lundi 31 août 2015

:: Eté 1982 : l'invasion du Liban par Israël

Cinquième conflit proche-oriental impliquant Israël depuis sa création, l'invasion du Liban débutée le 4 juin 1982, fut une expédition de grande ampleur qui conduisit l'armée israélienne jusqu'à Beyrouth. Elle fit en quelques semaines des dizaines de milliers de morts dans la population libanaise et palestinienne réfugiée et causa des destructions sans nombre. L'occupation israélienne allait durer trois ans, et se prolonger par la présence de troupes jusqu'en 2000.

« Paix en Galilée » était le nom donné -- par antiphrase -- à l'opération militaire lancée sous les ordres du général Sharon, alors ministre de la Défense du gouvernement Likoud de Menahem Begin, et adepte de toujours de la manière forte. Officiellement, il s'agissait pour l'armée israélienne de s'assurer le contrôle d'une bande de 40 kilomètres au sud du Liban, de façon que les groupes palestiniens considérés comme des « terroristes » ne puissent pas atteindre le nord d'Israël de leurs roquettes.

Beyrouth-Ouest assiégé

En fait, après avoir balayé la faible armée libanaise, détruit les bases russes de missiles installées dans l'est du pays et écrasé les forces armées syriennes présentes, Sharon et ses troupes remontèrent vers le nord et atteignirent fin juin les portes de Beyrouth. Ce fut alors le début du siège de la partie occidentale de la capitale libanaise, où combattaient côte à côte les organisations de réfugiés palestiniens et les milices de la gauche. Les phalangistes, la droite chrétienne libanaise armée, prêtaient, eux, main forte aux soldats israéliens qui tentaient d'occuper Beyrouth-Ouest. Bombes au phosphore, au napalm, à fragmentation, à implosion, furent déversées sans répit sur une population affamée et assoiffée.
Le 1er août, Sharon donna l'assaut, avec l'appui de l'aviation et des chars. Le but de l'opération était de déloger les organisations palestiniennes, dont l'OLP de Yasser Arafat, qui avaient installé leurs quartiers généraux parmi les réfugiés palestiniens, dans la douzaine de camps de la partie ouest de Beyrouth, créés pour certains lors de leur expulsion en 1948.

Depuis la conclusion en 1979 des accords de Camp David, signés par le Premier ministre Begin et le président égyptien Sadate sous les auspices du président américain Carter, Israël n'avait rien fait pour que soit mise en place une autonomie administrative des territoires palestiniens occupés, pourtant prévue dans le cadre des accords. L'autre volet des accords de Camp David, la restitution à l'Egypte du Sinaï, était en revanche mise en oeuvre et libérait les troupes israéliennes de cette zone.

Pendant la restitution du Sinaï, Begin avait eu à faire face à des accusations de trahison, en référence à l'évacuation par la force des colons israéliens refusant de quitter leurs installations de Yamit, en plein Sinaï. Les offensives militaires de son gouvernement ne manquèrent pourtant pas en cette période : en 1978, l'armée israélienne était intervenue une première fois au Liban ; en 1981, l'aviation israélienne allait détruire la centrale atomique en construction de Tamuz en Irak -- acte de brigandage international qui n'entraîna que des protestations parfaitement platoniques de la part des alliés d'Israël et notamment des États-Unis. Israël allait aussi, en décembre 1981, annexer officiellement le Golan syrien qu'il occupait depuis 1967.

L'aventure guerrière de Sharon et les protestations

La guerre du Liban prit rapidement l'allure d'une aventure guerrière dans laquelle les calculs politiques personnels d'Ariel Sharon jouaient leur rôle, celui-ci tentant de s'imposer comme l'homme fort d'Israël en étant celui qui obtiendrait l'évacuation des milices palestiniennes de Beyrouth. Celle-ci fut acquise en août avec la complicité des dirigeants occidentaux, notamment américains et français, qui envoyèrent là leurs contingents sous prétexte d' « interposition » entre Palestiniens et Israéliens. Cette évacuation correspondait d'ailleurs aux souhaits des dirigeants libanais et occidentaux. Après avoir réussi, malgré la disproportion des forces, à tenir tête un certain temps à l'armée israélienne dans les faubourgs de Beyrouth, les troupes de l'OLP durent embarquer pour la Tunisie.

Dans la foulée, Sharon voulut aussi imposer à Beyrouth un gouvernement vassal d'Israël. Une élection présidentielle fut organisée, sous la protection des troupes israéliennes, imposant à la tête du Liban le chef des Phalanges d'extrême droite, Béchir Gemayel. Sharon avait déjà formulé l'idée que l'armée israélienne devait se préparer à un rôle de super-gendarme intervenant de plus en plus, aux quatre coins du Moyen-Orient, pour y installer des régimes à sa dévotion. Mais Sharon avait présumé de ses forces. Après le scandale soulevé en septembre par le massacre des Palestiniens des camps de Sabra et Chatila, puis la mort de Béchir Gemayel dans un attentat, Israël dut finalement retirer ses troupes. La situation au Liban allait être réglée plus tard par d'autres, sous l'égide de la Syrie, de l'Arabie saoudite et des États-Unis.

L'invasion du Liban marqua les limites de la politique d'aventure guerrière choisie de plus en plus par les dirigeants israéliens. L'expédition du Liban entraîna une vague de manifestations sans précédent contre la guerre. On vit des centaines de milliers de personnes manifester en septembre 1982 après les massacres de Sabra et Chatila, opérés par les miliciens de la droite libanaise avec la complicité de l'armée israélienne occupant cette partie de Beyrouth. Le pouvoir israélien fut alors contraint de faire quelques pas en arrière. Malheureusement, cette mobilisation de la population israélienne n'alla pas jusqu'à imposer à ses gouvernements le changement radical qui aurait été indispensable.

Trente ans après, ceux-ci ont mené bien d'autres aventures guerrières, continuant à s'enfermer dans l'impasse d'une politique refusant toute paix avec les Palestiniens et voulant ainsi rendre impossible une véritable coexistence entre le peuple israélien et les peuples arabes voisins.

Viviane LAFONT (LO n°2299)

:: Italie, août 1922 : la « grève légalitaire » face à la montée du fascisme

La grève générale du début du mois d'août 1922 fut la dernière tentative de mettre un coup d'arrêt à la montée du fascisme. Son échec allait ouvrir la voie à la prise du pouvoir par Mussolini trois mois plus tard, en octobre, à l'issue de la Marche sur Rome. Mais elle démontra aussi que la classe ouvrière aurait eu toutes les possibilités d'empêcher la victoire du fascisme.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, entre 1919 et 1920, l'Italie avait été secouée par une vague révolutionnaire. Au cours de ce biennio rosso (les deux années rouges), la classe ouvrière occupa les usines et la paysannerie les terres. Mais en septembre 1920 il devint évident que les dirigeants réformistes du Parti socialiste italien (PSI) et les chefs syndicaux de la Confédération générale du travail (CGL) ne voulaient pas de la révolution. Mais la bourgeoisie, elle, voulut écarter tout risque et organisa la contre-offensive, finançant et armant les Faisceaux, qui allaient donner leur nom aux bandes fascistes de Mussolini.

Celles-ci regroupaient d'anciens officiers, des nationalistes désoeuvrés, des petits bourgeois ruinés, pour faire le coup de poing contre les syndicats et jouer les briseurs de grève. Tant que le prolétariat italien était à l'offensive, ces bandes n'eurent qu'une influence toute relative. Mais le reflux des luttes, après septembre 1920, leur laissa le champ libre.

LES PREMIÈRES OFFENSIVES FASCISTES

L'expédition punitive devint le mode opératoire du fascisme. Plusieurs centaines, voire des milliers de militants fascistes concentraient leurs forces sur une localité, saccageaient les sièges des partis et des syndicats ouvriers, détruisaient les rédactions des journaux de gauche, incendiaient les bourses du travail. Ils poussaient à la démission les municipalités socialistes, passaient à tabac ou assassinaient les militants.

La première grande offensive fasciste se déroula au début de 1921 en Emilie-Romagne, là où les syndicats paysans avaient réussi à imposer aux propriétaires terriens leur contrôle sur l'embauche de la main-d'oeuvre agricole. La terreur organisée par les bandes de Mussolini permit aux propriétaires de casser les reins des organisations ouvrières. Après quoi les bandes fascistes, enhardies, s'attaquèrent à de plus grandes villes, puis à celles du Nord.

Les bandes fascistes agissaient en toute impunité, avec la complicité active des autorités et le soutien des grands propriétaires terriens et des industriels. Souvent, à la veille d'une attaque, la police ou l'armée préparaient elles-mêmes le terrain en désarmant et en emprisonnant les militants. La justice fonctionnait à sens unique. Les fascistes coupables de meurtre étaient acquittés par les tribunaux, qui en revanche avaient la main lourde contre les militants ouvriers.

En moins de deux ans, Mussolini réussit à structurer ses bandes armées au sein d'un mouvement discipliné et centralisé qui devint le Parti national fasciste (PNF). Munies de fusils fournis par l'armée, commandées par des officiers de carrière, les bandes fascistes se déplaçaient en camions, compensant leur faible nombre par la mobilité.

Le mouvement fasciste passa ainsi de 17 000 adhérents en 1919 à 30 000 en 1920 et 310 000 fin 1921. Au cours du premier semestre de l'année 1921, les bandes fascistes incendièrent et détruisirent pas moins de 25 maisons du peuple, 59 bourses du travail, 86 coopératives, 43 ligues paysannes, 50 sections socialistes, plusieurs journaux ouvriers.

FORCE DU MOUVEMENT OUVRIER... ET PASSIVITÉ DE SES DIRIGEANTS

La classe ouvrière était affaiblie, mais en 1921 le mouvement ouvrier organisé représentait toujours une force importante. La CGL regroupait 2 320 000 syndiqués, le Parti socialiste italien 4 367 sections et 217 000 adhérents. Le mouvement coopératif socialiste comptait 25 000 coopératives de consommation, de production et de crédit. De son côté, la Confédération syndicale catholique revendiquait près d'un million d'adhérents. La très grande majorité de la population et de la classe ouvrière était profondément hostile au fascisme. Sans l'aide financière de la bourgeoisie et le soutien de l'appareil d'État, mais aussi sans la passivité des dirigeants ouvriers, les fascistes n'auraient pu faire grand-chose.
Les tentatives de répondre comme il se devait à la violence fasciste ne manquèrent pas. Ainsi apparurent les Arditi del Popolo, association d'anciens combattants issus des milieux populaires et socialistes, qui se proposait de combattre le fascisme les armes à la main. Cette tentative fut très vite désavouée par le Parti socialiste. Quant au Parti communiste d'Italie, né quelques mois plus tôt de la scission du Parti socialiste, en janvier 1921, il restait très minoritaire et ses jeunes dirigeants, Bordiga et Gramsci, ne surent et ne purent prendre les initiatives nécessaires, par manque d'expérience, face à la rapidité et à la violence avec laquelle le fascisme surgit.

Le développement de la violence fasciste posait la question d'organiser la défense de la classe ouvrière avec ses propres moyens. Cela aurait voulu dire impulser la création de milices ouvrières dans les usines, les quartiers, les villes, organiser et coordonner la défense des organisations ouvrières afin de rendre coup pour coup aux bandes fascistes. Mais Turati, leader des socialistes réformistes, justifia l'immobilisme de son parti en ces termes : « Il faut avoir le courage d'être un lâche. » À un maire socialiste confronté aux violences, il écrivit en avril 1921 : « Ne répondez pas aux provocations des fascistes, ne leur donnez pas de prétextes, ne répondez pas aux injures, soyez bons, soyez des saints. (...) Tolérez, compatissez, pardonnez aussi. » Alors que les fascistes s'apprêtaient à écraser la classe ouvrière, Turati lui conseillait de se laisser conduire à l'abattoir.

Durant le premier semestre de l'année 1922, les expéditions fascistes redoublèrent de violence. Souvent les travailleurs réagirent contre les attaques, mais sans coordination d'une ville à l'autre, le PSI et la CGL refusant d'envisager une riposte générale. Il fallut attendre le 31 juillet 1922 pour que l'Alliance du travail, qui regroupait les syndicats ouvriers les plus importants, dont la CGL, appelle à une grève générale. Le but de ce qu'on allait appeler la « grève légalitaire » n'était pas de préparer la classe ouvrière à écraser les fascistes, mais d'appeler au respect de la légalité bourgeoise... au moment même où la bourgeoisie donnait carte blanche aux fascistes.

Face à un mouvement ouvrier dont les chefs indiquaient d'avance les limites de leur action, les fascistes saisirent l'occasion de faire une démonstration, lançant un ultimatum exigeant des grévistes qu'ils reprennent le travail et intervenant directement dans un certain nombre d'endroits. Les chefs du Parti socialiste, de la CGL et de l'Alliance du travail capitulèrent rapidement, décidant la fin de la grève pour le 3 août à midi. En même temps les fascistes lançaient leurs troupes à l'assaut des villes ouvrières, d'autant plus courageusement qu'ils savaient qu'ils ne rencontreraient pas de résistance.

LES JOURNÉES DE PARME

Il y eut cependant une exception notable, à Parme. Sous la direction de membres des Arditi del Popolo et notamment du député socialiste Guido Picelli, les militants ouvriers socialistes, communistes, anarchistes organisèrent un véritable front pour la défense militaire de la ville. Celle-ci se couvrit de barricades tandis que la population se mobilisait pour soutenir les combattants, repoussant les assauts successifs d'une troupe de 15 000 fascistes dirigée par Italo Balbo, un des lieutenants de Mussolini. Au bout de cinq jours, ceux-ci, démoralisés, n'eurent plus d'autre choix que de battre en retraite.

À l'issue de cette grève du début août 1922, la démonstration était faite que les dirigeants du mouvement ouvrier italien n'appelleraient en aucun cas les travailleurs à se battre contre les fascistes. À l'inverse, l'exemple de Parme montrait que ces derniers n'avaient de courage que quand ils se sentaient les plus forts et qu'on aurait pu les vaincre, à condition de faire à l'échelle nationale ce qui s'était fait dans cette ville. Mais cela aurait signifié de la part des dirigeants socialistes être prêts à aller jusqu'au bout d'une contre-offensive ouvrière, en fait jusqu'à la révolution.

C'est ce dont ils ne voulaient à aucun prix, ouvrant la voie à la dictature de Mussolini, que la classe ouvrière italienne allait subir pendant plus de vingt ans.

René CYRILLE (LO n°2298)

:: 13 août 1961 : construction du Mur de Berlin. Une prison des peuples qui n'allait pas être la dernière

Dans la nuit du 12 au 13 août 1961 débuta la construction du Mur de Berlin. Pendant près de trente ans, jusqu'à sa chute le 9 novembre 1989, il allait symboliser la division entre les deux Allemagne et, plus généralement, entre les puissances impérialistes rangées derrière les États-Unis d'une part, l'Union soviétique et ses États satellites d'autre part.



Berlin avait conservé le statut qui était le sien à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'en 1949 s'étaient créés deux États allemands, la République fédérale d'Allemagne (RFA) à l'ouest et la République démocratique allemande (RDA) à l'est, Berlin était resté une ville quadripartite, occupée par les armées des anciens alliés qui avaient vaincu le régime hitlérien. À l'ouest stationnaient les troupes américaines, anglaises et françaises, tandis que la moitié est de la ville était occupée par l'armée russe. En outre, Berlin était enclavé dans la RDA.

Mais jusqu'en 1961, et même au plus fort de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS, on pouvait circuler librement entre les zones d'occupation. Ainsi, par exemple, quelque 60 000 habitants de Berlin-Est se rendaient quotidiennement à l'ouest pour leur travail, tandis que 10 000 Berlinois des zones occidentales faisaient le trajet inverse.

Aussi les Berlinois furent-ils stupéfaits lorsque, le matin du 13 août, ils virent qu'une frontière encerclait désormais le secteur occidental de la ville.
Une ville coupée en deux

Ce n'était pas encore un mur -- il allait être construit dans les jours et les semaines suivantes. Mais durant la nuit du samedi au dimanche, 20 à 30 000 soldats, policiers et miliciens est-allemands avaient pris position le long de la ligne de démarcation entre les deux zones de la ville, bloquant les voies d'accès. Un rideau de barbelés avait été déployé, les rues et les places proches dépavées pour empêcher la circulation automobile, le train urbain et le métro arrêtés à la dernière station orientale.
La frontière n'était pas encore hermétique, elle n'était que symbolique et seule la crainte des hommes en armes qui la gardaient empêchait les Berlinois de la franchir. Mais durant l'été 1961 le premier mur, de 165 kilomètres de long, fut doublé d'un second avec miradors et chevaux de frise, séparé du premier par un no man's land dans lequel patrouillaient soldats et policiers ; les maisons donnant sur la frontière avaient été vidées de leurs habitants, leurs portes et fenêtres murées.

La frontière entre les deux Allemagne devint elle aussi infranchissable, un no man's land constamment surveillé, du côté de la RDA, empêchant toute tentative de fuite vers l'ouest.

« Un mur de protection antifasciste » ?

Le 14 août, le quotidien du SED, le parti communiste est-allemand, présentait la construction du mur comme « une mesure pour protéger la paix et la sécurité de la RDA, qui sera à l'abri de la guerre froide ». Et le gouvernement de la RDA parlera ensuite constamment du mur comme d'une « protection antifasciste contre les attaques impérialistes ».

Dans le même journal, Neues Deutschland, on pouvait aussi lire ce commentaire : « Désormais, les enfants seront protégés des kidnappeurs », une manière bureaucratique, c'est-à-dire outrée et mensongère, de révéler le problème qui se posait à la RDA.

En 1961, on n'était plus dans le contexte de guerre froide entre les deux puissances qui pouvait faire craindre qu'elle ne débouche sur une véritable guerre, même si des tensions existaient, notamment à Berlin qui était en Europe le point de rencontre entre leurs zones d'intervention, qui auraient pu être le facteur déclenchant d'un conflit plus vaste. Mais de toute façon, ce n'était pas ce mur de trois mètres de haut qui aurait pu empêcher une intervention américaine.

Non, le problème que rencontraient les dirigeants de la RDA était que ce petit pays de 17 millions d'habitants se vidait de ses habitants. Chaque année, 150 000 à 200 000 Allemands de l'Est émigraient vers l'Ouest, essentiellement des jeunes et des diplômés à la recherche d'un avenir plus lucratif mais aussi plus libre, de l'autre côté de la frontière. En 1953, après la révolte des ouvriers de Berlin-Est, et en 1956, quand le régime soviétique écrasa la révolution hongroise, ils furent plus de 300 000 à quitter la RDA. C'était facile, il suffisait de prendre le métro ! Le mur avait pour but de stopper cette émigration qui par elle-même était l'aveu que le prétendu « socialisme » de la RDA avait tendance à faire fuir ses citoyens.

Stabilisation des frontières

Les dirigeants des pays impérialistes ne s'y trompèrent d'ailleurs pas. Ni Kennedy, ni de Gaulle, ni le britannique Macmillan n'interrompirent leurs vacances au lendemain du 13 août pour discuter de la nouvelle situation créée par la construction du mur, contrairement à ce qui s'était passé en 1948 quand les Russes avaient fait le blocus de Berlin, où les États-Unis avaient réagi en alimentant la ville par un pont aérien.

En fait, pour eux, c'était surtout le signe que l'URSS de Khrouchtchev avait définitivement abandonné l'idée d'une seule Allemagne, et que les dirigeants de la RDA, qui ne se maintenaient au pouvoir que grâce à l'appui de la bureaucratie soviétique, ne revendiqueraient plus la partie occidentale de Berlin qu'ils auraient pu facilement absorber, vu sa position géographique. Malgré les protestations de façade et les hauts cris relayés par la presse qui dénonçait la « prison » dans laquelle les Allemands de l'Est étaient enfermés -- ce qui était un fait -- ils laissèrent faire car cela amenait une stabilisation des frontières entre les deux États allemands. Ce qui ne les empêcha pas de s'en servir comme d'un instrument de propagande, ne se privant pas d'assimiler la RDA stalinienne et bureaucratique à un régime communiste, alors qu'elle était son opposé.

Cette situation ne prit fin qu'avec la chute du Mur en novembre 1989, après que les dirigeants de l'URSS eurent décidé d'abandonner les pays d'Europe de l'Est à leur sort. L'année suivante, les deux Allemagne furent réunifiées sous la coupe de l'Allemagne de l'Ouest capitaliste. Mais même si elle allait être présentée ainsi, la fin de l'Allemagne de l'Est n'était pas la fin d'un socialisme qui en fait n'avait jamais existé, mais celle d'un régime qui s'était illustré pendant des années par ce mur hideux emprisonnant tout un peuple. Officiellement, 136 personnes qui essayèrent de le franchir y laissèrent la vie ; à ajouter aux quelque 1 000 morts le long de la frontière séparant les deux États.

Pendant des années, jusqu'en 1989, les dirigeants occidentaux eurent beau jeu de dénoncer les régimes d'Europe de l'Est qui retenaient leur population derrière des murs et des barbelés.

Mais, depuis, on a pu voir que le monde occidental ne se fait pas faute d'ériger de tels murs, souvent au sens propre, comme entre Israël et la Palestine, les États-Unis et le Mexique, le Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, financées par l'Union européenne. Et chaque jour des hommes meurent noyés au large des côtes de l'Europe pour avoir voulu franchir le mur invisible érigé par ses dirigeants face aux pauvres venus d'Afrique ou d'Asie et voulant gagner le « paradis » capitaliste.

Marianne LAMIRAL (LO n°2246)

:: Été 1941 : l'attaque hitlérienne contre l'URSS

« Nous entrons dans l'année 1941 avec un sentiment de joie et de confiance complète dans l'avenir radieux de notre pays », écrivait la Pravda le 31 décembre 1940. « Le Parti et le gouvernement ont énormément travaillé à accroître la puissance militaire de l'URSS, la force défensive et la préparation militaire du peuple. »

Or six mois plus tard, lorsque les armées hitlériennes envahirent l'Union Soviétique le 22 juin 1941 au matin, ce fut un désastre pour la population russe, non préparée à cette éventualité.

En une demi-journée, 1 200 avions soviétiques furent détruits, dont 800 qui étaient restés cloués au sol, parmi les plus modernes de la flotte soviétique. En deux semaines, les troupes allemandes pénétrèrent sur cinq cents kilomètres à l'intérieur de l'URSS. À la fin de l'été elles atteignaient Leningrad, dont elles firent le siège durant tout l'hiver, s'approchaient de Moscou et occupaient la presque totalité de l'Ukraine.

Une politique d'alliances et de compromissions qui isola l'URSS face à l'Allemagne nazie

Si l'Armée rouge se révéla incapable de s'opposer à cette avance, ce fut avant tout pour des raisons politiques. L'offensive allemande marquait la rupture de l'alliance entre le gouvernement de Hitler et celui de Staline, conclue deux ans plus tôt, le 23 août 1939, lors de la signature du Pacte germano-soviétique, accueillie avec stupeur par de nombreux travailleurs et militants communistes.

Ce pacte était symptomatique de la politique de la bureaucratie russe, qui avait tourné le dos à toute politique révolutionnaire, privant ainsi l'URSS du soutien des classes ouvrières et de la crainte qu'une révolution prolétarienne éclate dans leur pays suscitait parmi les dirigeants impérialistes. Staline se tourna vers un jeu diplomatique hasardeux en direction des grandes puissances impérialistes, en essayant de jouer sur leurs rivalités.

Après l'arrivée au pouvoir des nazis en janvier 1933, Staline tenta un rapprochement avec l'Allemagne qui ne déboucha pas. La victoire de Hitler marquait le début du compte à rebours vers une nouvelle guerre mondiale où l'existence même de l'URSS pouvait être remise en cause. Staline opéra alors un tournant et se rapprocha de la France et de la Grande-Bretagne. Tel fut le sens des accords Laval-Staline de 1935, dont le but affirmé était de défendre la « démocratie » contre le fascisme. Cette alliance se traduisit en 1936 par le soutien aux gouvernements de Front populaire en France et en Espagne.

Mais on put vite mesurer le peu de fiabilité de ces alliés impérialistes de l'URSS. En septembre 1938, les dirigeants anglais et français signèrent avec Hitler les Accords de Munich, qui acceptaient l'annexion de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne. Sentant que l'expansionnisme allemand s'orientait vers l'est, avec la complicité des Franco-Anglais, Staline fit une nouvelle volte-face et chercha en 1939 l'alliance de son adversaire d'hier, en signant le Pacte germano-soviétique.

Ce pacte permit à l'Allemagne et à l'URSS de se partager la Pologne. Mais les appétits de conquête vers l'est de Hitler n'étaient que provisoirement calmés. Car, loin de garantir sa sécurité à l'URSS, le dépeçage de la Pologne laissait à Hitler les mains libres pour entamer, dans un premier temps, l'offensive à l'ouest. Trotsky écrivait : « Ses victoires (de Hitler) à l'Ouest ne sont qu'une gigantesque préparation pour un gigantesque mouvement vers l'Est ».

Cette politique de compromission avec les États impérialistes, jusque dans leur pire incarnation avec le régime nazi, n'épargna à l'URSS ni la guerre, ni les ravages qu'elle produisit sur le territoire.

L'incurie de la bureaucratie stalinienne

Jusqu'à la veille de l'invasion de l'URSS par les troupes hitlériennes, Staline voulut faire croire à la solidité de son alliance avec Hitler. Une semaine avant l'offensive allemande l'agence soviétique Tass affirmait : « Les rumeurs n'ont cessé de se multiplier quant à une guerre prochaine entre l'Union soviétique et l'Allemagne... Il n'y a rien là qu'une vaste tentative des puissances hostiles à l'Allemagne, qui souhaitent une extension du conflit... Les milieux soviétiques considèrent comme dénuées de tout fondement les rumeurs selon lesquelles l'Allemagne aurait l'intention de rompre le pacte et d'attaquer l'URSS. Quant au transfert des troupes allemandes vers les zones septentrionales et orientales de l'Allemagne durant cette dernière semaine, on peut penser qu'il s'agit de mener à bien des tâches militaires dans les Balkans et que ces mouvements ont été dictés par des motifs qui sont étrangers aux relations germano-soviétiques ! »

Et pourtant, dans la partie de Pologne occupée par l'Allemagne, les armées hitlériennes construisaient de vastes réseaux de communication en prévision d'une attaque de l'URSS dont Hitler n'avait jamais fait mystère. Il était clair qu'après avoir stabilisé ses conquêtes à l'ouest du continent européen, l'Allemagne nazie se retournerait vers l'est. Même la bureaucratie russe le pressentait, malgré son aveuglement. Sauf qu'elle ne la prévoyait pas si proche, malgré les rapports qui lui parvenaient, malgré les mouvements de la Wehrmacht dans les Balkans et en Roumanie, qui resserraient l'étau autour de l'URSS, malgré les 500 vols de reconnaissance effectués par l'aviation allemande pendant les six mois précédant l'invasion. Pire, selon les clauses définies par le Pacte germano-soviétique, l'URSS continua jusqu'au bout à fournir les matières premières dont l'Allemagne avait besoin pour son industrie de guerre, cuivre, chrome, manganèse, etc., dans un but « d'apaisement », dans le fol espoir que cette servilité devant l'État nazi écarterait le danger !

Après l'invasion de l'URSS en juin 1941, Staline et la clique au pouvoir rejetèrent toute la responsabilité de l'avancée fulgurante de l'armée nazie sur l'impréparation de l'Armée rouge et l'incompétence des officiers. C'était passer sous silence le fait que, pendant les purges de 1937-1938, Staline avait décapité l'Armée rouge, éliminant physiquement, selon les évaluations de Trotsky, quelque 30 000 officiers et sous-officiers.

Si finalement, après trois ans de guerre sur son territoire, l'URSS parvint à se libérer de l'occupation nazie, au prix de millions de morts, ce ne fut pas grâce à la politique de Staline et de sa coterie de bureaucrates au pouvoir, mais grâce aux sacrifices et à l'héroïsme de la population.

Marianne LAMIRAL

:: Le 20 août 1940, à Mexico, un homme de main de Staline assassinait Léon Trotsky (#3)

Il avait 61 ans lorsque sa vie et son combat, entièrement dévoués au communisme et à la révolution prolétarienne, étaient brutalement interrompus.

Aux côtés de Lénine, Trotsky avait été l'un des dirigeants les plus populaires de la révolution russe de 1917. En mars 1918, il mit sur pied l'Armée rouge qui permit au jeune État ouvrier russe de repousser les armées des puissances impérialistes et de la contre-révolution qui cherchaient à l'étrangler.

Tous les dirigeants bolcheviks étaient convaincus que l'avenir du jeune État ouvrier était lié au développement de la révolution internationale, en particulier dans les bastions impérialistes, les pays développés comme l'Allemagne, la France et l'Angleterre. C'est pourquoi ils proclamèrent dès mars 1919 la Troisième Internationale, qui se voulait le parti mondial de la révolution, dont Trotsky rédigea le manifeste de fondation.

Lorsque le reflux de la vague révolutionnaire s'opéra, au début des années vingt, l'URSS se retrouva isolée, épuisée, exsangue. Dans ce contexte, la classe ouvrière et les paysans pauvres ne réussirent pas à garder leur contrôle sur l'État né de la révolution, sur le parti et ses dirigeants. Une couche de bureaucrates se développa, qui aspirait à la pause, à profiter des quelques avantages matériels que sa position lui donnait. Ces gens-là abandonnaient la perspective et le combat pour la révolution mondiale au profit d'un repli sur une base nationale, résumé par la formule stalinienne clamant que la « construction du socialisme » était possible « dans un seul pays ». À la tête de cette bureaucratie, Staline fut son expression politique.

Dès la mort de Lénine en janvier 1924, Staline et ceux qui le soutenaient se lancèrent dans une virulente campagne de calomnies contre les compagnons de Lénine qui restaient fidèles à l'internationalisme et contre Trotsky. Ces derniers furent écartés, avant d'être déportés, éliminés, fusillés. Trotsky était exclu du parti en octobre 1927 et déporté en Asie centrale, avant d'être déchu de sa nationalité soviétique et expulsé d'URSS en janvier 1929. Les prétendues démocraties occidentales furent nombreuses à lui refuser asile et, sur cette planète qui était devenue « sans visa » pour le dirigeant révolutionnaire, le Mexique finit par l'accueillir. C'est là, à des milliers de kilomètres de Moscou, que l'assassin commandité par Staline l'atteignit mortellement, après des années de traque.

Jusqu'à sa mort et partout où il passa, quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouvait, Trotsky poursuivit son combat. Il ne se contenta pas d'être parmi les premiers à dénoncer le stalinisme et ses crimes, alors que nombre de prétendus démocrates applaudissaient le régime. Il en expliqua les racines, analysa la dégénérescence de la première révolution ouvrière victorieuse, dégénérescence dont il montra que les causes n'étaient dues ni aux méthodes du Parti Bolchevik, ni à la classe ouvrière russe, mais à l'isolement et à l'épuisement du pays après les années de la Première Guerre mondiale, de la révolution et de la guerre civile. Et c'est cette analyse qui était porteuse d'avenir, parce qu'elle critiquait avec lucidité ce qui était en train de se passer en URSS tout en défendant les acquis de la révolution d'octobre, en se réclamant du marxisme révolutionnaire et sans tourner le dos au mouvement ouvrier et à la perspective communiste. Mais au contraire, en se servant du marxisme, Trotsky armait les militants qui critiquaient l'évolution stalinienne de l'URSS d'un outil déterminant pour comprendre ce qui se passait, sans renier leur idéal.

En août 1940, Staline avait enfin réussi à abattre celui qui incarnait l'expérience de la révolution et des débuts du mouvement communiste mondial à travers les premières années de la Troisième Internationale, l'Internationale Communiste. Depuis, le stalinisme en tant que tel a exposé aux yeux de tous son visage abject et antiouvrier, jetant un grave discrédit sur les idées communistes. Si ces idées n'ont pas disparu, si année après année des militants les ont transmises à d'autres, c'est grâce au combat mené par Trotsky et sa petite cohorte de partisans.

En assassinant Trotsky, Staline ne réglait pas - contrairement à ce qui a beaucoup été dit - une rivalité personnelle, mais s'efforçait de tuer l'idée même du communisme révolutionnaire et de l'internationalisme. En cet été 2010, alors que le capitalisme en crise démontre sa complète faillite, il est important de rappeler que les idées de la révolution, les idées du communisme que nous a léguées Trotsky existent toujours. Ce sont les nôtres ! L'avenir de l'humanité ne peut appartenir à ce système barbare qu'est le capitalisme, fait d'injustice, de famine, de misère et d'obscurantisme. Il appartient au communisme.

Lucien Plain (LO n°2194)

:: Le 20 août 1940, Léon Trotsky était assassiné par un agent de Staline au Mexique (#4)

Le 20 août 1940, Léon Trotsky était assassiné par un agent de Staline au Mexique, où il avait trouvé refuge depuis 1937.
Staline tâchait alors d’éliminer les communistes révolutionnaires, en Union Soviétique d’abord mais aussi en dehors. Staline était le représentant politique de la bureaucratie qui avait accaparé le pouvoir mis en place par les travailleurs russes depuis la révolution de 1917. La guerre civile imposée au jeune pouvoir des Soviets par les contre-révolutionnaires entre 1918 et 1920 ayant épuisé la classe ouvrière au point de la rendre incapable d’exercer le pouvoir, une grande partie de l’appareil soviétique donna naissance à une bureaucratie de plus en plus autonome. Cette dernière finit par exercer une dictature, d’autant plus féroce qu’elle craignait que la classe ouvrière retrouve un jour son ardeur révolutionnaire, mettant alors fin à la domination des bureaucrates.

Lénine avait tenté de s’opposer à cette évolution et, après sa mort en 1924, Léon Trotsky représenta le camp des communistes révolutionnaires qui se battaient pour que les travailleurs exercent le pouvoir démocratiquement en URSS et continuent à se battre pour le conquérir dans le monde.

Dirigeant l’Opposition de gauche à la bureaucratie, Trotsky fut écarté du pouvoir au milieu des années 1920, comme bien d’autres militants bolcheviques. Il fut exclu du Parti communiste russe en 1927, déporté l’année suivante, comme bien d’autres également et expulsé d’URSS en 1929. À partir de 1936, Staline fit fusiller lors des grandes purges, ces militants fidèles à la révolution d’Octobre et au léninisme, vétérans d’avant 1917, combattants de la guerre civile ou jeunes révolutionnaires de la nouvelle génération.

En exil en Turquie, puis en France, en Norvège et finalement au Mexique, Trotsky s’efforça de faire vivre la minorité du mouvement communiste qui ne se résignait pas au stalinisme et de lui donner une politique.

Trotsky critiquait non seulement la dictature de la bureaucratie stalinienne étouffant les travailleurs en URSS, mais aussi la politique que Staline faisait mener à l’Internationale communiste (la Troisième internationale) hors d’URSS. Dans des situations différentes, mais où le prolétariat jouait un rôle politique déterminant, les appareils staliniens sabotèrent les possibilités révolutionnaires. Ils envoyèrent la classe ouvrière chinoise au massacre en 1925-1927, désarmèrent le prolétariat allemand devant le danger nazi au début des années 1930, mirent tout en œuvre pour faire avorter la vague de grèves de mai-juin 1936 en France et mirent les travailleurs à la remorque des démocrates bourgeois pendant la révolution d’Espagne.

Dans toutes ces situations, Trotsky proposa une politique et une direction à la classe ouvrière. Mais le reflux continua de s’approfondir.

À l’approche de la guerre, Staline ne pouvait laisser subsister le drapeau vivant qu’était Trotsky. Vingt ans après 1917, celui qui avait été le dirigeant de deux révolutions, l’organisateur et le chef de l’Armée rouge conservait un grand crédit. Staline le fit donc assassiner.

C’est en référence à ce que Trotsky a représenté, à son combat, en tant que communiste révolutionnaire, contre le stalinisme, à son rôle de continuateur de la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier, que Lutte Ouvrière se réclame toujours du trotskysme et fait sienne la perspective de reconstruction d’une Internationale communiste, la Quatrième internationale, dont Trotsky lui-même avait planté le drapeau peu avant son assassinat.

Lucien DÉTROIT (LO n°2456, 26 Août 2015)