jeudi 14 juin 2012

:: D’où vient le Parti Communiste Français ? #2 (1931-1939)

http://politicobs.canalblog.com/images/front_populaire_1.jpgDu congrès de Tours aux changements annonciateurs du Front Populaire, quinze ans se sont écoulés. Quinze ans, sur lesquels le Parti Communiste Français a passé dix ans dans les moules de la bureaucratie du Kremlin. Le Parti sortira de la « bolchévisation » numériquement affaibli, mal implanté, réduit pour ainsi dire à sa plus simple expression : à l’appareil. Mais cet appareil est achevé, rodé, et il fonctionne à merveille. Sa structure est celle d’un parfait parti stalinien, son obéissance à Moscou sans faille, sa direction homogène : à peu de chose près elle restera la même trente ans durant. Dorénavant, sa dépendance de la bureaucratie russe sera le vecteur-force principal, qui, changeant de sens, mais d’une égale intensité, influencera tous les méandres de sa politique.
L’importance de la période du Front Populaire réside dans le fait que, pour la première fois, le parti acquiert une solide implantation dans les masses. Sur la base d’une politique réformiste, nationaliste, il connaîtra une croissance considérable. A l’instar du Parti Social-Démocrate et en concurrence avec lui, il obtiendra l’accès à la « mangeoire » des surprofits impérialistes. Corollairement devenu parti national dans le plein sens du terme, presque parti gouvernemental, il sera soumis à la pression de sa propre base sociale, de sa propre opinion publique. Représentant les intérêts de la bureaucratie soviétique par sa formation, de ceux de son assise sociale par son implantation, il ne cessera plus d’être soumis à la tension de deux forces antagoniques. Et quand le pacte germano-soviétique et la première phase de la guerre aggraveront cette tension, quand l’impossibilité de concilier deux intérêts alors manifestement contradictoires imposera un choix difficile, le Parti connaîtra ses premiers grands déchirements d’une nature différente de ses crises de croissance. Ils ne seront pas les derniers.
Il n’est pas de notre propos ici de décrire et d’analyser la montée ouvrière des années 35-36, ni même d’examiner dans les faits le rôle joué par le Parti Communiste à cette occasion. D’autant moins que, du point de vue de l’évolution du Parti Communiste, la principale signification de cette montée fut d’avoir donné au Parti une implantation sociale qu’il ne possédait pas auparavant. De quelle nature était cette implantation ? Sur la base de quelle politique fut-elle acquise ? Voilà les questions qui nous intéressent ici. Et pour commencer, quels facteurs ont permis au Parti Communiste de rompre son isolement et de trouver l’adhésion des masses ?
Deux facteurs seront déterminants à cet égard. La remontée ouvrière et le réveil politique général qui poussera des couches nouvelles vers les organisations ouvrières, et la nouvelle orientation de l’Internationale qui donnera a la politique des organisations staliniennes un contenu réformiste et nationaliste.
Peu après la défaite du prolétariat allemand et l’arrivée de Hitler au pouvoir, la bureaucratie soviétique amorce l’un de ces tournants à 180° qui caractérisent sa politique. Se sentant menacée par l’impérialisme allemand, elle va chercher son salut dans un système de sécurité collective. Ce système implique un rapprochement avec les « démocraties occidentales », bénéficiaire de la paix impérialiste de Versailles, donc menacées à ce titre par les revendications allemandes. La France avait une place de choix dans ce plan. Dès lors, le rôle dévolu au Parti Communiste sera de contribuer, dans la mesure de ses forces, à infléchir la politique du gouvernement dans le sens d’une opposition renforcée à l’Allemagne hitlérienne. La dénonciation du traité de Versailles, la veille encore un des leitmotivs de la propagande stalinienne, sera mise au rancart, et le renforcement du potentiel militaire français ouvertement souhaité. Le pacte d’assistance mutuelle signé le 2 mai 1935 entre les gouvernements de l’Union Soviétique et de la France sera suivi d’un communiqué qui déclare que monsieur Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité ». Les staliniens emboîtent le pas, abandonnant l’antimilitarisme forcené qui était le leur des années durant, ils découvrent dans l’armée française un des facteurs principaux de la défense de l’URSS. Par voie de conséquence, la lutte pour le renforcement de la « démocratie française » face à la menace fasciste devient une haute vertu révolutionnaire.
Et c’est la que la dialectique de l’histoire va jouer un tour à la bureaucratie soviétique. C’est sur son injonction, et pour la défense de ses intérêts, qu’elle impose au Parti Communiste Français une politique nationaliste et même chauvine. Mais sous la pression de sa nouvelle assise gagnée sur la base de cette politique nationaliste, le Parti Communiste finira par devenir nationaliste pour son propre compte, alors même que ce nationalisme se retourne contre les intérêts de la bureaucratie. Trotsky écrivit à propos d’une évolution qui se déroulait sous ses yeux mais qui n’a abouti à ses conclusions ultimes que de nos jours, que : « Staline a réconcilié les partis communistes des démocraties impérialistes avec leur bourgeoisie nationale. Cette étape est maintenant dépassée. L’entremetteur bonapartiste a accompli son rôle. A partir de maintenant, les com-chauvins doivent se soucier de leur propre sort, dont les intérêts ne coïncident pas toujours avec la « défense de l’URSS ». »
Il est évident que cette nouvelle orientation vis-à-vis de la politique étrangère du gouvernement français entraînera une orientation à l’avenant dans les autre domaines. Le nationalisme impliquera le réformisme. Le combat pour l’unité de toutes les forces nationales hostiles à l’Allemagne fasciste ou présumées telles, complétera la lutte pour un front international anti-hitlérien. De la politique de « classe contre classe » assimilant sociaux-démocrates et fascistes, on passe presque sans transition à une cour éhontée à ces même sociaux-démocrates et même, sinon surtout, aux radicaux. Si la consolidation du Front Populaire et son arrivée au pouvoir n’était pas possible sans la montée ouvrière et sans la poussée à gauche, si du point de vue de la bourgeoisie il fut accepté parce que susceptible d’endiguer le mouvement populaire, pour le Parti Communiste il répondait à une nécessité qui n’avait rien à voir avec cette montée ouvrière. Pour le Parti Communiste, l’intérêt fondamental du Front Populaire fut d’avoir été l’alliance des forces nationales anti-hitlériennes, alliance dont la constitution était l’objectif majeur du Parti Communiste Français en matière de politique intérieure.
La poussée à gauche, si elle ne jouera qu’un rôle contingent dans la détermination de la politique du Parti Communiste, aura cependant une importance capitale pour deux raisons. D’abord, en renforçant numériquement le Parti et en lui permettant l’acquisition d’un certain nombre de positions au cours des élections municipales, puis législatives, elle lui donnera un poids qu’il n’avait pas auparavant. Ensuite, la nécessité de canaliser et d’endiguer l’explosion sociale rendra les partis socialistes et radicaux bien plus compréhensifs à l’égard du Parti Communiste, dont la collaboration devient fort utile. Ainsi l’afflux même des ouvriers venus vers le Parti Communiste en tant que parti ouvrier, auréolé par ses liens avec les tenants supposés de la Révolution d’Octobre, sera capitalisé par celui-ci en vue de mener une politique nationaliste.
Encore une fois, il n’est pas de notre propos ici d’examiner le rôle contre-révolutionnaire joué par le Parti Communiste pendant la période des grèves ( « il faut savoir terminer une grève » etc.). Toujours est-il que grâce à la montée ouvrière et grâce au Front Populaire, le Parti connaîtra un développement vertigineux. Par rapport à 1932, son électorat a doublé et ses effectifs décuplé.
Par ailleurs, ce serait une erreur de croire que le développement de son implantation n’était dû qu’à d’afflux d’ouvriers en lutte. En fait, il a joué sur deux tableaux. L’attirance de son nationalisme néophyte et de son réformisme de bon aloi, a exercé en milieu petit bourgeois une influence aussi grande que son auréole ternie de parti révolutionnaire en milieu ouvrier. Ayant découvert, sur l’injonction de Moscou, les vertus patriotiques de la marseillaise, du drapeau tricolore, de Jeanne d’Arc et de la démocratie française, le Parti ne perdra plus une occasion de faire vibrer la corde sentimentale du petit-bourgeois chauvin.
Sans être encore tout à fait un « parti comme les autres », le Parti Communiste de l’année 1937 sera bien différent du Parti Communiste version 1932. Il aura une solide implantation sociale, 300 000 membres, 1 500 000 électeurs, 70 députés, deux sénateurs, des centaines de conseillers généraux, plus de deux mille municipalité. L’unification syndicale lui a permis de mettre la main sur les Fédérations les plus importantes de la CGT unifiée. Il est dès lors solidement implanté dans l’aristocratie ouvrière.
Il a cessé de vivre uniquement des subsides de la bureaucratie. Il a sa « mangeoire » nationale propre, alimentée par les surprofits de l’impérialisme français, auxquels il a accès dorénavant grâce - pour reprendre l’expression de Trotsky - « à sa pénétration dans les rangs de la petite bourgeoisie, par son installation dans l’appareil étatique, les syndicats, les parlements, les municipalités, etc. ».
La fin de la poussée à gauche, la retombée de la montée ouvrière et même la chute du premier et du deuxième gouvernement Léon Blum, n’affecteront pas le zèle nationaliste du Parti Communiste. Il y a un double intérêt, car tel est l’ordre de Moscou, mais tel est aussi dorénavant son propre intérêt en tant que parti national. La politique « d’union nationale » est payante, et bien payante. Devant l’usure du Front Populaire, il va même défendre l’idée d’un « Front Français », où seraient inclus, outre les radicaux et les sociaux-démocrates, les libéraux et les modérés. Après l’échec définitif du Front Populaire, il s’empressera de donner son accord à un gouvernement incluant la quasi totalité de l’éventail politique français, de Thorez à Paul Reynaud. Si le projet ne connaît pas de suite, ce n’est pas la faute des communistes.
Le déplacement de plus en plus à droite des gouvernements successifs écarte le Parti Communiste Français des responsabilités quasi gouvernementales qu’il a assumées pendant le Front Populaire. Il continue cependant à aiguillonner le gouvernement, et sa propagande est concentrée sur la réclamation d’une plus grande fermeté vis-à-vis de l’Allemagne. A l’occasion, il votera les crédits de guerre.
Après ces manifestations de nationalisme de plus en plus exacerbé, l’annonce du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 va produire l’effet d’une bombe. Renversant sa politique de sécurité collective avec les démocraties occidentales, Staline conclut un pacte de non agression avec l’ennemi de la veille. Dans le conflit qui va éclater quelques jours après, l’URSS se trouvera de fait, du côté de l’Allemagne. Après cinq ans de politique nationaliste anti-allemande, le Parti Communiste se trouvera dans l’obligation de défendre la décision de Staline et ordre lui est donné d’attaquer l’impérialisme de sa propre bourgeoisie, au même titre que celui de l’Allemagne. Après le vote des crédits militaires, après la propagande pour le renforcement du potentiel militaire de la France, il se trouvera dans l’obligation de prêcher le défaitisme révolutionnaire, et le slogan « l’ennemi est sur notre sol ».
Après l’euphorie de l’union nationale, le Parti se heurtera à l’hostilité ouverte de l’opinion publique et d’une partie de sa propre base. Pendant quelques semaines, il essaiera de concilier l’inconciliable. Tout en défendant le pacte germano-soviétique, il déclarera que « les communistes français collaboreront sans aucune réticence à la défense nationale ». Thorez lui-même déclare que « si Hitler, malgré tout, déclenche la guerre, alors qu’il sache bien qu’il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l’indépendance des peuples ».
Obligés de choisir entre l’obéissance à Moscou et les intérêts de l’assise de leur Parti, les dirigeants les plus fidèles hésitent et atermoient. Le déchirement des dirigeants reflète le déchirement de l’ensemble du Parti. Il faudra plusieurs rappels à l’ordre de la part de Moscou et la répression violente de l’État qui s’abat sur le Parti et les militants, en déclenchant une réaction d’autodéfense, pour que le Parti se ressaisisse. A la fin de l’année, il sera à nouveau dans la ligne. Mais il aura perdu 22 de ses parlementaires sur les 72 qu’il comptait, une partie importante de ses dirigeants et de ses militants. Des deux forces contradictoires qui agissent sur lui, la fidélité à Moscou l’a encore emporté. Cependant, non sans mal. Et, à nouveau en butte à la répression, ses journaux interdits, ses dirigeants emprisonnés, ses positions parlementaires et municipales supprimées, il lui faudra une nouvelle période nationaliste, celle de la Résistance et de la Libération, pour qu’il retrouve à nouveau une audience.