lundi 3 septembre 2012

:: Quelles perspectives pour les militants révolutionnaires internationalistes ?

C'est à nous, trotskystes, tels que nous sommes, autant que nous sommes aujourd'hui, que revient la tâche de faire retraverser aux vieilles expériences révolutionnaires, c'est-à-dire au savoir-faire prolétarien et internationaliste, le no-man's land entre les générations militantes, pour permettre enfin au mouvement ouvrier mondial de redémarrer sur des bases politiques supérieures à celles des années 30. 

Une gageure ? Oui, sans doute. Comme toutes les entreprises humaines qui valent la peine qu'on se batte pour elles. Mais une gageure en effet. Car cet héritage politique que nous a légué Trotsky avant son assassinat et dans lequel les différents groupes trotskystes ont puisé plus ou moins partiellement, n'est pas simplement une doctrine ou un programme de formules toutes faites à adapter au goût du jour. 

Le bolchévisme, disait Trotsky pour son propre compte, "n'est pas une doctrine, mais un système d'éducation révolutionnaire pour l'accomplissement de la révolution prolétarienne". Nous pouvons en dire tout autant du trotskysme. 

Et toute la question est là : nous, les trotskystes, aurons-nous la volonté, l'âpreté, l'audace intellectuelle et politique et l'acharnement humain pour retrouver, pour réinventer dans l'action militante et l'action révolutionnaire, ce système d'éducation révolutionnaire dont parlait Trotsky, afin de le communiquer à toute la génération combattante qui surgit aujourd'hui dans les rangs des opprimés ? 

Un défi à relever 

Voilà le défi que nous, révolutionnaires internationalistes actuels, avons à relever : enflammer pour nos idées internationalistes toute cette génération combattante, qui malgré l'épreuve de l'histoire et des révolutions nationales fourvoyées, a acquis artificiellement une nouvelle tradition selon laquelle le nationalisme serait progressif. 

Du temps des IIe et IIIe Internationales, l'internationalisme, comme la conscience de classe, c'étaient les organisations ouvrières qui le véhiculaient. Aujourd'hui, ce sont les conditions techniques et économiques de l'impérialisme qui rendent la nécessité du combat internationaliste plus évidente que jamais. Mais plus que jamais aussi, il est rejeté par les appareils militaires ou bureaucratiques qui encadrent les masses ou se précipitent à leur tête. 

En fait, le problème n'est pas tout-à-fait nouveau. Lénine aussi, en son temps, bien avant 1917, avant 1905, dut combattre la politique de ces «libéraux armés de bombes», comme il disait, de ces militants étrangers au prolétariat même si pour se mettre au goût de l'époque ils s'intitulaient socialistes-révolutionnaires, et qui voulaient faire le bonheur du peuple malgré lui. 

Aujourd'hui, là précisément où la révolution est à l'ordre du jour dans bien des pays du monde, nous avons à combattre la politique des mêmes libéraux bourgeois, non seule-ment armés de bombes, mais disposant désormais de petits appareils militaires et bureaucratiques, et surtout, surtout, y compris quand ils ne disposent pas encore de tels appareils, d'un savoir-faire dans l'art d'encadrer les masses et l'art d'en prendre la direction sans craindre qu'elles les débordent. 

Notre tâche, c'est d'acquérir le savoir-faire inverse. "L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes". C'est cette conviction profonde qui doit guider nos interventions politiques et militantes. Partout où nous sommes. En quelques circonstances que ce soit, y compris au cours des luttes les plus modestes, ici même. 

L'une de nos tâches, c'est de permettre aux masses dès lors qu'elles se mettent en mouvement, et elles se mettent en mouvement dans bien des pays, et elles se mettront en mouvement ici aussi, d'apprendre à déborder leurs appareils réformistes ou nationalistes, ou tout simplement les hommes qui se sont empressés de se mettre à leur tête. 

Car ces gens-là, immanquablement, inévitablement, leur disent à un moment ou à un autre au nom d'un prétendu intérêt supérieur, celui de la nation, de l'économie de la nation, de la religion de la nation, qu'elles doivent rentrer dans le rang, dans le rang de l'ordre bourgeois. 

*** 

La tâche paraît grande, en regard des faibles forces des trotskystes et parmi eux, de ceux qui ont conscience de cette tâche. Mais sa réalisation est peut-être plus proche que jamais. Car les circonstances objectives ne nous sont pas défavorables, bien au contraire. Elles sont au moins aussi favorables qu'elles l'étaient pour Lénine en 1902. Et puis, il y a des circonstances où le problème n'est pas d'être nombreux, mais d'être là, seulement lié à sa classe, et de savoir ce qu'on veut. 

[...] 

Oui, c'est possible, si nous avons suffisamment confiance en nos propres idées, pour être convaincus comme Marx nous l'a appris, que les idées deviennent des forces quand elles s'emparent des masses. Mais pour qu'une telle réaction en chaîne se produise encore faut-il que ceux qui détiennent ces idées n'y renoncent à aucun prix. 

*** 

Première chose, donc, tenir à nos propres idées, plus qu'à tout : 

— Seul le prolétariat peut être l'artisan de la révolution socialiste communiste. 

— La classe ouvrière, la classe des prolétaires, celle de ceux qui n'ont rien à perdre, qui n'ont ni patrie, ni propriété à défendre, est la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout. 

— Le prolétariat devra certes s'allier à d'autres classes sociales pour remporter la victoire, mais il ne devra pas être à leur remorque, même quand il participera à des combats communs. 

— La révolution socialiste peut éclater dans un seul pays. Mais aucun pays ne peut vivre par lui-même. Car le rôle historique de la bourgeoisie, son seul rôle progressif en fait, c'est, on le voit encore aujourd'hui, d'avoir créé une économie qui fait éclater les frontières. 

Et le socialisme qui veut survivre à l'intérieur de certaines frontières, que ce soit celles de l'URSS immense, du continent chinois, ou de la minuscule Cuba, ne peut être qu'un socialisme de la misère et au bout du compte une utopie réactionnaire. 

— Cela fait près d'un siècle que le capitalisme arrivé à son stade impérialiste se survit en passant d'une crise à l'autre, d'une guerre mondiale à l'autre, sans résoudre aucune de ses contradictions. 

Cela fait depuis le début du siècle que la crise du capitalisme est plus ou moins permanente et le monde plus ou moins vivable. Car s'il vaut sans doute mieux vivre aujourd'hui à Berlin qu'à Mexico, entre 1944 et 1945, quand l'aviation alliée bombardait les villes allemandes, il valait sans doute mieux vivre à Mexico qu'à Berlin. Aucun endroit du monde n'est épargné. Même pas ces Iles Malouines, au bout du monde, on l'a vu il n'y a pas si longtemps. 

Il n'y a pas d'évasion possible. 

— Toutes les revendications prolétariennes restent à l'ordre du jour. Seul le prolétariat mondial sera en mesure de faire sauter les chaînes des frontières nationales. 

— Seule une économie planifiée à l'échelle mondiale sur la base de la technologie la plus avancée, permettra à l'Humanité de franchir un nouveau pas dans la maîtrise de son histoire et de son évolution. Cela signifiera une production non pas pour le profit, mais une production pour les besoins dans la limite de ces besoins, en trouvant un équilibre entre les besoins matériels et l'exploitation des ressources naturelles de la planète, tout en permettant enfin l'essor illimité des besoins intellectuels et artistiques de l'en-semble de l'Humanité. 

La société impérialiste, elle, n'est capable que de créer une abondance à caractère pathologique à un bout, la misère et le dénuement concentrationnaire à l'autre. On ne peut pas imaginer que l'Humanité puisse continuer à vivre ainsi : avec la famine au Soudan et la jachère en Europe ; avec une saison de sécheresse aux Etats-Unis qui a fait la fortune de quelques exportateurs de blé en Argentine, alors même qu'en Argentine la misère s'installe brutalement avec la nouvelle dévaluation de la monnaie qui suit plusieurs 
années d'inflation galopante. 

Toutes ces inégalités, ces injustices : les restaurants du coeur et la charité pour la recherche médicale, mais les impôts pour fournir des armes lourdes aux dictateurs qui envoient leurs peuples s'entretuer, sans parler de ces frontières nationales qui dans certains endroits font revenir les peuples au Moyen Age, tout cela ne durera pas. Cela ne peut pas durer. 

*** 

Et c'est là où le rôle des individus, de quelques dizaines de milliers d'individus à l'échelle de la planète, peut être déterminant. Car justement, un parti révolutionnaire ne peut pas être un parti de masse. Il ne peut l'être seulement qu'au travers de la révolution. Et en dehors de telles crises révolutionnaires, le rôle des individus, des militants, du volontarisme, est un rôle important, déterminant. Les classes dominantes l'ont su elles qui ont toujours tenté de se protéger de ces minorités révolutionnaires dans les périodes critiques. 

Un parti révolutionnaires, une Internationale, c'est cela, une organisation de quelques dizaines de milliers d'individus : pas n'importe qui, des gens qui se sont donné un but véritable dans la vie, en un mot, une organisation qui est capable, quand elle devient une organisation de masse, de vaincre là où d'autres ont dégénéré. 

Voilà notre ambition. 

Vive l'Internationale du prolétariat 
Vive la IVe Internationale ! 

[extrait du l'exposé du Cercle Léon Trotsky n° 27 du 30 septembre 1988]