lundi 19 décembre 2011

:: Les perspectives communistes sont-elles plus utopiques qu'au temps de Marx ?


Les perspectives communistes sont-elles plus utopiques qu'au temps de Marx ? Sûre­ment pas !
Les conditions matérielles du communisme sont plus mûres aujourd'hui que jamais. Les capacités productives de l'humanité sont infiniment plus grandes non seulement qu'au temps de Marx mais même qu'au temps de Lénine.
La production est depuis longtemps internationalisée. Pour coordonner les activités de leurs entreprises ou pour des opérations financières spéculatives, les grands trusts et les grandes banques ont mis en place des moyens techni­ques et organisationnels considérables. Une centralisation à l'échelle du monde. Des satellites pour surveiller la végétation et prévoir les récoltes. Un réseau dense de moyens de transport. Des moyens de communication puis­sants, permettant de transmettre instantanément une quantité colossale d'in­formations d'un bout à l'autre de la Terre.
Les trusts l'ont fait pour piller la planète.
Mais les mêmes instruments, sous le contrôle du prolétariat, pourraient constituer un formidable instrument d'organisation économique.
Oui, l'humanité n'a jamais autant eu la possibilité matérielle de se donner une organisation sociale où l'égalité ne soit plus un mot mensonger pour masquer la toute-puissance de l'argent. Sa réalisation dépend exclusivement de la rapidité avec laquelle le prolétariat retrouvera sa confiance en lui-même, sa combativité et la conscience de son rôle historique.
Œuvrer pour cela, voilà la tâche fondamentale du mouvement commu­niste.
Et j'ai confiance en sa renaissance. Il renaîtra pour la bonne raison que l'idéal communiste n'est pas mort. Il existait avant l'Union soviétique et, si elle meurt vraiment, il lui survivra.
L'idéal communiste est vivant, de toute façon dans le cœur des hommes, dans leur sens de la justice sociale, même s'ils n'appellent pas cela «commu­nisme», même s'ils n'en tirent pas toutes les conséquences politiques.
Ces sentiments sont ceux de la solidarité, de la fraternité et du collecti­visme. Le communisme, ce n'est pas seulement une façon d'organiser l'éco­nomie. C'est surtout une autre façon de vivre.
Un des pires méfaits du capitalisme, c'est qu'il démolit le sens de la col­lectivité, qu'il fait de l'individualisme, de l'égoïsme, du «chacun pour soi», du «que le plus fort gagne», les vertus cardinales de la société.
Le communisme, c'est lorsque l'homme pourra vivre pleinement comme membre d'une collectivité où chacun aura droit à la solidarité et à la fraterni­té, où les individus trouveront d'autant plus facilement leur place qu'ils sont différents et donc complémentaires. Et c'est cette vie collective qui permettra d'utiliser toutes les intelligences, toutes les compétences, et qui provoquera un essor de la culture et de la civilisation humaines, dont on ne peut avoir aujourd'hui qu'une très vague idée.
Et le prolétariat qui fera triompher un jour l'idéal communiste, n'est pas moins nombreux que dans le passé. Il est, au contraire, plus nombreux car il y a aujourd'hui des prolétaires partout dans le monde.
Le prolétariat n'a pas perdu, non plus, sa force sociale, sa concentration, sa position au cœur de la production capitaliste, partout, dans l'industrie, sur les chantiers, dans les transports, dans les banques. Collectivement, la classe ouvrière est en situation de tout contrôler et diriger.
Alors, la remontée de la combativité ouvrière est inévitable. Regardez d'ailleurs comment les hommes politiques de la bourgeoisie deviennent pru­dents dès que s'amorcent des mouvements susceptibles d'échapper au con­trôle des centrales syndicales. Car ils ne peuvent pas savoir si des coups de colère même sporadiques et limités n'annoncent pas une future explosion sociale.
Que les bourgeois, que ceux qui fabriquent l'opinion, qu'ils soient payés pour cela ou simplement stupides, continuent donc à enterrer et réenterrer le communisme, comme ils le font d'ailleurs depuis des dizaines d'années, qu'ils s'amusent à parler de vieilleries à propos d'idées qui ont pourtant été engendrées par ce même capitalisme qu'ils trouvent tellement moderne !
Oui, le communisme se fraiera un chemin. C'est inscrit dans l'évolution de l'économie comme de la société. Il le fera au travers des hommes car ce sont les hommes qui font leur propre histoire.
Pour notre part, nous avons fait le choix de rester fidèles à ces idées communistes, même pendant cette période passagère de l'histoire où elles sont très minoritaires. Nous l'avons fait pour les mêmes raisons que des générations successives de militants l'ont fait depuis un siècle et demi.
L'avenir dira si notre génération sera utile à la cause du communisme simplement en transmettant aux générations futures des traditions qui facili­teront les luttes de demain, ou alors si nous aurons la chance d'être les com­battants de ces luttes.
Mais ce que nous savons, c'est que nous travaillons pour l'avenir. Car l'avenir de l'humanité, c'est le communisme.

[extrait de : "L'avenir de l'humanité, c'est le communisme". Meeting d'Arlette Laguiller novembre-décembre 1993]


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:: Quelles sont les perspectives communistes ? Que fera le prolétariat au pouvoir ?

Quelle perspective ? Qu'est-ce donc, aujourd'hui, l'idéal communiste ? Que fera le prolétariat au pouvoir ?
Le prolétariat victorieux dissoudra l'appareil d'Etat de la bourgeoisie, en congédiant la hiérarchie de l'armée, de la police, de la haute administration, pour fonder un régime de démocratie directe. Il reprendra la pratique de la Commune de Paris : tous ceux qui exerceront des responsabilités dans l'Etat seront élus et révocables à chaque instant et payés au même salaire que les ouvriers.
Le prolétariat expropriera la grande bourgeoisie, les Peugeot, les Miche­lin, les de Wendel, les Bettencourt, les gros actionnaires des groupes finan­ciers et industriels. Il regroupera toutes les banques dans un organisme unique, soumis au contrôle et aux décisions du pouvoir des travailleurs. Il mettra fin à la concurrence entre grands groupes industriels et réorganisera la production suivant un plan.
Ce plan, établi par le pouvoir mis en place par les travailleurs et sous le contrôle permanent et démocratique de tous, devra viser avant tout la satisfac­tion des besoins, sans s'occuper de savoir si ceux qui ont ces besoins ont de l'argent ou pas. Il donnera la priorité aux produits nécessaires pour tous et non aux produits de luxe pour quelques-uns. Il supprimera les productions inutiles et à plus forte raison, nuisibles, comme la production d'armements s'il est victorieux à l'échelle mondiale.
Le plan aura pour objectif prioritaire d'amener rapidement la production à un niveau où chaque individu, du simple fait d'appartenir au genre humain, aura droit à la satisfaction de ses besoins élémentaires : se nourrir, se vêtir, se loger convenablement, avoir accès à des soins corrects et à une éducation digne du XXIe siècle qui commence. En contrepartie, chacun apportera sa contribution à la collectivité en travaillant. Les parasites que la société entre­tient aujourd'hui devront travailler comme tout le monde. Ils seront enfin utiles à quelque chose !
Utilisant à plein les gains de productivité obtenus par le simple fait de supprimer le parasitisme du grand capital et les formidables gaspillages de l'économie de concurrence, le plan visera également à résorber les différen­ces entre les pays riches et les pays pauvres.
Pour gérer rationnellement l'économie et les ressources naturelles de la planète, bien commun de toute l'humanité, le prolétariat victorieux à l'échelle internationale supprimera toutes les frontières, toutes les barrières douanières qui sont l'héritage anachronique, stupide, inhumain d'un passé barbare. Cela n'empêchera nullement les différentes communautés nationales ou ethniques de gérer en commun leurs affaires propres tant qu'elles jugeront cela utile, afin que disparaisse tout soupçon d'oppression nationale.
La planification permettra la standardisation des productions et des pro­duits, gage d'efficacité. Et la standardisation ne signifie nullement l'unifor­misation de tout. Au contraire ! C'est l'efficacité productive qui permettra de fabriquer en grandes quantités de nombreux produits variés.
C'est la rentabilité capitaliste qui impose aujourd'hui à la société entière des produits uniformes qui vont des jeans et des Mac Donald aux séries B américaines ou au Top 50, en passant par les pommes, les tomates ou les poulets qui ont le même goût d'un bout à l'autre du monde impérialiste.
Eh bien, le communisme pourra certainement laisser une place infiniment plus grande à des productions locales ou régionales. Car planification ne signifie pas centralisation excessive, du moment que les productions qui né­cessitent la plus grande concentration seront, elles, réellement concentrées et non pas soumises à la concurrence.
Débarrassés des grands groupes financiers et du pouvoir extraordinaire que l'argent donne dans la société actuelle, les hommes pourront enfin maî­triser l'évolution de leur économie et de leur société. La population tra­vailleuse déterminera démocratiquement, et à chaque étape, quelle part de l'accroissement de la productivité ira à l'amélioration des conditions maté­rielles d'existence et quelle part sera consacrée à la réduction du temps de travail. Tout cela donnera lieu à de véritables débats, autrement plus démo­cratiques que ce débat bidon à l'Assemblée ou au Sénat à propos des 32 heures, où quelques centaines de politiciens bien payés pour un travail pas trop fatigant prétendent régler l'horaire de travail pour des millions d'ou­vriers, sans leur demander leur avis et alors que de toute façon, ce sont les patrons qui décident.
La société pourra évoluer alors, au rythme où la population travailleuse le décidera en toute conscience, vers la suppression progressive de la propriété privée, de l'argent et de toutes les formes de l'exploitation de l'homme par l'homme.
Voilà en quelques mots les perspectives communistes.


[extrait de : "L'avenir de l'humanité, c'est le communisme". Meeting d'Arlette Laguiller novembre-décembre 1993]


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:: Il est vital pour l'avenir de l'humanité que le prolétariat propose une autre perspective à la société


Une mince couche de financiers jongle avec les milliards, encaisse des profits fabuleux sur des coups spéculatifs qui ruinent l'économie. Pendant ce temps, même dans les pays les plus riches, des dizaines de millions d'ouvriers sont transformés en chômeurs, puis en pauvres, puis réduits à la charité étati­que, municipale ou privée, quand ce n'est pas à rien du tout.
Et [...], même dans les grandes villes des pays les plus riches de la planète, à Paris, à New York ou à Marseille, on meurt encore de froid quand l'hiver s'installe, simplement parce que des centaines de milliers de femmes et d'hommes sont privés de ce droit élémentaire qu'est celui d'avoir un logement correct ! Et l'on voit réapparaître des maladies de la pauvreté comme la tuberculose que l'on croyait quasi définitivement dispa­rues des pays dits civilisés.
Le chômage - et l'incapacité totale de le surmonter - est une des expres­sions les plus visibles de la décadence du capitalisme. En France, pas une seule année depuis vingt ans sans que le chômage ne se soit aggravé.
Des femmes et des hommes, qui sont tout à fait capables de travailler pour la collectivité, sont rejetés de celle-ci parce que les entreprises capitalistes ne jugent pas utile ou rentable de leur donner du travail. Au nom de la sacro-sainte propriété privée, un Calvet par exemple, exécutant les basses œuvres de la famille Peugeot, peut décider un plan de licenciements qui ruine des milliers de familles ouvrières. N'importe quelle entreprise peut être fermée, même si sa production est utile à la société, même si sa fermeture aggrave encore la crise, du moment que son propriétaire juge rentable pour ses profits personnels de placer ses capitaux ailleurs.
Derrière les froids mécanismes économiques, combien de détresses, de dignités foulées aux pieds, combien d'existences humaines détruites ?
Et l'on ose nous dire que le marché capitaliste, sa loi de l'offre et de la demande, seraient la meilleure façon de réguler l'économie ?
Mais quand il s'agit de ses profits, le patronat ne s'en remet pas au marché et à ses lois ! Il exige de l'Etat d'être soutenu. Dans tous les pays, l'Etat consacre une part considérable de ses ressources à permettre aux grandes dynasties bourgeoises de dégager, même par ces temps de crise, des profits aussi élevés qu'auparavant.
Voilà pourquoi tous les Etats sont endettés jusqu'au cou ! Voilà pourquoi il ne reste pas à l'Etat de quoi embaucher des infirmières, des cheminots, des postiers, des instituteurs. Voilà pourquoi il n'y a pas assez d'argent pour les hôpitaux, les routes, les écoles, les transports publics. Voilà pourquoi les services publics se dégradent même dans les pays les plus riches. Voilà pour­quoi on fait des économies sur les dépenses de santé, sur les prestations sociales, c'est-à-dire, sur le dos des pauvres.
Et quant aux pays sous-développés, saignés aujourd'hui comme jamais par les intérêts qu'ils doivent payer aux usuriers de la finance internationale, la majorité d'entre eux, tous ceux du continent africain et tous ceux d'Améri­que latine, plongent dans la misère et la famine.
Le règne de la bourgeoisie conduit le monde vers la barbarie. Aujourd'hui des conflits ethniques ou nationalistes saignent à blanc l'Afrique et, en Eu­rope, la Yougoslavie, le Caucase. Des bandes armées faméliques se consti­tuent pour vivre sur le dos de populations encore plus faméliques. Mais la barbarie monte aussi dans le monde occidental. Matérielle, dans les grandes villes, avec la drogue et la criminalité. Politique et humaine avec la démago­gie raciste et le renouveau des idées réactionnaires.
Et le capitalisme peut faire pire. Car face aux mensonges de ceux qui assimilent capitalisme ou économie de marché avec liberté et démocratie, rappelons que le capitalisme a engendré, outre les deux guerres mondiales, rien qu'en notre siècle, le fascisme, le nazisme, les camps d'extermination et les innombrables dictatures qui, aujourd'hui même, oppriment la majorité des pays du monde, même représentés à l'ONU !
Alors, oui, il est nécessaire que le prolétariat soit, de nouveau, en position de disputer à l'échelle internationale le pouvoir à la bourgeoisie et cette fois, de le lui prendre ! Il est vital pour l'avenir de l'humanité qu'il propose une autre perspective à la société !

[extrait de : "L'avenir de l'humanité, c'est le communisme". Meeting d'Arlette Laguiller novembre-décembre 1993]


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jeudi 8 décembre 2011

:: Russie 1917-1927 : la révolution prolétarienne isolée


La Russie de 1917, cet immense pays dans lequel, pour la première fois dans l’histoire, la classe ouvrière réussit à s’emparer du pouvoir, était à bien des égards un des plus retardataires d’Europe. Son régime politique, l’absolutisme tsariste, reposait sur des structures sociales médiévales, avec sa noblesse, ses grands propriétaires terriens, écrasant une immense population de paysans pauvres vivant dans des conditions misérables. Le pouvoir autocratique du tsar écrasait, sous le poids d’une bureaucratie d’État omniprésente, non seulement le peuple russe, mais aussi les peuples ukrainien, balte, géorgien, azéri, peuples d’Asie centrale ou de la Sibérie, soumis à une véritable oppression coloniale. Il dominait, aussi, des peuples qui ne font pas partie de l’Union Soviétique, ceux de la Finlande et d’une grande partie de la Pologne.
En octobre 1917, alors que toute l’Europe baignait, depuis trois ans, dans le sang de la Première Guerre mondiale, la classe ouvrière russe put s’emparer du pouvoir, bien qu’elle fût très minoritaire dans ce pays où le développement de l’industrie était récent et limité à quelques îlots, à quelques grandes villes isolées dans un océan paysan arriéré. La classe ouvrière était cependant très concentrée, placée aux portes du pouvoir dans de grands centres politiques comme Petrograd et Moscou, pourvue d’une forte conscience de classe et d’un instinct révolutionnaire dirigé aussi bien contre le vieux régime tsariste que contre la bourgeoisie russe. La bourgeoisie, elle, était d’autant moins révolutionnaire, d’autant plus encline à se ranger du côté du tsarisme qu’elle craignait le prolétariat et le danger qu’il représentait pour elle.
Avec le régime issu de la Révolution d’octobre, pour la première fois dans l’histoire, les exploités en lutte exercèrent directement le pouvoir à travers les soviets auxquels ils élurent librement leurs représentants. Ce n’était certes pas cette démocratie parlementaire bourgeoise qu’on nous présente aujourd’hui comme le degré le plus élevé du développement de l’humanité - ces fameux 51 % des voix qui, en général, servent de prétexte aux privilégiés et à ceux qui tiennent leur puissance de leur richesse pour imposer leurs intérêts aux exploités. La démocratie soviétique était d’une autre nature : c’était une force populaire agissante, c’était la démocratie des seules masses en lutte, s’opposant physiquement aux anciennes classes exploiteuses. C’était aussi un pari sur l’avenir, sur une dynamique de la révolution qui, de la Russie, devait gagner le reste du monde.

La lutte pour l’extension de la révolution.

Dépasser le système capitaliste, construire une société socialiste, n’était pas possible en partant des bases économiques d’un seul pays et à plus forte raison d’un pays arriéré, fut—il immense. Ce n’était possible qu’à partir des forces productives développées par le système capitaliste à l’échelle mondiale, à partir du marché mondial. Les bolcheviks en étaient convaincus. Or, les forces productives mondiales étaient concentrées dans les pays les plus avancés d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord, là où se trouvaient l’industrie la plus développée et les classes ouvrières les plus nombreuses et les plus cultivées et qualifiées. Le socialisme en Allemagne à la veille de 1914 représentait une force considérable.
De cela, les dirigeants de la révolution bolchevique, et avec eux une large fraction de la classe ouvrière russe, étaient très conscients. Pour eux, la Révolution russe n’était que le prélude à d’autres révolutions en Europe centrale, en Allemagne, en Grande—Bretagne, en France.
Mais si la révolution mondiale avait gagné son premier combat en Russie, elle ne gagna pas les suivants : en Europe centrale et en Allemagne, en France, en Grande—Bretagne ou en Italie, l’avant—garde révolutionnaire était loin d’être aussi trempée, aussi préparée que la situation l’aurait exigé. En revanche les partis réformistes étaient suffisamment forts pour faire barrage à la révolution, voire pour exercer les répressions les plus sauvages des tentatives qui eurent lieu.
La Révolution russe resta donc isolée et, en Russie même, le pouvoir qui en était issu fut isolé, lui aussi, de plus en plus.
Le pouvoir des soviets avait été l’expression démocratique des masses en lutte. C’est dans le cours même de sa lutte que la classe ouvrière russe avait appris à juger de la valeur et des programmes des différents partis qui parlaient en son nom. C’est par son expérience qu’elle s’était convaincue que le seul parti défendant jusqu’au bout ses intérêts était le Parti bolchevique. C’est elle qui avait tranché entre les différentes politiques en présence et porté à sa tête le Parti bolchevique.

La révolution isolée.

Mais deux années de guerre civile effroyable suivirent, un an à peine après la révolution, dès que, la paix revenue entre les impérialistes en guerre, ceux—ci purent se dresser contre la Révolution russe et soutenir cette guerre civile. La classe ouvrière russe en sortit épuisée politiquement et même physiquement. L’énergie des masses, leur participation aux soviets, leur contrôle et leur soutien démocratique au pouvoir, les soviets eux—mêmes, tout cela se réduisit comme peau de chagrin. Ce rapport démocratique entre les masses en lutte et le pouvoir soviétique, qui avait permis la Révolution d’octobre 1917, ne fut bientôt plus qu’un souvenir. Et, en 1920 ou 1921 par exemple, si des élections libres avaient été organisées, non seulement dans toutes les classes de la société y compris la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, mais même au sein de la seule classe ouvrière, une majorité aurait sans doute rejeté le Parti bolchevique ; une majorité écrasante dans le premier cas, relative dans le second.
Mais il ne pouvait être alors question pour les bolcheviks d’abandonner le pouvoir. Cela aurait été abandonner le terrain à la bourgeoisie sans avoir mené le combat jusqu’au bout. Cela aurait été livrer le prolétariat russe, et tous ceux qui s’étaient battus avec lui, à une terrible répression. Cela aurait été signer, devant le prolétariat russe et mondial, un terrible constat de défaite. Les bolcheviks comptaient sur la prochaine vague révolutionnaire en Europe et dans le monde et se servaient du pouvoir qu’ils avaient conquis pour la préparer activement. En attendant, il fallait tenir, et se passer d’élections libres, même limitées aux soviets.
Car dans l’immédiat, au début des années 1920, leur pouvoir restait comme suspendu en l’air, dans un pays où montaient irrésistiblement les forces hostiles. Conscient de cette situation, Lénine se prononça explicitement pour une concession aux forces bourgeoises, la Nouvelle Politique Economique, la NEP. Il pensait que dans, l’immédiat, il fallait cela pour que la petite bourgeoisie des villes et des campagnes et le capital étranger relancent l’économie anéantie par la guerre et la guerre civile et que c’était le prix à payer pour conserver le pouvoir.
Les bolcheviks furent submergés quand même par ce flot réactionnaire, mais ce ne fut pas de la façon prévue.

Tenir à tout prix.

Avec le reflux de la révolution, l’épuisement de la classe ouvrière, le recul de sa conscience, la démocratie soviétique n’existait plus. La seule garantie du maintien de l’orientation révolutionnaire se trouvait dans la direction politique, c’est—à—dire dans le Parti bolchevique. C’est dans le maintien de cette avant—garde, de ce parti et d’abord de sa direction, que résidait le seul espoir que, dès que la situation et le rapport de forces se révéleraient plus favorables, l’offensive révolutionnaire pourrait reprendre. Mais cet espoir ne se réalisa pas, et cela fut visible dès que le Parti bolchevique eut à subir une crise de direction, ouverte par la mort de Lénine.
Cette crise de succession dura en fait plusieurs années, comme d’ailleurs toutes celles qu’a connues l’URSS par la suite. Après la mort de Lénine en janvier 1924, il fallut plusieurs années de luttes de fractions pour que Staline puisse s’installer à la tête du pays.
Il en est qui rediscutent aujourd’hui s’il n’y avait pas, de la part du Parti bolchevique, « des lacunes de la théorie » « de la confusion de la classe, du parti et de l’État, et les rapports qui en résultent entre parti et les mouvements sociaux » .
Comme si le combat du Parti bolchevique pour conquérir puis garder le pouvoir, entre 1917 et 1924, avait été un combat théorique ; comme s’il avait été mené en fonction de considérations littéraires sur ce que devait être ou pas la démocratie sous le régime prolétarien - et non une lutte acharnée au jour le jour, pas à pas.
Il est donc dérisoire et stupide de discuter de théorie à ce propos si on se veut communiste et militant. Car ce que l’on discute, qu’on le veuille ou non, se pose dans les termes suivants : les bolcheviks devaient-ils renoncer au pouvoir en 1921 et accepter les conséquences de ce retrait pour eux-mêmes et pour la classe ouvrière soviétique ?
Avec le recul du temps, certains peuvent dire que le stalinisme a représenté pire que ce que ce renoncement aurait pu être. Mais seuls des petits bourgeois incurables peuvent se poser, directement ou sous couvert de discussions théoriques, cette question. Pas des militants révolutionnaires ! Car les choix qu’ont faits les dirigeants bolcheviques, ils les ont faits dans les conditions de l’époque, en ignorant ce que nous savons. Mais ils avaient le souvenir des effroyables massacres qui avaient suivi la défaite de la Commune de Paris et le recul qu’elle entraîna. Et surtout, ils se battaient en misant sur la révolution mondiale à venir, et pas en devisant dans un salon sur les inconvénients de sa défaite.
La lutte pour la direction du parti se confondait, de fait, à ce moment—là, avec la lutte pour la direction de l’appareil d’État et finalement de l’URSS elle—même. Justement parce qu’il se savait entouré de forces hostiles, le Parti bolchevique avait fini par accaparer l’essentiel des fonctions de direction de l’État.
Les autres partis avaient été interdits, non pas par conviction théorique, sûrement pas, mais par les nécessités d’une lutte impitoyable. Puis, pour ne pas permettre aux forces sociales hostiles au prolétariat de se cristalliser à la faveur des luttes de fractions au sein du Parti bolchevique lui—même, les fractions elles—mêmes furent interdites. D’un commun accord, les dirigeants du parti avaient même accepté de ne pas faire arbitrer leurs désaccords à l’extérieur du parti, de peur de faire le jeu de forces sociales ennemies de la révolution, et que le pouvoir soviétique soit balayé. Mais du coup, c’est à l’intérieur même du parti, et même de sa direction, que se réfractèrent les conflits d’intérêts sociaux qui couvaient dans le pays.

La montée de la bureaucratie.

Après Lénine, trois dirigeants : Staline, secrétaire du parti et comme tel contrôlant l’appareil de celui—ci, Kamenev et Zinoviev, respectivement dirigeants du parti à Moscou et à Léningrad, d’accord pour écarter Trotsky, constituèrent une « troïka » qui prenait en fait les décisions clandestinement, en dehors des organismes réguliers, et les faisait enregistrer ensuite.
Dans cette lutte au sommet, Staline s’appuyait sur l’appareil du parti.
En quelques années de pouvoir, l’État soviétique s’était rempli de carriéristes, de bureaucrates à la mentalité conservatrice, attachés à leur poste et aux quelques privilèges qu’il leur procurait, d’autant plus qu’à la première génération de bureaucrates, issus encore du mouvement ouvrier révolutionnaire, succéda bien vite une autre, attirée par l’odeur de la soupe, ex—mencheviks ou ex—socialistes révolutionnaires, souvent ennemis ouverts de la révolution en 1917.
Pour ces gens—là, la poursuite ou la reprise éventuelle de la révolution, ou son exportation, était perçue comme une menace pour la petite sécurité matérielle qu’ils avaient réussi à conquérir dans la dure société soviétique de l’après—guerre civile.
Le pire est que ce type d’hommes ne peuplait pas seulement les différents échelons de l’appareil d’État. Le Parti bolchevique étant le seul parti au pouvoir, ils étaient tout prêts à se dire bolcheviques, communistes, pour pouvoir en être membres et progresser plus rapidement dans leur carrière. Au point de devenir rapidement plus nombreux, au sein de cet ex—parti révolutionnaire, que les révolutionnaires véritables.
Staline visait avant tout le pouvoir. Cherchant à s’attacher des fidélités aux différents niveaux de l’appareil, il les trouva tout naturellement auprès de ce type de bureaucrates, pas plus scrupuleux que lui et avec lesquels il se comprenait facilement. Ces gens—là étaient disposés à le soutenir pourvu que Staline leur renvoie, comme on dit, l’ascenseur et pense à eux lorsqu’il était question de distribuer les postes et les menus ou gros avantages allant avec. Mais c’est justement par cette façon d’agir, par cette absence totale de scrupules et même de principe politique, qu’un homme comme Staline devenait l’expression de forces qui le dépassaient. Il devenait l’expression politique de la fraction la plus conservatrice de l’appareil du parti et en fait, au—delà, l’expression de toute une couche sociale qui était en plein développement dans le pays : la bureaucratie qui dirigeait l’État et l’économie, elle—même souvent liée à la petite bourgeoisie des villes et des campagnes en pleine renaissance depuis la NEP.
En effet, au—delà du parti lui—même, la fraction stalinienne trouva un appui dans la société. En 1925, on vit un dirigeant révolutionnaire comme Boukharine, allié de Staline, trouver habile de lancer aux koulaks, aux paysans riches, le slogan« Enrichissez—vous »  ! Et les staliniens commencèrent à faire circuler le bruit que Trotsky, lui, avait toujours négligé la paysannerie.
Le combat politique de Trotsky donna naissance alors, au sein du Parti bolchevique, à une Opposition de gauche. Kamenev et Zinoviev qui, malgré leurs faiblesses, étaient tout de même d’abord des révolutionnaires, s’y rallièrent lorsqu’ils eurent eux—mêmes pris conscience du danger que représentait Staline, et pour la révolution, et pour eux—mêmes.
L’Opposition dénonça la bureaucratisation de l’État soviétique et la complaisance des staliniens à l’égard de toutes les forces sociales ennemies de la révolution.
En 1927, l’Opposition de gauche fut vaincue. Staline affermit son pouvoir jusqu’à en faire une dictature sanglante, éliminant même ceux qui avaient été ses alliés les plus proches. Trotsky fut assigné à résidence, puis expulsé d’URSS, et les opposants de gauche furent exterminés. La victoire de Staline signa la fin du Parti bolchevique en tant que parti révolutionnaire prolétarien. Il devint le parti de la nouvelle couche dirigeante, la bureaucratie, avec laquelle il s’identifiait.
Ce fut là qu’une période s’acheva.
[source CLT 1991]

vendredi 2 décembre 2011

:: Côte d'Ivoire - Alassane Ouattara, quelques rappels


"Le succès de ces reformes [d'ajustement], écrivait la Banque Mondiale, suppose une transformation radicale du rôle de l'Etat, qui n'ira pas sans difficultés dans le contexte africain, caractérisé par la faiblesse des institutions et, souvent, par une très vive résistance politique" [1]. Or, en Côte d’Ivoire, c’est non sans un certain zèle que les dirigeants ivoiriens vont répondre aux exigences de la Banque mondiale. C’est par exemple le cas d’Alassane Ouattara victime plus tard du prisme ethnique attisé par ses concurrents. Technocrate réputé brillant, gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest) et ancien conseiller spécial du directeur général du Fonds monétaire international (FMI), nommé en 1990 premier ministre et ministre de l'économie et des finances, il veut faire de la Côte d’Ivoire un "bon élève". Libéral convaincu, il n’a de cesse, d’une part, de perfectionner le fonctionnement du capitalisme ivoirien pour rassurer les bailleurs de fond – il prend notamment des mesures d’austérité contre la population en réduisant les budgets sociaux et lance un programme de privatisation en cédant notamment la distribution de l'électricité à une filiale de Bouygues – et, ce faisant, va contribuer à accroître la détresse sociale de la population [2].
Ouattara s’est également employé à réprimer les manifestations que les difficultés économiques croissantes ont entraînées. Il est ainsi en fonction – en tant que chef du gouvernement – quand il couvre le chef d’état-major Robert Gueï responsable d’une violente expédition punitive à la cité universitaire de Yopougon, dans la banlieue d'Abidjan, durant laquelle deux lycéennes et une étudiante sont violées et la plupart des étudiants soumis à un traitement barbare. C’est lui encore qui, en février 1992, fait arrêter au moins cent trois personnes – dont Laurent Gbagbo – à la suite d'une manifestation ayant dégénéré en émeute.

Et c’est également lui, toujours premier ministre de Houphouët-Boigny, qui va décider de l’instauration de la carte d’identité nationale infalsifiable dans le but avoué de distinguer les Ivoiriens des "non-Ivoiriens" et qui, dans le même temps, instaure la carte de séjour pour les étrangers dans le but, implicite cette fois, de renflouer les caisses de l’Etat. Cette décision aura des conséquences sur le long terme : la police, en quête des individus dont le nom à une consonance nordiste, multiplie les rafles ; des mosquées sont même parfois incendiées. "La carte de séjour, explique Ousmane Dembele, organise une fracture sociale où les gens du Nord, quels qu’ils soient, apparaissent en dernière instance comme des parias par rapport aux autochtones du Sud" (Ousmane Dembele, "Côte d’Ivoire, la fracture communautaire", in Politique africaine, n°89). Autant dire que cet homme d’Etat a fortement contribué à attiser les braises sur lesquelles viendront bientôt s’épanouir la propagande et la violence ethniste. D’autant que, par la suite, pour combattre le pouvoir, il ne se privera pas – à l’instar de Laurent Gbagbo au nom des Bétés – de faire sien, ouvertement, l’argument ethniste : il fera notamment de la défense des Dioulas le mot d’ordre de son nouveau parti, le RDR (fruit d’une scission du PDCI en raison de sa rivalité avec Bédié).


[1] Banque Mondiale, L’ajustement en Afrique : réformes, résultats et le chemin à parcourir, 1994, pp. 257-258 (cité par Bonnie CAMPBELL, "Le modèle ivoirien de développement à l’épreuve de la crise", Bernard CONTAMIN, Harris MEMEL-FOTÊ, Le modèle ivoirien en questions. Crises, ajustements, recompositions, Paris, Karthala, 1997, p. 52).
[2] A la mort de Félix Houphouët-Boigny, il reprend sa place de haut fonctionnaire international en qualité de directeur général-adjoint du FMI, l’institution internationale qui en juillet 1992, avait refusé à la Côte d'Ivoire l’octroi d’un crédit de 120 millions de dollars, gelant ainsi son "programme en faveur de la Côte d'Ivoire"

:: Le communisme, seul avenir de la société


C’est en prévision de telles crises qu’il est vital que se maintienne un courant communiste.
C’est en prévision de ces périodes qu’il est important que ces courants ne se dissolvent pas dans l’atmosphère délétère de la réaction, de l’individualisme triomphant.
Et, c’est peut-être là, dans les pays riches comme le nôtre, où se pose véritablement le problème. Car le capitalisme, ce n’est pas seulement l’exploitation et la misère matérielle. C’est aussi la pourriture sociale. Cette société ne diffuse pas le sens de l’intérêt collectif en son sein, elle le démolit. Elle ne propose comme seule valeur à tout un chacun, en guise de morale universelle, que la morale de l’argent à se faire. C’est une société à irresponsabilité illimitée. Et, même parmi ceux qui n’ont aucune, mais vraiment aucune chance de s’en sortir individuellement, c'est-à-dire l’écrasante majorité des ouvriers et des employés, on veut diffuser l’idée que l’ascension individuelle est la seule ascension possible et que, hors de là, point de salut.
Jamais dans l’histoire sociale, les hommes n’ont été plus dépendants les uns des autres qu’aujourd’hui, à une époque où, dans les pays développés, plus personne n’est capable de produire pour son seul usage personnel, et où chacun est dépendant des autres.
Mais jamais la société n’a autant nié cette dépendance. Jamais société n’a autant isolé les gens les uns des autres, entassés qu’ils sont pourtant dans les mêmes cages d’escalier, dans les mêmes transports.
Toute  la formidable machine de décervelage de la bourgeoisie, des médias aux politiciens, en passant par de prétendus intellectuels, vise à convaincre les travailleurs, privés en réalité par le système capitaliste de propriété et de droits, qu’ils ont la propriété, qu’ils ont des droits à défendre, et non pas contre les bourgeois mais contre d’autres travailleurs, d’autres corporations, d’autres nationalités.
C’est en insufflant l’idée qu’ils ont des intérêts privés ou catégoriels à défendre qu’on cherche à faire oublier aux travailleurs que leurs intérêts collectifs ont une tout autre importance.
La bourgeoisie, et ses idéologues, et ses médias, parviennent d’autant plus facilement à diffuser ces idées que les grandes organisations réformistes de la classe ouvrière, syndicales et politiques, ne véhiculent plus ces valeurs propres au mouvement ouvrier, quand elles ne véhiculent pas ouvertement l’idéologie de la bourgeoisie, l’attachement à « notre » entreprise, à « notre » économie, à « notre » patrie par exemple.
Mais il y a toujours eu, dans la classe ouvrière, des militants pour défendre les idées du mouvement ouvrier, celle de l’identité des intérêts fondamentaux des travailleurs, quelles que soient leur race, leur nationalité ; celle de leur solidarité de classe face à leurs exploiteurs ; celle de la nécessité de libérer la classe ouvrière des chaines de l’exploitation capitaliste ; celle du collectivisme.
Voilà pourquoi des communistes se sont battus, ont milité dans les pays du monde depuis 70 ans, en prenant la succession des militants communistes qui ont, parmi les premiers, denoncé le stalinisme, c'est-à-dire les militants trotskistes, je suis fière aussi d’appartenir à l’ensemble du mouvement communiste.
Tant qu’il y aura un seul militant pour relever ce drapeau où que ce soit dans le monde, nous pouvons être certains que le communisme restera l’avenir.
Le communisme est la seule idée progressiste de notre temps. Voilà pourquoi l’avenir lui  appartient, car c’est le seul avenir possible pour notre planète.

Extrait de l'intervention d'Arlette Laguiller du vendredi 14 février 1992 à la Mutualité : "Le communisme est toujours l'avenir du monde !"

Lire les autres extraits de l'intervention :

:: La capacité du prolétariat à prendre la direction de la société #4

:: L'avenir communiste #3

:: La bourgeoisie capitaliste, une classe parasitaire #2

:: Le remplacement de l'économie capitaliste, une nécessité inscrite dans son propre développement #1

jeudi 1 décembre 2011

:: La capacité du prolétariat à prendre la direction de la société

Pour mettre fin au capitalisme, il faut renverser le pouvoir de la bourgeoisie sur la société. Il n’y a aucune autre force sociale susceptible d’accomplir cette tâche que la classe ouvriere. Elle demeure la seul classe qui, du point de vue de ses intérêts matériels objectifs, n’a aucun intérêt à la préservation d’un ordre social fondé sur la propriété privée des moyens de production.
La classe ouvrière, si elle s’est réduite dans certain pays occidentaux, s’est numériquement renforcée à l’échelle mondiale car elle existe aujourd’hui dans tous les pays du monde. De plus, si en occident les ouvriers d’industrie à proprement parler ont vu leur nombre diminuer, les armées d’employés, de sans-grade de ce qu’on appelle le « tertiaire », n’ont cessé d’augmenter.
Alors ce prolétariat-là a-t-il la capacité et la volonté, dont il a témoigné à certaines périodes du passé, de s’attaquer à l’ordre social existant ? Telle est la question qu’on pourrait se poser en supputant les chances du communisme.
A première vue, le prolétariat ne montre pas de volonté d’intervention autonome depuis bien des années, ni à l’échelle internationale ni à l’échelle d’aucune nation. Il a montré pourtant, au milieu des années 50, en Allemagne de l’Est, en Hongrie et, plus récemment, en 1980 en Pologne, sa capacité à peser sur la société et sur l’Etat. Mais, en Hongrie, il a été militairement vaincu et en Pologne, il a été soumis à des forces politiques hostiles à ses intérêts. Et depuis la crise, il apparaît partout désorganisé, sous l’influence des courants politiques de la bourgeoisie et non comme une force politique autonome conséquente. A plus forte raison, il n’apparaît pas comme une force révolutionnaire, capable d’être porteuse de grandes transformations sociales.
Dans les pays impérialistes développés, la crainte du chômage pèse sur le moral et la combativité de la classe ouvrière. Devant les trahisons répétées des partis qui se réclament d’elle ou qui spéculent sur ses votes, la classe ouvrière apparaît poussée au désenchantement et à l’apolitisme plutôt qu’à la colère.
Dans les pays d’Europe centrale, la classe ouvrière semble assommée par les coups qui se succèdent rapidement, baisse brutale du niveau de vie, explosion du chômage, effondrement de la production sociale. Elle est profondément désorientée par des décennies de dictature prétendument communistes mais réellement anti-ouvrières.
Ailleurs, dans les pays pauvres, quand le prolétariat industriel intervient, il ne le fait que fondu dans la masse de la population urbaine, soit de façon explosive mais sans visée politique, soit sous la direction de forces anti-ouvrières, voire franchement réactionnaires et religieuses.
Mais, si l’on se reporte au passé, on voit bien que ce n’est pas en n’importe quelles circonstances que la classe ouvrière, comme toutes les classes exploitées de l’histoire, s’est montrée révolutionnaire et, en conséquence, porteuse de transformations sociales.
Les périodes proprement révolutionnaires, c'est-à-dire qui sont accoucheuses de grandes transformations de l’histoire, sont des périodes rares. Ce sont des périodes où les classes dirigeantes sont en faillite évidente, où elles ne croient plus à leur propre ordre social, où leur appareil étatique se fêle et où, de l’autre côté de la barricade, les grandes masses ne voient aucune autre issue, aucune place pour elles-mêmes dans le cadre de la société existante.
Au [XIXème siècle], l’humanité n’a connu que deux, peut-être trois, périodes de ce genre. Même chose au cours [du XXème siècle] : au lendemain de la Première guerre mondiale, puis dans les années 30 à la suite de la grande crise et, dans une certaine mesure, au décours et au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, où une révolution prolétarienne dans les pays d’Europe aurait pu avoir la chance exceptionnelle de se faire des alliées des masses coloniales engagées dans une vague de révolutions pour leur émancipation nationale.
Dans les deux cas, la social-démocratie et le stalinisme portent la responsabilité partagée de l’impréparation, de la désorientation du prolétariat devant les possibilités qui s’ouvraient devant lui.
C’est à ces époques critiques que la classe ouvrière a eu la possibilité de faire basculer l’histoire, et c’est à ces périodes qu’elle a été susceptible d’en avoir collectivement la détermination.
Les grandes transformations sociales exigent une énergie considérable. Elles exigent, pour paraphraser Lénine, l’intelligence, les convictions, les passions, la volonté, non pas d’une équipe de révolutionnaires mais de millions d’ouvriers, de pauvres poussées par le plus âpre des luttes de classe…
Cela a été vrai, dans le passé, de toutes les transformations sociales. C’est un lieu commun de dire que la Révolution française, ce n’était pas des élections mais ce n’était pas seulement la prise de la Bastille. La révolution française, ce furent des mois, des années d’activité révolutionnaires de masses, d’activité de dizaines, de centaines de milliers de femmes et d’hommes ; d’une activité collective à laquelle aucun aspect de la vie sociale n’échappait, de la forme de la propriété jusqu’au système de mesures. Sans cette énergie déployée pendant des mois et des années par tous ces hommes et toutes ces femmes, la physionomie de la France moderne ne serait certainement pas la même. Et c’est la capacité comparable du prolétariat russe de libérer une énergie révolutionnaire fantastique qui a bouleversé la Russie ancienne.
L’intervention collective de la classe ouvrière est indispensable non seulement pour mettre l’appareil d’Etat de la bourgeoisie hors d’état de nuire et pour résister à toutes les forces sociales intéressées, à tort ou à raison, au maintien de l’ordre capitaliste. Mais elle est surtout indispensable pour mettre au service de la société les trésors d’imagination, d’initiatives, de dévouement, d’abnégation que recèlent en leur sein les classes exploitées et qui restent inemployés dans la société actuelle. Société où la bourgeoisie a fait de ses défauts vertu et où l’on veut nous faire croire qu’il faut, pour agir et entreprendre, uniquement l’appât d’un gain personnel.
Mais ce sont seulement ces périodes de crise exceptionnelle qui peuvent amener à la confiance dans leurs capacités collectives, à la puissance de leurs responsabilités sociales, à la conscience des possibilités de l’action politique, non par quelques milliers ou dizaines de milliers de travailleurs, mais des millions d’hommes et de femmes, poussées par la volonté de vivre vraiment.
Ce n’est que dans de telles périodes qu’on jugera si le prolétariat a conservé ou pas la capacité de transformer la société.
Et, de telles périodes, immanquablement, le capitalisme en produira et en reproduira, trois fois par siècle, ou quatre ou cinq ou plus, selon les circonstances. Jusqu’à ce qu’un jour, une telle crise emporte jusqu’à son souvenir car nous sommes ainsi faits que la mémoire, individuelle ou collective, ne conserve que les bons souvenirs.

Extrait de l'intervention d'Arlette Laguiller du vendredi 14 février 1992 à la Mutualité : "Le communisme est toujours l'avenir du monde !"


Lire les autres extraits :

:: Le communisme, seul avenir de la société #5

:: La bourgeoisie capitaliste, une classe parasitaire #2

:: Le remplacement de l'économie capitaliste, une nécessité inscrite dans son propre développement #1

mercredi 30 novembre 2011

:: L'avenir communiste

Le prolétariat parvenu au pouvoir devra en premier lieu exproprier la grande bourgeoisie, les grands groupes capitalistes. Ce ne sera pas, contrairement à ce que disent ceux qui caricaturent le communisme, la fin de la propriété personnelle. Au contraire ! Car, dans notre société aujourd’hui, c’est le grand capital qui prive la majorité de la société de toute propriété, y compris, pour la majorité des hommes, celle de leur propre personne.
La socialisation mettra immédiatement fin à la concurrence et à la rivalité entre les différentes grandes entreprises. Elle réunifiera, par l’intermédiaire d’un plan unique, les éléments épars de la production. Elle recensera les besoins, établissant démocratiquement des priorités pour satisfaire d’abord les besoins les plus urgents. Elle arrêtera les fabrications inutiles ou nuisibles comme celle des armes, pour convertir les entreprises qui les produisent dans la produisent dans la production civile.
Le plan mettre au travail ceux qui aujourd’hui vivent en parasites sur la société, en répartissant le travail entre tous.
Le prolétariat au pouvoir supprimera immédiatement toute frontière, toute barrière, empêchant la circulation des hommes et des biens. Mais il assurera en même temps à tous les peuples, et pas seulement aux peuples disposant aujourd’hui d’un Etat, le droit plein et entier de vivre une existence nationale qu’ils le souhaitent et tant qu’ils le souhaitent. La planification à l’échelle d’un continent, voire du monde entier, peut coexister avec la décentralisation et les plus grandes démocraties et libertés locales et régionales.
Les réalisations sociales impossibles deviendront alors possibles, mettant le développement scientifique, technique, industriel à la disposition de toute l’humanité. Elles permettront de nourrir immédiatement tous les hommes de la terre et de faire sortir de la misère physiologique ce quart de l’humanité, et peut-être plus, qui est détruit par la malnutrition et les maladies et mis au ban de la vie digne d’un être humain de notre époque. Elles permettront de les vêtir, de les loger, de leur assurer une éducation correcte. Débarrassée du gâchis capitaliste, la capacité de production de l’humanité, tout en exigeant moins de travail de chacun des hommes, se limitera à la satisfaction des besoins réels, sans en créer d’artificiels, respectant de ce fait la nature et l’environnement comme jamais la recherche de profit ne pourra le faire.
Soulagés de la dure nécessité de consacrer toute  leur existence à gagner leur vie, comme du désespoir de ne pas la gagner faute de travail, les êtres humains pourront enfin bénéficier du progrès et consacrer davantage de temps à l’éducation.
Car c’est l’organisation capitaliste de la société qui rend la culture, la connaissance, l’instruction élémentaire, même les comportements civilisés, inaccessibles pour l’écrasante majorité de l’humanité.
C’est la possibilité pour ces milliards d’hommes, l’écrasante majorité du genre humain aujourd’hui écartée de tout, d’accéder à l’activité créatrice, à l’initiative, à la responsabilité, qui sera la source d’une évolution inimaginable de l’humanité.
Les Mozart ou les Einstein ne seront peut-être pas plus nombreux, mais plus personne n’en sera très loin.
Alors pourraient disparaître les multiples formes des rapports d’oppression qui découlent de l’inégalité fondamentale entre riches et pauvres, entre savants et ignorants, bourgeois et prolétaires, les rapports d’oppression entre hommes et femmes, entre pays riches et pays pauvres, entre nations puissantes et nations faibles, entre « races ». Ce ne sera pas la fin de l’histoire mais son début véritable, le début de la civilisation. 
Ce n’est pas un rêve, ce n’est pas une utopie, cela l’est en tout cas infiniment moins que de croire en la capacité du capitalisme à devenir meilleur.

Extrait de l'intervention d'Arlette Laguiller du vendredi 14 février 1992 à la Mutualité : "Le communisme est toujours l'avenir du monde !"

Lire les autres extraits :

:: Le communisme, seul avenir de la société #5

:: La capacité du prolétariat à prendre la direction de la société #4

:: Le remplacement de l'économie capitaliste, une nécessité inscrite dans son propre développement #1