vendredi 21 janvier 2011

:: Trotsky, extrait de "Ma Vie" : La mort de Lénine et le déplacement du pouvoir

Trotsky: Ma Vie - La mort de Lénine et le déplacement du pouvoir

:: Janvier 1924, mort de Lénine


Le 21 janvier 1924, Lénine mourait. C’était un rude coup pour la révolution russe, et pour la révolution mondiale. Lénine mort, l’aile droite et les centristes du Parti Communiste de l’URSS allaient pouvoir monopoliser le pouvoir, profitant de la situation particulièrement difficile du pays, de la lassitude et de l’inculture des masses, du découragement de beaucoup de membres du Parti.
Déjà de nombreux symptômes pouvaient permettre de prévoir que le « bureaucratisme » qu’on critiquait quelque peu était plus profond, reposait socialement sur des forces déterminées, et correspondait à une évolution de la situation, tant internationale qu’intérieure à l’URSS, dans un sens défavorable au prolétariat.
La déroute de la révolution allemande d’octobre 23 avait été un avertissement, mais, si elle avait provoqué des discussions dans le Parti et amené Trotsky à y participer par la publication d’un texte sur le « Cours Nouveau » à propos d’une résolution du Comité Central sur la démocratie dans le Parti, cela en était resté à des discussions. Lorsque Lénine mourut, Trotsky, son principal collaborateur, son successeur aux yeux des masses, était éloigné au Caucase, et il ne put, à cause d’une fausse information communiquée par Staline, assister à ses funérailles.
« C’est dans les conditions d’un pays ruiné à fond et où les forces du prolétariat ont été épuisées en des efforts presque surhumains, que nous entreprenons l’oeuvre la plus difficile : jeter les fondements d’une économie vraiment socialiste... » : c’est ainsi que Lénine s’exprimait en août 1921, pour expliquer les difficultés que rencontraient alors les communistes russes dans l’application de la Nouvelle Politique Economique destinée à enrayer la famine et à ranimer l’économie nationale.
Pour le Parti bolchevik, c’était en effet une nouvelle lutte, sur le front économique cette fois, d’un caractère entièrement nouveau et pour laquelle il n’était pas préparé. Aussi Lénine insistait-il beaucoup sur la nécessité pour les communistes de s’instruire, d’apprendre à utiliser l’appareil d’État et à gérer l’économie. Cependant, l’appareil d’État était en grande partie hérité de l’appareil tsariste et si, comme le soulignait Lénine, les dirigeants des sphères supérieures étaient d’authentiques communistes, les milliers d’administrateurs et d’employés éparpillés dans tout le pays restaient des hommes formés dans la mentalité de leurs anciens maîtres. Comment en eut-il pu être autrement ? Les communistes, pendant ces quatre années de guerre civile, étaient au front, aux avant-postes, ou occupés à la création d’un minimum d’appareil militaire. Devant les nouvelles tâches imposées par le passage à la période « de paix », ils se trouvèrent très souvent désarmés et furent toujours en nombre insuffisant.
Pour un bon nombre de militants, le passage à la N.E.P. se traduisit dans ces conditions par une installation dans des situations permanentes, où le sentiment d’être quelque peu supérieurs (en tant que communistes) devait jouer un rôle assez important pour devenir bientôt ce que Trotsky appela de la « morgue fonctionnariste ».
Déjà un certain nombre, de militants avaient montré des dispositions à la bureaucratisation qui prirent plus tard des proportions tragiques. Ainsi dans la politique envers les minorités nationales, et la Géorgie en particulier.
Lénine insistait beaucoup sur la nécessité d’être prudent et souple envers ces minorités, mais dès février 1921, des détachements de l’Armée Rouge avaient envahi la Géorgie, sur les ordres de Staline, commissaire aux nationalités.
Par la suite, staline réussit à s’y faire au sein du parti un solide appui, cela en se couvrant de l’autorité du comité central, et par l’intermédiaire de djerzinsky et d’orjonikidze.
Ces manoeuvres, que Lénine n’apprit qu’après coup, car elles se firent derrière son dos, pendant sa maladie, l’irritaient profondément, et ce sont elles qui le firent qualifier Staline de « brutal argousin grand-russe », dans un de ses derniers écrits.
Mais ce n’est là qu’un épisode parmi d’autres qui tous montraient les germes d’une bureaucratisation de l’appareil du Parti et de l’appareil d’État. « ... Le fond de toutes les difficultés était », selon Trotsky, « dans la combinaison des deux appareils et dans la complicité mutuelle des groupes influents qui se formaient autour d’une hiérarchie de secrétaires du parti ». Cette combinaison des deux appareils, inévitable dans une large mesure, se traduisait par le fait que par exemple les membres les plus expérimentés et les plus actifs du Parti étaient employés aux postes de l’appareil syndical, coopératif, universitaire, et parmi ces membres, beaucoup d’origine prolétarienne, Ce qui se traduisit rapidement par un affaiblissement des cellules d’usine, auxquelles la lenteur de l’industrialisation ne permettait pas un afflux de sang nouveau.
Cependant, en 1922, Staline est devenu secrétaire général du Parti, et au début de 1923, au XIIe Congrès, alors que Lénine vient d’avoir sa troisième attaque - il ne peut ni bouger, ni parler, ni écrire, et c’est le premier Congrès du PC (b) de l’URSS auquel il n’est pas présent - Staline commence à occuper la première place dans le triumvirat formé par lui, avec Zinoviev et Kaménev. Le Congrès est bourré de délégués choisis par lui. C’est la période de sa mainmise sur l’appareil.
Cette année 1923 marque à tous égards une étape décisive dans l’histoire de la Révolution russe. Après deux années de N.E.P., si le pays commence un peu à « souffler », le Parti et ses membres aspirent aussi à une stabilisation. Le fonctionnarisme s’installe. Des pratiques autoritaires et administratives deviennent courantes. Une nouvelle machine s’organise et, en même temps, inconsciemment, une naouvelle caste se forme, s’appuyant sur les paysans aisés (les koulaks) et sur les commerçants encouragés par la N.E.P., sur tous les éléments petits-bourgeois en général dont l’influence dissolvante, dans cette époque de lassitude, se faisait sentir dans le Parti qui comprenait d’ailleurs à cette date deux tiers de nouveaux venus, soit à peu près un pour cent de révolutionnaires de la période illégale.
Dans les sphères dirigeantes, la fraction Staline, qui disposait de l’appareil du Secrétariat, et aussi de la puissante Commission de Contrôle avec son réseau dans tout le pays, entreprenait la lutte contre Trotsky, lequel symbolisait la fermeté révolutionnaire. C’est à ce moment que, sous le couvert de combattre le « culte des leaders », on ne mit plus le nom de Trotsky en tête des listes d’orateurs aux Congrès et Conférences, comme c’était l’habitude de le faire, en deuxième position, après celui de Lénine, et qu’on le remplaça par ceux de militants beaucoup moins connus.
Le nom de Staline y parvint ensuite graduellement.
Seule la maladie de Lénine permit les manoeuvres en coulisses, les tractations, les pressions et les calomnies dirigées alors contre le chef et l’organisateur de l’Armée Rouge. Cette maladie qu’au début tout le monde croyait de brève durée, et qui fit ensuite figure d’ » interrègne », permit à une fraction bureaucratique et conservatrice de s’emparer du pouvoir.
Lorsque Lénine mourut en janvier 1924, l’état de la bureaucratisation du Parti et de presque tout l’appareil d’État était tel qu’il était pratiquement devenu impossible d’enrayer son développement.
Les staliniens lui édifièrent un mausolée, et momifièrent sa dépouille, sa pensée et son oeuvre.
Mais le Panthéon véritable des révolutionnaires, c’est le coeur des peuples et Lénine y est à jamais.
Quant à sa pensée, elle est bien vivante.

samedi 15 janvier 2011

:: 15 janvier 1919 : assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg

Texte de Trotsky en réaction à l'assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht par une milice du gouvernement social-démocrate [source : Le Forum des amis de Lutte Ouvrière
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Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, Léon Trotsky, 18 janvier 1919
L'inflexible Karl Liebknecht
Nous venons d'éprouver la plus lourde perte. Un double deuil nous atteint.
Deux chefs ont été brutalement enlevés, deux chefs dont les noms resteront à jamais inscrits au livre d'or de la révolution prolétarienne : Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.
Le nom de Karl Liebknecht a été universellement connu dès les premiers jours de la grande guerre européenne.
Dans les premières semaines de cette guerre, au moment où le militarisme allemand fêtait ses premières victoires, ses premières orgies sanglantes, où les armées allemandes développaient leur offensive en Belgique, détruisaient les forteresses belges, où les canons de 420 millimètres promettaient, semble-t-il, de mettre tout l'univers aux pieds de Guillaume II, au moment où la social-démocratie officielle, Scheidemann et Ebert en tête , s'agenouillait devant le militarisme allemands et l'impérialisme allemands auxquels tout semblait se soumettre — le monde extérieur avec la France envahie au nord et le monde intérieur non seulement avec la caste militaire et la bourgeoisie, mais aussi avec les représentants officiels de la classe ouvrière — dans ces sombres et tragiques journées, une seule voix s'éleva en Allemagne pour protester et pour maudire : celle de Karl Liebknecht.


Et cette voix retentit par le monde entier .En France, où l'esprit des masses ouvrières se trouvait alors sous la hantise de l'occupation allemande où le parti des social-patriotes au pouvoir prêchait une lutte sans trêve ni merci contre l'ennemi qui menaçait Paris, la bourgeoisie et les chauvins eux-mêmes reconnurent que seul Liebknecht faisait exception aux sentiments qui animaient le peuple allemand tout entier.
Liebknecht, en réalité, n'était déjà plus isolé : Rosa Luxembourg , femme du plus grand courage, luttait à ses côtés, bien que les lois bourgeoises du parlementarisme allemand ne lui aient pas permis de jeter sa protestation du haut de la tribune, ainsi que l'avait fait Karl Liebknecht. Il convient de remarquer qu'elle était secondée par les éléments les plus conscients de la classe ouvrière, où la puissance de sa pensée et de sa parole avaient semé des germes féconds. Ces deux personnalités, ces deux militants, se complétaient mutuellement et marchaient ensemble au même but.
Karl Liebknecht incarnait le type du révolutionnaire inébranlable dans le sens le plus large de ce mot. Des légendes sans nombre se tissaient autour de lui, entourant son nom de ces renseignements et de ces communications dont notre presse était si généreuse au temps où elle était au pouvoir.
Karl Liebknecht était — hélas ! nous ne pouvons plus en parler qu'au passé — dans la vie courante, l'incarnation même de la bonté et de l'amitié. On peut dire que son caractère était d'une douceur toute féminine, dans le meilleur sens de ce mot, tandis que sa volonté de révolutionnaire, d'une trempe exceptionnelle, le rendait capable de combattre à outrance au nom des principes qu'il professait. Il l'a prouvé en élevant ses protestations contre les représentants de la bourgeoisie et des traîtres social-démocrates du Reichstag allemand, où l'atmosphère était saturée des miasmes du chauvinisme et du militarisme triomphants. Il l'a prouvé lorsque, il leva, sur la place de Potsdam, à Berlin, l'étendard de la révolte contre les Hohenzollern et le militarisme bourgeois.
Il fut arrêté. Mais ni la prison, ni les travaux forcés n'arrivèrent à briser sa volonté et, délivré par la révolution de novembre, Liebknecht se mit à la tête des éléments les plus valeureux de la classe ouvrière allemande.
·          Rosa Luxembourg — Puissance de ses idées.
Le nom de Rosa Luxembourg est moins connu dans les autres pays et en Russie, mais on peut dire, sans craindre d'exagérer, que sa personnalité ne le cède en rien à celle de Liebknecht.
Petite de taille, frêle et maladive, elle étonnait par la puissance de sa pensée.
J'ai dit que ces deux leaders se complétaient mutuellement. L'intransigeance et la fermeté révolutionnaire de Liebknecht se combinaient avec une douceur et une aménité féminines, et Rosa Luxembourg, malgré sa fragilité, était douée d'une puissance de pensée virile.
Nous trouvons chez Ferdinand Lassalle des appréciations sur le travail physique de la pensée et sur la tension surnaturelle dont l'esprit humain est capable pour vaincre et renverser les obstacles matériels ; telle était bien l'impression de puissance que donnait Rosa Luxembourg lorsqu'elle parlait à la tribune, entourée d'ennemis. Et ses ennemis étaient nombreux. Malgré sa petite taille et la fragilité de toute sa personne, Rosa Luxembourg savait dominer et tenir en suspens un large auditoire, même hostile à ses idées. Par la rigueur de sa logique, elle savait réduire au silence ses ennemis les plus résolus, surtout lorsque ses paroles s'adressaient aux masses ouvrières.

·      Ce qui aurait pu arriver chez nous pendant les journées de juillet
Nous savons trop bien comment procède la réaction pour organiser certaines émeutes populaires. Nous nous souvenons tous des journées que nous avons vécues en juillet dans le murs de Pétrograd, alors que les bandes noires rassemblées par Kérensky et Tseretelli contre les bolcheviks organisaient le massacre des ouvriers, assommant les militants, fusillant et passant au fil de la baïonnette les ouvriers isolés surpris dans la rue. Les noms des martyrs prolétariens, tel celui de Veinoff, sont encore présents à l'esprit de la plupart d'entre nous. Si nous avons conservé alors Lénine, si nous avons conservé Zinoviev, c'est qu'ils ont su échapper aux mains des assassins. Il s'est trouvé alors parmi les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires des voix pour reprocher à Lénine et à Zinoviev de se soustraire au jugement, tandis qu'il leur eût été si facile de se laver de l'accusation élevée contre eux, et qui les dénonçait comme des espions allemands. De quel tribunal voulait-on parler ? De celui probablement auquel on mena plus tard Liebknecht, et à mi-chemin duquel Lénine et Zinoviev auraient été fusillés pour tentative d'évasion ? Telle aurait été sans nul doute la déclaration officielle. Après la terrible expérience de Berlin, nous avons tout lieu de nous féliciter de ce que Lénine et Zinoviev se soient abstenus de comparaître devant le tribunal du gouvernement bourgeois.
·         Aberration historique
Perte irréparable, trahison sans exemple ! Les chefs du parti communiste allemand ne sont plus. Nous avons perdu les meilleurs de nos frères, et leurs assassins demeurent sous le drapeau du parti social-démocrate qui a l'audace de commencer sa généalogie à Karl Max ! Voilà ce qui se passe, camarades ! Ce même parti, qui a trahi les intérêts de la classe ouvrière dès le début de la guerre, qui a soutenu le militarisme allemand, qui a encouragé la destruction de la Belgique et l'envahissement des provinces françaises du Nord, ce parti dont les chefs nous livraient à nos ennemis les militaristes allemands aux jours de la paix de Brest-Litovsk ; ce parti et ses chefs — Scheidemann et Ebert — s'intitulent toujours marxistes tout en organisant les bandes noires qui ont assassiné Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg !
Nous avons déjà été les témoins d'une semblable aberration historique, d'une semblable félonie historique, car le même tour a déjà été joué avec le christianisme. Le christianisme évangélique, idéologie de pêcheurs opprimés, d'esclaves, de travailleurs écrasés par la société idéologie du prolétariat , n'a-t-il pas été accaparé par ceux qui monopolisaient la richesse par les rois, les patriarches et les papes ? Il est hors de doute que l'abîme qui sépare le christianisme primitif tel qu'il surgit de la conscience du peuple et des bas-fonds de la société, est séparé du catholicisme et des théories orthodoxes par un abîme tout aussi profond que celui qui s'est maintenant creusé entre les théories de Marx, fruits purs de la pensée et des sentiments révolutionnaires, et les résidus d'idées bourgeoises dont trafiquent les Scheidemann et les Ebert de tous les pays.
·          Le sang des militants assassinés crie vengeance !
Camarades ! Je suis convaincu que ce crime abominable sera le dernier sur la liste des forfaits commis par les Scheidemann et les Ebert. Le prolétariat a supporté longtemps les iniquités de ceux que l'histoire a placés à sa tête ; mais sa patience est à bout et ce dernier crime ne restera pas impuni. Le sang de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg crie vengeance ; il fera parler les pavés des rues de Berlin et ceux de la place de Potsdam, où Karl Liebknecht a le premier levé l'étendard de la révolte contre les Hohenzollern. Et ces pavés — n'en doutez pas — serviront à ériger de nouvelles barricades contre les exécuteurs de basses oeuvres, les chiens de garde de la société bourgeoise — contre les Scheidemann et les Ebert !
·           La lutte ne fait que commencer
Scheidemann et Ebert ont étouffé, pour un moment, le mouvement Spartakiste (communistes allemands) ; ils ont tué deux des meilleurs chefs de ce mouvement et peut-être fêtent-ils encore à l'heure qu'il est leur victoire ; mais cette victoire est illusoire, car il n'y a pas encore eu, en fait, d'action décisive. Le prolétariat allemand ne s'est pas encore soulevé pour conquérir le pouvoir politique. Tout ce qui a précédé les événements actuels n'a été de sa part qu'une puissante reconnaissance pour découvrir les positions de l'ennemi. Ce sont les préliminaires de la bataille, mais ce n'est pas encore la bataille même. Et ces manoeuvres de reconnaissance étaient indispensables au prolétariat allemand, de même qu'elles nous étaient indispensables dans les journées de Juillet.

·    Le rôle historique des journées de juillet
Vous connaissez le cours des événements et leur logique intérieure. A la fin de février 1917 (ancien style), le peuple avait renversé l'autocratie, et pendant les premières semaines qui suivirent, il sembla que l'essentiel était accompli. Les hommes de nouvelle trempe qui surgissent des autres partis — des partis qui n'avaient jamais joué chez nous un rôle dominant — ces hommes jouirent au début de la confiance ou plutôt de la demi-confiance des masses ouvrières.
Mais Pétrograd se trouvait comme il le fallait — à la tête du mouvement ; en février, comme en juillet, il représentait l'avant-garde appelant les ouvriers à une guerre déclarée contre le gouvernement bourgeois, contre les ententistes, c'est cette avant-garde qui accomplit les grandes manoeuvres de reconnaissance.
Elle se heurta précisément, dans les journées de juillet, au gouvernement de Kérensky.
Ce ne fut pas encore la révolution, telle que nous l'avons accomplie en octobre : ce fut une expérience dont le sens n'était pas encore clair à ce moment à l'esprit des masses ouvrières.
Les travailleurs de Pétrograd s'étaient bornés à déclarer la guerre de Kérensky ; mais dans la collision qui eut lieu, ils purent se convaincre et prouver aux masses ouvrières du monde entier qu'aucune force révolutionnaire réelle ne soutenait Kérensky et que son parti était composé des forces réunies de la bourgeoisie, de la garde blanche et de la contre-révolution.
Comme il vous en souvient, les journées de juillet se terminèrent pour nous par une défaite au sens formel de ce mot : les camarades Lénine et Zinoviev furent contraints de se cacher. Beaucoup d'entre nous furent emprisonnés ; nos journaux furent bâillonnés, le soviet des députés ouvriers et soldats réduit à l'impuissance, les typographies ouvrières saccagées, les locaux des organisations ouvrières mis sous scellés ; les bandes noires avaient tout envahi, tout détruit.
Il se passait à Pétrograd exactement ce qui s'est passé en janvier 1919 dans les rues de Berlin ; mais pas in instant nous n'avons douté alors de ce que les journées de juillet ne seraient que le prélude de notre victoire.
Ces journées nous ont permis d'évaluer le nombre et la composition des forces de l'ennemi ; elles ont démontré avec évidence que le gouvernement de Kérensky et de Tseretelli représentait en réalité un pouvoir au service des bourgeois et des gros propriétaires contre-révolutionnaires.
·         Les mêmes faits se sont produits à Berlin
Des événements analogues ont eu lieu à Berlin. A Berlin, comme à Pétrograd, le mouvement révolutionnaire a devancé celui des masses ouvrières arriérées. Tout comme chez nous, les ennemis de la classe ouvrière criaient : « Nous ne pouvons pas nous soumettre à la volonté de Berlin ; Berlin est isolé ; il faut réunir une Assemblée Constituante et la transporter dans une ville provinciale de traditions plus saines. Berlin est perverti par la propagande de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg ! » Tout ce qui a été entrepris dans ce sens chez nous, toutes les calomnies et toute la propagande contre-révolutionnaire que nous avons entendues ici, tout cela a été répandu en traduction allemande par Scheidemann et Ebert contre le prolétariat berlinois et contre les chefs du Parti communiste, Liebknecht et Rosa Luxembourg . Il est vrai que cette campagne de reconnaissances a revêtu en Allemagne des proportions plus larges que chez nous, mais cela s'explique par le fait que les Allemands répètent une manoeuvre qui a déjà été accomplie une fois chez nous ; de plus, les antagonismes de classes sont plus nettement établis chez eux.
Chez nous, camarades, quatre mois se sont écoulés entre la révolution de février et les journées de juillet.
Il a fallu quatre mois au prolétariat de Pétrograd pour éprouver la nécessité absolue de descendre dans la rue afin d'ébranler les colonnes qui servaient d'appui au temple de Kérensky et de Tseretelli.
Quatre mois se sont écoulés après les journées de juillet avant que les lourdes réserves de la province arrivassent à Pétrograd, nous permettant de compter sur une victoire certaine et de monter à l'assaut des positions de la classe ennemie en octobre 1917 ou en novembre, nouveau style).
En Allemagne où la première explosion de la révolution a eu lieu en novembre, les événements correspondant à nos journées de juillet la suivent déjà au début de janvier. Le prolétariat allemand accomplit sa révolution selon un calendrier plus serré. Là où il nous a fallu quatre mois, il ne lui en faut plus que deux.
Et nul doute que cette mesure proportionnelle se poursuivra jusqu'au bout. Des journées de juillet allemandes à l'octobre allemand il ne se passera peut-être pas quatre mois comme chez nous ; Il ne se passera peut-être pas deux mois.
Et les coups de feu tirés dans le dos de Karl Liebknecht ont, n'en doutez pas, réveillé de puissants échos par toute l'Allemagne . Et ces échos ont dû sonner comme un glas funèbre aux oreilles des Scheidemann et des Ebert.
Nous venons ici de chanter le Requiem pour Karl Lieblnecht et Rosa Luxembourg. Nos chefs ont péri. Nous ne les reverrons plus. Mais combien d'entre vous camarades, les ont-ils approchés de leur vivant ? Une minorité insignifiante.
Et néanmoins, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ont toujours été présents parmi vous.
Dans vos réunions, dans vos congrès vous avez souvent élu Karl Liebknecht président d'honneur . Absent, il assistait à vos réunions, il occupait la place d'honneur à votre table. Car le nom de Karl Liebknecht ne désigne pas seulement une personne déterminée et isolée, ce nom incarne pour nous tout ce qu'il y a de bon, de noble et de grand dans la classe ouvrière, dans son avant-garde révolutionnaire.
C'est tout cela que nous voyons en Karl Liebknecht. Et quand l'un d'entre nous voulait se représenter un homme invulnérablement cuirassé contre la peur et la faiblesse ; un homme qui n'avait jamais failli — nous nommons Karl Liebknecht.
Il n'était pas seulement capable de verser son sang (ce n'est peut-être pas le trait le plus grand de son caractère), il a osé lever la voix au camp de nos ennemis déchaînés, dans une atmosphère saturée des miasmes du chauvinisme, alors que toute la société allemande gardait le silence et que la militarisme primait. Il a osé élever la voix dans ces conditions et dire ceci : « Kaiser, généreux, capitalistes et vous — Scheidemann qui étouffez la Belgique, qui dévastez le nord de la France, qui voulez dominer le monde entier — je vous méprise, je vous hais, je vous déclare la guerre et cette guerre je la mènerai jusqu'au bout.
Camarades si l'enveloppe matérielle de Liebknecht a disparu, sa mémoire demeure et demeurera ineffaçable !
Mais avec le nom de Karl Liekbnecht celui de Rosa Luxembourg se conservera à jamais dans les fastes du mouvement révolutionnaire universel.
Connaissez-vous l'origine des légendes des saints et de leur vie éternelle ? Ces légendes reposent sur le besoin qu'éprouvent les hommes de conserver la mémoire de ceux qui, placés à leur tête, les ont servis dans le bien et la vérité ; elles reposent sur le besoin de les immortaliser en les entourant d'une auréole de pureté.
Camarades, les légendes sont superflues pour nous ; nous n'avons nul besoin de canoniser nos héros — la réalité des événements que nous vivons actuellement nous suffit, car cette réalité est par elle-même légendaire.
Elle éveille une puissance légendaire dans l'âme de nos chefs, elle crée des caractères qui s'élèvent au-dessus de l'humanité.
Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg vivront éternellement dans l'esprit des hommes. Toujours, dans toutes les réunions où nous évoquions Liebknecht nous avons senti sa présence et celle de Rosa Luxembourg avec une netteté extraordinaire — presque matérielle.
Nous la sentons encore, à cette heure tragique, qui nous unit spirituellement avec les plus nobles travailleurs d'Allemagne, d'Angleterre et du monde entier tous accablés par le même deuil, par la même immense douleur.
Dans cette lutte et dans ces épreuves nos sentiments aussi ne connaissent pas de frontières.
·          Rosa Luxembourg et Karl liebknecht sont nos frères spirituels
Liebknecht n'est pas à nos yeux un leader allemand, pas plus que Rosa Luxembourg n'est une socialiste polonaise qui s'est mise à la tête des ouvriers allemands… Tous deux sont nos frères ; nous sommes unis à eux par des liens moraux indissolubles. Camarades ! cela nous ne répéterons jamais assez car Liebknecht et Rosa Luxembourg avaient des liens étroits avec le prolétariat révolutionnaire russe.
La demeure de Liebknecht à Berlin était le centre de ralliement de nos meilleurs émigrés.
Lorsqu'il s'agissait de protester au parlement allemand ou dans la presse allemande contre les services que rendaient les impérialistes allemands à la réaction russe c'est à Karl Liebknecht que nous nous adressions. Il frappait à toutes les portes et agissait sur tous les cerveaux — y compris ceux de Scheidemann et d'Ebert — pour les déterminer à réagir contre les crimes de l'impérialisme.
Rosa Luxembourg avait été à la tête du parti social-démocrate polonais qui forme aujourd'hui avec le parti socialiste le Parti Communiste.
En Allemagne, Rosa Luxembourg avait, avec le talent qui la caractérisait, approfondi la langue et la vie politique du pays ; elle occupa bientôt un poste de plus en vue dans l'ancien parti social-démocrate.
En 1905, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg prirent part à tous les événements de la révolution russe. Rosa Luxembourg fut même arrêtée en sa qualité de militante active puis relâchée de la citadelle de Varsovie sous caution ; c'est alors qu'elle vint illégalement (1906) à Pétrograd où elle fréquenta nos milieux révolutionnaires, visitant dans les prisons ceux d'entre nous qui étaient alors détenus et nous servant dans le sens le plus large de ce mot d'agent de liaison avec le monde socialiste d'alors. Mais en plus de ces relations toutes personnelles, nous gardons de notre communion morale avec elle — de cette communion que crée la lutte au nom des grands principes et des grands espoirs — le plus beau souvenir.
Nous avons partagé avec elle le plus grand des malheurs qui aient atteint la classe ouvrière universelle — la banqueroute honteuse de la IIe Internationale, au mois d'août 1914. Et c'est avec elle encore que les meilleurs d'entre nous ont élevé le drapeau de la IIIe Internationale et l'ont tenu fièrement dressé sans faillir un seul instant.
Aujourd'hui, camarades, dans la lutte que nous poursuivons, nous mettons en pratique les préceptes de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg. Ce sont leurs idées qui nous animent quand nous travaillons, dans Pétrograd sans pain et sans feu , à la construction du nouveau régime soviétiste ; et quand nos armées avancent victorieusement sur tous les fronts c'est encore l'esprit de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg qui les anime.
A Berlin, l'avant-garde du Parti Communiste n'avait pas encore pour se défendre de forces puissamment organisées ; elle n'avait pas encore d'armée rouge comme nous n'en avions pas dans les journées de juillet quand la première vague d'un mouvement puissant mais organisé fut brisée par des bandes organisées quoique peu nombreuses. Il n'y a pas encore d'armée rouge en Allemagne mais il y a une en Russie ; l'armée rouge est un fait ; elle s'organise et croît en nombre tous les jours. Chacun de nous se fera un devoir d'expliquer aux soldats comment et pourquoi ont péri Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ce qu'ils étaient et quelle place leur mémoire doit occuper dans l'esprit de tout soldat, de tout paysan ; ces deux héros sont entrés à jamais dans notre panthéon spirituel.
Bien que le flot de la réaction ne cesse de monter en Allemagne, nous ne doutons pas un instant que l'octobre rouge n'y soit proche.
Et nous pouvons bien dire en nous adressant à l'esprit des deux grands défunts : Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, vous n'êtes plus de ce monde, mais vous restez parmi nous ; nous allons vivre et lutter sous le drapeau de vos idées, dans l'auréole de votre charme moral et nous jurons si notre heure vient, de mourir debout face à l'ennemi comme vous l'avez fait, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.
Léon TROTSKY

jeudi 13 janvier 2011

:: [il y a 140 ans, la Commune de Paris] La guerre civile en France, par Karl Marx

L'anniversaire de la Commune de Paris, l'occasion de (re-)lire La guerre civile en France.



Après la Pentecôte de 1871, il ne peut plus y avoir ni paix, ni trêve entre les ouvriers de France et ceux qui s'approprient le produit de leur travail. La main de fer d'une soldatesque mercenaire pourra tenir un moment les deux classes sous une commune oppression. Mais la lutte reprendra sans cesse, avec une ampleur toujours croissante, et il ne peut y avoir de doute quant au vainqueur final - le petit nombre des accapareurs, ou l'immense majorité travailleuse. Et la classe ouvrière française n'est que l'avant-garde du prolétariat moderne.

lundi 10 janvier 2011

:: alignement de la gauche derrière la social-démocratie [opération en cours]

Extrait de l’article consacré à la "situation intérieure" dans la Lutte de classe 132 (Congrès LO, décembre 2010)

Le « tout sauf Sarkozy » est cependant le dénominateur commun de tout ce qui se réclame peu ou prou de la gauche et de la « gauche de la gauche ». Il est évident que le seul candidat qui ait une chance de l’emporter au deuxième tour contre le candidat de la droite, quel qu’il soit, ne pourra sortir que des rangs du Parti socialiste. Mais dans la foulée de l’élection présidentielle auront lieu les élections législatives où, compte tenu du mode de scrutin, les ambitions des unes et des autres formations se réclamant de la gauche ne pourront être satisfaites qu’à travers des accords avec ce parti, le nombre de députés que pourront espérer les compagnons de route du PS dépendant du nombre de circonscriptions gagnables que celui-ci leur abandonnera.

Les Verts, mis en appétit par leurs succès lors des élections européennes et régionales, n’ont pas l’intention de se contenter des trois sièges qu’ils avaient obtenus en 2007. Cohn-Bendit en revendique 50. Yves Cochet, le député Vert de Paris, 80. Mais à supposer que la direction du PS accepte, il n’est pas sûr que plusieurs dizaines de députés socialistes soient prêts à se faire hara-kiri pour satisfaire les ambitions des écologistes.

Du côté du Parti communiste, la situation est encore plus complexe du fait de son partenariat avec le Parti de gauche de Mélenchon au sein du Front de gauche. Le PCF a certes déjà annoncé lors de la fête de l’Humanité la candidature d’un député du Puy-de-Dôme inconnu du grand public, mais c’est seulement une manière de dire qu’il pourrait présenter un candidat au cas où… et ni son nouveau secrétaire national, Pierre Laurent, ni Marie-George Buffet n’ont fait acte de candidature. En fait la direction du PCF, douchée par le résultat de Marie-George Buffet en 2007 (moins de 2 % des voix), n’a aucune envie de récidiver. Mais elle ne veut pas disparaître – du moins jusqu’à l’approche des élections – derrière Mélenchon, d’autant que la base militante du parti est loin d’être unanime sur la politique consistant à se fondre dans le Front de gauche.

Mélenchon, sénateur de l’Essonne (depuis 1986) et ancien ministre de Jospin (de 2000 à 2002) a certes le vent en poupe. Il peut espérer rassembler sur son nom au premier tour les voix de tous ceux qui, dans l’électorat social-démocrate ou à « la gauche de la gauche », reprochent au PS d’être trop peu radical. Mais il l’a dit, il est toujours prêt à participer à un gouvernement « de gauche », comme il l’a fait dans le passé… pourvu que le PS fasse appel à lui.

Quant au NPA qui est déchiré par des querelles internes, non seulement à cause de l’affaire du voile, mais aussi entre ceux qui pensent qu’aucun accord avec le Parti socialiste n’est possible, et ceux qui sont partisans d’une collaboration avec tous les courants de gauche, il n’a dans cette affaire qu’une importance marginale.

D’une manière ou d’une autre, sans que l’on puisse aujourd’hui en préciser les modalités et les limites, c’est une nouvelle mouture de l’union de la gauche ou de la gauche plurielle que ces gens-là nous préparent aujourd’hui, même s’ils ont assez d’imagination pour trouver une nouvelle appellation pour cet alignement derrière la social-démocratie.

samedi 8 janvier 2011

:: La seule alternative politique : le renversement de l’ordre capitaliste

Extrait de "La crise de l’économie capitaliste" (Lutte de classe du mois de janvier 2011).

La période qui vient sera marquée par des attaques de plus en plus violentes de la bourgeoisie contre la classe ouvrière et sans doute plus largement encore contre les classes populaires. Les limites en seront définies par les rapports de forces. Les attaques de la bourgeoisie ne découlent pas d’une option politique particulière et encore moins de l’étiquette de l’équipe politique momentanément au pouvoir. Elles découlent de puissants intérêts de classe.
 
Le rôle laissé aux dirigeants politiques est d’appliquer la politique nécessaire à la bourgeoisie et de la justifier s’ils en éprouvent le besoin d’un point de vue électoral. Par-delà leurs étiquettes variées, tous les gouvernements d’Europe mènent une politique d’austérité plus ou moins grave, plus ou moins brutale. Ce seul constat indique les limites des promesses de changement au cas où le Parti socialiste arriverait au pouvoir par les élections de 2012, flanqué ou pas du Parti communiste et du Parti de gauche.
 
La bourgeoisie a toutes les cartes en main pour imposer sa politique face à la crise, mais en même temps elle fait la démonstration qu’il n’y a pas d’autre réponse aux conséquences de la crise sur la base de la propriété privée des entreprises et des banques qu’un nouveau renforcement de la toute-puissance des groupes financiers et la régression pour les classes laborieuses.
 
Le seul programme qui ouvre une perspective, c’est celui dont les différents objectifs, répondant aux problèmes cruciaux de l’heure du point de vue des classes exploitées, conduisent en même temps à la remise en cause de la domination de la bourgeoisie sur la société. Ce programme ne deviendra une force que lorsque les masses s’en empareront. Quand et comment ? Personne ne peut le dire aujourd’hui. Les attaques de la bourgeoisie déclencheront nécessairement des réactions plus ou moins violentes, plus ou moins conscientes, de la part des victimes de sa politique. Un véritable programme de lutte doit répondre aux questions soulevées par la lutte elle-même.
 
Lorsque la classe ouvrière se met en branle pour défendre ses conditions d’existence, un programme de lutte révolutionnaire devient indispensable.
 
Face au développement du chômage, catastrophique sur le plan matériel pour ceux qui le subissent et aussi facteur de décomposition sociale, il faut imposer la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire et l’interdiction des licenciements.
 
Face à la démolition du pouvoir d’achat des salariés, aggravée encore par les prélèvements de l’État et la détérioration des services publics, il est vital d’imposer l’échelle mobile des salaires et des retraites.
 
Face à la crise financière, il faut exproprier les banques, les unifier en une seule institution bancaire contrôlée par la population.
 
Et, surtout, face à l’irresponsabilité de la classe capitaliste, il faut contester sa mainmise sur l’économie et imposer le contrôle des travailleurs et de la population sur les entreprises et sur l’économie.
 
Il est inutile de tenter de deviner quand et sous quelle forme viendra une réaction de la classe ouvrière suffisamment massive pour modifier radicalement le rapport de forces avec la bourgeoisie. Mais la crise et ses conséquences constituent une rude école, et c’est la violence des attaques de la bourgeoisie qui pousse à la révolte.
 
Le mouvement de septembre-octobre 2010 malgré ses limites dues à la fois aux limites de la mobilisation elle-même et à sa direction syndicale réformiste, malgré la modestie des objectifs mis en avant et l’apparent échec même par rapport à ces objectifs modestes, est devenu une lutte politique, une réaction de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Elle a révélé aux yeux d’une fraction importante de la classe ouvrière, plus ou moins clairement, que la crise, la gravité des attaques de la bourgeoisie, ne laissent pas de place aux corporatismes et que seule l’action collective permet de retrouver la combativité et la conscience d’appartenir à une même classe sociale. C’est une leçon précieuse. Le rôle des révolutionnaires dans la période qui vient est de s’appuyer sur cette expérience collective, l’expliciter et montrer qu’elle indique la voie de l’avenir pour la classe ouvrière. À condition que la classe ouvrière ne se laisse pas détourner vers des impasses, à commen­cer par celle de l’électoralisme, les changements électoraux présentés comme une voie pour le changement.
 
La classe ouvrière vient de montrer, fût-ce pour le moment à une échelle modeste, qu’elle a la possibilité de peser directement sur la politique de la bourgeoisie par des moyens qui lui sont propres, les grèves, les manifestations. Il appartient aux révolutionnaires de défendre et populariser l’idée que mettre en avant des objectifs susceptibles de préserver les conditions d’existence de la « seule classe productive de la société » (Trotsky) est non seulement légitime mais nécessaire. Seule la classe ouvrière peut, en allant jusqu’au bout de la défense de ses intérêts matériels et politiques, mettre en cause la domination de la bourgeoisie sur la société.
 
Les tâches immédiates des révolutionnaires sont doubles : participer pleinement aux diverses formes de lutte de la classe ouvrière, mais aussi défendre en son sein par la propagande, par les discussions sous toutes les formes, le programme révolutionnaire, c’est-à-dire le programme qui, à travers le combat pour la défense des intérêts vitaux de la classe ouvrière, s’engage dans la lutte pour le renversement de l’ordre bourgeois. C’est dans le combat sur ces deux terrains que surgira le parti communiste révolutionnaire indispensable pour incarner et pousser cette lutte jusqu’à son aboutissement. 

Extrait de "La crise de l’économie capitaliste" (Lutte de classe du mois de janvier 2011).