jeudi 1 décembre 2011

:: La capacité du prolétariat à prendre la direction de la société

Pour mettre fin au capitalisme, il faut renverser le pouvoir de la bourgeoisie sur la société. Il n’y a aucune autre force sociale susceptible d’accomplir cette tâche que la classe ouvriere. Elle demeure la seul classe qui, du point de vue de ses intérêts matériels objectifs, n’a aucun intérêt à la préservation d’un ordre social fondé sur la propriété privée des moyens de production.
La classe ouvrière, si elle s’est réduite dans certain pays occidentaux, s’est numériquement renforcée à l’échelle mondiale car elle existe aujourd’hui dans tous les pays du monde. De plus, si en occident les ouvriers d’industrie à proprement parler ont vu leur nombre diminuer, les armées d’employés, de sans-grade de ce qu’on appelle le « tertiaire », n’ont cessé d’augmenter.
Alors ce prolétariat-là a-t-il la capacité et la volonté, dont il a témoigné à certaines périodes du passé, de s’attaquer à l’ordre social existant ? Telle est la question qu’on pourrait se poser en supputant les chances du communisme.
A première vue, le prolétariat ne montre pas de volonté d’intervention autonome depuis bien des années, ni à l’échelle internationale ni à l’échelle d’aucune nation. Il a montré pourtant, au milieu des années 50, en Allemagne de l’Est, en Hongrie et, plus récemment, en 1980 en Pologne, sa capacité à peser sur la société et sur l’Etat. Mais, en Hongrie, il a été militairement vaincu et en Pologne, il a été soumis à des forces politiques hostiles à ses intérêts. Et depuis la crise, il apparaît partout désorganisé, sous l’influence des courants politiques de la bourgeoisie et non comme une force politique autonome conséquente. A plus forte raison, il n’apparaît pas comme une force révolutionnaire, capable d’être porteuse de grandes transformations sociales.
Dans les pays impérialistes développés, la crainte du chômage pèse sur le moral et la combativité de la classe ouvrière. Devant les trahisons répétées des partis qui se réclament d’elle ou qui spéculent sur ses votes, la classe ouvrière apparaît poussée au désenchantement et à l’apolitisme plutôt qu’à la colère.
Dans les pays d’Europe centrale, la classe ouvrière semble assommée par les coups qui se succèdent rapidement, baisse brutale du niveau de vie, explosion du chômage, effondrement de la production sociale. Elle est profondément désorientée par des décennies de dictature prétendument communistes mais réellement anti-ouvrières.
Ailleurs, dans les pays pauvres, quand le prolétariat industriel intervient, il ne le fait que fondu dans la masse de la population urbaine, soit de façon explosive mais sans visée politique, soit sous la direction de forces anti-ouvrières, voire franchement réactionnaires et religieuses.
Mais, si l’on se reporte au passé, on voit bien que ce n’est pas en n’importe quelles circonstances que la classe ouvrière, comme toutes les classes exploitées de l’histoire, s’est montrée révolutionnaire et, en conséquence, porteuse de transformations sociales.
Les périodes proprement révolutionnaires, c'est-à-dire qui sont accoucheuses de grandes transformations de l’histoire, sont des périodes rares. Ce sont des périodes où les classes dirigeantes sont en faillite évidente, où elles ne croient plus à leur propre ordre social, où leur appareil étatique se fêle et où, de l’autre côté de la barricade, les grandes masses ne voient aucune autre issue, aucune place pour elles-mêmes dans le cadre de la société existante.
Au [XIXème siècle], l’humanité n’a connu que deux, peut-être trois, périodes de ce genre. Même chose au cours [du XXème siècle] : au lendemain de la Première guerre mondiale, puis dans les années 30 à la suite de la grande crise et, dans une certaine mesure, au décours et au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, où une révolution prolétarienne dans les pays d’Europe aurait pu avoir la chance exceptionnelle de se faire des alliées des masses coloniales engagées dans une vague de révolutions pour leur émancipation nationale.
Dans les deux cas, la social-démocratie et le stalinisme portent la responsabilité partagée de l’impréparation, de la désorientation du prolétariat devant les possibilités qui s’ouvraient devant lui.
C’est à ces époques critiques que la classe ouvrière a eu la possibilité de faire basculer l’histoire, et c’est à ces périodes qu’elle a été susceptible d’en avoir collectivement la détermination.
Les grandes transformations sociales exigent une énergie considérable. Elles exigent, pour paraphraser Lénine, l’intelligence, les convictions, les passions, la volonté, non pas d’une équipe de révolutionnaires mais de millions d’ouvriers, de pauvres poussées par le plus âpre des luttes de classe…
Cela a été vrai, dans le passé, de toutes les transformations sociales. C’est un lieu commun de dire que la Révolution française, ce n’était pas des élections mais ce n’était pas seulement la prise de la Bastille. La révolution française, ce furent des mois, des années d’activité révolutionnaires de masses, d’activité de dizaines, de centaines de milliers de femmes et d’hommes ; d’une activité collective à laquelle aucun aspect de la vie sociale n’échappait, de la forme de la propriété jusqu’au système de mesures. Sans cette énergie déployée pendant des mois et des années par tous ces hommes et toutes ces femmes, la physionomie de la France moderne ne serait certainement pas la même. Et c’est la capacité comparable du prolétariat russe de libérer une énergie révolutionnaire fantastique qui a bouleversé la Russie ancienne.
L’intervention collective de la classe ouvrière est indispensable non seulement pour mettre l’appareil d’Etat de la bourgeoisie hors d’état de nuire et pour résister à toutes les forces sociales intéressées, à tort ou à raison, au maintien de l’ordre capitaliste. Mais elle est surtout indispensable pour mettre au service de la société les trésors d’imagination, d’initiatives, de dévouement, d’abnégation que recèlent en leur sein les classes exploitées et qui restent inemployés dans la société actuelle. Société où la bourgeoisie a fait de ses défauts vertu et où l’on veut nous faire croire qu’il faut, pour agir et entreprendre, uniquement l’appât d’un gain personnel.
Mais ce sont seulement ces périodes de crise exceptionnelle qui peuvent amener à la confiance dans leurs capacités collectives, à la puissance de leurs responsabilités sociales, à la conscience des possibilités de l’action politique, non par quelques milliers ou dizaines de milliers de travailleurs, mais des millions d’hommes et de femmes, poussées par la volonté de vivre vraiment.
Ce n’est que dans de telles périodes qu’on jugera si le prolétariat a conservé ou pas la capacité de transformer la société.
Et, de telles périodes, immanquablement, le capitalisme en produira et en reproduira, trois fois par siècle, ou quatre ou cinq ou plus, selon les circonstances. Jusqu’à ce qu’un jour, une telle crise emporte jusqu’à son souvenir car nous sommes ainsi faits que la mémoire, individuelle ou collective, ne conserve que les bons souvenirs.

Extrait de l'intervention d'Arlette Laguiller du vendredi 14 février 1992 à la Mutualité : "Le communisme est toujours l'avenir du monde !"


Lire les autres extraits :

:: Le communisme, seul avenir de la société #5

:: La bourgeoisie capitaliste, une classe parasitaire #2

:: Le remplacement de l'économie capitaliste, une nécessité inscrite dans son propre développement #1