mardi 16 juin 2015

:: Le débarquement allié du 6 juin 1944 [LO, juin 2004, 2009 et 2014]

Des bombardements massifs qui préparaient l'occupation alliée

Les cérémonies du soixantième anniversaire du débarquement sur les plages de Normandie, le 6 juin 1944, ont été l'occasion de nombreux reportages sur le sacrifice des soldats anglais et américains, qui ont été des milliers à payer de leur vie pour permettre aux troupes alliées de mettre pied sur le littoral. Pour la majorité de la population française, qui subissait depuis quatre ans l'occupation nazie, le débarquement des troupes alliées a certainement été accueilli avec espoir.

Mais au-delà des images d'Épinal montrant des GI's acclamés sur leur passage, défenseurs du monde dit libre contre la barbarie nazie, certains témoignages ont tout de même rappelé que la guerre ne s'est pas arrêtée à ce «Jour J» et que la population civile a elle aussi payé cher cette libération.

Le débarquement s'est accompagné de bombardements massifs sur les villes de l'ouest de la France. En Normandie, Caen, Cherbourg, Le Havre, Falaise, Saint-Lô -pour ne citer que des villes d'une certaine importance- ont été rayées de la carte. Des villes de Bretagne, à commencer par Brest, ont subi le même sort. Plus au sud, Royan a été anéantie sous les bombardements. De nombreuses petites bourgades ont elles aussi été rasées. Cela s'est traduit par des dizaines de milliers de morts et un exode des survivants cherchant tant bien que mal à se mettre à l'abri.

Passons sur l'intérêt militaire de ces bombardements, puisque l'état-major allié a reconnu lui-même qu'il n'y avait aucun objectif stratégique à ces destructions. On nous a avancé, pour les justifier, qu'il s'agissait de bloquer la retraite de l'armée allemande, afin de l'empêcher de reconstituer des forces à l'arrière du front. Pourquoi alors, dans ce cas, ne s'être pas contenté de bombarder les routes et les ponts? Transformer les villes en champs de ruines n'ajoutait rien à cet objectif.

Mais tel n'était pas le but de ce déluge de bombes sur les villes. Les dirigeants alliés se paraient du masque de défenseurs de la démocratie contre la barbarie, ils se proclamaient des libérateurs et enrôlaient sous cette étiquette des dizaines de milliers de jeunes soldats prêts à payer de leur vie, en pensant qu'ils combattaient pour la liberté des peuples. Mais en fait, la Seconde Guerre mondiale fut, comme la Première, une guerre entre impérialismes rivaux pour le partage du monde, principalement entre les États-Unis, l'Allemagne et le Japon. Pour l'impérialisme américain, il s'agissait de mettre à la raison ceux qui apparaissaient comme ses concurrents et d'imposer, par la guerre, sa suprématie.

La victoire militaire allait être permise à l'impérialisme américain parce que, à l'arrière, il possédait un puissant appareil industriel (d'autant plus puissant que le continent américain échappait aux combats), capable de lui fournir des armes et des appareils bien supérieurs en nombre à ceux de ses adversaires. Si, le 6 juin 1944, les troupes alliées purent débarquer sur les plages de Normandie, c'est justement parce que cet appareil industriel était capable d'aligner suffisamment de bateaux, d'avions, de bombes pour vaincre la résistance des troupes allemandes, même si cela impliquait aussi d'être capable d'envoyer sur le terrain plus d'hommes à l'heure que les armes allemandes ne pouvaient en tuer dans le même laps de temps.

Le carnage qui en résulta parmi les combattants correspondait, de ce point de vue, à un froid calcul de l'état-major allié. Il allait se doubler d'un autre parmi la population civile des pays «libérés». Partout en Europe, l'avancée des troupes anglo-américaines s'accompagna de bombardements massifs, que ce soit en France, en Italie ou en Allemagne, contre des villes qui, à l'exemple de Dresde, ne regroupaient que des civils. Les dirigeants alliés qui s'apprêtaient à occuper l'Europe sur les ruines du IIIème Reich, craignaient d'être difficilement acceptés par les populations européennes et d'avoir des difficultés à imposer leur occupation à des peuples qui venaient de vivre des années très dures et espéraient la fin des privations. Ils craignaient des mouvements de révolte, voire des révolutions comme cela s'était produit à la fin de la Première Guerre mondiale.

De ce point de vue, les bombardements massifs étaient, pour les dirigeants alliés, un moyen de préparer le terrain. Il s'agissait de terroriser les populations en déchaînant sur elles un déluge de fer et de feu, pour bien montrer qu'ils étaient les maîtres et pour décourager d'avance toute velléité de révolte. Car, pour les États-Unis et leurs alliés, il n'était pas question de permettre aux peuples libérés de choisir le régime sous lequel ils voulaient vivre.

Les bombardements massifs contre les civils, avec leurs terribles destructions et les énormes souffrances qu'elles impliquaient pour les populations «libérées», étaient donc aussi un calcul froid et conscient de la part des dirigeants alliés. Le terrain était ainsi préparé pour leur propre occupation militaire, en attendant que puisse être mis sur pied, dans chacun des pays dits libérés, un régime présentant toutes les garanties voulues et acceptant l'ordre impérialiste mondial que les États-Unis, dirigeants du camp des vainqueurs, allaient établir au lendemain de la guerre.

Marianne LAMIRAL (juin 2004)

Il y a 70 ans, le débarquement et ses victimes : des massacres décidés froidement

Lors des célébrations officielles, des hommages ont été rendus aux soldats alliés morts au cours du débarquement ainsi qu'aux civils victimes des bombardements. Mais les soldats qui ont débarqué sur les côtes françaises le 6 juin 1944 et y ont laissé la vie ont aussi été délibérément sacrifiés par les gouvernements alliés. Et les combattants alliés, Américains, Britanniques et Canadiens, furent accueillis par une population préalablement écrasée sous les bombes.

De froids calculs établis par l'état-major militaire allié avaient conclu que, pour mettre le pied sur les plages normandes, il fallait envoyer plus de matériel que les troupes allemandes n'avaient la possibilité d'en détruire, et surtout plus d'hommes qu'elles n'étaient capables d'en tuer.

Une première tentative de débarquement avait été effectuée à Dieppe près de deux ans auparavant, le 19 août 1942. L'histoire officielle est restée beaucoup plus discrète sur cet événement qu'elle ne l'a été pour le 6 juin 1944, car toutes les conditions étaient réunies pour qu'il mène à un massacre inutile. Six mille hommes, en grande majorité des jeunes Canadiens sans aucune préparation militaire, avaient été lancés le 19 août 1942 sur des plages de galets sur lesquelles les chars eux-mêmes ne pouvaient avancer, cernées de falaises abruptes d'où les défenses allemandes mitraillaient les soldats. En quelques heures, près des deux tiers des hommes furent hors de combat, tués, blessés ou prisonniers. Ce fut un carnage, prévu et perpétré de sang froid par les Alliés, dont le but n'était pas alors de prendre pied en Normandie mais de tester la résistance ennemie.

C'est fort de cette « expérience » que le 6 juin 1944 l'état-major allié fit débarquer ou parachuter près de 200 000 soldats, appuyés par un appareil militaire impressionnant, avions, véhicules terrestres, bombes et armes de destruction. En une seule journée de combats, le nombre de pertes humaines (tués, blessés, disparus ou prisonniers) fut estimé à plus de 10 000 parmi les troupes alliées, et autant au sein des forces allemandes, chiffre beaucoup moins cité.

Parmi la population civile, dans la bataille de Normandie qui suivit le débarquement, ce fut aussi un carnage. Caen, Le Havre, Cherbourg, Falaise et nombre de villes sans aucune importance stratégique furent rasées sous « une pluie de feu, de fer, d'acier, de sang », comme l'écrivit Prévert à propos de Brest. En quelques semaines, quelque 30 000 civils furent tués en Normandie, les survivants errant sur les routes à la recherche d'un abri et de nourriture.

Pendant longtemps, l'histoire officielle a été très discrète sur ces massacres de populations, affirmant que les morts civils étaient le prix à payer pour parvenir à la libération du pays. Certains historiens commencent tout juste à reconnaître que les bombardements systématiques des villes étaient inutiles sur un plan stratégique. Effectivement, leur but avait été clairement défini dès 1942 par le gouvernement britannique, quand ils avaient été décidés sur les villes allemandes : il fallait « détruire le moral de la population ennemie et, en particulier, celui des travailleurs de l'industrie ».

Les dirigeants des puissances impérialistes craignaient de se trouver à la fin de la guerre face à une situation révolutionnaire, comme celle qui avait marqué la fin de la Première Guerre mondiale, d'une ampleur plus grande encore dans une Europe ravagée par la guerre, où les souffrances endurées par les peuples avaient été bien supérieures. Dans cette perspective, les bombardements massifs avaient pour objectif de vider les villes, de disperser leurs habitants en les terrorisant, afin d'éviter tout regroupement concerté qui puisse contester leur domination, en premier lieu parmi la classe ouvrière.

Les hommes, les femmes et les enfants écrasés sous les bombes ne furent pas des « dommages collatéraux », comme on le dit aujourd'hui : ils en étaient bien un des objectifs.

Le débarquement allié du 6 juin 1944 : de la victoire de l'impérialisme américain à de nouvelles guerres

La guerre transformée en grand spectacle, telles ont été les cérémonies de commémoration du 70e anniversaire du débarquement allié sur les côtes normandes, le 6 juin 1944. Des chefs d'État avaient été invités, mais aussi les anciens présidents de la République, tels Giscard ou Sarkozy, venus se faire voir, et des centaines de figurants pour faire revivre cet épisode de la Deuxième Guerre mondiale. Des hommages ont été rendus aux soldats et aux civils qui ont payé cette opération militaire de leur vie, et les discours ont évoqué comme il se doit l'amitié entre des peuples autrefois ennemis, la victoire de la démocratie sur la barbarie, et naturellement la paix qui serait devenue l'objectif permanent des grands de ce monde.

Nul ne conteste que le régime de Hitler en Allemagne était une dictature féroce qui écrasait et massacrait les peuples européens, à commencer par son propre peuple. Nul ne met en doute non plus qu'après quatre années d'occupation la majorité de la population française ait vu dans le débarquement l'espoir d'être débarrassée du nazisme et de ses supplétifs français. Mais jamais cette guerre ne fut une lutte entre les forces du Bien et celles du Mal, Alliés d'un côté et nazis de l'autre, comme gouvernants et historiens la présentent depuis soixante-dix ans. Au même titre que la Première Guerre mondiale, la Deuxième fut une guerre entre impérialismes rivaux pour le contrôle de territoires et de marchés indispensables au développement économique de leur propre pays.

Pendant plus de six ans, de l'arrivée de Hitler au pouvoir au déclenchement de la guerre, les puissances occidentales - États-Unis, Grande-Bretagne et France - ainsi que l'Union soviétique stalinienne s'étaient fort bien accommodées de ce régime et de ses crimes, tant que celui-ci s'en prenait à sa propre population et, plus particulièrement, mettait au pas une classe ouvrière combative. Ce n'est que lorsque les visées expansionnistes de Hitler aboutirent à créer une superpuissance au sein de l'Europe que les pays impérialistes se sentirent menacés dans leur domination économique et décidèrent alors de déclarer la guerre à l'Allemagne nazie, les uns après les autres.

Le débarquement du 6 juin 1944 marqua certes une étape vers l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, après il est vrai le grand tournant qu'avait été la victoire soviétique de Stalingrad, sur le front de l'est. Mais la victoire de l'impérialisme américain, fort de son potentiel industriel et d'autant plus puissant que son territoire était resté à l'écart des conflits et avait profité de la guerre pour prospérer, n'a nullement été synonyme de paix pour la planète.

Les États-Unis et leurs alliés sont intervenus en Europe en faisant tout pour éviter que les peuples ne tentent de se débarrasser de ce système capitaliste fauteur de guerre. Ils remplacèrent une occupation militaire par une autre, en attendant que se mettent en place, dans une Europe en ruines, des régimes favorables à leur domination et présentant toutes les garanties pour contenir d'éventuels mouvements de révolte.

L'humanité l'a payé par la continuation, pendant soixante-dix ans encore, du système de domination impérialiste qui n'en a pas fini d'ensanglanter la planète, de la Corée au Vietnam et de l'Algérie à l'Irak, à l'Afghanistan et ailleurs.


Marianne LAMIRAL (juin 2014)



L'anniversaire du débarquement en Normandie - Guerre pour la «démocratie» ou pour les intérêts impérialistes ?

Comme tous les présidents américains, de Jimmy Carter à George Bush, l'ont fait avant lui, Barack Obama est venu en France participer aux cérémonies de commémoration du débarquement allié en Normandie du 6 juin 1944, en compagnie de Sarkozy et du prince Charles qui représentait la Grande-Bretagne. À cette occasion, on a pu entendre les traditionnels discours sur le sacrifice des soldats alliés, américains, anglais et canadiens, qui avaient perdu la vie pour libérer l'Europe de la dictature nazie et y restaurer des régimes démocratiques. 
 
Le 6 juin 1944, des milliers de jeunes vies furent effectivement sacrifiées. C'était un choix délibéré des états-majors alliés : sans base arrière, avec juste l'aviation et la marine pour les soutenir, il leur fallait, pour prendre pied sur le continent, envoyer plus d'hommes que les armes allemandes ne pouvaient en abattre dans le même laps de temps. 132 000 soldats débarquèrent ainsi en vagues ininterrompues durant toute la journée, en sachant que les premiers qui touchaient le sol avaient peu de chances de survivre. Dans les rangs alliés, 2 500 soldats furent ainsi tués dans une seule journée. Du côté allemand, les pertes furent similaires, sinon supérieures. Le débarquement allié fut une boucherie - comme il y en eut bien d'autres au cours de cette guerre.

Pour les peuples d'Europe qui subissaient depuis des années une oppression féroce exercée par le régime nazi, le débarquement allié sur les côtes normandes apportait évidemment l'espoir d'en finir avec la guerre, l'occupation militaire, les massacres de populations, à commencer par celui des Juifs, les arrestations et exécutions de tous les opposants à ce régime de terreur, dont les communistes allemands furent les premières victimes, les camps de concentration, le travail forcé et les privations endurées.

Depuis 65 ans, les dirigeants des États alliés de 1944, Obama et Sarkozy aujourd'hui, continuent de prétendre que la Seconde Guerre mondiale fut d'abord le combat pour la liberté et la démocratie contre la dictature, et non un affrontement entre deux groupes de brigands impérialistes.

Les soldats américains prêts à laisser leur vie dans cette guerre croyaient eux aussi, dans leur grande majorité, qu'ils défendaient un idéal de démocratie. Depuis la fin de l'année 1941 où, après l'attaque de Pearl Harbour, le gouvernement américain s'était engagé dans la guerre, une intense propagande avait été menée en ce sens aux États-Unis. Le gouvernement de Roosevelt se présentait comme le défenseur des libertés démocratiques volant au secours des nations opprimées.

Pourtant, en fait de droits démocratiques, les gouvernements alliés les foulaient aux pieds, y compris aux États-Unis où les Noirs américains étaient une minorité privée des droits civiques, et même de celui de travailler dans des usines se rapportant au domaine militaire, comme l'aviation. Pendant le débarquement, ils furent pour l'essentiel confinés dans des tâches de ravitaillement ou de logistique, le gouvernement américain craignant de leur donner des armes. Quant aux Américains d'origine japonaise vivant sur la côte Ouest, ils étaient internés dans des camps depuis 1942.

Les autres alliés ne brillaient guère plus par le respect de la « démocratie » : la Grande-Bretagne et la France possédaient un empire colonial dont elles pillaient les richesses, et à qui elles refuseraient d'accorder l'indépendance des années après la fin de la guerre.
 
Les alliés avaient d'ailleurs attendu bien longtemps avant de déployer la bannière « démocratie ». Durant les années trente, la terreur exercée par le régime nazi était connue. Les gouvernements occidentaux connaissaient parfaitement les assassinats commis par les fascistes, les arrestations et l'existence de camps. Ils savaient que les Juifs avaient perdu tous leurs droits et étaient pourchassés. Mais on n'avait guère entendu qu'une discrète désapprobation. États-Unis, France et Grande-Bretagne cherchaient avant tout à composer avec Hitler. Il en avait été de même quand les armées allemandes envahirent la Tchécoslovaquie en 1938 et 1939.

Plus tard, dans les années 1944-45, les dirigeants américains et britanniques, entre autres, montrèrent quel cas ils faisaient des populations civiles, en bombardant massivement les grandes villes allemandes et japonaises pour terroriser les peuples et prévenir toute rébellion contre l'ordre mondial qu'ils comptaient établir.

En fait, la défense des libertés démocratiques et le respect de la volonté des peuples n'avaient rien à voir dans les choix des dirigeants alliés. Il s'agissait, d'abord, de défendre les intérêts économiques des gros capitalistes et de l'élite fortunée de leur pays. Les États-Unis étaient entrés dans le conflit mondial en 1941 parce que l'impérialisme allemand, qui dominait l'Europe, ainsi que l'impérialisme japonais, qui s'étendait en Asie, étaient pour eux des concurrents dangereux.

Après que les impérialismes français et britannique eurent montré leur faiblesse devant les forces militaires allemandes, ils n'étaient plus des rivaux pour l'impérialisme américain. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci allait seulement devoir composer avec un autre de ses alliés, l'URSS, dont l'effort militaire et le sacrifice de près de vingt millions d'hommes allaient peser d'un poids énorme dans la défaite de l'impérialisme allemand.

En juin 1944, une grande partie des populations européennes pouvait voir l'arrivée des forces alliées en Normandie avec un soulagement bien compréhensible. Mais la fin de la Seconde Guerre mondiale n'allait déboucher sur rien d'autre qu'un nouvel ordre impérialiste. Depuis ce moment, les États-Unis et leurs alliés poursuivent leur domination économique et politique de la planète en empêchant toute remise en cause par les peuples de cet ordre établi. Et ils le font y compris par la guerre, même si c'est toujours au nom de la défense de la « démocratie » qu'ils ont mené des guerres en Corée et en Indochine, en Algérie et au Vietnam, en Irak et maintenant en Afghanistan.

Marianne LAMIRAL (LO, juin 2009)

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