mercredi 30 mars 2016

:: 12 Mars 1956 : Le PCF votait les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet

"Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire": voilà ce que précisait le texte qui fut adopté à l'Assemblée nationale, le 12 mars 1956, par 455 voix, y compris celles des 146 députés du Parti Communiste Français, contre 76.
Le gouvernement du socialiste Guy Mollet avait ainsi sollicité et obtenu des "pouvoirs spéciaux" afin de disposer en Algérie des moyens d'intervention qui lui sembleraient bons, sans même en référer à l'Assemblée nationale.
Un gouvernement élu pour faire la paix...
En janvier 1956, le front électoral constitué sous l'étiquette de "Front républicain", et composé essentiellement de socialistes et de radicaux, avait obtenu la majorité parlementaire en laissant entendre qu'il allait faire la paix en Algérie. Les formules volontairement floues permettaient toutes les interprétations.
Le gouvernement se mit en place dans une situation marquée par l'opposition virulente de l'extrême droite d'Algérie. Celle-ci s'opposait à toute modification de la situation coloniale et dénonçait le "bradage" de "l'Algérie française" que préparait -selon elle- le nouveau gouvernement, à direction socialiste.
Dès le début du mois de février, après un voyage à Alger au cours duquel il fut accueilli par des manifestations d'hostilité de la part de cette extrême droite, Guy Mollet obtempéra. Il nomma comme nouveau gouverneur d'Algérie un socialiste, Robert Lacoste, qui réclama aussitôt des renforts militaires, qu'il obtint sans tarder.
...mais qui accentua la guerre, avec la complicité du PCF.
Le 28 février, tandis que Guy Mollet justifiait à la radio l'envoi de nouvelles troupes en Algérie, L'Humanité titrait: "Guy Mollet aux Algériens: guerre à outrance si vous ne déposez pas les armes" et réclamait qu'il entame des négociations et qu'il réalise la paix. Cette prise de position n'allait rendre que plus scandaleux le vote des pouvoirs spéciaux de ses députés, quelques jours plus tard.
Le 12 mars, le PCF votait la confiance au gouvernement Guy Mollet et lui accordait les pouvoirs spéciaux qu'il réclamait. Lors de son discours à l'Assemblée nationale, Jacques Duclos, au nom du groupe communiste, justifia ce vote en expliquant: "Les pouvoirs spéciaux sont demandés, nous dit-on, pour aboutir rapidement à la paix et pour contraindre, si besoin est, les grands possédants d'Algérie à renoncer à leurs privilèges." Duclos précisait d'ailleurs que "d'autres déclarations différentes ont été faites aussi, et elles sont relatives à des mesures militaires que nous ne saurions approuver", preuve qu'il ne pouvait ignorer ce que cachaient ces "pouvoirs spéciaux".
En fait, la direction du PCF s'engageait à ne pas gêner le gouvernement et à faire accepter sa politique par la population et par les travailleurs du pays. Il espérait que le soutien de ses députés au gouvernement Guy Mollet lui vaudrait, en retour, de réintégrer le jeu politique traditionnel, d'autant que le PCF, dans son souci d'apparaître responsable aux yeux de la bourgeoisie française, parlait de "paix en Algérie", mais se gardait bien de revendiquer le droit du peuple algérien à l'indépendance.
Depuis 1947, avec la Guerre froide, le PCF avait été déclaré infréquentable par tous les autres partis. Après la mort de Staline, en 1953, sa direction avait espéré un changement d'attitude à son égard et n'avait pas ménagé ses offres de services. En vain. En 1954, Pierre Mendès-France avait même refusé d'inclure dans le total des voix pour son investiture celles des députés communistes. Au début de cette année 1956, l'espoir de mettre fin à cet ostracisme passait loin devant tout ce qui concernait le sort du peuple algérien.
Fort de ce chèque en blanc, Guy Mollet allait rapidement intensifier les opérations militaires et il avait d'autant plus besoin de ce soutien que les manifestations de rappelés du contingent qui refusaient de partir se multipliaient, avec l'appui d'une partie de la population, notamment dans les gares.
La guerre d'Algérie intensifiée
Le 17 mars 1956, Guy Mollet signait avec son ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, celui de la Justice, François Mitterrand, et Robert Lacoste (gouverneur général de l'Algérie) un décret relatif à l'application de la justice militaire en Algérie. Ce décret donnait les pleins pouvoirs à l'armée, qui utilisa la torture à large échelle contre tous ceux qu'elle soupçonnait d'aider le FLN, et les assassina discrètement dans bien des cas. De 200000 hommes début 1956, les troupes présentes en Algérie passèrent à 450000 hommes en juillet, afin d'assurer le "quadrillage" de la population que Robert Lacoste réclamait depuis son arrivée en Algérie.
Le slogan électoral "faire la paix", sur lequel les partis du Front républicain s'étaient fait élire, avait laissé place à une guerre menée de façon de plus en plus féroce contre la population algérienne, avec la complicité tacite de la direction du PCF. Ce n'est finalement qu'en juillet 1956 (mais les rappelés étaient alors en Algérie) que les élus du PCF commencèrent... à voter contre la politique de Guy Mollet.

:: Février 1956 : Le rapport « secret » de Khrouchtchev

Le 24 février 1956, alors que le 20ème congrès du Parti Communiste de l'Union soviétique (PCUS) s'achevait, son premier secrétaire, Nikita Khrouchtchev y lut, à huis clos, devant des délégués auxquels il fut interdit de prendre des notes, un «rapport sur le culte de la personnalité et ses conséquences». Bien que ce rapport fût qualifié de «secret», son contenu ne tarda pas à filtrer.

Quand il fut mis sur la place publique en Occident car -en URSS il ne fut jamais publié- il fit l'effet d'une bombe, car il reconnaissait la véracité de faits que les partis staliniens avaient, pendant des décennies, présentés comme des calomnies anticommunistes. Il jeta le trouble chez nombre de militants, en particulier chez les intellectuels, et suscita aussi beaucoup d'illusions à gauche chez tous ceux qui voulurent y voir l'amorce d'une démocratisation profonde du régime.
En fait, le climat politique avait commencé à évoluer en URSS dès le lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953.
Son pouvoir, Staline l'avait conquis, dans les années de reflux de la révolution, en s'appuyant sur la nouvelle couche de privilégiés qui s'était formée en URSS, administrateurs de l'État, de l'économie, du parti, cadres militaires, et avait usurpé le pouvoir de la classe ouvrière.
Mais la situation de cette couche dirigeante était fragile. Elle était menacée par un éventuel réveil politique de la classe ouvrière, perspective qu'incarnait les meilleurs éléments du parti bolchevique, défenseurs des idéaux communistes de la révolution d'Octobre. Mais aussi par un retour possible au pouvoir des anciennes classes possédantes, appuyées sur les armées des puissances impérialistes.
Dans cette situation difficile, où n'importe quel débat aurait pu permettre à la classe ouvrière de faire entendre sa voix, la bureaucratie avait besoin d'un arbitre suprême, tranchant tous les problèmes, et donc jouissant de tous les pouvoirs. La dictature personnelle de Staline fut le complément obligé de la dictature de la bureaucratie sur le pays. Et les purges qui frappèrent aussi la caste dominante, le prix que celle-ci dut payer au défenseur de ses privilèges.
Staline mort, aucun de ses lieutenants ne pouvait prétendre exercer d'emblée la totalité du pouvoir qui avait été le sien. Ils se mirent d'accord pour se débarrasser du prétendant au pouvoir suprême le plus dangereux, le chef de la police politique Béria, qui fut paraît-il exécuté en pleine réunion du Bureau politique, en juin 1953. Et ils se prononcèrent pour une «direction collégiale», ce qui était une condamnation implicite de la manière dont le défunt dictateur avait dirigé le pays.
Les membres de cette «direction collégiale» avaient été les plus infâmes agents de la dictature. Ils n'ignoraient bien sûr rien des crimes de Staline. Ils en avaient été les complices, et les bénéficiaires puisqu'ils lui devaient leur accession au faîte de la pyramide du pouvoir. Khrouchtchev avait ainsi intégré le Bureau politique en 1938, après deux ans de purges gigantesques, dont les procès de Moscou avaient été l'aspect le plus visible, qui avaient libéré d'innombrables places de cadres à tous les niveaux.
Mais comme tous les bureaucrates ils aspiraient sans doute à un régime où ils pourraient jouir tranquillement de leurs privilèges, sans avoir à craindre qu'on les leur enlève en même temps que la vie. Car Staline n'avait pas épargné ses plus proches collaborateurs. Dans les semaines qui suivirent sa disparition, on libéra les proches de membres du Bureau politique (la femme de Molotov, deux des cinq fils de Mikoyan) que Staline avait envoyés en camp, pour s'assurer leur fidélité.
Mais la «direction collégiale» tant vantée en 1953 n'était pas viable. La bureaucratie avait besoin d'un arbitre.
Khrouchtchev ne figurait qu'au huitième rang de la direction, en mars 1953. Mais ses nouvelles fonctions de secrétaire général lui permirent, comme à son prédécesseur, d'évincer ses concurrents. Et quand il prononça son fameux rapport en 1956, il était déjà le numéro un du régime. C'était au contraire une manière d'affirmer sa puissance, en même temps que l'assurance donnée à ses pairs de ne pas recourir aux méthodes de Staline.
De fait si Molotov, Malenkov, et d'autres furent évincés de la direction du parti sous l'accusation d'avoir formé un groupe «anti-parti», aucun ne joua sa tête à cette occasion. Molotov fut nommé ambassadeur en République Populaire de Mongolie. Malenkov fut envoyé diriger une centrale électrique dans le Kazakhstan.
Khrouchtchev allait bénéficier lui aussi de ce changement de méthode au sein de la couche dirigeante, quand, accusé des difficultés politiques et économiques que traversait l'URSS, il fut simplement mis à la retraite par l'équipe Brejnev-Kossyguine qui l'écarta du pouvoir.
Mais que le rapport Khrouchtchev n'ait aucunement signifié la fin de la dictature de la bureaucratie, les faits en assénèrent la démonstration sanglante, quelques mois après qu'il eut été prononcé, quand les tanks soviétiques écrasèrent en octobre-novembre 1956 la révolte du peuple hongrois, et mirent fin à l'existence des conseils ouvriers qui étaient nés de celle-ci.