lundi 25 juin 2012

:: De l'impérieuse nécessité d'un parti communiste révolutionnaire [LO, août 1968]

Tout le monde le sait, des révolutionnaires qui l'affirment avec confiance, aux gaullistes qui malgré leur victoire électorale envisagent la rentrée avec inquiétude, mai et juin 1968 "n'étaient qu'un début".
Mais il ne suffit pas de crier sa résolution de "continuer le combat". Il faut, pour que celui-ci ait toutes les chances d'être victorieux, tirer les leçons des luttes que nous venons de vivre. Et l'un des grands enseignements de ce printemps, c'est l'impérieuse nécessité d'un parti révolutionnaire.
Sans doute n'est-ce pas là une nécessité nouvelle. Il y a au contraire bien longtemps que les révolutionnaires fidèles à la tradition du bolchevisme la proclament. Mais depuis ces derniers mois, le problème se pose d'une manière infiniment plus concrète, et plus urgente.
Une telle nécessité n'est d'ailleurs pas également ressentie par tous ceux qui ont participé à ces événements. Certains en tirent au contraire des conclusions diamétralement opposées. Ils se font les apôtres de la spontanéité, et dénoncent les dangers de bureaucratisation que renfermerait en soi toute organisation.
Que de pareilles tendances se fassent jour n'est nullement étonnant. Les manifestations de mai et de juin 1968 ont vu réapparaître en bonne place, et c'était la première fois depuis bien longtemps, les drapeaux noirs de l'anarchisme. Nous ne sommes pas de ceux qui le déplorent. Non seulement parce que le drapeau noir a ses lettres de noblesse, mais aussi parce que, dans le contexte actuel, la réapparition de courants anarchistes fait partie d'un tout, caractérisé par le déclin du stalinisme, et le développement de l'extrême-gauche révolutionnaire.
Mais il n'en reste pas moins que les révolutionnaires conséquents doivent entreprendre une lutte énergique contre toutes les tendances anti-organisation, qu'elles soient nettement affirmées (niant la nécessité de celle-ci) ou plus nuancées (remettant en cause la conception bolchevique du parti). Lutte énergique sur le plan des idées, qui n'exclut nullement, bien au contraire, la nécessité d'entretenir les rapports les plus fraternels, voire les plus unitaires, avec ces camarades. Mais c'est l'avenir même du mouvement, ses possibilités, qui sont en cause.
De telles tendances ne sont d'ailleurs pas une chose nouvelle dans le mouvement ouvrier. Elles ont existé de tout temps. Mais elles risquent de rencontrer des conditions nouvelles de développement dans les conditions actuelles de la lutte, dans le fait que l'une des tâches principales des révolutionnaires à l'heure actuelle est de faire sauter le carcan que le stalinisme fait peser sur la classe ouvrière.
Des milliers de jeunes, étudiants et travailleurs, viennent de faire, en s'éveillant à la vie politique, l'expérience du stalinisme. Ils ont vu concrètement le rôle réactionnaire que celui-ci assumait, et mesuré son importance. Ils ont vu quel poids représentait, dans les entreprises principalement, l'appareil du P.C.F. et de la C.G.T., et quelle était son efficacité en tant que défenseur de l'ordre bourgeois.
Le Parti Communiste Français est un parti centralisé et discipliné. Ce centralisme, et cette discipline, sont l'un des facteurs de son efficacité. L'une des tentations que risquent de rencontrer les jeunes révolutionnaires serait de croire que c'est parce que le P.C.F. est un parti centralisé qu'il joue un rôle contre-révolutionnaire. Mais il n'y a pas là de lien de causalité. Ce ne sont pas les formes organisationnelles du stalinisme qui on déterminé le contenu de sa politique. Ce sont les liens qui rattachent à la bureaucratie conservatrice de l'U.R.S.S. d'une part, et à l'aristocratie ouvrière d'autre part. Ses formes organisationnelles expliquent seulement la manière dont il peut faire appliquer sa politique.
Parce que le mouvement de mai a été un mouvement spontané, et que son principal adversaire a été un parti centralisé, il ne faudrait pas en tirer des conclusions hâtives, jeter — pour reprendre un proverbe qu'il est devenu classique de citer en pareille occasion — l'enfant avec l'eau de la baignoire, et théoriser un état de fait en chantant les louanges de la spontanéité qui serait seule capable de faire avancer le mouvement ouvrier.
Parce que le mouvement de mai montre précisément, et avec la plus grande clarté, quelles sont les limités de cette spontanéité.
Le développement de la grève générale a été, c'est l'évidence même, un phénomène largement spontané. Mais les appareils syndicaux traditionnels sont rapidement parvenus à contrôler le mouvement, à le canaliser, et la grève a finalement échoué dans ses buts, tant économiques que politiques, la reprise s'étant effectuée sur les bases que l'on sait.
Il y avait, bien sûr, le stalinisme, la bourgeoisie et son Etat. Mais expliquer l'issue du mouvement par ces seuls facteurs ne serait pas plus sérieux, dans un genre différent, que les justifications que se découvrent aujourd'hui les dirigeants du P.C.F.
Pour ceux-ci, leur échec — il est vrai que ce qui les touche c'est surtout l'échec électoral — est dû à deux causes : la bourgeoisie d'une part, qui s'obstine à être anticommuniste, et les "groupuscules gauchistes" d'autre part, dont chacun sait qu'ils sont au service de cette même bourgeoisie. La politique du Parti, et de ses dirigeants, n'est nullement en cause. Elle a toujours été juste, lucide et clairvoyante. Somme toute, le P.C.F. a été amené à la défaite électorale par un destin antique insensible aux qualités du héros.
Expliquer la défaite par l'ennemi, c'est commode. Mais comme l'ennemi n'a aucune raison de disparaître de lui-même, on voit mal comment l'on pourrait sortir un jour de cette situation.
Ce genre de fatalisme est étranger aux révolutionnaires. Leur devoir, c'est de rechercher les causes de l'échec, ou de l'Insuffisance d'un mouvement non pas dans les forces de l'adversaire, mais dans les faiblesses de leur propre camp, afin de tout faire pour y remédier dans l'avenir.
Les méfaits du stalinisme n'expliquent pas tout. Ce qui est important, c'est de comprendre comment celui-ci a pu imposer sa politique à la classe ouvrière de ce pays, contre la majorité de celle-ci, comment il a pu canaliser aux moindres frais pour la bourgeoisie, un mouvement de cette importance.
Le 20 mai, moins d'une semaine après la première occupation d'usine, dix millions de travailleurs étaient en grève. Le mouvement s'était développé d'une manière largement spontanée, mais la spontanéité ne pouvait guère mener les travailleurs plus loin. Si quelques véritables comités de grève élus et représentatifs apparurent ça et là, ce fut pratiquement toujours sous l'impulsion de militants révolutionnaires. Mais en règle générale, les travailleurs, y compris ceux qui avaient pris l'initiative du mouvement, s'effacèrent peu à peu, dès cet instant-là, devant les appareils syndicaux.
La grève générale, et toute l'histoire du mouvement ouvrier est là pour l'attester, n'est pas une arme absolue pour le prolétariat. Elle ne contraint nullement, en elle-même, la bourgeoisie à la capitulation. Celle-ci peut, par exemple, jouer sur le temps, miser sur le pourrissement du mouvement. Dépasser le stade passif de la grève devient alors une question vitale pour celui-ci.
Il ne s'agit pas de discuter du problème de l'insurrection. Celui-ci ne se posait pas. La crise n'en était nullement arrivée à ce point de maturité. Nous n'étions pas à la veille d'un nouvel octobre 1917. Opposer la reprise avec quelques miettes, au soulèvement armé est un faux dilemme que les dirigeants staliniens mettent aujourd'hui en avant pour dissimuler leurs responsabilités et leurs trahisons.
Mais le problème qui se posait en mai, et de manière cruciale, c'était celui de l'organisation du prolétariat, et pas seulement au sens limité du terme d'organisation au sein de partis et de syndicats, mais à son sens le plus large d'organisation de la classe elle-même en tant que telle, contestant le pouvoir de la bourgeoisie.
Ce n'était pas encore le problème de la prise du pouvoir, de tout le pouvoir, mais celui de la constitution d'embryons du pouvoir ouvrier. Il aurait fallu que se crée, dans chaque entreprise un comité démocratiquement élu, représentant l'ensemble des travailleurs, qu'il s'appelle comité de grève ou autrement. Il aurait fallu que ces comités tissent sur l'ensemble du pays des milliers de liens de coordination entre entreprises différentes, sur le plan local, comme sur le plan régional ou national. Dès les premiers jours de la grève se posait aussi le problème de son organisation, de la remise en route et de la gestion de certains secteurs au moins de la machine économique du pays, afin que, si la bourgeoisie et son appareil d'Etat étaient paralysés, la classe ouvrière puisse disposer au contraire de tous les atouts.
Cela était clair pour un certain nombre de militants d'avant-garde, mais cela ne l'était pas pour l'ensemble de la classe ouvrière, pas même pour sa fraction la plus consciente, pour celle qui fut à l'origine du mouvement.
Deux facteurs auraient pu permettre l'accomplissement de ces tâches. Le premier, c'est un degré de conscience spontanée beaucoup plus élevé de la classe ouvrière. Mais c'est précisément un facteur sur lequel les révolutionnaires n'ont aucun moyen d'agir directement. Il ne suffit pas en effet de formuler des mots d'ordre justes et clairs. Encore faut-il avoir le moyen de les faire pénétrer dans les masses. Et ce moyen, c'est le parti. Rejeter l'échec du mouvement sur ce seul facteur de conscience spontanée, c'est d'une certaine manière donner raison aux dirigeants du P.C.P., puisque cela implique que ce mouvement ne pouvait d'aucune façon déboucher sur des perspectives révolutionnaires.
Le second facteur, c'est un parti révolutionnaire. Un tel parti aurait peut-être pu précisément engager le mouvement de mai dans la voie que nous venons de décrire. Il aurait peut-être pu, par son intervention à chaque étape de la lutte, élever le niveau de conscience des masses, et permettre à la crise de mai de déboucher sur de toutes autres perspectives. Ce n'est évidemment pas certain, mais c'est une possibilité. Et qu'est-ce que l'activité politique, si ce n'est l'art d'utiliser au mieux toutes les possibilités.
Un tel parti, solidement implanté dans la classe ouvrière et dans les entreprises, jouissant de la confiance des travailleurs pourra seul aussi éviter aux luttes qui ne manqueront pas de se produire dans les mois et les années qui viennent de s'enliser dans le marais où celui-ci échoua, il pourra seul permettre à la classe ouvrière d'échapper à l'emprise de directions traîtres.
Le rôle du parti, c'est précisément de dégager les leçons des expériences passées, et pas seulement celles qui se sont déroulées dans son pays, mais celles du prolétariat international. C'est de permettre à la classe ouvrière d'en tirer les conséquences pratiques. C'est de permettre à chaque nouvelle lutte de partir du plus haut niveau atteint par les luttes précédentes.
Le rôle du parti, c'est de démasquer les pièges tendus par la bourgeoisie, et par les organisations réformistes t. son service. C'est de guider la lutte des travailleurs, non seulement en montrant le but à atteindre, mais aussi, et surtout, en montrant à chaque étape de la lutte, à chaque nouveau pas en avant, le chemin qu'il faut emprunter pour atteindre ce but.
La nécessité d'un*»parti révolutionnaire n'est pas une leçon nouvelle. Toute l'histoire du mouvement ouvrier international, de ses victoires comme de ses défaites, de la Commune de Paris à la Révolution d'octobre, illustrent au contraire ce fait.
Si, au lendemain de la révolution victorieuse, les bolcheviks attachèrent tant d'importance à la construction de la Troisième Internationale, et de Partis Communistes dans tous les pays, ce n'était pas pour faire étalage de bons sentiments internationalistes. Mais bien parce qu'ils savaient que cet instrument était indispensable pour le triomphe de la révolution socialiste mondiale.
Et si nous Insistons tant sur ce point, c'est parce que des milliers de jeunes viennent de naître en mai en juin à la conscience et à l'activité politique. Il est primordial qu'ils se convainquent que la tâche de notre époque, c'est la construction de partis révolutionnaires, et que c'est à cette tâche que doit être subordonnée toute activité militante.
Beaucoup de ces jeunes qui se tournent vers l'extrême gauche sont désorientés par la division de celle-ci en multiples tendances différentes. Même en ne considérant que celles qui proclament la nécessité d'un parti révolutionnaire, et qui œuvrent plus ou moins conséquemment à sa construction, le choix reste grand.
Cette division peut sembler aberrante.
On peut penser en effet que si tous les révolutionnaires avalent été capables d'unir leurs efforts au sein d'une même organisation, un grand pas aurait été fait vers la construction de ce parti. Que si l'extrême gauche est divisée, cela tient finalement à une sorte d'impuissance congénitale à s'unir. Et que cette impuissance est de bien mauvais augure pour l'avenir.
En fait, le problème ne se pose pas en ces termes. D'une part, parce que la division de la gauche révolutionnaire est liée à des causes bien plus complexes, et d'autre part, parce que précisément mai 1968 a créé des conditions nouvelles qui permettent d'envisager l'avenir avec optimisme.
La division de l'extrême gauche est le fait de tout un développement historique dans des conditions objectives souvent extrêmement difficiles.
Certes, il ne s'agit pas de s'incliner servilement devant les conditions objectives, ce qui serait tout le contraire d'une pensée militante.
Quelle que soit la dureté de ces conditions, chaque groupe, et chaque militant, reste responsable des positions qu'il a adoptées, et sinon de ses échecs, du moins de ses fautes.
Mais il n'en reste pas moins vrai aussi que ces conditions ne pouvaient que favoriser éclatements et scissions.
Deux courants principaux constituent aujourd'hui l'extrême gauche française, du moins sa partie qui se veut l'héritière du bolchevisme.
Le premier, le mouvement trotskyste, est apparu au moment même où l'U.R.S.S., et l'Internationale Communiste à sa suite, renonçaient objectivement à la révolution socialiste mondiale, comme l'expression de la lutte des révolutionnaires contre la dégénérescence stalinienne.
Mais hors de l'U.R.S.S., le mouvement trotskyste s'est trouvé réduit à une petite minorité d'intellectuels révolutionnaires, coupés, par la force des choses — et du stalinisme —, du mouvement ouvrier réel, et aussi, très rapidement, de la section russe de l'opposition de gauche, celle précisément qui était détentrice de toute la tradition bolchevique. Trotsky constituait alors pratiquement le seul lien vivant avec cette tradition. Il était aussi le seul dirigeant de classe internationale de l'Opposition. Son assassinat porta un coup terrible à celle-ci.
Le problème qui se posait dès sa naissance à ce mouvement, c'était de pénétrer la classe ouvrière, de la gagner à lui. Mais
il s'avéra vite que c'était une tâche extrêmement difficile.
Non pas que la classe ouvrière, intégrée dans la société bourgeoise, fut devenue hostile aux idées révolutionnaires. Celles-ci n'ont au contraire jamais cessé de rencontrer la sympathie de nombreux travailleurs, c'est un fait d'expérience pour tous les militants. Mais cette sympathie était purement passive. Le recrutement en milieu ouvrier de nouveaux militants, quels que soient les efforts déployés en ce sens, ne progressait que très lentement. Avec des hauts et des bas, les organisations trotskystes demeurèrent numériquement faibles, peu implantées surtout dans la classe ouvrière.
Cette faiblesse fut à elle seule une cause majeure de division. Ce n'est pas par hasard si la plupart des scissions eurent pour origine des divergences tactiques sur les voies et les moyens de la construction du parti révolutionnaire. Le manque de prise sur les événements, la quasi impossibilité de pouvoir vérifier ses idées dans la pratique ne pouvait mener qu'à cela.
La faiblesse du mouvement trotskyste l'empêcha de profiter pleinement de la crise de déclin du stalinisme ouverte en 1953 avec la mort de Staline.
Cette crise entraîna la formation d'un deuxième courant d'opposition communiste sur la gauche du P.C.F., celui que l'on qualifie généralement de "pro-chinois".
La faiblesse essentielle de ce mouvement réside dans le caractère superficiel de ses analyses. Il dénonce le - révisionnisme moderne des dirigeants du P.C.F. comme de ceux de l'U.R.S.S., mais sans en rechercher les causes profondes. Tout au contraire, II reste officiellement "stalinien", ne datant la dégénérescence de l'Etat ouvrier et des différents Partis Communistes que de la mort de Staline. Allant chercher ses Idées et ses slogans dans l'arsenal de l'époque stalinienne de l'Internationale Communiste, II oscille souvent entre des formulations ouvertement opportunistes empruntées aux années du Front Populaire, et les mots d'ordre sectaires et outranciers de la fameuse IIIe période, celle qui de 1928 à 1934 vit les différents P.C. faire de la social-démocratie, qualifiée de social-fascisme leur ennemi principal.
Ces références les ont longtemps conduit à adopter une attitude pour le moins sectaire vis-à-vis des autres courants d'extrême gauche, et principalement des trotskystes (dont certains le leur rendent bien, car les "pro-chinois" n'ont hélas nullement le monopole du sectarisme). Et si au cours des événements on a vu les camarades de "l'Humanité nouvelle" adopter une attitude Infiniment plus fraternelle, le travail avec les militants de l'UJ.C. (ml) est encore loin, quelquefois, d'être facile.
Mais les camarades "pro-chinois" ne sont pas pour autant dénués de qualités. Ils ont souvent fait preuve d'un sérieux dans l'activité militante, d'un dynamisme et d'un dévouement remarquables.
Ces dernières années ont vu la plupart des organisations d'extrême gauche, qu'elles soient trotskystes ou "pro-chinoises" d'ailleurs, connaître un développement certain, mais qui ne changeait pas, malgré tout, de manière qualitative, les conditions dans lesquelles elles travaillaient.
Mai 1968 a profondément modifié cette situation. Pour la première fois depuis la dégénérescence de l'Internationale Communiste, l'extrême gauche est apparue comme une force politique non négligeable dans ce pays. Des milliers de jeunes, et ce qui est déterminant, de jeunes ouvriers également, se sont tournés vers elle, et non seulement vers les Idées mais aussi vers l'activité révolutionnaire.
Le parti révolutionnaire a d'ores et déjà trouvé la base de masse qui lui permettrait d'exister en tant que tel.
Le problème de la construction de ce parti se trouve posé dans des termes nouveaux. Il ne s'agit plus de trouver les voies permettant aux révolutionnaires de gagner des militants ouvriers, il s'agit désormais d'organiser ceux qui existent potentiellement, qui se sont révélés au cours des événements. Et il s'agit de le faire rapidement, avant qu'un possible reflux, avec son cortège de démoralisation, ne réduise à néant l'acquis de mai.
Or, beaucoup de ces militants sont désorientés par la division de l'extrême gauche. Ils ne voient pas sur quoi baser leur choix, et ils n'ont effectivement pas les moyens de faire un tel choix. Aucune tendance, qu'elle soit trotskyste ou pro-chinoise, n'a la possibilité de capitaliser pour elle seule ces possibilités nouvelles. Mais toutes, en joignant leurs efforts, peuvent y parvenir.
Il ne s'agit pas de prêcher pour des raisons opportunistes une unité sans principe. De toute manière, tous les militants qui combattent à la gauche du P.C.F. se retrouveront un jour ou l'autre, par la force des choses, dans un même parti révolutionnaire. Ou alors, celui-ci n'existera pas. Seuls des sectaires invétérés pouvaient, et peuvent continuer à imaginer qu'il leur est possible de construire seul leur parti, murés dans un splendide isolément.
L'un des mérites de mai, c'est d'avoir démontré que tous les militants révolutionnaires, quelle que soit leur tendance, pouvaient travailler utilement ensemble. Et de fait, qu'ils 'l'aient voulu consciemment, ou qu'ils aient été entraînés par la force des choses et des événements, la plupart de ceux qui se réclament de la révolution sociale et de la lutte de classe se sont trouvés au coude à coude dans la lutte.
L'extrême gauche doit aujourd'hui prouver qu'elle est capable de surmonter ses divisions, qu'elle est capable de rassembler toutes les énergies qui se sont révélées ces dernières semaines.
II faut pour cela que chacune de ses tendances constitutives agisse en ne perdant pas de vue justement qu'elle n'est qu'une tendance du futur parti. Qu'elle repousse tout sectarisme, tout esprit "de boutique" et de concurrence. Qu'elle considère les intérêts du mouvement révolutionnaire dans son ensemble comme ses propres intérêts.
Il faut aussi, dès à présent, tout mettre en œuvre pour unifier dans les plus courts délais l'ensemble des tendances révolutionnaires au sein d'un même parti.
Cela ne sera naturellement possible que si chacune de ces tendances conserve le droit, et la possibilité réelle, de défendre librement ses idées au sein du parti unifié.
Mais la reconnaissance d'un tel droit ne serait nullement non plus une compromission, une concession opportuniste. Ce serait au contraire l'affirmation d'un droit démocratique élémentaire, sans lequel un parti révolutionnaire ne saurait même pas exister.
Il nous faut là aussi combattre les séquelles du stalinisme dans l'extrême gauche. Le monolithisme n'est pas un facteur d'efficacité révolutionnaire. C'est un facteur d'efficacité incontestable pour un appareil désireux s'imposer sa politique indépendamment des sentiments de sa propre base ou des masses. Mais un parti révolutionnaire lui, pour accomplir ses tâches, a besoin que règne en son sein la démocratie la plus intense. Non seulement que les formes démocratiques soient observées, mais surtout qu'existent entre militants, entre la base et la direction, à tous les niveaux, de réels rapports démocratiques. La richesse de la vie intérieure d'un parti est un signe de santé.
Dans les dures conditions de la lutte clandestine, le parti bolchevik connut une vie intérieure bouillonnante. Il n'y avait rien de commun entre celle-ci, et les grises et mornes réunions du Comité central du P.C.F. adoptant avec constance à la plus parfaite unanimité les résolutions de son secrétaire général Mais cela n'empêcha pas, bien au contraire, le parti bolchevik de diriger la Révolution d'octobre.
Que chacune des tendances de l'extrême gauche considère que sa politique est la plus juste, c'est bien naturel. Le contraire serait particulièrement inconséquent. Mais dans les conditions actuelles, chacune d'elles doit être aussi convaincue qu'il serait infiniment plus profitable, pour elle-même comme pour les intérêts généraux du mouvement, de défendre ses idées au sein d'un parti unifié. Aucun révolutionnaire digne de ce nom ne peut craindre la lutte des idées.
L'unification de toutes les tendances révolutionnaires ne serait pas une fin. Mais ce serait un sérieux commencement. Il resterait au jeune parti à s'aguerrir, à se tremper dans la lutte, à sélectionner sa direction et ses cadres, à se rendre apte enfin à remplir sa tâche historique, la révolution prolétarienne.
Cela peut demander des années. Mais cela peut aussi demander beaucoup moins. Il y a des périodes qui comptent plus que double, en fait d'expérience et d'enrichissement, dans la vie des organisations révolutionnaires comme dans celle des militants. Tout dépendra de ce que nous réservent les mois et les années qui viennent.
Chacun le sait, le rythme de développement des événements, du mûrissement d'une situation, ne dépend que dans une très faible mesure des efforts des révolutionnaires. Mais ce qui peut dépendre d'eux, c'est d'être prêts alors à intervenir avec efficacité.
S'ils saisissent aujourd'hui l'occasion qui s'offre à eux, alors il ne fait aucun doute qu'en tout état de cause, mai 1968 restera une date capitale dans l'histoire du mouvement ouvrier français.


vendredi 22 juin 2012

:: Le PCF face à la crise de mai 68

Les élections qui couronnèrent le retour à l'ordre consacrèrent la défaite du  PCF et de la Fédération. Survenant après les "victoires" économiques remportées par les travailleurs, leur défaite a pu paraître paradoxale voire inexplicable.


Pour celui qui juge les événements à travers les lunettes électorales, il apparaît qu'au sortir du plus grand mouvement social que la France ait connu, l'opposition se trouve finalement bien plus mal placée qu'aux élections de 1967.

Certes la loi électorale faite sur mesure pour s'ajuster au pouvoir gaulliste, ne pouvait manquer de donner comme à l'accoutumée, la victoire à la majorité. Mais cette victoire fut quant au nombre de sièges, considérable. Et si le mode de scrutin explique bien des choses, il n'explique pas tout. Il y a eu déplacement des voix et poussée à droite. Rien qui ressemble à un raz de marée gaulliste, mais un déplacement des voix des centristes envers la majorité et une perte que l'on peut évaluer à 2 % environ pour le PCF et la Fédération au premier tour.

Cette perte à quoi est-elle due ? Le PCF pour sa part a trouvé une explication. Les excès "gauchistes" ont effrayé l'électeur moyen. La France a eu peur des barricades.

L'analyse de Waldeck Rochet soumise au Comité central du PCF est un assez curieux exercice de style sur le thème conventionnel : comment on réécrit l'histoire. Les excès révolutionnaires — comprenez les barricades, Flins, Sochaux, etc. — furent fomentés par des provocateurs gaullistes ou "gauchistes" (c'est la même chose) afin d'entraîner une victoire écrasante de la majorité aux élections. Si la victorieuse lutte économique entreprise par les travailleurs en grève qui occupaient sagement les usines n'a pu avoir de conséquences politiques par la voie légale des élections, c'est que chaque voiture brûlée par les étudiants retirait des milliers de voix au Parti.

On peut en déduire qu'il y a eu deux sortes de luttes, l'une, économique, conduite de façon responsable par le PCF et l'autre, politique, dévoyée par d'infâmes "gauchistes" dans le but de saboter la première ou du moins d'en anéantir les conséquences politiques.

Que de telles affirmations soient un défi à la vérité — même purement chronologique — ne gêne nullement le PCF Les méfaits du "gauchisme" ainsi présenté doivent lui permettre d'expliquer sa défaite électorale. Et du même coup, ils servent à justifier la ligne politique du parti pendant les événements.

H s'agit donc d'exorciser le démon gauchiste et de soustraire à son influence pernicieuse les malheureux sympathisants et militants du parti qui auraient pu se laisser séduire.

La presse bourgeoise s'est elle-même étonnée de la pauvreté d'un tel raisonnement. Elle feint de déplorer cette utilisation sans nuance du bouc émissaire. Elle qui a axé toute sa propagande électorale sur la peur du complot tota­litaire visant à prendre le pouvoir par l'insurrection !

Mais en fait le PCF et la majorité se retrouvent sur un point : la condamnation des violences révolutionnaires et, à fortiori, de l'insurrection proclamée but ultime des prota­gonistes de mai.

Un tel accord n'est pas fortuit. Bien avant mai, L'Huma­nité dénonçait Cohn Bendit et les enragés de Nanterre avec autant de violence que "Paris-Jour" ou "Minute". Et quand, dans la première phase des événements de mai, celle que l'on pourrait appeler, la phase ascendante, la presse bourgeoise elle-même, du moins la presse à grand tirage, reflétait tant bien que mal la sympathie que la lutte des étudiants rencontrait dans l'opinion, un seul journal dissimulait son opposition ouverte sous un silence caractéristique : L'Humanité.

En fait et partout où ils le pouvaient, les militants du PCF ne cessaient de présenter les étudiants comme des enragés, des incendiaires, des irresponsables dont les actes provocateurs ne pouvaient manquer d'attirer la répression du gouvernement. En somme, si les C.R.S. cognaient, la faute en revenait aux étudiants, ils n'avaient qu'à ne pas résister. Et l'on vit les ouvriers se verrouiller dans leurs usines pour éviter l'entrée des "terroristes" étudiants. A Billancourt, place Nationale, le soir où Sauvageot en tête d'un cortège de deux-mille étudiants, venait saluer la grève avec occupation décrétée l'après-midi aux usines Renault, on put voir des ouvriers sortir précipitamment pour aller garer leur voiture ailleurs "de peur que les étudiants ne les brûlent" ! La peur du provocateur servait d'argument politique au PCF pour isoler ses militants de la "contagion gauchiste".

Ainsi, nul ne fit plus que le PCF pour accréditer l'idée que le mouvement de mai était fauteur de désordres et de guerre civile. Et il le fit avec l'accord du gouvernement. On se souvient de la manifestation organisée par l'U.N.E.F. devant la gare de Lyon. Le même jour le PCF et la CGT orga­nisaient deux manifestations parallèles et pacifiques dont l'une devait se rassembler à la Bastille. Pour fixer les détails du déroulement de la manifestation, l'entrevue Séguy-Grimaud (préfet de police) dura une heure Mais quand les étudiants voulurent se rendre à la Bastille où une heure plus tôt le cortège ouvrier n'avait pas rencontré l'ombre d'un képi de flic, la place était noire de C.R.S. et tous les accès bouclés par des cordons d'hommes armés. On connaît la suite. Ainsi, la CGT et le gouvernement s'étaient entendus pour apporter la preuve que les travailleurs sous la conduite de leurs organisations syndicales étaient raisonnables et pacifiques, alors que les étudiants étaient des "violents" assoiffés de barricades.

La ' grande force tranquille" du prolétariat, réprouvait par la bouche du PCF les "excès" qui allaient au fil des jours devenir des - provocations". Même Flins, même Peugeot devaient être attribués non à l'intervention des CRS mais à celle de provocateurs professionnels dont le chef de file avait nom : Geismar.

A ce moment-là la presse et la radio bourgeoises entonnaient le même refrain et condamnaient unanimement les violences étudiantes. Mais les efforts du PCF pour hurler avec les loups furent bien mal récompensés. Dans son interview par Michel Droit de Gaulle donnait le ton de la campagne électorale. Ces violences que le PCF repoussa avec horreur et énergie, il allait les lui attribuer, directement ou indirectement, il allait même lui attribuer la volonté de s'emparer du pouvoir par l'insurrection.

Ainsi, malgré sa servilité et sa complicité, le PCF allait être lui-même victime du chantage à la guerre civile qu'il avait de toutes ses forces contribué à entretenir. Ses dénégations placardées sur les murs de Paris ne lui servirent à rien. Il avait joué la carte de la peur. Avec infiniment plus de moyens et sans vergogne le gouvernement allait faire de même contre le PCF C'était une tactique payante.

Mais si cet aspect de la propagande gouvernementale remplit en effet parfaitement son rôle pendant les élections, II ne suffit pas pour autant à expliquer l'échec électoral du PCF.

La défaite du PCF c'est aussi, c'est surtout la sanction de toute une politique. La "gauche "stalinienne et réformiste en France s'est montrée résolument incapable de conduire le mouvement jusqu'à la chute du régime gaulliste.

Il n'est pas question de découvrir ici que le PCF n'est pas révolutionnaire et qu'il a trahi la cause ouvrière. C'est une évidence qui appartient depuis longtemps à l'Histoire.

Mais en tant que parti d'opposition parlementaire et adversaire proclamé du gaullisme, le PCF n'a ni pu, ni voulu exploiter la crise ouverte du régime pendant la crise de mai. Pourquoi ? Chantre des voies "pacifiques vers le socialisme", de la conquête démocratique et légale du pouvoir par les élections, en d'autres termes, fidèle partisan de l'ordre bourgeois, le PCF ne pouvait pas ne pas désavouer ce qui venait de la rue. Ce ne sont pas les violences étudiantes qui l'ont effrayé, c'est la crise elle-même.

Le PCF ne l'avait ni voulue, ni prévue. Partie du monde étudiant en général et du milieu "gauchiste" en particulier, elle prit dès le début un caractère politique que le PCF ne pouvait admettre. S'il dut pour un temps composer avec le mouvement, c'est que celui-ci allait toujours de l'avant, entraînant derrière lui des forces de plus en plus nombreuses.

Allumé par l'étincelle "gauchiste", le baril de poudre accumulé à l'Université et dans la jeunesse par des années d'arbitraire policier, avait explosé soudainement ouvrant une brèche dans I' "Etat-fort" gaulliste. Par la brèche devait déferler un mouvement social d'une ampleur sans précédent. En affrontant les CRS de De Gaulle les étudiants mettaient en cause le régime lui-même, ils en révélaient la faiblesse. Pour des millions cie travailleurs ce fut une révélation. Et le 13 mai, le mécontentement et la colère contenus depuis dix ans se donnaient enfin libre cours. On avait l'impression d'une immense libération. La grève avec occupation d'usine en fut la conséquence immédiate. Le drapeau rouge avait fait sa réapparition dans le cortège de la CGT, "l'Internationale" aussi. De crainte d'être emporté par le mouvement, le Parti suivait. Mais il n'avait pas l'initiative. Il ne l'eut jamais.

Par son aspect radical : affrontement violent avec les forces de répression, par l'ampleur des revendications : remise en cause de la société toute entière, par le nombre de jeunes qu'elle pouvait mobiliser, par l'écho qu'elle pouvait recueillir dans les milieux de l'intelligentzia classique (écrivains, enseignants, hommes de théâtres, cinéastes, architectes, peintres, médecins, avocats, etc.), la crise de mai avait incontestablement un caractère révolutionnaire.
Et pour la première fois, le PCF voyait se développer sur sa gauche, un mouvement révolutionnaire de masse, certes encore restreint à certains milieux sociaux, encore confus et divisé, mais suffisamment important pour l'obliger à réagir. Ce mouvement ne mettait pas encore en danger l'hégémonie du PCF sur le monde ouvrier, mais chaque jour plus nombreux étaient les jeunes travailleurs qui le suivaient et les développements de la crise risquaient de favoriser un regroupement capable de "mordre" en milieu ouvrier.

C'est pourquoi le PCF devait s'employer à résoudre au plus vite la crise. La défense de l'ordre bourgeois, même gaulliste, c'était aussi la défense du PCF, la sauvegarde de son influence, de ses moyens d'action, de tout ce qui fait de lui un parti utile pour la bourgeoisie.

C'est ainsi que le PCF, s'il ne s'opposa pas de front au mouvement de mai, ne fut pas à même de l'exploiter politiquement à son profit, car dès le début il se plaça sur la défensive.

Alors que le mouvement de lui-même, et cela apparut très clairement dès le 13 mai, se dirigeait contre le régime gaulliste, contre le gouvernement et contre l'homme qui incarnait tout le pouvoir depuis dix ans ; alors que la rue, spontanément, se lançait à l'assaut du gaullisme, ses chefs traditionnels se rangeaient aux côtés du pouvoir établi. La grève ne doit être qu'économique, disait le PCF, pas d'aventure. En fait, à aucun moment la "gauche" n'est apparue comme la direction naturelle du mouvement. Ce n'était pas en elle que se reconnaissaient les milliers de combattants de mai.

Dans ces conditions, les élections annoncées par de Gaulle perdaient tout signification politique. Ce n'était pas le combat Classique entre la droite et la gauche, car tous les partis à droite comme à gauche étaient au fond d'accord, d'accord pour l'ordre.

Si la grève tenait encore quelques jours, c'est que le PCF n'osait la saborder de front, mais l'issue était fatale. Ainsi, moins d'une semaine après le discours de de Gaulle, l'unanimité était faite à droite comme à gauche pour liquider le mouvement de mai. Les élections n'étaient qu'une grossière manœuvre pour amener le rétablissement de l'ordre.

Il ne s'agissait pas en votant pour la droite ou pour la gauche, de voter pour ou contre le mouvement, il s'agissait de condamner le mouvement de mai au nom d'une politique di droite ou d'une politique de "gauche".

Aucun choix politique n'était en fin de compte laissé à l'électeur.

Mais si la politique de la droite se ramenait à une simple formule : faire confiance à de Gaulle, la "gauche" elle n'avait même pas de programme. Qu'avait-elle à offrir dar les circonstances créées par mai ? Rien. Si ce n'est "l'unie de tous les républicains et de toutes les forces démocratiques pour un programme social avancé". Des mots. De vieux mots, de vieux slogans vides et dépassés. Cette absence de perspective et d'initiative allait plus que tout desservir la gauche. La Fédération semblait inerte devant les événements et PCF, par sa volonté de rétablir l'ordre, ses appels à la modération, à la "sagesse politique" son horreur maintes fois affirmée de la violence, se confondait presque dans sa propagande électorale avec le parti centriste ! En fait la "gauche" traditionnelle avait été mise de côté par les événements eux-mêmes.

Dans ces conditions, la droite était naturellement favorisée. C'était contre elle que le mouvement avait été dirigé. C'était à elle qu'allait de bénéfice de l'ordre revenu. Jouant à fond la carte de la peur du désordre, du complot, de la guerre civile, elle faisait de mai une tentative d'insurrection totalitaire, en dépit de toute vérité. Elle seule pouvait axer sa campagne électorale sur le mouvement en ie travestissant à son gré. Le PCF lui, ne pouvait ni revendiquer la responsabilité et la conduite du mouvement, ni le condamner globalement. Le tour de passe-passe qui lui faisait dénoncer les provocateurs "gauchistes" (apparentés gaullistes) tout en assumant la grève ne pouvait pas le tirer de son inconfortable position. N'ayant jamais dirigé les opérations, ayant au contraire tout fait pour faire avorter la crise, il ne pouvait en tirer aucun bénéfice. Face à la situation le PCF dut se borner à faire pour ainsi dire une campagne "négative". Le mouvement de mai qu'il avait implicitement condamné, ne pouvait lui apporter aucune voix nouvelle, au contraire il ne pouvait que détourner de lui certains électeurs traditionnellement fidèles mais que l'écœurement devait jeter dans l'abstention.

Au lendemain du premier tour des élections "Action", le journal de l'UNEF. et du SNE-Sup titrait "la capitulation ne paie pas". Et en fait, plus qu'une victoire — attendue — de la droite, les élections devaient sanctionner la politique de trahison du PCF.

Des trahisons le PCF en a déjà faites, des défaites électorales, il en a déjà connues. L'une suivant l'autre d'ailleurs parfois. Mais cette fois, il y a quelque chose de nouveau.

La crise révolutionnaire de mai a ébranlé le pouvoir gaulliste, mais elle a ébranlé aussi celui du PCF Tout l'ordre ancien a été remis en question. Et le PCF en tant que partie intégrante de cet ordre l'a été plus que toute autre formation. Des milliers d'hommes sont descendus dans la rue malgré son hostilité et ses calomnies. Il devra bien leur rendre des comptes. Ces milliers de jeunes n'étaient pas anticommunistes. Au contraire, ils retrouvaient le chemin des idées révolutionnaires. La crise de mai ne s'est pas terminée pour eux par une victoire, c'est certain. Mais elle a révélé deux faillites : celle du pouvoir et celle du stalinisme. L'un comme l'autre sont encore en place et se défendent farouchement. Mais leur puissance est menacée et fragile. Mai a créé peut-être les conditions de leur éclatement. Ou du moins la condition fondamentale: c'est-à-dire la possibilité de la création d'un mouvement révolutionnaire ayant l'audience de masses véritables. Certes, le chemin risque d'être long qui mène au parti mais il y mène sûrement.

Et le jour où un tel parti existera, alors le PCF sera de moins en moins capable de sauver la mise à la bourgeoisie.

Lutte Ouvrière, août 1968.


vendredi 15 juin 2012

:: D’où vient le Parti Communiste Français ? #3 (1939-1953)













Le Pacte germano-soviétique fut un rude coup pour le Parti Communiste Français. L’opposition totale et manifeste entre la politique de la bureaucratie soviétique et celle de la bourgeoisie française ne laissait pas de place aux louvoiements, aux tergiversations. Il fallait choisir. Après de violents déchirements, le Parti a choisi de défendre la politique de la bureaucratie. Mais il a payé cher ce choix. Son assise sociale, acquise sur la base de cinq années de politique nationaliste, réformiste, s’effondrait. Interdit, pourchassé, il perdit ses municipalités, ses députés et ses élus de toutes sortes, le contrôle d’une grande partie des syndicats, enfin tout ce qui lui donnait une fonction, un rôle social au sein de la société capitaliste. Habitué, cinq années durant, à naviguer le vent en poupe, soutenu par une opinion publique favorable à son « défensisme », à sa sagesse de parti national de fraîche date, il se brisait après 1939 contre cette même vague chauvine qui l’avait porté auparavant.
Tout comme au début des années 30, le PC est à nouveau réduit à quelque chose près, à l’appareil. Cependant, la férocité même de la répression gouvernementale va contrebalancer dans une certaine mesure, tout au moins au niveau de l’appareil, les conséquences disloquantes du tournant de 1939. Restructurer, consolider l’appareil, l’adapter aux conditions de clandestinité est une question de vie ou de mort. La répression ne laisse pas au Parti le temps de cuver sa crise, ni aux militants la possibilité de peser leur choix. Et c’est finalement sous Daladier et bien avant l’invasion allemande que le PC se rode à la lutte clandestine et refait l’expérience des prisons et des camps.
En considérant superficiellement les choses, et surtout après cinq ans de politique platement chauvine, cette période de deux ans qui va jusqu’à l’invasion de l’URSS par Hitler, pourrait apparaître comme un retour à l’internationalisme prolétarien de la part du Parti. En fait, ces cinq ans ne sont pas passés sans traces, et le PC était déjà organiquement incapable de mener une politique prolétarienne dans quelque domaine que ce soit. S’il renvoyait dos à dos les deux camps impérialistes, c’était au nom de l’intérêt national bien compris. Comme le proclamait l’Humanité clandestine : « Ni soldats de l’Angleterre avec de Gaulle ! Ni soldats de l’Allemagne avec Pétain ! Vive l’Union de la nation française. » Le combat pour « l’indépendance de la France » reste le leitmotiv de la propagande stalinienne, seulement le nom de Churchill s’ajoute et parfois supplante celui de Hitler comme ennemi principal de cette indépendance.
Cependant, le nationalisme n’est pas quelque chose d’abstrait. Il doit se concrétiser par la soumission à la politique de la bourgeoisie nationale. La bourgeoisie française et son « opinion publique » n’avaient que faire du nationalisme abstrait du PC qui, malgré ce nationalisme, restait en porte-à-faux jusqu’au 22 juin 1941.
L’invasion de l’URSS par l’armée allemande sera considérée par le Parti comme une véritable délivrance. Après deux ans d’interruption, la fidélité à la bureaucratie soviétique et la conformité aux intérêts nationaux : (c’est-à-dire ceux de la bourgeoisie nationale) agissent à nouveau dans le même sens.
Le Parti suivra avec d’autant plus d’enthousiasme l’ordre du Kremlin de se jeter avec toutes ses forces dans le combat contre l’Allemagne, que ce combat lui permettra de retrouver sa place dans « l’unité nationale », tout au moins dans celle qui s’est formée autour de de Gaulle. Le PC redevient ce qu’il s’est fait une vocation d’être : le parti des patriotes.
Dès lors, il n’est plus question de renvoyer dos à dos les impérialismes anglo-saxon et allemand. L’adhésion sans réserve de l’URSS au bloc des pays « démocratiques » en opposition au bloc fasciste, impose au Parti une politique unitaire vis-à-vis de tout ce qui n’est pas pro-allemand. Le PC se distingue dorénavant des autres organisations anti-allemandes que par une combativité plus grande et par un chauvinisme plus répugnant.
Quoique toujours en clandestinité et en butte à une répression encore plus grande, le Parti retrouve une audience : à la base d’abord, non seulement il apparaît à nouveau comme un parti national, mais comme le parti national le plus, sinon le seul, organisé, entrainé, rodé au combat. Il va contrôler la quasi-totalité des organisations de résistance intérieure ; il attire et organise tous ceux qui désirent combattre l’occupation. Au sommet ensuite, le Parti fait le voe d’allégeance aux représentants de l’impérialisme français auprès des alliées, à de Gaulle en particulier.
Le 4 avril 1944, pour la première fois dans son histoire, deux représentants du PC, Grenier et Billoux, entrent dans un gouvernement bourgeois, ou ce qui en tient lieu : le Comité français de Libération Nationale de de Gaulle. C’est la reconnaissance et la consécration de son rôle par les représentants politiques pro-alliés de la bourgeoisie française.
Mêlant la faucille et le marteau à la croix lorraine, le Parti s’efforce de s’identifier avec la Résistance et y parvient, sous la houlette de de Gaulle il est vrai. Il va sacrifier des milliers de militants à l’autel de l’entente avec la bourgeoisie. Mais il aura acquis d’apparaître dans la France libérée main dans la main avec les autres formations, et même en parti au pouvoir.
Il est impossible de comprendre l’évolution actuelle du Parti Communiste Français sans pénétrer la signification et les conséquences de sa politique pendant cette période qu’il a acquis l’implantation qui est aujourd’hui encore, la sienne, et qui, en dernier ressort, détermine sa nature.
De l’entrée en guerre de l’URSS jusqu’au début de la guerre froide, pendant près de six ans, les intérêts de la bureaucratie soviétique coïncident avec ceux des impérialistes alliées en général et de la bourgeoisie française en particulier : vaincre l’Allemagne d’abord, puis assurer que la transition de la guerre à la paix se fasse sans heur et sans mal, autrement dit sans menace de révolution prolétarienne.
La politique d’union sacrée sans pudeur, plus totale et plus ouverte que celle jamais réalisée par un parti social-démocrate en 1914 poursuivie par le PCF comme par les autres partis staliniens n’était somme toute, que le pendant local de la Sainte-Alliance entre la bureaucratie et l’impérialisme symbolisée par Yalta. En ce sens, le chauvinisme puis la politique franchement contre-révolutionnaire du Parti n’était que le reflet des intérêts de la bureaucratie russe. Il n’en reste pas moins qu’en « faisant retrousser les manches », en aidant le redémarrage de la production capitaliste, en aidant la reconstitution de l’appareil d’État, on contrôlant et brisant toute initiative ouvrière, le PCF remplissait une fonction sociale propre (nationale) : la même que celle qui fut dévolue au lendemain de la première guerre à l’appareil social-démocrate. L’assise sociale qu’il a acquise ce faisant était de la même nature que celle de la social-démocratie. Le PCF l’a acquise d’ailleurs, sinon au détriment des socialistes - puisque ceux-ci connurent aussi un relatif développement - du moins en concurrence avec eux.
Le développement du parti, l’accroissement de son implantation furent vertigineux. Ses effectifs passèrent de 333 000 en 1937 à 545 000 fin 1945 et à 804 000 en 1946. Son électorat, de l’ordre de 1 500 000 électeurs (15 % des suffrages) en 1937 passe à 5 400 000 (28 % des suffrages) en 1946. Cette influence accrue se concrétisait par 158 sièges de député (sur 544), par la conquête de milliers de municipalités, des places de conseillers généraux. Enfin le Parti détenait des places dans le gouvernement, dans l’appareil étatique.
Parmi ces centaines de milliers de nouveaux venus qui gonflèrent les effectifs du PC et ces millions qui votèrent pour lui, bien peu le faisaient parce qu’ils le considéraient comme un parti révolutionnaire. Il était à leurs yeux un parti de gauche, certes, mais surtout le parti de la Résistance et encore davantage un parti au pouvoir. Il est même à constater qu’alors que le Parti connaît un énorme afflux de petits bourgeois patriotards ou tout simplement affairistes vers ses rangs, il ne progressera que peu, ou reculera même dans les régions industrielles du Nord, de la Région Parisienne et du Sud-Est (d’après Fauvet, Histoire du PCF).
Solidement implanté dans la petite bourgeoisie, dans l’aristocratie ouvrière par l’intermédiaire de la conquête de l’appareil CGT, dans les administrations locales, le Parti Communiste le restera jusqu’aujourd’hui. L’assise sociale actuelle du Parti date des années 1945-1946. Elle fut acquise grâce à une politique commandée par les impératifs de la défense de la bureaucratie. Mais elle sera et est encore une serre chaude pour tout un ensemble d’influences nationales foncièrement étrangères à celles de Moscou.
Cette coïncidence des intérêts des deux pôles d’où partent les lignes de force qui déterminent la politique du Parti n’a certes pas duré. Le début de la guerre froide, en mettant fin à la Sainte-Alliance internationale, a mis fin aussi à l’Union Sacrée si bénéfique au PC Pendant six ans, le Parti sera à nouveau rejeté par toutes les formations mêmes oppositionnelles et contraint, en même temps, à une politique plus dure.
Pour les mêmes raisons qu’en 1939, le Parti Communiste connaîtra des flottements en 1947, quand, à nouveau, les intérêts de la bureaucratie et ceux de la bourgeoisie divergent. Cette divergence d’intérêts lui coûtera sa place au gouvernement, sa position de parti au pouvoir. Moscou aura bien du mal à resserrer les liens et à rappeler le PCF à l’ordre. A la réunion du Cominform qui se tiendra quelques mois après la fin de la participation gouvernementale, le Parti Communiste Français sera particulièrement sur la sellette. Il sera accusé de « s’être laissé manoeuvrer par Ramadier et Blum », on lui reprochera de continuer à se présenter comme parti gouvernemental, etc... Il est vrai que de telles attitudes furent deux ans auparavant, non seulement pardonnées, mais recommandées par Moscou. Seulement, le PCF s’est si bien trouvé dans la paix du parti gouvernemental qu’il était prêt à continuer de l’être pour son propre compte, même contre le désir du Kremlin.
Si malgré tout, les tensions entre le PCF et la bureaucratie n’ont pas entraîné de rupture, si malgré ses hésitations le PCF a, encore une fois, pris le virage, c’est que d’une part, il ne perdit pas tout et d’autre part, ce qu’il perdit, il ne pouvait pas ne pas le perdre.
La bourgeoisie française ne tenait plus à la participation gouvernementale du PC ; donc en cette matière, le Parti n’avait pas le choix. D’un autre côté, s’il fut repoussé dans l’opposition et même dans l’isolement au sein de l’opposition, il ne perdra ni ses municipalités, ni ses parlementaires, ni sa mainmise sur la CGT, en un mot, il gardera tout ce qui fait sa force, il gardera son assise. Rien de comparable donc à la débâcle de 1939.
Si dans les années 1951-1952, l’anti-américanisme virulent, les actions aventuristes du type de la manifestation contre Ridgway, imposés au Parti, entraînèrent un certain fléchissement de son influence, la perte du tiers de ses effectifs et d’une partie de son électorat, il n’a jamais été vraiment à contre-courant. Au fond, la petite bourgeoisie s’accommodait fort bien de ce nationalisme anti-américain. L’isolement du Parti était politique, mais n’impliquait pas de rupture avec les couches qui lui ont permis de se développer.
Depuis 1953, après le vote pour Mendès, et surtout depuis 1956, après le vote des pouvoirs spéciaux pour Guy Mollet, le Parti a rompu cet isolement politique vis-à-vis des autres formations. Il a déjà réintégré l’opposition officielle. 


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jeudi 14 juin 2012

:: D’où vient le Parti Communiste Français ? #2 (1931-1939)

http://politicobs.canalblog.com/images/front_populaire_1.jpgDu congrès de Tours aux changements annonciateurs du Front Populaire, quinze ans se sont écoulés. Quinze ans, sur lesquels le Parti Communiste Français a passé dix ans dans les moules de la bureaucratie du Kremlin. Le Parti sortira de la « bolchévisation » numériquement affaibli, mal implanté, réduit pour ainsi dire à sa plus simple expression : à l’appareil. Mais cet appareil est achevé, rodé, et il fonctionne à merveille. Sa structure est celle d’un parfait parti stalinien, son obéissance à Moscou sans faille, sa direction homogène : à peu de chose près elle restera la même trente ans durant. Dorénavant, sa dépendance de la bureaucratie russe sera le vecteur-force principal, qui, changeant de sens, mais d’une égale intensité, influencera tous les méandres de sa politique.
L’importance de la période du Front Populaire réside dans le fait que, pour la première fois, le parti acquiert une solide implantation dans les masses. Sur la base d’une politique réformiste, nationaliste, il connaîtra une croissance considérable. A l’instar du Parti Social-Démocrate et en concurrence avec lui, il obtiendra l’accès à la « mangeoire » des surprofits impérialistes. Corollairement devenu parti national dans le plein sens du terme, presque parti gouvernemental, il sera soumis à la pression de sa propre base sociale, de sa propre opinion publique. Représentant les intérêts de la bureaucratie soviétique par sa formation, de ceux de son assise sociale par son implantation, il ne cessera plus d’être soumis à la tension de deux forces antagoniques. Et quand le pacte germano-soviétique et la première phase de la guerre aggraveront cette tension, quand l’impossibilité de concilier deux intérêts alors manifestement contradictoires imposera un choix difficile, le Parti connaîtra ses premiers grands déchirements d’une nature différente de ses crises de croissance. Ils ne seront pas les derniers.
Il n’est pas de notre propos ici de décrire et d’analyser la montée ouvrière des années 35-36, ni même d’examiner dans les faits le rôle joué par le Parti Communiste à cette occasion. D’autant moins que, du point de vue de l’évolution du Parti Communiste, la principale signification de cette montée fut d’avoir donné au Parti une implantation sociale qu’il ne possédait pas auparavant. De quelle nature était cette implantation ? Sur la base de quelle politique fut-elle acquise ? Voilà les questions qui nous intéressent ici. Et pour commencer, quels facteurs ont permis au Parti Communiste de rompre son isolement et de trouver l’adhésion des masses ?
Deux facteurs seront déterminants à cet égard. La remontée ouvrière et le réveil politique général qui poussera des couches nouvelles vers les organisations ouvrières, et la nouvelle orientation de l’Internationale qui donnera a la politique des organisations staliniennes un contenu réformiste et nationaliste.
Peu après la défaite du prolétariat allemand et l’arrivée de Hitler au pouvoir, la bureaucratie soviétique amorce l’un de ces tournants à 180° qui caractérisent sa politique. Se sentant menacée par l’impérialisme allemand, elle va chercher son salut dans un système de sécurité collective. Ce système implique un rapprochement avec les « démocraties occidentales », bénéficiaire de la paix impérialiste de Versailles, donc menacées à ce titre par les revendications allemandes. La France avait une place de choix dans ce plan. Dès lors, le rôle dévolu au Parti Communiste sera de contribuer, dans la mesure de ses forces, à infléchir la politique du gouvernement dans le sens d’une opposition renforcée à l’Allemagne hitlérienne. La dénonciation du traité de Versailles, la veille encore un des leitmotivs de la propagande stalinienne, sera mise au rancart, et le renforcement du potentiel militaire français ouvertement souhaité. Le pacte d’assistance mutuelle signé le 2 mai 1935 entre les gouvernements de l’Union Soviétique et de la France sera suivi d’un communiqué qui déclare que monsieur Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité ». Les staliniens emboîtent le pas, abandonnant l’antimilitarisme forcené qui était le leur des années durant, ils découvrent dans l’armée française un des facteurs principaux de la défense de l’URSS. Par voie de conséquence, la lutte pour le renforcement de la « démocratie française » face à la menace fasciste devient une haute vertu révolutionnaire.
Et c’est la que la dialectique de l’histoire va jouer un tour à la bureaucratie soviétique. C’est sur son injonction, et pour la défense de ses intérêts, qu’elle impose au Parti Communiste Français une politique nationaliste et même chauvine. Mais sous la pression de sa nouvelle assise gagnée sur la base de cette politique nationaliste, le Parti Communiste finira par devenir nationaliste pour son propre compte, alors même que ce nationalisme se retourne contre les intérêts de la bureaucratie. Trotsky écrivit à propos d’une évolution qui se déroulait sous ses yeux mais qui n’a abouti à ses conclusions ultimes que de nos jours, que : « Staline a réconcilié les partis communistes des démocraties impérialistes avec leur bourgeoisie nationale. Cette étape est maintenant dépassée. L’entremetteur bonapartiste a accompli son rôle. A partir de maintenant, les com-chauvins doivent se soucier de leur propre sort, dont les intérêts ne coïncident pas toujours avec la « défense de l’URSS ». »
Il est évident que cette nouvelle orientation vis-à-vis de la politique étrangère du gouvernement français entraînera une orientation à l’avenant dans les autre domaines. Le nationalisme impliquera le réformisme. Le combat pour l’unité de toutes les forces nationales hostiles à l’Allemagne fasciste ou présumées telles, complétera la lutte pour un front international anti-hitlérien. De la politique de « classe contre classe » assimilant sociaux-démocrates et fascistes, on passe presque sans transition à une cour éhontée à ces même sociaux-démocrates et même, sinon surtout, aux radicaux. Si la consolidation du Front Populaire et son arrivée au pouvoir n’était pas possible sans la montée ouvrière et sans la poussée à gauche, si du point de vue de la bourgeoisie il fut accepté parce que susceptible d’endiguer le mouvement populaire, pour le Parti Communiste il répondait à une nécessité qui n’avait rien à voir avec cette montée ouvrière. Pour le Parti Communiste, l’intérêt fondamental du Front Populaire fut d’avoir été l’alliance des forces nationales anti-hitlériennes, alliance dont la constitution était l’objectif majeur du Parti Communiste Français en matière de politique intérieure.
La poussée à gauche, si elle ne jouera qu’un rôle contingent dans la détermination de la politique du Parti Communiste, aura cependant une importance capitale pour deux raisons. D’abord, en renforçant numériquement le Parti et en lui permettant l’acquisition d’un certain nombre de positions au cours des élections municipales, puis législatives, elle lui donnera un poids qu’il n’avait pas auparavant. Ensuite, la nécessité de canaliser et d’endiguer l’explosion sociale rendra les partis socialistes et radicaux bien plus compréhensifs à l’égard du Parti Communiste, dont la collaboration devient fort utile. Ainsi l’afflux même des ouvriers venus vers le Parti Communiste en tant que parti ouvrier, auréolé par ses liens avec les tenants supposés de la Révolution d’Octobre, sera capitalisé par celui-ci en vue de mener une politique nationaliste.
Encore une fois, il n’est pas de notre propos ici d’examiner le rôle contre-révolutionnaire joué par le Parti Communiste pendant la période des grèves ( « il faut savoir terminer une grève » etc.). Toujours est-il que grâce à la montée ouvrière et grâce au Front Populaire, le Parti connaîtra un développement vertigineux. Par rapport à 1932, son électorat a doublé et ses effectifs décuplé.
Par ailleurs, ce serait une erreur de croire que le développement de son implantation n’était dû qu’à d’afflux d’ouvriers en lutte. En fait, il a joué sur deux tableaux. L’attirance de son nationalisme néophyte et de son réformisme de bon aloi, a exercé en milieu petit bourgeois une influence aussi grande que son auréole ternie de parti révolutionnaire en milieu ouvrier. Ayant découvert, sur l’injonction de Moscou, les vertus patriotiques de la marseillaise, du drapeau tricolore, de Jeanne d’Arc et de la démocratie française, le Parti ne perdra plus une occasion de faire vibrer la corde sentimentale du petit-bourgeois chauvin.
Sans être encore tout à fait un « parti comme les autres », le Parti Communiste de l’année 1937 sera bien différent du Parti Communiste version 1932. Il aura une solide implantation sociale, 300 000 membres, 1 500 000 électeurs, 70 députés, deux sénateurs, des centaines de conseillers généraux, plus de deux mille municipalité. L’unification syndicale lui a permis de mettre la main sur les Fédérations les plus importantes de la CGT unifiée. Il est dès lors solidement implanté dans l’aristocratie ouvrière.
Il a cessé de vivre uniquement des subsides de la bureaucratie. Il a sa « mangeoire » nationale propre, alimentée par les surprofits de l’impérialisme français, auxquels il a accès dorénavant grâce - pour reprendre l’expression de Trotsky - « à sa pénétration dans les rangs de la petite bourgeoisie, par son installation dans l’appareil étatique, les syndicats, les parlements, les municipalités, etc. ».
La fin de la poussée à gauche, la retombée de la montée ouvrière et même la chute du premier et du deuxième gouvernement Léon Blum, n’affecteront pas le zèle nationaliste du Parti Communiste. Il y a un double intérêt, car tel est l’ordre de Moscou, mais tel est aussi dorénavant son propre intérêt en tant que parti national. La politique « d’union nationale » est payante, et bien payante. Devant l’usure du Front Populaire, il va même défendre l’idée d’un « Front Français », où seraient inclus, outre les radicaux et les sociaux-démocrates, les libéraux et les modérés. Après l’échec définitif du Front Populaire, il s’empressera de donner son accord à un gouvernement incluant la quasi totalité de l’éventail politique français, de Thorez à Paul Reynaud. Si le projet ne connaît pas de suite, ce n’est pas la faute des communistes.
Le déplacement de plus en plus à droite des gouvernements successifs écarte le Parti Communiste Français des responsabilités quasi gouvernementales qu’il a assumées pendant le Front Populaire. Il continue cependant à aiguillonner le gouvernement, et sa propagande est concentrée sur la réclamation d’une plus grande fermeté vis-à-vis de l’Allemagne. A l’occasion, il votera les crédits de guerre.
Après ces manifestations de nationalisme de plus en plus exacerbé, l’annonce du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 va produire l’effet d’une bombe. Renversant sa politique de sécurité collective avec les démocraties occidentales, Staline conclut un pacte de non agression avec l’ennemi de la veille. Dans le conflit qui va éclater quelques jours après, l’URSS se trouvera de fait, du côté de l’Allemagne. Après cinq ans de politique nationaliste anti-allemande, le Parti Communiste se trouvera dans l’obligation de défendre la décision de Staline et ordre lui est donné d’attaquer l’impérialisme de sa propre bourgeoisie, au même titre que celui de l’Allemagne. Après le vote des crédits militaires, après la propagande pour le renforcement du potentiel militaire de la France, il se trouvera dans l’obligation de prêcher le défaitisme révolutionnaire, et le slogan « l’ennemi est sur notre sol ».
Après l’euphorie de l’union nationale, le Parti se heurtera à l’hostilité ouverte de l’opinion publique et d’une partie de sa propre base. Pendant quelques semaines, il essaiera de concilier l’inconciliable. Tout en défendant le pacte germano-soviétique, il déclarera que « les communistes français collaboreront sans aucune réticence à la défense nationale ». Thorez lui-même déclare que « si Hitler, malgré tout, déclenche la guerre, alors qu’il sache bien qu’il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l’indépendance des peuples ».
Obligés de choisir entre l’obéissance à Moscou et les intérêts de l’assise de leur Parti, les dirigeants les plus fidèles hésitent et atermoient. Le déchirement des dirigeants reflète le déchirement de l’ensemble du Parti. Il faudra plusieurs rappels à l’ordre de la part de Moscou et la répression violente de l’État qui s’abat sur le Parti et les militants, en déclenchant une réaction d’autodéfense, pour que le Parti se ressaisisse. A la fin de l’année, il sera à nouveau dans la ligne. Mais il aura perdu 22 de ses parlementaires sur les 72 qu’il comptait, une partie importante de ses dirigeants et de ses militants. Des deux forces contradictoires qui agissent sur lui, la fidélité à Moscou l’a encore emporté. Cependant, non sans mal. Et, à nouveau en butte à la répression, ses journaux interdits, ses dirigeants emprisonnés, ses positions parlementaires et municipales supprimées, il lui faudra une nouvelle période nationaliste, celle de la Résistance et de la Libération, pour qu’il retrouve à nouveau une audience.

mercredi 13 juin 2012

:: D’où vient le Parti Communiste Français ? #1 (1917-1931)

Le PCF, de Tours à Moscou
La formidable vague révolutionnaire de 1917 qui a balayé d’abord le tsar, puis le gouvernement Kerensky, n’était pour les révolutionnaires d’alors que la première de cette marée qui devait emporter les fondements du capitalisme de par le monde. La victoire du prolétariat russe devait être suivie par celle de leurs camarades de l’Occident. L’Internationale Communiste proclamée en 1919 se voulait être l’instrument de combat du prolétariat mondial. Ses sections nationales devaient donner une direction prolétarienne de type bolchevik à la classe ouvrière de chaque pays.
Cependant, si la révolution russe, puis la formation de la IIIe Internationale, ont servi de catalyseur dans le regroupement des meilleurs éléments du mouvement socialiste et syndicaliste, si elles ont entraîné la rupture de fractions plus ou moins importantes des organisations social-démocrates avec la IIe Internationale, si les adhésions à l’Internationale révolutionnaire se multiplièrent, le problème de la formation de directions de type bolchevik n’a pas pour autant été résolu. Une telle direction trempée n’existait en fait qu’en Russie.
Il revenait donc au parti bolchevik la lourde tâche de transmettre aux jeunes sections sa propre expérience, de les éduquer et de les amener à s’éduquer elles-mêmes au combat, de les débarrasser petit à petit des dirigeants les plus marqués par leur passé réformiste, en un mot de forger des directions révolutionnaires dans chaque pays.
Le parti bolchevik n’a pas eu le temps d’accomplir sa tâche. La dégénérescence du premier État ouvrier a entraîné sa propre dégénérescence. Le rôle prédominant du parti bolchevik au sein de l’Internationale Communiste, de facteur révolutionnaire s’est transformé en un obstacle insurmonté, sinon insurmontable, à l’acquisition d’une trempe révolutionnaire par les sections de l’IC. Sous l’influence de la bureaucratie soviétique, l’Internationale elle-même, est devenue une annexe du ministère des affaires étrangères russe et les liens de fraternité révolutionnaire entre sections ont cédé la place à l’obéissance aveugle aux dirigeants du Kremlin. De ce qui fit la force du parti bolchevik et de l’Internationale, Staline n’a gardé qu’une caricature grossière ou des vestiges déformés mais conservés parce qu’utiles à la bureaucratie.
Commencée à l’école de Lénine, la formation des partis dits communistes s’est achevée à celle de Staline. Or, on n’apprend pas à être révolutionnaire à cette école-là. On y apprend tout au plus l’obéissance et la soumission. Mais dans la mesure même où cette soumission à la bureaucratie soviétique excluait la formation et la politique révolutionnaires, elle rendait inévitablement réceptif au réformisme.
Dès lors, et tel est l’aboutissement de l’évolution des partis staliniens occidentaux de masse, rien ne les distingue plus fondamentalement de leurs confrères dits « socialistes » que ce lien de dépendance à Moscou, lui-même soumis à de rudes épreuves.
L’histoire du Parti Communiste Français se place dans ce cadre.
Si quelques éléments venus du syndicalisme révolutionnaire, tel Rosmer par exemple, ont joué un rôle important dans sa formation, son ossature et la quasi-totalité de ses dirigeants étaient ceux du Parti Socialiste, de ce même PS qui a fait si honteusement faillite pendant la guerre. En fait, c’est la grande majorité de ce parti qui a opté pour l’adhésion à la IIIe Internationale et la proportion de trois à un entre les délégués majoritaires et minoritaires au Congrès de Tours était même en deçà de la proportion parmi les membres du parti. Le PC recueillera en effet 130 000 adhérents du PSU contre 30 000 à la SFIO.
Cependant, l’acceptation des 21 conditions de la IIIe Internationale et la nouvelle dénomination de « Communiste » n’ont pas changé d’emblée la nature de la direction du Parti. Quelques mois après, le IIIe Congrès de l’IC accuse les dirigeants français d’être de « détestables opportunistes ». L’intervention de Paul Faure, l’un des dirigeants de la minorité au Congrès de Tours, montre à quel point le « bolchevisme » néophyte de ses adversaires ne lui faisait pas peur : « Laissez-moi vous dire que vous n’êtes pas des inconnus pour moi : je vous connais assez bien pour vous avoir fréquentés souvent. Et quand je vous vois vous instituer, à une heure fixe, communistes éprouvés, je souris et je passe ». Il faut dire que Paul Faure était à même de juger ses anciens amis Marcel Crachin, Frossard et Cie, qui sont passés par les mêmes écoles du réformisme et du social-patriotisme pendant la guerre, que lui-même.
Frossard, premier secrétaire général du nouveau parti, devait déclarer ultérieurement à quel point même les exigences draconiennes des « 21 conditions » étaient sans prise sur l’opportunisme congénital des dirigeants nouvellement communistes. « Nous ne parvenions pas à prendre au sérieux les 21 conditions ».
En fait, les dirigeants de l’Internationale Communiste n’ignoraient pas cette triste réalité. Lénine qui avait l’habitude de dire qu’on n’attrape pas un opportuniste avec des formules, savait parfaitement qu’aucune condition, si draconienne soit-elle, n’écarterait d’emblée tous les réformistes de l’Internationale. Mais dans l’esprit des bolcheviks, la scission du Congrès de Tours, n’était pas l’aboutissement de la lutte pour un parti révolutionnaire en France, elle n’en était que le commencement.
Le nouveau PC dans son ensemble, et ses dirigeants en particulier, héritaient des lourdes tares du long passé social-démocrate réformiste du PSU. Il fallait une transformation profonde des mours, des pratiques, de la politique du Parti, transformation qui signifiait combat, combat de longue haleine.
En fait, il y avait peu de chance de transformer un Cachin, un Frossard, un Verfeuil ou un Fabre en dirigeant bolchevik, il fallait qu’une nouvelle génération, avec de nouvelles traditions révolutionnaires et prolétariennes émerge de la masse des jeunes qui affluaient au Parti car il symbolisait à leurs yeux la Révolution d’Octobre.
Ce combat contre les éléments opportunistes petits-bourgeois, francs-maçons, de la direction du Parti, a marqué les années 1920-1923. Le « problème français » était même une des préoccupations les plus importantes de l’internationale pendant cette période. Les textes publiés dans le livre de Humbert Droz, envoyé de l’IC en France, « L’oeil de Moscou à Paris », témoignent de l’âpreté de la lutte dans le Parti et du faible appui réel dont disposait en fait l’IC en son sein.
Contre une fraction de droite que rien ne distinguait, ni humainement, ni politiquement, des dirigeants de la SFIO, contre le centre hétérogène, fluctuant, à l’image de Marcel Cachin, l’IC ne pouvait compter politiquement que sur une gauche relativement faible, peu éduquée, sectaire et, elle aussi, hétérogène.
C’est seulement après deux ans de lutte, vers le début de 1923, que le Parti a réussi à éliminer de sa direction les éléments les plus notoirement opportunistes, les membres des loges maçonniques, les réformistes qui s’opposaient ouvertement à toute discipline vis-à-vis de l’Internationale. La démission de Frossard du secrétariat général et du Parti le 1er janvier 1924, consacrait en quelque sorte la fin de la première phase de la transformation du Parti.
L’élimination de la droite et d’une partie du centre a mis fin à une longue crise, et la répression du Gouvernement, ainsi que l’arrestation d’un certain nombre de dirigeants (c’était l’époque de la lutte contre l’occupation de la Rhur par l’impérialisme français), vont ressouder l’unité d’un parti hétérogène déchiré par des luttes de fractions et de personnes. Mais même à cette époque-là, l’envoyé de l’Internationale escomptait un déchet de 50 % - 60 % et à condition que « la nouvelle direction travaille bien », avant qu’une consolidation réelle sur une base saine intervienne.
Quelle qu’ait été cependant l’intransigeance de la direction de l’Internationale vis-à-vis des éléments les plus réformistes, son souci constant était d’éduquer le Parti de façon à ce que l’élimination de tel ou tel dirigeant n’apparaisse pas comme le fait d’une soumission aveugle aux ordres d’en haut, mais comme une nécessité pour donner au Parti une direction et une politique saines et révolutionnaires.
Mais pendant les années 1925-26, la mainmise de la fraction stalinienne tant sur l’appareil du parti bolchevik que sur celui de’’Internationale devenait de plus en plus forte.
L’idée même de la possibilité du « socialisme dans un seul pays » énoncée par Staline pour la première fois en 1924 signifiait implicitement un changement fondamental dans la destination de l’Internationale. D’instrument de la révolution mondiale, seul capable de consolider et de parachever l’ouvre commencée par Octobre 17, celle-ci devait devenir un instrument de sauvegarde du statu-quo. D’après la fraction stalinienne, ce dont l’État Ouvrier avait besoin, ce n’était pas de la révolution dans d’autres pays, mais de paix, de tranquillité, de temps nécessaire pour réaliser le « socialisme à pas de tortue ». Dès lors, la tache dévolue à l’Internationale était de garantir à l’URSS cette tranquillité.
Il s’ensuivit tout naturellement que, la préparation de la révolution n’étant plus l’objet assigné aux sections nationales, on n’avait nul besoin de partis moralement, politiquement et organisationnellement capables de diriger le prolétariat vers le combat révolutionnaire.
La trempe et la probité révolutionnaires du militant et du dirigeant passaient au second plan, avant de devenir des péchés mortels, pour céder place à l’obéissance à toute épreuve vis-à-vis des directives du Kremlin. Nul besoin de comprendre pour mieux agir, il suffisait de se soumettre.
Le lent, mais complet tournant de l’Internationale s’est effectué alors que la section française était encore trop jeune, trop peu éduquée, trop peu formée, trop peu débarrassée de sa direction opportuniste, pour déceler ce changement fondamental, et surtout pour s’y opposer. Au contraire, l’opportunisme des dirigeants à la Cachin, les prédisposait, dans le combat qui opposait l’aile révolutionnaire du Parti bolchevik au centrisme de Staline, à soutenir ce dernier.
L’exhortation à la discipline révolutionnaire du temps de l’Internationale de Lénine a donné des fruits tardifs et pourris sous Staline, et c’est au nom de cette « discipline » interprétée comme servilité, que le centre du PC Français va s’attaquer à une gauche trop peu armée pour soutenir le combat.
Au nom de la « bolchévisation » du Parti, l’IC entreprend l’élimination de tous les dirigeants tant soit peu suspects de sympathie vis-à-vis de l’Opposition de Gauche, ou tout simplement un tant soit peu indépendants d’esprit, et la direction épurée agit de même envers des militants de base. Investis de la qualité de bolcheviks, les Sémard, les Cachin, élimineront en 1924-25, tour à tour Souvarine, Monatte, Rosmer, Loriot, ceux qui précisément se rangèrent derrière le drapeau d’octobre dès le début et qui, après avoir été les initiateurs du Parti Communiste en France, en restèrent les éléments les plus sains.
Le Parti ressentira durement les effets de la soi-disant bolchévisation et de la politique de « classe contre classe » qui sera la sienne à la fin des années 20. Ses effectifs baissent d’une manière presque continue jusqu’en 1931. Comptant plus de quatre fois plus de membres que la SFIO au moment de la scission, il se laissera distancer par elle vers 1931. De 130 000 membres en 1920, le nombre de ses adhérents diminuera, 64 000 en 1927, pour n’atteindre que 29 000 en 1931.
La perte des militants est surtout sensible dans les régions industrielles, d’après Fauvet, elle est de 45 % dans celle de Paris, 42 % dans celle de Marseille et 78 % dans le bassin sidérurgique de l’Est.
Ayant hérité d’une fraction importante de la base ouvrière de l’Ancien PSU, la SFIC en perdra rapidement une grande partie. Elle ne conservera une influence et une implantation réelles que dans la région parisienne, dans les couches les plus déshéritées du prolétariat, qui voient en elle le Parti de la Révolution d’Octobre, et dans certaines régions agricoles du centre du pays, en tant que parti le plus radicalement opposé au gouvernement.
Quelles que soient les conséquences néfastes de la politique de la troisième période imposée par le Kremlin, le PC la poursuivra fidèlement tant qu’elle lui sera ordonnée. Les épurations effectuées par la direction stalinienne de l’Internationale auront été efficaces : le Parti dorénavant homogène, est bien tel que le souhaitait la bureaucratie soviétique : d’une obéissance à toute épreuve. Sa politique suivra fidèlement tous les méandres de la politique stalinienne.
Le parti sortira donc de cette période affaibli numériquement, avec une influence réduite, isolé politiquement. Pourtant, c’est pendant cette période qu’il a forgé son unité, qu’il s’est donné les structures qu’on lui connaît aujourd’hui, qu’il a acquis ses cadres, qu’il a éduqué les prototypes des militants staliniens, dévoués, politiquement bornés et obéissants à la direction du Parti, comme celle-ci est obéissante à la bureaucratie soviétique.
C’est donc en parfait parti stalinien que la SFIC affrontera les deux grandes périodes qui, pour des raisons différentes, contribueront à en faire un parti de masse, le plus important Parti de France : la période du Front Populaire d’abord, puis celle de la Résistance et de la Libération.

Lutte de Classe, Série 1967-1968