mardi 8 mars 2011

:: Revenir au marxisme, par Léon Trotsky

Par quelle voie ? A quel marxisme ? Avant que le marxisme "ait fait banqueroute", sous la forme de la social-démocratie. Le mot d'ordre "Retour au marxisme" signifie ainsi un bond par-dessus l'époque de la IIe et IIIe Internationales... à la Ire Internationale. Mais celle-ci aussi, en son temps, fût vouée à la défaite. C'est-à-dire qu'il s'agit à la fin des fins de revenir... aux oeuvres complètes de Marx et Engels. Ce bond, on peut le faire sans sortir de son cabinet de travail, et sans même quitter ses pantoufles. Mais comment passer ensuite de nos classiques (Marx est mort en 1883, Engels en 1895) aux tâches de l'époque nouvelle en laissant de côté une lutte théorique ou politique de plusieurs dizaines d'années, lutte qui comprend aussi le bolchevisme et la Révolution d'Octobre?  Aucun de ceux qui proposent de renoncer au bolchevisme comme tendance historiquement "banqueroutière" n'a indiqué de nouvelles voies.
Les choses se réduisent ainsi à un simple conseil d'étudier le Capital. Contre cela, rien à objecter. Mais les bolcheviks aussi ont étudié le Capital, et même passablement. Cela n'a cependant pas empêché la dégénérescence de l'Etat Soviétique et la mise en scène des Procès de Moscou. Que faire alors?

[...]

QUESTIONS DE MORALE
C'est de "l'amoralité" du bolchevisme qu'ont surtout coutume de se plaindre les fanfarons insignifiants à qui le bolchevisme a arraché le masque. Dans les milieux petits-bourgeois, intellectuels démocrates, "socialistes", littéraires, parlementaires et autres, il existe des valeurs conventionnelles ou un langage conventionnel pour couvrir l'absence de valeurs. Cette large et bigarrée société où règne une complicité réciproque ("Vis et laisse vivre les autres") ne supporte nullement le contact de sa peau sensible avec la lancette marxiste.
Les théoriciens qui oscillent entre les deux camps, les écrivains et les moralistes pensaient et pensent que les bolcheviks exagèrent malintentionnellement les désaccords, sont incapables d'une collaboration "loyale" et que, par leurs "intrigues", ils brisent l'unité du mouvement ouvrier. Le centriste sensible et susceptible croit, avant tout, que les bolcheviks le "calomnient" (uniquement parce qu'ils vont jusqu'au bout de ses moitiés de pensées, ce qu'il est absolument incapable de faire lui-même). Cependant, c'est seulement cette qualité précieuse, l'intolérance pour tout ce qui est hybride et évasif, qui est capable d'éduquer un parti révolutionnaire que des "circonstances exceptionnelles" ne peuvent prendre à l'improviste.
La morale de tout parti découle, en fin de compte, des intérêts historiques qu'il représente. La morale du bolchevisme, qui contient en elle le dévouement, le désintéressement, le courage, le mépris pour tout ce qui est clinquant et mensonge, les meilleures qualités de la nature humaine, découlait de son intransigeance révolutionnaire au service des opprimés. La bureaucratie staliniste, dans ce domaine aussi, imite les paroles et les gestes du bolchevisme. Mais quand "l'intransigeance" et "l'inflexibilité" se réalisent par l'entremise d'un appareil policier qui est au service d'une minorité privilégiée, ils deviennent une source de démoralisation et de gangstérisme. On ne peut avoir que du mépris pour des messieurs qui identifient l'héroïsme révolutionnaire des bolcheviks au cynisme bureaucratique des thermidoriens.
Même encore maintenant, malgré les faits dramatiques de la dernière période, le philistin moyen continue à penser que, dans la lutte entre bolchevisme (trotskysme) et stalinisme, il s'agit d'un conflit d'ambitions personnelles, ou, dans le meilleur des cas, de la lutte de deux "nuances" dans le bolchevisme. L'expression la plus crûe de ce point de vue est donnée par Norman Thomas, leader du parti socialiste américain: "Il y a peu de raisons de croire, écrit-il (Socialist Review, septembre 1937, page 6), que si Trotsky l'avait emporté (!) au lieu de Staline, il y aurait eu une fin aux intrigues, aux complots et au règne de la crainte en Russie". Et cet homme se croit... marxiste! Avec autant de fondement on pourrait dire: "Il y a peu de raisons de croire que si, au lieu de Pie XI, sur le trône de Rome, on avait mis Norman Ier, l'église catholique se serait transformée en un rempart du socialisme". Thomas ne comprend pas qu'il s'agit, non pas d'un match entre Staline et Trotsky, mais d'un antagonisme entre la bureaucratie et le prolétariat. Certes, en U.R.S.S., la couche dirigeante est encore contrainte aujourd'hui de s'adapter à l'héritage pas complètement liquidé de la révolution en préparant, en même temps, par une guerre civile déclarée (l'épuration sanglante, l'extermination des mécontents), le changement du régime social. Mais en Espagne, la clique staliniste apparaît, dès aujourd'hui, comme le rempart de l'ordre bourgeois contre le socialisme. Sa lutte contre la bureaucratie bonapartiste se change, sous nos yeux, en lutte de classes; deux mondes, deux programmes, deux morales. Si Thomas pense que la victoire du prolétariat socialiste sur la caste abjecte des oppresseurs ne régénèrera pas le régime soviétique politiquement et moralement, il montre seulement par là que, malgré toutes ses réserves, ses tergiversations et ses soupirs pieux, il est beaucoup plus proche de la bureaucratie staliniste que des ouvriers révolutionnaires. Comme les autres dénonciateurs de "l'amoralisme bolcheviste", Thomas n'est tout simplement pas parvenu jusqu'à la morale révolutionnaire.

LES TRADITIONS DU BOLCHEVISME ET LA QUATRIEME INTERNATIONALE
Chez ces "gauchistes" qui tentent de revenir au marxisme ignorant le bolchevisme, tout se réduit ordinairement à quelques panacées isolées: boycotter les vieux syndicats, boycotter le parlement, créer de "véritables" soviets. Tout cela pouvait sembler extraordinairement profond dans la fièvre des premiers jours après la guerre. Mais maintenant, à la lumière de l'expérience faite, ces "maladies infantiles" ont perdu tout intérêt de curiosité. Les hollandais Gorter et Pannekoek, les "spartakistes" allemands, les bordiguistes italiens ont manifesté leur indépendance à l'égard du bolchevisme uniquement en opposant un de ses traits, artificiellement grossi, aux autres. De ces tendances de "gauche", il n'est rien resté ni pratiquement, ni théoriquement: preuve indirecte mais importante que le bolchevisme est la seule forme du marxisme pour notre époque. Le parti bolchevique a montré, dans la réalité, une combinaison d'audace révolutionnaire suprême et de réalisme politique. Il a, pour la première, fois, établi entre l'avant-garde et la classe le rapport qui, seul, est capable d'assurer la victoire. Il a montré par l'expérience que l'union du prolétariat avec les masses opprimées de la petite-bourgeoisie du village et de la ville est possible uniquement par le renversement politique des partis traditionnels de la petite-bourgeoisie. Le parti bolcheviste a montré au monde entier comment s'accomplissent l'insurrection armée et la prise du pouvoir. Ceux qui opposent une abstraction de soviets à la dictature du parti devraient comprendre que c'est seulement grâce à la direction des bolcheviks que les soviets se sont élevés du marais réformiste au rôle de forme étatique du prolétariat. Le parti bolcheviste a réalisé une juste combinaison de l'art militaire avec la politique marxiste dans la guerre civile. Même si la bureaucratie staliniste réussissait à ruiner les bases économiques de la société nouvelle, l'expérience de l'économie planifiée, faite sous la direction du parti bolchevik entrerait pour toujours dans l'histoire comme une école supérieure pour toute l'humanité. Seuls, ne peuvent voir tout cela les sectaires qui, offensés par les coups qu'ils ont reçus, ont tourné le dos au processus historique.
Mais ce n'est pas tout. Le parti bolchevik a pu faire un travail "pratique" aussi grandiose uniquement parce que chacun de ses pas était éclairé par la lumière de la théorie. Le bolchevisme ne l'a pas créée, elle avait été apportée par le marxisme. Mais le marxisme est la théorie du mouvement et non du repos. Seules des actions d'une échelle historique grandiose pouvaient enrichir la théorie elle-même. Le bolchevisme a apporté une contribution précieuse au marxisme par son analyse de l'époque impérialiste comme époque de guerre et de révolutions; de la démocratie bourgeoise à l'époque du capitalisme pourrissant; de la relation entre la grève générale et l'insurrection; du rôle du parti, des soviets et des syndicats à l'époque de la révolution prolétarienne; de la théorie de l'Etat Soviétique; de l'économie de transition; du fascisme et du bonapartisme à l'époque du déclin capitaliste; enfin par son analyse des conditions de la dégénérescence du parti bolcheviste lui-même et de l'Etat Soviétique. Qu'on nous nomme une autre tendance qui aurait ajouté quelque chose d'essentiel aux conclusions et aux généralisations du bolchevisme. Vandervelde, de Brouckère, Hilferding, Otto Bauer, Léon Blum, Zyromsky, sans même parler du major Attlee et de Norman Thomas, vivent théoriquement et politiquement de débris usés du passé.
La dégénérescence du Komintern s'est exprimée de la façon la plus brutale dans le fait qu'il est tombé théoriquement au niveau de la IIe Internationale. Les groupes intermédiaires de tout genre (Independent Labour Party d'Angleterre, POUM, et leurs semblables) adaptent de nouveau chaque semaine des bribes de Marx et de Lénine à leurs besoins du moment. Les ouvriers n'apprendront rien chez ces gens-là.
Seuls, les constructeurs de la IVe Internationale, en s'appropriant les traditions de Marx et de Lénine, ont fait leur une attitude sérieuse envers la théorie. Que les philistins se moquent du fait que, vingt ans après la Révolution d'octobre, les révolutionnaires soient rejetés de nouveau sur les positions d'une modeste préparation propagandiste. Dans cette question, comme dans les autres, le grand capital est beaucoup plus perspicace que les philistins petits-bourgeois qui se considèrent comme des "socialistes" ou des "communistes": ce n'est pas pour rien que la question de la Quatrième Internationale ne disparaît pas des colonnes de la presse mondiale. Le besoin historique brûlant d'une direction révolutionnaire assure à la IVe Internationale des rythmes exceptionnellement rapides de développement. La plus importante garantie de ces succès futurs est le fait qu'elle ne s'est pas formée en dehors de la grande voie de l'histoire, mais qu'elle est organiquement sortie du bolchevisme.

:: Les objectifs généraux du mouvement féminin, par Lénine [23 septembre 1919]

Camarades,
Je suis très heureux de saluer la conférence des ouvrières. Je me permettrai de ne pas aborder les sujets et les problèmes qui, bien sûr, inquiètent avant tout, à l’heure actuelle, toute ouvrière et toute personne consciente appartenant  aux masses laborieuses. Les problèmes les plus brûlants ce sont ceux du blé et de notre situation militaire. Mais comme me l’ont appris les comptes rendus de presse relatifs à vos réunions, ces problèmes ont été exposés à fond ici par le camarade Trotsky pour les affaires militaires et les camarades Iakovléva et Sviderski pour le blé ; aussi me permettrez-vous de ne pas en parler.

Je voudrais dire quelques mots des objectifs généraux du mouvement ouvrier féminin dans la République des Soviets. De ces objectifs, les uns sont liés à la réalisation du socialisme, les autres s'imposent comme une nécessité urgente.

Le pouvoir des Soviets, dès ses débuts, s'est occupé du sort de la femme. Il me semble que la tâche de tout gouvernement ouvrier allant vers le socialisme sera double. La première partie en est relativement simple et facile. Elle concerne les vieilles lois qui ont placé la femme dans une situation d'inégalité par rapport à l'homme.

Depuis bien longtemps, depuis des siècles, tous les mouvements émancipateurs d'Occident ont réclamé l'abolition de ces lois vétustes et l'égalité des deux sexes devant la loi. Mais pas un Etat démocratique, pas une république avancée, n'a pu opérer cette réforme, car là où existe le capitalisme, là où subsiste la propriété privée de la terre, des fabriques et des usines, là où subsiste le pouvoir du capital, l'homme conserve ses privilèges.

En Russie, si on a pu changer cet état de choses, c'est que, depuis le 25 octobre 1917, le pouvoir appartient aux ouvriers. Les Soviets, dès le début, se sont donné pour tâche d'être le pouvoir des travailleurs, ennemi de toute exploitation. Ils ont entrepris de supprimer toute possibilité d'exploitation des travailleurs par les propriétaires terriens et les capitalistes, de supprimer le règne du capital. Le but des Soviets, c'est que les travailleurs organisent leur existence sans cette propriété privée sur la terre, les fabriques et les usines, qui, partout dans le monde, même dans les républiques les plus démocratiques, a réduit les travailleurs à un état de misère et d'esclavage salarié, et la femme à un double esclavage.

Les Soviets, pouvoir des travailleurs, dès leurs premiers mois d'existence, ont accompli dans la législation touchant la femme une révolution radicale. Des lois qui plaçaient la femme dans une condition subalterne, il n'est pas resté pierre sur pierre. Je veux parler des lois qui profitaient de la faiblesse de la femme pour lui faire un sort inférieur et souvent même humiliant, c'est‑à‑dire des lois sur le divorce, sur les enfants naturels, sur la recherche de la paternité.

C'est justement dans ce domaine que la législation bourgeoise, même dans les pays les plus avancés, abusait de la faiblesse de la femme. Et c'est aussi dans ce domaine que les Soviets n'ont pas laissé le moindre vestige des anciennes lois iniques, intolérables pour les représentants des travailleurs. Nous pouvons le dire avec fierté et sans crainte d'exagération, il n'y a pas un seul pays au monde, en dehors de la Russie des Soviets, où la femme jouisse de tous ses droits et ne soit pas placée dans une position humiliante, particulièrement sensible dans la vie familiale de chaque jour. C'était là une de nos premières et plus importantes tâches.

S'il vous arrive d'avoir affaire à des partis hostiles aux bolchéviks, ou s'il vous tombe entre les mains de ces journaux qui sont publiés en russe dans les régions occupées par Koltchak ou Dénikine, ou bien si vous parlez avec des gens partageant le point de vue de ces journaux, vous entendrez souvent accuser les Soviets d'avoir violé la démocratie.

On nous accuse, nous représentants du pouvoir des Soviets, nous bolchéviks‑communistes et partisans du pouvoir des Soviets, on nous accuse constamment d'avoir violé la démocratie et, pour le prouver, on dit que les Soviets ont dissous la Constituante. A ces accusations, nous répondons ordinairement ceci : la démocratie enfantée sous le régime de la propriété privée du sol, alors que les gens n'étaient pas égaux, que celui qui possédait un capital était le maître et les autres ses esclaves salariés, cette démocratie n'a aucun prix pour nous. Elle ne servait qu'à masquer l'esclavage, même dans les pays les plus avancés. Nous, socialistes, nous sommes pour la démocratie dans la mesure où elle allège le sort des travailleurs et des opprimés. Le socialisme se donne pour but de combattre dans le monde toute exploitation de l'homme par l'homme. La seule vraie démocratie pour nous est celle qui sert les exploités, les opprimés. C'est quand ceux qui ne travaillent pas sont privés des droits électoraux qu'existe la véritable égalité entre les hommes. Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger.

En réponse à ces accusations, nous demandons : comment est appliquée la démocratie dans tel ou tel pays ? Nous voyons dans toutes les républiques démocratiques l'égalité proclamée, mais dans les lois civiles, dans les lois sur la famille et le divorce, nous voyons à chaque pas l'inégalité et l'humiliation de la femme. Or c'est là une violation de la démocratie à l'égard d'opprimés. La Russie soviétiste, plus que tout autre pays, même plus avancé, a réalisé la démocratie en ne laissant pas dans ses lois, la moindre allusion à l'inégalité de la femme. Je le répète, pas un Etat, pas une seule législation démocratique n'a fait pour la femme la moitié de ce qu'a fait le pouvoir des Soviets dès les premiers jours de son existence.

Naturellement, les lois ne sont pas suffisantes, et nous ne nous contentons pas de décrets. Mais, dans le domaine législatif, nous avons fait tout le nécessaire pour élever la femme au niveau de l'homme et nous pouvons en être fiers. La situation de la femme dans la Russie des Soviets peut servir d'idéal aux Etats les plus avancés. Pourtant, ce n'est encore là qu'un commencement.

La femme dans le ménage reste encore opprimée. Pour qu'elle soit réellement émancipée, pour qu'elle soit vraiment l'égale de l'homme, il faut qu'elle participe au travail productif commun et que le ménage privé n'existe plus. Alors seulement, elle sera au même niveau que l'homme.

Naturellement, il ne s'agit pas ici de comparer la femme à l'homme en ce qui concerne la productivité, la quantité, la durée, les conditions de travail, etc.

Ce qu'il faut, c'est que la femme ne soit plus opprimée par sa situation économique par rapport à l'homme. La femme a beau jouir de tous les droits, elle n'en reste pas moins opprimée en fait, parce que sur elle pèsent tous les soins du ménage. Le travail du ménage est généralement le moins productif, le plus barbare et le plus pénible de tous ; il est des plus mesquins et n'a rien qui puisse contribuer au développement de la femme.

Nous voulons la réalisation intégrale du socialisme, et c'est là que s'ouvre pour la femme un large champ d'action. Nous déblayons le terrain pour l'édifice socialiste, mais la construction ne commencera que le jour où nous l'entreprendrons en collaboration avec la femme jouissant de l'égalité complète, libérée de ce travail mesquin, abrutissant et stérile. Nous avons là de l'ouvrage pour de longues années.

Ce travail ne peut donner de résultats rapides et ne fait pas grande impression.

Nous créons des institutions modèles, des restaurants, des crèches, pour affranchir la femme du ménage. Il faut reconnaître qu'à l'heure présente en Russie ces institutions, qui permettent à la femme de sortir de sa condition d'esclave domestique, sont très rares. Leur nombre est infime et les conditions militaires et alimentaires actuelles sont un obstacle à leur accroissement. Il convient cependant de dire qu'il en surgit partout où s'offre la plus petite possibilité.

Nous disons que l'émancipation des ouvriers doit être l’œuvre des ouvriers eux‑mêmes. De même, l'émancipation des ouvrières sera l’œuvre des ouvrières elles‑mêmes. Les ouvrières doivent veiller elles‑mêmes au développement de ces institutions ; elles arriveront ainsi à changer du tout au tout le sort qui leur était fait dans la société capitaliste.

Pour s'occuper de politique, sous l'ancien régime capitaliste, il fallait une préparation spéciale. C'est pourquoi la participation des femmes à la politique, même dans les pays capitalistes les plus avancés et les plus libres, était insignifiante. Notre tâche est de rendre la politique accessible à toute femme laborieuse. Depuis que la propriété privée du sol et des fabriques est abolie, depuis que le pouvoir des seigneurs et des capitalistes est renversé, la politique devient simple et accessible à tous les travailleurs, les femmes y comprises. Dans la société capitaliste, la femme est dans un état d'infériorité tel que son activité politique est presque nulle par rapport à celle de l'homme. Pour mettre fin à cet état de choses, il faut que le pouvoir soit aux mains des travailleurs. Alors la politique se réduira en général à tout ce qui touche directement le sort des travailleurs eux‑mêmes.

Et ici la participation de l'ouvrière communiste et consciente, ou même sans‑parti et inconsciente, est absolument nécessaire. Le pouvoir des Soviets lui ouvre un large champ d'action.

Nous avons eu bien du mal à lutter contre les forces hostiles à la Russie des Soviets. Nous avons eu du mal à résister militairement à ceux qui font la guerre au pouvoir des travailleurs, à combattre les spéculateurs : tout cela, parce que nous manquions d'hommes, de travailleurs qui nous aident de leur propre initiative. Il n'est rien que les Soviets apprécient tant que le concours de la masse des femmes laborieuses. Sans doute, dans l'ancienne société bourgeoise pour jouer un rôle politique, il fallait une préparation compliquée que la femme ne pouvait pas avoir. L'activité politique de la République des Soviets, au contraire, a pour objectif principal la lutte contre les propriétaires fonciers, contre les capitalistes, contre l'exploitation, et c'est pourquoi l'ouvrière a accès à la politique des Soviets, elle aidera l'homme par son habileté d'organisatrice.

Ce qu'il nous faut, ce n'est pas seulement l'organisation en grand. Il nous faut aussi l'organisation en détail. Là les femmes trouveront de la besogne. Elles peuvent se rendre utiles, même en temps de guerre, lorsqu'il s'agit d'aider l'armée et de mener l'agitation parmi les soldats. Elles doivent prendre une part active à ce travail, pour que l'Armée Rouge voie qu'on s'occupe d'elle. Elles peuvent également se rendre utiles dans le ravitaillement, dans la répartition des vivres et l'amélioration de l'alimentation publique, en multipliant ces restaurants populaires qui sont si nombreux déjà, à Pétrograd par exemple.

Voilà où l'ouvrière joue un véritable rôle d'organisatrice. Sa participation est également nécessaire dans nos grandes fermes‑modèles, pour qu'elles ne restent pas à l'état d'exception. Sans la collaboration d'un grand nombre de femmes laborieuses, nous n'arriverons à rien. L'ouvrière peut parfaitement se rendre utile ici en surveillant la répartition des produits, ou encore leur transport. C'est là une tâche dont elle peut parfaitement s'acquitter et qui contribuera plus que toute autre à consolider la société socialiste.

Après avoir supprimé entièrement la propriété privée du sol, et presque entièrement la propriété privée des fabriques et des usines, les Soviets veulent que tous les travailleurs, communistes et sans‑parti, hommes et femmes, prennent part à l'édification économique. L’œuvre entreprise par les Soviets ne pourra avancer que lorsque des millions et des millions de femmes, dans toute la Russie, y participeront. Alors, nous en sommes convaincus, le socialisme pourra s'établir. Alors les travailleurs montreront qu'ils peuvent vivre et administrer l'Etat sans propriétaires et sans capitalistes. Alors le socialisme sera si fort en Russie que nul ennemi extérieur ou intérieur ne fera peur à la République des Soviets.