lundi 28 septembre 2015

:: Septembre 1957 : le mouvement noir en lutte contre la ségrégation scolaire à Little Rock

Le 24 septembre 1957, Little Rock, capitale de l'Arkansas, offrait un spectacle inédit : le président Eisenhower y avait envoyé l'armée et les parachutistes, toute une division aéroportée, pour faire entrer dans le lycée de Central High, jusqu'alors réservé aux Blancs, neuf élèves noirs. La détermination de la population noire à briser une ségrégation qui privait de fait les Noirs du droit à l'éducation, tenant tête à la violence haineuse des racistes, obligeait le président à intervenir.


C'est trois ans plus tôt, en 1954, au terme d'une bataille juridique menée par l'aile modérée du mouvement noir, que la Cour suprême avait déclaré illégale la ségrégation scolaire qui, dans le sud des États-Unis, interdisait aux élèves noirs de fréquenter des collèges jusqu'alors réservés aux élèves blancs. Mais les réticences des dirigeants politiques et de l'appareil d'État à faire respecter les quelques mesures en faveur des droits des Noirs, que ceux-ci avaient réussi à obtenir de la Cour suprême après des luttes courageuses et opiniâtres, encourageaient les racistes à s'opposer par la force à tout début d'application, en particulier dans le sud des États-Unis.

Si bien que lorsque le maire de Little Rock tenta un tout début de déségrégation dans un seul lycée de la ville en y inscrivant neuf élèves noirs, le gouverneur de l'État, qui cherchait l'appui des racistes pour sa réélection, encouragea ces derniers à se mobiliser et fit savoir, la veille de la rentrée scolaire, le 2 septembre, qu'il mobiliserait la Garde nationale contre les élèves noirs, et que, s'il le fallait, " le sang coulerait dans les rues ". Ces propos, raconte une militante noire, " électrifièrent Little Rock. Le lendemain matin, ils choquèrent les États-Unis. À midi, ils horrifiaient le monde entier. "

Le 3 septembre 1957, neuf élèves noirs se présentèrent donc à l'entrée du lycée. Les racistes ainsi qu'une unité de la Garde nationale, baïonnette au canon, les empêchèrent de pénétrer. Mais ils refusèrent d'intégrer une école noire et la Garde nationale resta campée devant le lycée pendant des jours, jusqu'à ce qu'Eisenhower convainque le gouverneur de bien vouloir retirer ses troupes.

Celui-ci finit par obtempérer mais en appelant, à la télévision, les élèves noirs à renoncer à se présenter au lycée, ce qui revenait à appeler tous les racistes à se mobiliser pour les en empêcher. Le 23 septembre, des centaines de ségrégationistes se massèrent devant le lycée. Ils tabassèrent trois journalistes noirs pris pour des parents d'élèves, pendant que les neuf lycéens, escortés par la police municipale, réussissaient à pénétrer dans le lycée par une porte latérale.

Dès qu'ils apprirent la nouvelle, la foule des racistes mena l'assaut contre le lycée. La police réussit à en extraire les neuf élèves et à les reconduire chez eux. Ils avaient échappé au lynchage. Mais la tension était à son comble dans la ville. Et les autorités avaient tout lieu de craindre que la population noire se mobilise tout entière pour faire respecter ses droits.

Après tout, c'est bien ce qui venait de se passer à Montgomery en Alabama, où toute la population noire de la ville avait fait bloc et s'était organisée avec un courage sans faille pour boycotter les bus de la ville pendant une année entière jusqu'à obtenir, en décembre 1956, la fin de la ségrégation dans ces transports publics.

Un peu partout dans le pays, des incidents plus ou moins graves témoignaient d'une révolte profonde des Noirs contre les humiliations qu'on leur faisait subir et d'une volonté d'affirmer leur dignité d'homme et de femme, quel qu'en soit le prix. Voilà qui ne pouvait qu'effrayer les autorités.

Devant la tension croissante, le maire de Little Rock demanda donc l'intervention des troupes fédérales. Le lendemain, 24 septembre, le président Eisenhower décidait d'envoyer ses troupes. Et c'est escortés de parachutistes et de jeeps avec des mitrailleuses que les neuf élèves noirs purent intégrer le lycée. Ils durent encore affronter pendant des mois les vexations et les quolibets des élèves racistes. " Tous les matins pendant neuf mois nous nous levions, nous cirions nos chaussures, et nous partions à la guerre ", déclara l'un des neuf élèves.

Cette obstination, qui puisait sa force dans un mouvement noir en plein développement, fut aussi un stimulant et un exemple pour les adversaires de la ségrégation. Il fallut encore deux ans de lutte pour que Little Rock commence une déségrégation progressive. Mais cette affaire nourrit la colère et la mobilisation d'une génération qui entendait briser la ségrégation dans les écoles, mais aussi dans les universités, les restaurants et tous les lieux publics jusqu'alors interdits aux Noirs.

Tout ce qui fut obtenu alors le fut grâce à ces luttes menées avec courage et acharnement.

Vincent GELAS (LO n°2043)

:: Afrique du Sud : 12 septembre 1977, l'assassinat de Steve Biko

Le 12 septembre 1977 Steve Biko, leader du Mouvement de la Conscience Noire (Black Consciousness Movement), mouvement anti-apartheid qu'il avait fondé, était froidement assassiné dans sa cellule par les tortionnaires du régime sud-africain. Le gouvernement tenta de faire croire qu'il était mort à cause d'une " grève de la faim ". Le ministre de la Justice de l'époque déclara même, avec cynisme, que sa mort " le laissait froid ". L'assassinat de ce dirigeant du mouvement anti-apartheid (Nelson Mandela était en prison) ne fit pas taire la contestation. Au contraire, celle-ci s'amplifia, d'abord au sein du pays, mais aussi au niveau international. Les instances internationales telles que l'ONU, qui avaient jusqu'alors marqué une certaine bienveillance à l'égard du régime raciste sud-africain, furent contraintes, pour la première fois, de prendre des sanctions.

La vie militante de Steve Biko, médecin de 30 ans, se confond avec celle des masses sud-africaines en lutte contre le régime de l'apartheid et pour leur émancipation sociale. Cette politique de ségrégation raciale, mise en place par le Parti National en 1948 en Afrique du Sud, prétendait se justifier par le développement séparé des races : les Blancs, minoritaires, descendants des colons blancs, dirigeaient le pays, occupaient les postes politiques, détenaient les usines, les grandes propriétés foncières, tandis que les Noirs, majoritaires, étaient considérés comme des citoyens de seconde zone dans leur propre pays. Ils étaient parqués dans des ghettos (les townships) et des réserves appelées " bantoustans ".

Le pouvoir réprimait violemment le moindre signe de contestation et de révolte. Le Parti Communiste mais aussi l'ANC (l'African National Congress) étaient interdits. Leurs dirigeants étaient arrêtés, emprisonnés, voire assassinés. Bien que la répression du régime sud-africain fût féroce, comme à Sharpeville en 1960 où les forces de répression tirèrent sur la foule, les Noirs d'Afrique du Sud s'organisaient et contestaient de plus en plus le régime raciste blanc. Le mouvement ouvrier s'organisait. Des syndicats se formaient dans la clandestinité. La jeunesse scolarisée se politisait.

Steve Biko prit part à toutes les luttes anti-apartheid de l'époque et devint l'un des leaders nationalistes de la population noire des plus en vue. Il fut plusieurs fois arrêté et jeté en prison.

En juin 1976, le gouvernement décida d'imposer aux élèves noirs l'afrikaans, c'est-à-dire la langue des colonisateurs boers (les premiers colons hollandais). Cela fut à l'origine des émeutes de la jeunesse scolarisée dans le ghetto noir de Soweto, situé dans la banlieue de Johannesburg.

Cette humiliation supplémentaire poussa la jeunesse dans la rue, tant la haine accumulée contre le régime était profonde. La répression des émeutes de Soweto fut sanglante. La police tira sur les jeunes, lâcha les chiens, tandis que tanks et hélicoptères quadrillaient les quartiers pauvres. Le bilan de la répression fut de 1 000 blessés et 1 300 arrestations et environ 600 morts selon les chiffres officiels, sans doute près d'un millier. Le gouvernement accentua la répression en jetant en prison les militants politiques et syndicaux afin de tenter de décapiter le mouvement de contestation populaire. Arrêté et torturé, Steve Biko fut parmi les victimes. Mais les luttes contre le régime de l'apartheid n'en continuèrent pas moins, jusqu'à son abolition en 1991.

Le gouvernement sud-africain, auquel participent désormais Blancs et Noirs, vient de célébrer en grande pompe le trentième anniversaire de la mort de Steve Biko et lui rend hommage. Mais, malgré les changements politiques de ces dernières années, la population noire d'Afrique du Sud est toujours frappée dans sa très grande majorité par la pauvreté, le chômage et la misère. Soweto reste un ghetto comme il y en a encore tant d'autres. 87 % des terres cultivables sont toujours aux mains des grands propriétaires fonciers blancs. Si la ségrégation raciale officialisée fait désormais partie du passé, la ségrégation sociale subsiste pour les masses noires pauvres.

R.C. (LO n°2042)

Le film Le Cri de la Liberté (Cry Freedom), du réalisateur Richard Attenborough, sorti en 1987, retrace la vie militante de Steve Biko et son assassinat par les forces de l'ordre ségrégationnistes. Il met en évidence toute la période de montée des luttes anti-apartheid du peuple sud-africain, évoquant notamment les émeutes de Soweto en 1976.