jeudi 11 juin 2015

:: 19 juin 1953, assassinat des époux Rosenberg [LO, juin 2003]

C'est le 19 juin 1953 que Julius et Ethel Rosenberg furent exécutés sur la chaise électrique du pénitencier de Sing-Sing, aux États-Unis. Leur condamnation ne relevait pas de l'erreur judiciaire. De bout en bout, ce fut une affaire politique. Ils furent sacrifiés sur l'autel de la guerre froide, en pleine guerre de Corée, quand les dirigeants de la principale puissance impérialiste de la planète entendaient préparer l'opinion publique américaine à une éventuelle guerre "chaude" contre l'Union soviétique.

La "chasse aux sorcières"


Officiellement, ce qu'on a appelé la "chasse aux sorcières" ou encore le "maccarthysme", du nom du sénateur du Wisconsin Joseph McCarthy, commence lorsque ce dernier, le 9 février 1950, accuse publiquement des fonctionnaires américains d'être communistes et d'oeuvrer contre l'intérêt national. Commence alors la traque des adhérents du Parti Communiste mais aussi de tous ceux qui ont pu l'être dans le passé, même s'ils ont mis fin à leur engagement politique.

En réalité, la "chasse aux sorcières" a commencé quelques années plus tôt. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis cherchent à affirmer leur suprématie vis-à-vis de l'URSS sur le plan international, en même temps qu'ils cherchent à faire taire la classe ouvrière américaine sur le plan intérieur, au moment où celle-ci riposte, par une série de grèves dures, à la situation difficile engendrée par l'effort de guerre.

Un des objectifs du "maccarthysme" est d'épurer les syndicats américains de toute présence de militants communistes. C'est d'ailleurs dans le CIO, l'organisation syndicale d'industrie née des conflits grévistes des années trente, que la "chasse aux rouges" est la plus violente: onze fédérations syndicales ont été dissoutes et un million de syndiqués exclus.

Dès 1946, une véritable inquisition s'est mise en place contre tous ceux qui peuvent être soupçonnés de communisme. Elle a d'abord frappé les milieux artistiques, vitrine de la société américaine, mais s'est étendue bientôt à toute la société. Dès 1947, le sénateur McCarthy a obtenu qu'on réalise une enquête de moralité sur deux millions de fonctionnaires. Dans l'administration, dans les universités, dans les écoles, dans les entreprises, il y a des dénonciations de personnes qualifiées, à tort ou à raison, de "communistes". Pour tous, c'est le licenciement immédiat et parfois le procès et la prison. Dans le pays qui se présente au monde comme "le champion de la démocratie", se met en place un système de délation qui n'a rien à envier aux régimes nazi ou stalinien. Les condamnations pleuvent sur les sympathisants du PC mais également sur tous ceux qui affichent des opinions libérales.

La condamnation des Rosenberg

L'affaire qui symbolise toute cette période est justement la condamnation à mort des époux Rosenberg, condamnés sur la base d'un procès sans preuves sérieuses -et en tout cas sans la moindre preuve qui puisse justifier la chaise électrique! Julius Rosenberg, arrêté le 17 juillet 1950, et Ethel, arrêtée le 12 août, sont accusés de "complot en vue de commettre le crime d'espionnage", motif d'autant plus vague que les "preuves" réunies par la police et la justice le resteront également.

Leur condamnation va en faire les boucs émissaires pour un événement qui irrite beaucoup les dirigeants américains. A la sortie de la guerre, les États-Unis sont la seule puissance atomique. Ils ont testé en grandeur réelle la bombe atomique sur la population japonaise. En théorie, il s'agissait de "hâter la fin de la guerre", en pratique, de terroriser la population japonaise, pour empêcher que le Japon ne tombe dans la sphère d'influence soviétique ou, pire à leurs yeux, ne succombe à la révolution prolétarienne.

Cette exclusivité américaine s'est effondrée en 1949, quand l'URSS a disposé à son tour de la bombe A. Le 1er décembre 1950, en pleine escalade de la guerre de Corée, le président américain Truman avait déclaré que les États-Unis étaient prêts à utiliser la bombe atomique contre l'URSS si celle-ci menaçait l'Europe au-delà du rideau de fer. Mais le 3 octobre 1951, l'URSS procède à l'explosion d'une nouvelle bombe d'une puissance supérieure. Les dirigeants américains ripostent à ce camouflet, en redoublant d'hystérie anticommuniste à l'intérieur.

Les Rosenberg deviennent alors des "espions atomiques". Si les Russes ont la bombe c'est que les Rosenberg et leurs complices, notamment David Greenglass, le frère d'Ethel Rosenberg, ont transmis le "secret" aux Russes, affirme-t-on. Les accusateurs publics, la grande presse dénoncent ceux qui ont "trahi leur patrie" en transmettant ce secret. Certains manifestent dans la rue, réclamant leur tête. Les Rosenberg sont ainsi livrés en pâture à une opinion publique dont l'hystérie est créée de toutes pièces par les pouvoirs publics: président, gouvernement, services secrets, police et justice.

Coupables de quoi ?

Car si quelqu'un devait le "secret" de l'arme atomique à des "traîtres" ayant "trahi leur patrie", c'étaient d'abord les États-Unis, qui avaient pu se lancer dans la course atomique parce que des physiciens d'origine allemande, Albert Einstein en tête, avaient rompu avec l'Allemagne nazie dans les années trente et renseigné le gouvernement américain sur les possibilités militaires de la fission nucléaire!
Ces savants allemands anti-nazis estimèrent à ce moment-là que, pour contrecarrer le risque que les nazis se dotent les premiers de l'arme atomique, il fallait convaincre les États-Unis de chercher dans la même direction, ce que permettaient leurs moyens. De même, parmi eux, certains estimèrent qu'il ne fallait pas non plus que l'arme atomique reste le monopole des seuls États-Unis. C'est ainsi que Klaus Fuchs, physicien allemand réfugié en Angleterre et collaborateur du centre de recherche atomique américain de Los Alamos, allait informer l'URSS de 1941 à 1950 sur l'évolution des recherches américaines.

Les Rosenberg étaient des militants du Parti Communiste. Lui était ingénieur de formation, elle dactylo. Ils s'étaient rencontrés dans les années trente, dans le quartier de l'East Side où vivaient les familles les plus populaires de New York et où le soir, après avoir fait la vaisselle, on lisait le Daily Worker, le quotidien du PC américain. Ethel fut licenciée après sa première embauche comme dactylo pour avoir appelé ses collègues à la lutte contre un patron rapace. C'est dans ce milieu de militants ouvriers, où les idéaux communistes valaient plus que le "rêve américain", même malgré les duperies de la politique stalinienne, que les Rosenberg puisèrent la force de lutter contre l'appareil d'État américain qui entendait les broyer pour convaincre l'opinion publique qu'il fallait "casser du rouge".

On a beaucoup glosé pour savoir si les Rosenberg étaient "coupables". Mais coupables de quoi? En tant que sympathisants du PC et de l'URSS -ce qu'ils nièrent être pour des raisons tactiques- ils trouvaient sans doute juste que les secrets de la bombe atomique soient partagés. Est-ce que le service militaire effectué par David Greenglass à Los Alamos lui a permis de transmettre des éléments suffisamment importants pour aider les Russes? Tout le monde dit aujourd'hui que c'était des broutilles. D'ailleurs, en 1946, un des concepteurs de la bombe atomique avait déclaré au New York Times: "Des données détaillées sur la bombe atomique demanderaient 80 à 90 volumes imprimés serré, et que seul un scientifique serait capable de lire. Tout espion capable de glaner ces renseignements obtiendrait ces informations plus rapidement en restant chez lui et travaillant dans son propre laboratoire." Mais les "aveux" de Greenglass qui, pour sauver sa peau, condamna sa propre soeur à la chaise électrique, n'étaient qu'un prétexte. Le sort des Rosenberg était réglé avant même que l'affaire ne soit jugée.
En général, les "espions" d'envergure sont traités avec ménagement par les États qui les mettent hors jeu. Ils connaissent des peines de prison et sont l'enjeu de discrets échanges. Mais l'État américain voulait des exécutions, quitte à fabriquer des preuves et à piétiner tous les recours possibles des condamnés. Les Rosenberg, de leur côté, firent front avec courage et devinrent un symbole. Durant toute l'année 1952 et début 1953, dans tous les États-Unis mais aussi dans de nombreux pays, Canada, France, Angleterre, Italie, Hongrie, Inde, des "comités Rosenberg", proches des partis communistes, et des centaines de milliers de manifestants réclamèrent en vain leur grâce.

Leur mort fut un assassinat délibéré perpétré dans un contexte d'hystérie anticommuniste. Et même si les dirigeants américains invoquaient la dictature stalinienne qui régnait alors en URSS pour justifier leur crime, elle n'était au fond qu'un prétexte. La preuve en est que, cinquante ans après, ils n'en ont fini ni avec l'hystérie ni avec la recherche de boucs émissaires pour justifier une politique qui vise à imposer, coûte que coûte, sur la planète, la domination de l'impérialisme.

Jacques FONTENOY (LO, juin 2003)

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