à la IIIe Internationale et la proportion de trois à un entre les délégués majoritaires et minoritaires au Congrès de Tours était même en deçà de la proportion parmi les membres du parti. Le PC recueillera en effet 130 000 adhérents du PSU contre 30 000 à la SFIO.
Cependant, l’acceptation des 21 conditions de la IIIe Internationale et la nouvelle dénomination de « Communiste » n’ont pas changé d’emblée la nature de la direction du Parti. Quelques mois après, le IIIe Congrès de l’IC accuse les dirigeants français d’être de « détestables opportunistes ». L’intervention de Paul Faure, l’un des dirigeants de la minorité au Congrès de Tours, montre à quel point le « bolchevisme » néophyte de ses adversaires ne lui faisait pas peur : « Laissez-moi vous dire que vous n’êtes pas des inconnus pour moi : je vous connais assez bien pour vous avoir fréquentés souvent. Et quand je vous vois vous instituer, à une heure fixe, communistes éprouvés, je souris et je passe ». Il faut dire que Paul Faure était à même de juger ses anciens amis Marcel Crachin, Frossard et Cie, qui sont passés par les mêmes écoles du réformisme et du social-patriotisme pendant la guerre, que lui-même.
Frossard, premier secrétaire général du nouveau parti, devait déclarer ultérieurement à quel point même les exigences draconiennes des « 21 conditions » étaient sans prise sur l’opportunisme congénital des dirigeants nouvellement communistes. « Nous ne parvenions pas à prendre au sérieux les 21 conditions ».
En fait, les dirigeants de l’Internationale Communiste n’ignoraient pas cette triste réalité. Lénine qui avait l’habitude de dire qu’on n’attrape pas un opportuniste avec des formules, savait parfaitement qu’aucune condition, si draconienne soit-elle, n’écarterait d’emblée tous les réformistes de l’Internationale. Mais dans l’esprit des bolcheviks, la scission du Congrès de Tours, n’était pas l’aboutissement de la lutte pour un parti révolutionnaire en France, elle n’en était que le commencement.
Le nouveau PC dans son ensemble, et ses dirigeants en particulier, héritaient des lourdes tares du long passé social-démocrate réformiste du PSU. Il fallait une transformation profonde des mours, des pratiques, de la politique du Parti, transformation qui signifiait combat, combat de longue haleine.
En fait, il y avait peu de chance de transformer un Cachin, un Frossard, un Verfeuil ou un Fabre en dirigeant bolchevik, il fallait qu’une nouvelle génération, avec de nouvelles traditions révolutionnaires et prolétariennes émerge de la masse des jeunes qui affluaient au Parti car il symbolisait à leurs yeux la Révolution d’Octobre.
Ce combat contre les éléments opportunistes petits-bourgeois, francs-maçons, de la direction du Parti, a marqué les années 1920-1923. Le « problème français » était même une des préoccupations les plus importantes de l’internationale pendant cette période. Les textes publiés dans le livre de Humbert Droz, envoyé de l’IC en France, « L’oeil de Moscou à Paris », témoignent de l’âpreté de la lutte dans le Parti et du faible appui réel dont disposait en fait l’IC en son sein.
Contre une fraction de droite que rien ne distinguait, ni humainement, ni politiquement, des dirigeants de la SFIO, contre le centre hétérogène, fluctuant, à l’image de Marcel Cachin, l’IC ne pouvait compter politiquement que sur une gauche relativement faible, peu éduquée, sectaire et, elle aussi, hétérogène.
C’est seulement après deux ans de lutte, vers le début de 1923, que le Parti a réussi à éliminer de sa direction les éléments les plus notoirement opportunistes, les membres des loges maçonniques, les réformistes qui s’opposaient ouvertement à toute discipline vis-à-vis de l’Internationale. La démission de Frossard du secrétariat général et du Parti le 1er janvier 1924, consacrait en quelque sorte la fin de la première phase de la transformation du Parti.
L’élimination de la droite et d’une partie du centre a mis fin à une longue crise, et la répression du Gouvernement, ainsi que l’arrestation d’un certain nombre de dirigeants (c’était l’époque de la lutte contre l’occupation de la Rhur par l’impérialisme français), vont ressouder l’unité d’un parti hétérogène déchiré par des luttes de fractions et de personnes. Mais même à cette époque-là, l’envoyé de l’Internationale escomptait un déchet de 50 % - 60 % et à condition que « la nouvelle direction travaille bien », avant qu’une consolidation réelle sur une base saine intervienne.
Quelle qu’ait été cependant l’intransigeance de la direction de l’Internationale vis-à-vis des éléments les plus réformistes, son souci constant était d’éduquer le Parti de façon à ce que l’élimination de tel ou tel dirigeant n’apparaisse pas comme le fait d’une soumission aveugle aux ordres d’en haut, mais comme une nécessité pour donner au Parti une direction et une politique saines et révolutionnaires.
Mais pendant les années 1925-26, la mainmise de la fraction stalinienne tant sur l’appareil du parti bolchevik que sur celui de’’Internationale devenait de plus en plus forte.
L’idée même de la possibilité du « socialisme dans un seul pays » énoncée par Staline pour la première fois en 1924 signifiait implicitement un changement fondamental dans la destination de l’Internationale. D’instrument de la révolution mondiale, seul capable de consolider et de parachever l’ouvre commencée par Octobre 17, celle-ci devait devenir un instrument de sauvegarde du statu-quo. D’après la fraction stalinienne, ce dont l’État Ouvrier avait besoin, ce n’était pas de la révolution dans d’autres pays, mais de paix, de tranquillité, de temps nécessaire pour réaliser le « socialisme à pas de tortue ». Dès lors, la tache dévolue à l’Internationale était de garantir à l’URSS cette tranquillité.
Il s’ensuivit tout naturellement que, la préparation de la révolution n’étant plus l’objet assigné aux sections nationales, on n’avait nul besoin de partis moralement, politiquement et organisationnellement capables de diriger le prolétariat vers le combat révolutionnaire.
La trempe et la probité révolutionnaires du militant et du dirigeant passaient au second plan, avant de devenir des péchés mortels, pour céder place à l’obéissance à toute épreuve vis-à-vis des directives du Kremlin. Nul besoin de comprendre pour mieux agir, il suffisait de se soumettre.
Le lent, mais complet tournant de l’Internationale s’est effectué alors que la section française était encore trop jeune, trop peu éduquée, trop peu formée, trop peu débarrassée de sa direction opportuniste, pour déceler ce changement fondamental, et surtout pour s’y opposer. Au contraire, l’opportunisme des dirigeants à la Cachin, les prédisposait, dans le combat qui opposait l’aile révolutionnaire du Parti bolchevik au centrisme de Staline, à soutenir ce dernier.
L’exhortation à la discipline révolutionnaire du temps de l’Internationale de Lénine a donné des fruits tardifs et pourris sous Staline, et c’est au nom de cette « discipline » interprétée comme servilité, que le centre du PC Français va s’attaquer à une gauche trop peu armée pour soutenir le combat.
Au nom de la « bolchévisation » du Parti, l’IC entreprend l’élimination de tous les dirigeants tant soit peu suspects de sympathie vis-à-vis de l’Opposition de Gauche, ou tout simplement un tant soit peu indépendants d’esprit, et la direction épurée agit de même envers des militants de base. Investis de la qualité de bolcheviks, les Sémard, les Cachin, élimineront en 1924-25, tour à tour Souvarine, Monatte, Rosmer, Loriot, ceux qui précisément se rangèrent derrière le drapeau d’octobre dès le début et qui, après avoir été les initiateurs du Parti Communiste en France, en restèrent les éléments les plus sains.
Le Parti ressentira durement les effets de la soi-disant bolchévisation et de la politique de « classe contre classe » qui sera la sienne à la fin des années 20. Ses effectifs baissent d’une manière presque continue jusqu’en 1931. Comptant plus de quatre fois plus de membres que la SFIO au moment de la scission, il se laissera distancer par elle vers 1931. De 130 000 membres en 1920, le nombre de ses adhérents diminuera, 64 000 en 1927, pour n’atteindre que 29 000 en 1931.
La perte des militants est surtout sensible dans les régions industrielles, d’après Fauvet, elle est de 45 % dans celle de Paris, 42 % dans celle de Marseille et 78 % dans le bassin sidérurgique de l’Est.
Ayant hérité d’une fraction importante de la base ouvrière de l’Ancien PSU, la SFIC en perdra rapidement une grande partie. Elle ne conservera une influence et une implantation réelles que dans la région parisienne, dans les couches les plus déshéritées du prolétariat, qui voient en elle le Parti de la Révolution d’Octobre, et dans certaines régions agricoles du centre du pays, en tant que parti le plus radicalement opposé au gouvernement.
Quelles que soient les conséquences néfastes de la politique de la troisième période imposée par le Kremlin, le PC la poursuivra fidèlement tant qu’elle lui sera ordonnée. Les épurations effectuées par la direction stalinienne de l’Internationale auront été efficaces : le Parti dorénavant homogène, est bien tel que le souhaitait la bureaucratie soviétique : d’une obéissance à toute épreuve. Sa politique suivra fidèlement tous les méandres de la politique stalinienne.
Le parti sortira donc de cette période affaibli numériquement, avec une influence réduite, isolé politiquement. Pourtant, c’est pendant cette période qu’il a forgé son unité, qu’il s’est donné les structures qu’on lui connaît aujourd’hui, qu’il a acquis ses cadres, qu’il a éduqué les prototypes des militants staliniens, dévoués, politiquement bornés et obéissants à la direction du Parti, comme celle-ci est obéissante à la bureaucratie soviétique.
C’est donc en parfait parti stalinien que la SFIC affrontera les deux grandes périodes qui, pour des raisons différentes, contribueront à en faire un parti de masse, le plus important Parti de France : la période du Front Populaire d’abord, puis celle de la Résistance et de la Libération.

Lutte de Classe, Série 1967-1968