mardi 16 juin 2015

:: De mars à juin 1907 : la révolte des vignerons du midi [LO, juin 2007]

Au plus fort de la révolte des vignerons du Midi, le 20 juin 1907, intervenait la mutinerie du 17e régiment d'infanterie basé à Béziers, une mutinerie restée célèbre notamment par les paroles de la chanson de Montéhus, qui débute ainsi : « Salut, salut à vous, / Braves soldats du dix-septième... »

Juste avant leur mutinerie, un régiment amené à Narbonne pour réprimer les manifestants avait fait feu, tuant six personnes. Cette répression commandée par Clemenceau, qui cumulait les fonctions de président du Conseil et ministre de l'Intérieur, avait révolté les soldats du 17e régiment d'infanterie, dont beaucoup étaient des fils de vignerons ou de paysans originaires de la région. Environ 500 d'entre eux quittèrent les locaux où ils étaient casernés à Agde et distribuèrent des armes à la population, avant de rejoindre à Béziers le gros des révoltés. Ils ne devaient finir par regagner leur caserne que contre la promesse qu'il n'y aurait pas de punitions, alors que la révolte des vignerons se terminait.

LE « MIDI ROUGE »

Depuis le mois de mars 1907, toute la région du Midi viticole était en ébullition et la révolte se propageait rapidement. La plupart des vignerons du Languedoc et du Roussillon qui formaient le « Midi rouge » étaient de petits propriétaires, loin d'être fortunés ; avec les ouvriers agricoles qu'ils employaient, les commerçants et les emplois induits, toute la région vivait de la culture de la vigne. Les idées socialistes y étaient bien implantées et nombre de communes avaient un maire socialiste. Pourtant, les socialistes ne cherchèrent jamais à se mettre à la tête du mouvement, qui resta représenté par un viticulteur d'Argelliers, Marcellin Albert, se maintenant dans le cadre de revendications corporatistes.

Après l'épidémie de phylloxéra qui avait ruiné les exploitants dans les années 1880, ceux-ci commençaient à s'en sortir économiquement quand plusieurs années de récoltes trop abondantes firent chuter les prix de vente. Les vignerons dénonçaient aussi les fraudes pratiquées par de gros négociants qui mettaient du sucre dans le moût pour faire monter le degré d'alcool, avant de le couper d'eau pour augmenter le volume produit, ainsi que la concurrence des vins italiens, espagnols ou ceux produits par les gros colons algériens.

LA RÉVOLTE S'ÉTEND COMME UNE TRAÎNÉE DE POUDRE

La révolte partit d'Argelliers où, le 11 mars, 87 viticulteurs conduits par Marcellin Albert allèrent porter leurs revendications au comité viticole de Narbonne. Puis, chaque dimanche, les manifestations se succéderont, regroupant chaque fois plus de monde : de 300 le 24 mars, les manifestants passeront à 10 000 le 21 avril, 150 000 le 26 mai à Carcassonne, 300 000 le 2 juin à Nîmes, pour culminer à 600 000 personnes le 9 juin à Montpellier (qui comptait alors 77 000 habitants), rejoints par des viticulteurs d'autres régions.

Le gouvernement de Clemenceau refusant de répondre aux demandes des viticulteurs, à partir du 10 juin, 600 maires des départements de l'Aude, de l'Hérault et des Pyrénées-Orientales démissionnèrent les uns après les autres en signe de protestation ; les services d'état-civil furent fermés, certaines mairies furent même murées. En même temps se développait une grève de l'impôt.

Le 19 juin, Clemenceau décida alors d'employer la force, envoyant la troupe arrêter le comité d'Argelliers (sauf Marcellin Albert qui s'était caché), ainsi que Ferroul, le maire socialiste de Narbonne. Cela ne se fit pas facilement, la population résista, s'en prit aux soldats et, à Narbonne, attaqua la sous-préfecture. Le lendemain, les émeutes se poursuivirent : à Perpignan, la préfecture fut prise d'assaut et incendiée. Mais à Narbonne, la troupe tira sur les manifestants, faisant six morts en deux jours. C'est alors, dans la soirée du 20 juin, que 500 soldats du 17e régiment d'infanterie se mutinèrent.

Le 23 juin, Marcellin Albert fut reçu par Clemenceau et accepta de retourner dans le Midi pour calmer la révolte. Le président du Conseil acheva de le déconsidérer en lui donnant un billet de cent francs pour payer son retour en train. Mais tout de même, le gouvernement estima plus prudent de faire voter, le 29 juin, une loi contre le sucrage et le mouillage des vins. Après quoi, durant tout l'été, les mairies rouvrirent les unes après les autres.

UNE RÉVOLTE QUI AURAIT PU ÊTRE CONTAGIEUSE

La révolte des vignerons, qui avait vu la mobilisation de centaines de milliers de personnes, n'a abouti finalement qu'à une victoire limitée à la revendication du « vin pur » défendue par les propriétaires viticoles.

Pourtant, par nombre d'aspects, cette révolte fut inquiétante pour le gouvernement. Elle l'était tout d'abord par son étendue : loin de faiblir avec le temps, la révolte gagnait en ampleur semaine après semaine ; elle menaçait de s'étendre à d'autres régions viticoles et recueillait une large sympathie dans le reste de la population, à commencer par la classe ouvrière. Inquiétante aussi à cause de la solidarité que les maires manifestèrent envers les révoltés. Mais elle inquiéta surtout le pouvoir quand l'épisode de la mutinerie des soldats du 17e montra que ceux-ci pouvaient se ranger du côté de la population révoltée. À une époque où les gouvernements utilisaient surtout la troupe pour réprimer les grèves et les manifestations ouvrières et paysannes, ils se rendaient compte que ces soldats pouvaient leur faire défaut, laissant ainsi le pouvoir désarmé. Un mouvement général de la classe ouvrière ne pouvait-il pas alors déboucher sur une révolution ?

Marianne LAMIRAL (LO, juin 2007)

:: La vague de grèves de juin 1936 : une « grandiose pression » des ouvriers sur les classes dirigeantes [LO, mai et juin 2006]


Du 8 au 12 juin 1936, la vague de grèves avec occupation qui avait commencé à se développer à partir de la mi-mai atteignait son maximum en France, et ce malgré la signature des accords Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin, sur lesquels le patronat comptait pour tout faire rentrer dans l'ordre.

L'extension des occupations d'usine, qui montrait la profondeur de la combativité ouvrière, avait fait craindre aux bourgeois de tout perdre: leurs usines, leurs propriétés, leurs capitaux et jusqu'au droit de continuer à prospérer par l'exploitation.

Le gouvernement socialiste de Léon Blum, soutenu activement par le Parti Communiste et la CGT, était venu à leur secours. Représentants patronaux et syndicaux s'étaient réunis, sous la présidence de Léon Blum. Les accords Matignon apportaient aux travailleurs la reconnaissance du droit syndical, le principe des contrats collectifs, l'institution des délégués ouvriers élus, ainsi qu'un réajustement des salaires de 7 à 15%. Pour tous les participants à cette réunion, il s'agissait de tenter de mettre un terme au mouvement gréviste.

Mais la signature de ces accords n'arrêta pas les grèves. Bien au contraire. Les travailleurs enregistraient bien sûr le recul que représentaient les accords Matignon, mais ils ne le jugeaient pas suffisant. Jacques Danos et Marcel Gibelin racontent dans leur livre intitulé Juin 36 que le patron de l'usine Sauter et Harlé, voulant inciter dès le 9 juin les ouvriers à reprendre le travail, décida de s'adresser directement à eux sans passer par le comité de grève. Il fut aussitôt obligé de s'enfuir sous une haie de poings levés tandis que les métallos scandaient: «À la porte!» et chantaient l'Internationale.
En fait, du 8 au 12 juin, les grèves se développèrent de plus belle. Après les métallos, ce furent les travailleurs du bâtiment qui furent appelés à se mettre en grève dès le 8 juin. Ce même jour, la grève était quasiment totale dans les grands magasins. La grève éclatait également le 8 juin dans les assurances. Bien des travailleurs, employés des Galeries Lafayette, de la Samaritaine ou du Bon Marché, ou serveurs des cafés et des restaurants, se mettaient en grève pour la première fois. La grève s'étendit à tout le pays. Pour ne donner qu'un exemple, le journal conservateur le Temps indiquait le 9 juin que huit à neuf dixièmes des entreprises étaient en grève dans le Nord et le Pas-de-Calais.

C'est sous cette « grandiose pression » exercée par les travailleurs sur les classes dirigeantes, pour reprendre l'expression utilisée par Trotsky en juillet 1936, que le gouvernement fit voter de nouvelles lois sur les congés payés et les 40 heures.

Les dirigeants syndicaux et des partis de gauche allaient alors mettre tout leur poids dans la balance pour arrêter le mouvement. Les dirigeants de la CGT multiplièrent les réunions dans les usines pour tenter de faire reprendre le travail. Ainsi le représentant de la CGT Gauthier déclarait, le 9 juin, devant 700 délégués des usines de la métallurgie parisienne en grève: «Sans doute les accords CGT-CGPF (le Medef de l'époque) ne contiennent pas toutes les dispositions que désiraient les métallos. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous vivons dans d'autres conditions qu'auparavant; ainsi pouvons-nous envisager la reprise du travail, en restant vigilants.»

De leur côté, les dirigeants du PCF réunissaient militants et sympathisants, dans les usines, dans les quartiers, pour expliquer que «tout n'est pas possible maintenant». Maurice Thorez, le dirigeant du Parti Communiste Français, martelait qu'il fallait «savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n'ont pas été encore acceptées, mais que l'on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications.» «Il faut savoir terminer une grève» fut le leitmotiv de tous les discours des dirigeants communistes à partir du 12 juin. Ainsi, bien qu'avec beaucoup de difficultés, le PC et la CGT finirent par parvenir à faire reprendre le travail, ne permettant pas à la classe ouvrière d'aller jusqu'au bout des possibilités de sa lutte.

Aujourd'hui, la plupart de ceux qui évoquent Juin 36 ne parlent que des congés payés, et comme s'ils découlaient de la victoire électorale du Front Populaire. Avec bien souvent des arrière-pensées électoralistes pour 2007. Mais ce que montre l'exemple de Juin36, c'est que les travailleurs, comme toujours, n'ont obtenu quelques avancées que par la lutte. Et aussi qu'ils doivent se méfier comme de la peste de leurs faux amis que sont les dirigeants des partis «socialiste» et «communiste», plus soucieux de servir la bourgeoisie que de défendre les intérêts de la classe ouvrière.

Aline RETESSE (LO, juin 2006)

Une déclaration édifiante

Quelques années après la vague de grèves sans précédent de mai-juin 1936, Léon Blum, s'expliquant sur la période, rapportait: «Les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat: Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons, mais nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler. Et puis c'est maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n'y sont plus pour exercer sur leurs camarades l'autorité qui serait nécessaire pour exécuter nos ordres.» Et il poursuivait: «Et je vois encore Monsieur Richemont (un membre de la délégation patronale, membre de l'Union des industries métallurgiques et mécaniques), qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant: "C'est vrai, nous avons eu tort."»

Blum fit cette déclaration devant la Cour de Riom, devant laquelle il avait été traduit par le régime de Vichy. Mais elle reflétait si bien sa pensée que le Parti Socialiste la publia au lendemain de la guerre.

:: Le débarquement allié du 6 juin 1944 [LO, juin 2004, 2009 et 2014]

Des bombardements massifs qui préparaient l'occupation alliée

Les cérémonies du soixantième anniversaire du débarquement sur les plages de Normandie, le 6 juin 1944, ont été l'occasion de nombreux reportages sur le sacrifice des soldats anglais et américains, qui ont été des milliers à payer de leur vie pour permettre aux troupes alliées de mettre pied sur le littoral. Pour la majorité de la population française, qui subissait depuis quatre ans l'occupation nazie, le débarquement des troupes alliées a certainement été accueilli avec espoir.

Mais au-delà des images d'Épinal montrant des GI's acclamés sur leur passage, défenseurs du monde dit libre contre la barbarie nazie, certains témoignages ont tout de même rappelé que la guerre ne s'est pas arrêtée à ce «Jour J» et que la population civile a elle aussi payé cher cette libération.

Le débarquement s'est accompagné de bombardements massifs sur les villes de l'ouest de la France. En Normandie, Caen, Cherbourg, Le Havre, Falaise, Saint-Lô -pour ne citer que des villes d'une certaine importance- ont été rayées de la carte. Des villes de Bretagne, à commencer par Brest, ont subi le même sort. Plus au sud, Royan a été anéantie sous les bombardements. De nombreuses petites bourgades ont elles aussi été rasées. Cela s'est traduit par des dizaines de milliers de morts et un exode des survivants cherchant tant bien que mal à se mettre à l'abri.

Passons sur l'intérêt militaire de ces bombardements, puisque l'état-major allié a reconnu lui-même qu'il n'y avait aucun objectif stratégique à ces destructions. On nous a avancé, pour les justifier, qu'il s'agissait de bloquer la retraite de l'armée allemande, afin de l'empêcher de reconstituer des forces à l'arrière du front. Pourquoi alors, dans ce cas, ne s'être pas contenté de bombarder les routes et les ponts? Transformer les villes en champs de ruines n'ajoutait rien à cet objectif.

Mais tel n'était pas le but de ce déluge de bombes sur les villes. Les dirigeants alliés se paraient du masque de défenseurs de la démocratie contre la barbarie, ils se proclamaient des libérateurs et enrôlaient sous cette étiquette des dizaines de milliers de jeunes soldats prêts à payer de leur vie, en pensant qu'ils combattaient pour la liberté des peuples. Mais en fait, la Seconde Guerre mondiale fut, comme la Première, une guerre entre impérialismes rivaux pour le partage du monde, principalement entre les États-Unis, l'Allemagne et le Japon. Pour l'impérialisme américain, il s'agissait de mettre à la raison ceux qui apparaissaient comme ses concurrents et d'imposer, par la guerre, sa suprématie.

La victoire militaire allait être permise à l'impérialisme américain parce que, à l'arrière, il possédait un puissant appareil industriel (d'autant plus puissant que le continent américain échappait aux combats), capable de lui fournir des armes et des appareils bien supérieurs en nombre à ceux de ses adversaires. Si, le 6 juin 1944, les troupes alliées purent débarquer sur les plages de Normandie, c'est justement parce que cet appareil industriel était capable d'aligner suffisamment de bateaux, d'avions, de bombes pour vaincre la résistance des troupes allemandes, même si cela impliquait aussi d'être capable d'envoyer sur le terrain plus d'hommes à l'heure que les armes allemandes ne pouvaient en tuer dans le même laps de temps.

Le carnage qui en résulta parmi les combattants correspondait, de ce point de vue, à un froid calcul de l'état-major allié. Il allait se doubler d'un autre parmi la population civile des pays «libérés». Partout en Europe, l'avancée des troupes anglo-américaines s'accompagna de bombardements massifs, que ce soit en France, en Italie ou en Allemagne, contre des villes qui, à l'exemple de Dresde, ne regroupaient que des civils. Les dirigeants alliés qui s'apprêtaient à occuper l'Europe sur les ruines du IIIème Reich, craignaient d'être difficilement acceptés par les populations européennes et d'avoir des difficultés à imposer leur occupation à des peuples qui venaient de vivre des années très dures et espéraient la fin des privations. Ils craignaient des mouvements de révolte, voire des révolutions comme cela s'était produit à la fin de la Première Guerre mondiale.

De ce point de vue, les bombardements massifs étaient, pour les dirigeants alliés, un moyen de préparer le terrain. Il s'agissait de terroriser les populations en déchaînant sur elles un déluge de fer et de feu, pour bien montrer qu'ils étaient les maîtres et pour décourager d'avance toute velléité de révolte. Car, pour les États-Unis et leurs alliés, il n'était pas question de permettre aux peuples libérés de choisir le régime sous lequel ils voulaient vivre.

Les bombardements massifs contre les civils, avec leurs terribles destructions et les énormes souffrances qu'elles impliquaient pour les populations «libérées», étaient donc aussi un calcul froid et conscient de la part des dirigeants alliés. Le terrain était ainsi préparé pour leur propre occupation militaire, en attendant que puisse être mis sur pied, dans chacun des pays dits libérés, un régime présentant toutes les garanties voulues et acceptant l'ordre impérialiste mondial que les États-Unis, dirigeants du camp des vainqueurs, allaient établir au lendemain de la guerre.

Marianne LAMIRAL (juin 2004)

Il y a 70 ans, le débarquement et ses victimes : des massacres décidés froidement

Lors des célébrations officielles, des hommages ont été rendus aux soldats alliés morts au cours du débarquement ainsi qu'aux civils victimes des bombardements. Mais les soldats qui ont débarqué sur les côtes françaises le 6 juin 1944 et y ont laissé la vie ont aussi été délibérément sacrifiés par les gouvernements alliés. Et les combattants alliés, Américains, Britanniques et Canadiens, furent accueillis par une population préalablement écrasée sous les bombes.

De froids calculs établis par l'état-major militaire allié avaient conclu que, pour mettre le pied sur les plages normandes, il fallait envoyer plus de matériel que les troupes allemandes n'avaient la possibilité d'en détruire, et surtout plus d'hommes qu'elles n'étaient capables d'en tuer.

Une première tentative de débarquement avait été effectuée à Dieppe près de deux ans auparavant, le 19 août 1942. L'histoire officielle est restée beaucoup plus discrète sur cet événement qu'elle ne l'a été pour le 6 juin 1944, car toutes les conditions étaient réunies pour qu'il mène à un massacre inutile. Six mille hommes, en grande majorité des jeunes Canadiens sans aucune préparation militaire, avaient été lancés le 19 août 1942 sur des plages de galets sur lesquelles les chars eux-mêmes ne pouvaient avancer, cernées de falaises abruptes d'où les défenses allemandes mitraillaient les soldats. En quelques heures, près des deux tiers des hommes furent hors de combat, tués, blessés ou prisonniers. Ce fut un carnage, prévu et perpétré de sang froid par les Alliés, dont le but n'était pas alors de prendre pied en Normandie mais de tester la résistance ennemie.

C'est fort de cette « expérience » que le 6 juin 1944 l'état-major allié fit débarquer ou parachuter près de 200 000 soldats, appuyés par un appareil militaire impressionnant, avions, véhicules terrestres, bombes et armes de destruction. En une seule journée de combats, le nombre de pertes humaines (tués, blessés, disparus ou prisonniers) fut estimé à plus de 10 000 parmi les troupes alliées, et autant au sein des forces allemandes, chiffre beaucoup moins cité.

Parmi la population civile, dans la bataille de Normandie qui suivit le débarquement, ce fut aussi un carnage. Caen, Le Havre, Cherbourg, Falaise et nombre de villes sans aucune importance stratégique furent rasées sous « une pluie de feu, de fer, d'acier, de sang », comme l'écrivit Prévert à propos de Brest. En quelques semaines, quelque 30 000 civils furent tués en Normandie, les survivants errant sur les routes à la recherche d'un abri et de nourriture.

Pendant longtemps, l'histoire officielle a été très discrète sur ces massacres de populations, affirmant que les morts civils étaient le prix à payer pour parvenir à la libération du pays. Certains historiens commencent tout juste à reconnaître que les bombardements systématiques des villes étaient inutiles sur un plan stratégique. Effectivement, leur but avait été clairement défini dès 1942 par le gouvernement britannique, quand ils avaient été décidés sur les villes allemandes : il fallait « détruire le moral de la population ennemie et, en particulier, celui des travailleurs de l'industrie ».

Les dirigeants des puissances impérialistes craignaient de se trouver à la fin de la guerre face à une situation révolutionnaire, comme celle qui avait marqué la fin de la Première Guerre mondiale, d'une ampleur plus grande encore dans une Europe ravagée par la guerre, où les souffrances endurées par les peuples avaient été bien supérieures. Dans cette perspective, les bombardements massifs avaient pour objectif de vider les villes, de disperser leurs habitants en les terrorisant, afin d'éviter tout regroupement concerté qui puisse contester leur domination, en premier lieu parmi la classe ouvrière.

Les hommes, les femmes et les enfants écrasés sous les bombes ne furent pas des « dommages collatéraux », comme on le dit aujourd'hui : ils en étaient bien un des objectifs.