mardi 22 août 2017

:: Juillet 1967 : la révolte noire de Detroit

La fin du mois de juillet 1967 était marquée dans plus d'une centaine de villes des États-Unis par le soulèvement de la population noire. C'est à Newark (non loin de New York) et surtout à Detroit (Michigan), capitale de l'industrie automobile, que ces véritables insurrections urbaines furent les plus puissantes.
Cet été 1967 était le quatrième au cours duquel des Noirs américains s'insurgeaient et affrontaient la police, la Garde nationale ou l'armée, et fut le point culminant de ces manifestations. C'était le signe visible de la radicalisation d'un mouvement qui avait débuté douze ans plus tôt pour exiger l'égalité des droits entre Noirs et Blancs.

De Newark à Detroit

À Newark, près de New York, les émeutes durèrent du 12 au 17 juillet 1967, transformant une ville de 400 000 habitants en un champ de bataille. Les autorités firent appel à la Garde nationale. Au total, il y eut 23 morts et 2 000 blessés. 1 500 Noirs furent jetés en prison et des engins blindés patrouillèrent la ville pour y ramener le calme. L'émeute s'étendit à plusieurs villes proches.
Une semaine plus tard, elle gagnait Detroit, ville jugée si prospère, y compris pour les Noirs, que les autorités locales s'étaient vantées qu'aucune émeute ne pouvait s'y produire. Avec 1,6 million d'habitants, dont 35 % de Noirs, Detroit était la cinquième ville des États-Unis. C'était aussi la capitale de l'industrie automobile.
Les affrontement éclatèrent dans la 12e rue, une rue où la population, majoritairement noire, s'entassait et où la densité de population était le double de celle du reste de la ville. Les affrontements durèrent du 24 au 28 juillet et dépassèrent en ampleur toutes celles que les États-Unis avaient pu connaître jusqu'alors. Elle touchèrent également les villes proches. On s'attaqua aux magasins, ce que la population, goguenarde, appelait « faire ses courses à l'oeil ». Des Blancs des quartiers pauvres, dont les conditions de vie n'étaient pas meilleures que celles des Noirs, se joignirent au mouvement. La production automobile des trois « grands » (Chrysler, Ford et General Motors) fut stoppée. Toute l'activité du centre-ville fut paralysée. Les manifestants s'affrontèrent avec les forces de l'ordre avec des pierres, des bouteilles vides, des cocktails molotov, et parfois des fusils. Il fallut la police, la Garde nationale, les chars et deux divisions de parachutistes qui avaient participé à la guerre du Viêtnam, en tout 20 000 hommes, pour reconquérir la ville, rue par rue. Au total, 4 000 personnes furent arrêtées, dont 10 % de Blancs. La répression fit 43 morts et 2 000 blessés. Il y eut 1 500 magasins pillés et 1 200 incendies. 2 000 bâtiments furent détruits. Les dégâts furent évalués à 7 milliards de dollars.

Une population noire exaspérée


En 1964, une nouvelle loi pour l'égalité des droits avait été adoptée, mais elle n'avait pas effacé les inégalités sociales, et notamment le fait que le chômage frappait deux fois plus les travailleurs noirs que les blancs. La population noire était d'autant plus exaspérée que la jeunesse noire payait un lourd tribut dans la guerre du Viêtnam.
Les racines de la révolte étaient à rechercher plus loin. C'est parce qu'ils appartenaient à une minorité opprimée que la majorité des Noirs américains étaient surexploités, devaient occuper les pires emplois, être les premiers licenciés et vivre dans des taudis. Mais c'est parce que la société est divisée en classes qu'existent les emplois mal payés, le chômage et les logements insalubres.
Depuis 1963, une partie du mouvement noir cherchait à aller plus loin que là où les dirigeants modérés, comme Martin Luther King, entendaient le canaliser. Il se trouva des dirigeants radicaux, comme Malcolm X et d'autres, pour faire planer la menace d'une destruction de la société par les Noirs si on n'en finissait pas avec le racisme. Mais aucun d'entre eux n'arriva vraiment à conclure qu'il fallait abattre le capitalisme, et mobiliser pour cela les ouvriers, y compris les ouvriers blancs.
La lutte des Noirs américains réussit finalement à faire disparaître les traits les plus voyants du racisme. Les politiciens blancs gérant les villes comportant une importante communauté noire furent remplacés par des politiciens noirs. En même temps un plus grand nombre de postes de fonctionnaires, de professions libérales ou d'encadrement des entreprises s'ouvrirent à la petite bourgeoisie noire et à d'autres minorités.

Quelques concessions

Il y eut aussi des concessions faites aux travailleurs. Les minorités ne furent plus uniquement condamnées aux emplois les pires et les plus mal payés. Les portes de bien des entreprises s'ouvrirent aux ouvriers noirs. À Detroit, après les émeutes, les firmes automobiles ouvrirent des bureaux d'embauche au coeur du ghetto. Les salaires augmentèrent. Les plus défavorisés purent bénéficier de systèmes d'aide et d'assistance sociale. On créa des tickets d'alimentation et l'aide médicale gratuite. On développa des services publics dans les municipalités.
Ces concessions ne mettaient certes pas fin au capitalisme. Elles ne changeaient même pas fondamentalement le sort des plus pauvres. Cependant, il fallut pour les imposer cette insurrection des couches les plus exploitées, sous la pression d'une colère accumulée, révolte qui avait semblé assez menaçante pour que les responsables politiques cherchent à désamorcer la bombe qu'ils avaient contribué à mettre en place.

--------------------------------------------------------

Le 23 juillet 1967, dans la nuit du samedi au dimanche, la police de Detroit fit un raid dans une soirée organisée pour fêter le retour du Vietnam de deux soldats et voulut arrêter 82 personnes, toutes Noires, cela déclencha une rébellion populaire de grande ampleur qui inquiéta la bourgeoisie américaine et les autorités de l’Amérique blanche, jusqu’au président Johnson.
Depuis des décennies, les Noirs subissaient la ségrégation et le racisme des institutions. Ils ne pouvaient loger que dans certains quartiers, les moins enviés. Leurs enfants ne pouvaient fréquenter que certaines écoles, les moins bien dotées. Peu de Noirs pouvaient voter. Des magasins, des restaurants leur étaient fermés. Des équipements publics, bien que financés aussi par leurs impôts, bibliothèques, piscines, parcs, stades, etc., leur étaient inaccessibles.
Cette ségrégation était inscrite dans les lois des États du Sud du pays, anciennement esclavagistes. Dans le Nord, et donc à Detroit au Michigan, elle était appliquée également, sans besoin de textes officiels.
Les patrons, jouant à fond les divisions raciales au sein de la classe ouvrière, discriminaient leurs salariés, réservant les emplois les moins qualifiés, et donc les moins bien payés, aux Noirs. L’industrie automobile, par exemple, ne recrutait massivement des ouvriers noirs que dans les fonderies, où le travail était extrêmement pénible.
Ceux qui n’acceptaient pas ces règles injustes s’exposaient à une violence raciste débridée. Les autorités, la police en premier lieu mais aussi la justice, et les milices comme le Ku Klux Klan, s’entraidaient pour obliger les Noirs à rester à leur place, par la terreur et les meurtres.

Le mouvement noir

Pourtant cette situation d’infériorité dans tous les secteurs de la vie sociale n’avait jamais cessé d’être contestée. À partir des années 1950 la contestation prit une forme de plus en plus massive. Les dirigeants politiques avaient alors promis de s’attaquer aux lois ségrégationnistes mais les présidents démocrates Kennedy, puis Johnson, avaient surtout demandé aux Noirs d’être patients, de ne pas manifester leur colère.
Mais les masses noires ne voulaient plus attendre les hypothétiques fruits de luttes juridiques s’étalant sur des années. Elles ne voulaient plus se contenter de manifestations ­non-violentes qui n’en étaient pas moins violemment réprimées par l’appareil d’État. Vouloir simplement exercer son droit de vote pouvait amener quelqu’un en prison, ou au cimetière...
À partir de 1963, des émeutes avaient éclaté dans les ghettos noirs des villes américaines. Là étaient concentrées la misère, les taudis bondés, le chômage, la malnutrition des enfants. Là vivait le prolétariat noir.

Le soulèvement de Detroit

Il n’est pas surprenant qu’un raid policier ait été à l’origine du soulèvement de Detroit, une ville de 1,6 million d’habitants dont un tiers étaient noirs, mais où 93 % des policiers étaient blancs. Une enquête officielle, commanditée par la Maison Blanche après coup, révéla que 45 % des policiers affectés dans les quartiers noirs de Detroit étaient « violemment anti-Noirs », flanqués de 34 % de collègues ayant simplement des « préjugés » racistes.

Le harcèlement brutal des Noirs était quotidien, mais les autorités pensaient ainsi prévenir tout soulèvement. C’est le contraire qui se produisit dans la foulée du raid policier du 23 juillet. Assez rapidement, le dimanche matin, les magasins furent pillés. Les gens pouvaient enfin emmener chez eux de la nourriture ou des fournitures auxquels ils n’avaient pas accès faute d’argent. Des Blancs pauvres se joignirent également à cette appropriation de biens de première nécessité.
Des armureries furent attaquées et des armes à feu disparurent dans la foule. Il était évident que les autorités réprimeraient violemment la population de Detroit, comme elles le faisaient systématiquement lors des émeutes urbaines comme des simples manifestations pacifiques. De plus en plus d’habitants étaient décidés à ne plus se laisser faire : s’armer était un premier pas.

La répression

Le dimanche 23 juillet au soir, le couvre-feu fut déclaré à partir de 19 h : un quart d’heure plus tard la première victime tombait, c’était un adolescent noir de seize ans abattu par la police de Detroit. Mais celle-ci était incapable d’en finir avec ce qu’elle avait elle-même provoqué.
Le lundi 24 juillet le gouverneur fit donner les agents du shérif du comté et ceux de la police de l’État du Michigan. Il y eut 1 800 arrestations ce jour-là. Mais les dizaines de milliers de personnes ayant pris le contrôle des rues d’une bonne partie de la ville et les centaines de milliers qui les approuvaient ne rentraient pas dans le rang.
Pire pour les autorités : de proche en proche les habitants des autres quartiers noirs de Detroit se soulevaient, sans forcément avoir connaissance de l’incident de départ. Il en allait de même dans d’autres villes du Michigan et du pays, deux douzaines en tout, montrant à quel point les ghettos noirs étaient prêts à exploser.
Un des rares députés noirs, élu à Detroit, roula à travers les quartiers en rébellion en implorant au mégaphone les gens de rentrer chez eux. Il dut abandonner, sa voiture étant caillassée. Le gouverneur républicain du Michigan et le président démocrate Johnson mobilisèrent alors, à partir du mardi 25 juillet, 8 000 hommes de la garde nationale du Michigan et 5 000 parachutistes des divisions aéroportées. C’est avec des tanks et des mitrailleuses qu’ils purent reprendre le contrôle de la ville. Il y eut 7 000 personnes arrêtées : beaucoup d’hommes subirent la vengeance des policiers en étant tabassés. Des femmes subirent des attouchements. Même des propriétaires new-yorkais blancs, venus à Detroit au mauvais moment pour inspecter leurs immeubles, furent battus si fort par la police que « leurs testicules étaient encore noirs et bleus deux semaines après. »

Quarante-trois personnes perdirent la vie entre le 23 et le 25 juillet 1967 à Detroit. La plupart étaient de jeunes hommes noirs tués par les forces de répression.

Les suites de la rébellion

Le mouvement de Detroit fut le plus massif et le plus profond de toute la période. L’été 1967 avait vu la population noire se soulever dans plus d’une centaine de villes, dont Newark, une banlieue de New York où 26 personnes avaient perdu la vie quelques jours avant que n’éclate le soulèvement de Detroit. Les dirigeants américains intensifièrent la répression contre les militants et les mouvements qui, au travers du slogan Black power, incitaient les Noirs à s’armer pour contrôler eux-mêmes leurs quartiers.
Cependant, pour la bourgeoisie américaine, l’alerte avait été grave. Parallèlement, craignant que les masses noires n’évoluent encore plus vers une voie révolutionnaire, elle se décidera à mettre réellement un frein à la ségrégation.
La bourgeoisie craignait aussi que ces soulèvements, mobilisant le prolétariat noir là où il vivait, ne touche ses usines. Les constructeurs automobiles embauchèrent des Noirs à tous les postes d’ouvriers, mais aussi à des postes de professionnels ou de petite maîtrise donnant accès à des salaires meilleurs. Les autorités investirent des moyens dans les écoles et les logements des quartiers pauvres. Des programmes sociaux soulagèrent la misère. Toute la classe ouvrière allait ainsi bénéficier provisoirement du soulèvement de sa partie noire.
Le racisme ne disparut pas, bien sûr, de la société américaine. Il ne pourra disparaître vraiment qu’avec la fin du système capitaliste, tant le mépris envers les pauvres et le racisme s’entremêlent. Mais la révolte des ghettos noirs fit suffisamment peur aux capitalistes et à leur gouvernement pour qu’ils deviennent plus prudents pour toute une période.

:: Il y a 70 ans, l'indépendance de l'Inde #archiveLO [22 août 1987]