La IVème Internationale est issue historiquement de la IIIème
Internationale Communiste fondée au lendemain de la Révolution Russe.
Mais l'isolement de cette dernière entraîna sa dégénérescence et celui
du Parti Bolchévique dont le poids était déterminant à l'intérieur de
l'Internationale.
Et la stalinisation du Parti Bolchévique entraîna celle du Komintern.
Dès 1923 Trotsky engagea la lutte contre la bureaucratie qui
envahissait l'Etat et le Parti. Avec l'Opposition de gauche il essaya de
combattre la politique de Staline qui mettait en péril les conquêtes de
la Révolution d'Octobre (Comité Anglo-Russe en 1926, Révolution
Chinoise, politique de concessions puis d'extermination envers les
koulaks).
Rejoint par Zinoviev et Kamenev en 25-26, abandonné par ceux-ci un an
plus tard, il se retrouve seul en 1928 ; l'Opposition de Gauche groupe à
l'époque un grand nombre de militants de valeur, vieux bolchéviques qui
ont fait Octobre.
L'enterrement de Joffé en 1927 sera leur dernière manifestation publique.
Deux ans plus tard en 1929, Trotsky est exilé hors d'URSS et Staline
pour la première fois fait assassiner un sympathisant de l'opposition :
Blumkine. L'exemple de Blumkine montrait en quelque sorte aux
trotskystes d'Union Soviétique le seul avenir qui les attendait : la
balle dans la nuque.
Le découragement dû au manque de perspective révolutionnaire, la
possibilité de se rendre utile à la Patrie Socialiste, vont entraîner
redditions et capitulations chez de nombreux membres de l'Opposition.
En 1929 Karl Radek militant des mouvements ouvriers polonais,
allemand et russe capitule. Il est suivi d'Ivan Nikitich Smirnov,
surnommé le Lénine de Sibérie, le vainqueur de Koltchak, de Serge
Mratchkovsky, dirigeant de l'Opposition, d'Ivan Smilga chef de la
Baltique, de Preobrajensky co-auteur avec Boukharine de "l'A.B.C. du
Communisme".
Puis en 1934, Christian Rakovsky, lié à Trotsky depuis la Première
guerre mondiale où ensemble ils écrivent le journal russe
internationaliste de Paris : "Nache Slovo", Rakovsky, le Président du
Conseil des Commissaires du Peuple d'Ukraine, capitule à son tour.
Mais d'autres comme Vladimir Smirnov, dirigeant de l'insurrection
d'Octobre à Moscou, comme Solntsev, refusent de se plier au diktat
stalinien. Le premier, devenu aveugle par suite des privations en
isolateur disparaîtra sans avoir capitulé, le second, jeune bolchevik,
mourra d'épuisement en janvier 1936 après une grève de la faim.
Mais Staline prépare la plus effroyable boucherie que le mouvement
révolutionnaire ait connue. De 1936 à 1938 il va éliminer toute la
vieille garde bolchevique au cours des sinistres mascarades de justice
socialiste baptisées "Procès de Moscou".
En août 1936 sont jugés et exécutés : Zinoviev, Kamenev, Evdokimov,
Bakaiev, I.N. Smirnov, Mratchkovsky, Ter Vaganian. Le 23 août, Tomsky
mis en cause au cours du procès se suicidera. Du 23 au 30 janvier 1937,
Piatakov et Mouralov seront exécutés. Du 2 au 13 mars 1938 Boukharine,
Rykov, Rakovsky - et ce sont seulement là les plus connus - tous
avoueront "être à la solde des impérialistes et avoir voulu tuer
Staline".
Dans la Russie le massacre commence. Des milliers de bolcheviks
obscurs, dont l'histoire n'a pas retenu les noms seront éliminés.
Évidemment les trotskystes n'échappent pas à la règle.
Dans le tome III de sa biographie sur Trotsky, Deutscher a montré la fin
des trotskystes au camp de Vorkouta. Arrivés à la mine durant l'été
1936, ils refusaient de travailler plus de huit heures par jour (le
règlement exigeait dix et douze heures). Ils organisaient meetings et
manifestations lors des procès de Moscou. Ils ignoraient
systématiquement le règlement des camps. De mars à mai 1938 ils furent
tous exécutés.
Mais le massacre ne touche pas seulement le Parti russe.
Tous les révolutionnaires étrangers se trouvant à Moscou sont eux
aussi victimes des purges. Nous pouvons citer les Allemands Neumann,
Remmele, le spartakiste Heckert ; les polonais Adolph Warsky, ami de
Rosa Luxembourg, un des fondateurs de la Social-Démocratie polonaise et
vétéran du P.C. Polonais, Lensky et Bronsky combattants de la Révolution
Russe, Wera Kostzewa.
Le 17 décembre 1936 la Pravda annonce que "l'épuration des éléments
trotskystes et anarcho—syndicalistes a commencé en Espagne et sera
exécutée jusqu'au bout avec la même énergie qu'en URSS". Le 17 mai 1937
débutera la répression contre les anarchistes, les trotskystes et les
militants du P.O.UM.
Comme l'écrivait Trotsky le 20 février 1938 dans la brochure
consacrée à la mémoire de son fils Léon Sédov assassiné par la Guépéou :
"De cette génération ainée, dans les rangs de laquelle nous sommes
entrés à la fin du siècle dernier, tous, sans exception, ont été
balayés de la scène. Ce que n'ont pu faire les bagnes du tzar, la
déportation rigoureuse, les besoins des années d'émigration, la guerre
civile et les maladies, Staline l'a fait comme le fléau le plus
malfaisant de la Révolution. Après la génération ainée, a été anéantie
la meilleure partie de la génération moyenne, c'est à dire celle qu'a
suscitée 1917 et qui a reçu sa formation des 24 armées du front
révolutionnaire".
Ainsi Staline, par une fureur sanguinaire qui lui valait une place
d'honneur au Panthéon des massacreurs d'ouvriers, laissant loin derrière
les Thiers, Dollfus, Hitler et autres Franco, faisait disparaître des
milliers de révolutionnaires socialistes, hommes qui quelques années
auparavant avaient fait trembler la bourgeoisie de tous les pays.
Il ne traduisait par là que la peur de la bureaucratie russe devant
toute révolution. Il est bon de se rappeler aujourd'hui, alors que
certains osent se dire révolutionnaires en se réclamant de Staline,
qu'avant de devenir le petit père des peuples, le sinistre Géorgien fut
d'abord leur bourreau.
Dès le début de son exil, Trotsky espère que Staline expulsera à
l'étranger d'autres militants de l'Opposition. Mais son espoir est déçu.
Il est seul, bien seul. Et après le massacre de la Vieille Garde, il
reste désormais l'unique maillon qui puisse transmettre l'héritage
d'Octobre aux générations nouvelles.
La tâche qu'il entreprend est impressionnante. Il s'agit pour, lui de
regrouper les révolutionnaires afin de continuer la lutte pour la
Révolution. Mais se dressent contre cette poignée de militants non
seulement la bourgeoisie et son appareil de répression, nais aussi la
clique stalinienne et ses complices des différents P.C.
Très rapidement des agents provocateurs staliniens s'infiltrent dans
le mouvement trotskyste, trahissant , suscitant partout suspicion et
semant le trouble quand ils n'assassinent pas. Le meilleur exemple est
celui de Marc Zborowsky, dit Etienne, agent provocateur stalinien, le
meilleur ami et on l'apprit plus tard, l'assassin de Sedov, le fils de
Trotsky. Il dirigera à la mort de Sedov le bulletin de l'Opposition et
représentera la Section russe à la Conférence de fondation de la IVème
Internationale en 1938. Huit secrétaires politiques de Trotsky sont
successivement abattus et en Espagne tous les trotskystes sont
massacrés.
De plus, l'énorme appareil du Komintern se sert de ses milliers de journaux pour déverser sur eux des flots de calomnies.
Mais malgré les tortures, les assassinats, les calomnies, les
dénonciations, malgré les conditions de vie et de militantisme
effroyables, les militants trotskystes tiennent bon et font preuve d'un
courage admirable.
Mais parmi les militants trotskystes, les seuls qui aient eu une
véritable formation bolchevique étaient ceux d'Union Soviétique.
A l'étranger les groupes qui soutiennent Trotsky sont formée pour la
plupart d'hommes courageux, d'intellectuels brillants, dévoués tout
entier à la cause de la Révolution. Mais ils ressemblent peu aux
militants bolcheviks qui eux, se sont formés au cours des longues années
de répression, qui ont subi le feu de deux révolutions et d'une guerre
civile. Ils ignorent totalement ce qu'est la discipline bolchevique et
le travail au sein de la classe ouvrière. Mais leur faiblesse n'est
finalement que celle de la IIIème Internationale. Créée par le Parti
Bolchevique sur une base programmatique, l'Internationale Communiste
regroupa un certain nombre d'organisations les unes révolutionnaires,
les autres plus ou moins opportunistes. Et les vingt et une conditions
qui dressaient une barrière contre les opportunistes furent facilement
tournées.
En France au Congrès de Tours, c'est la majorité du P.S. qui vota
l'adhésion à la IIIème Internationale. Non seulement ces gens n'avaient
pas de formation bolchevique mais beaucoup d'entre eux étaient des
réformistes notoires.
Aussi les militants gagnés par le mouvement trotskyste viennent soit
de la IIème, soit de la IIIème Internationale, à leur déclin, qui sont
de bien mauvaises écoles de militantisme. Dès cette époque les militants
communistes sont formés au détriment du travail en profondeur et en
plus sans formation bolchevique. Les trotskystes sont de plus isolés de
la classe ouvrière car aux yeux de milliers de travailleurs les Partis
Communistes qui se réclament de la Révolution Russe apparaissent comme
des partis révolutionnaires. Car si le mouvement trotskyste compte des
militants et sympathisants de grande valeur comme Trotsky lui-même,
Rosmer, Cannon aux U.S.A., l'italien Blasco, il n'a pas de cadres moyens
liés aux masses et capables de former l'armature d'un parti
révolutionnaire.
Chassé du mouvement ouvrier par le stalinisme, le mouvement
trotskyste recrutera surtout chez les intellectuels. "La prédominance
des intellectuels dans une organisation [révolutionnaire], écrit
Trotsky, est inévitable dans la première période de son développement".
Mais ces intellectuels pendant des années de 1928 à 1933 n'ont pas eu
la possibilité de militer sur le terrain des luttes ouvrières et n'ont
pas eu de formation ni de traditions véritablement communistes.
Tout cela confère au mouvement trotskyste un caractère
petit-bourgeois qui rendent aléatoire tout développement ultérieur de la
IVème Internationale. Et si dans la première période de son
développement la prédominance d'intellectuels est obligatoire le fait
que cette prédominance se perpétue entraîne obligatoirement des
déformations politiques et organisationnelles. Nous essaierons de
montrer les conséquences qu'eurent l'influence du milieu petit-bourgeois
et son idéologie dans les rangs des révolutionnaires de la IVème
Internationale.
Lors de la proclamation de la IVème Internationale en 1938, toute une
partie des trotskistes, considérait cette décision comme prématurée et
arbitraire. Des groupes trotskystes refusèrent donc l'appellation de
IVème Internationale et continuèrent à militer "Pour une IVème
Internationale".
La proclamation de la IVème Internationale était-elle prématurée ?
NON, nous ne le pensons pas. Bien entendu à cette époque, Trotsky le
premier ne pensait pas pouvoir construire réellement avant la guerre
toute proche la IVème Internationale.
Elle existait certes, avec des sections dans de nombreux pays. Mais
nulle part pratiquement ces sections n'étaient numériquement nombreuses,
ce qui n'était pas très grave, mais nulle part liées aux masses, ce qui
l'était plus.
Il fallait la créer cependant, cc n'était pas une erreur, car il
était nécessaire de proclamer aux yeux de tous les travailleurs la
valeur de l'Internationalisme devant les trahisons nationalistes et
chauvines des partis staliniens et sociaux-démocrates.
La guerre mondiale ne pouvait pas manquer de provoquer une situation,
une crise révolutionnaire, Il fallait que les masses aient un drapeau
internationaliste auquel se rallier. A Zimmerwald et à Kienthal les
internationalistes avaient, durant la première guerre mondiale planté
les jalons d'une future Internationale. Là, les militants de la IVème
Internationale s'y prenaient à l'avance et ils ne pouvaient pas ne pas
le faire !
Cela eut été un renoncement aux responsabilités de l'heure. Cela
devait être fait indépendamment du succès escompté à court terme. Car
pour Trotsky et ses camarades il fallait répondre présent aux tâches du
moment et non pas attendre des jours meilleurs pour faire leur devoir
vis-à-vis de leur classe.
Si Trotsky n'avait pas créé la IVème Internationale, Isaac Deutscher
lui aurait certainement décerné un satisfecit, mais ni nous, ni vous ne
serions ici aujourd'hui.
L'assassinat de Léon Trotsky deux ans plus tard fut une perte
irréparable pour le mouvement ouvrier en général et la IVème
Internationale en particulier.
De son vivant Trotsky réussissait à maintenir le mouvement trotskyste
dans une cohésion très relative dans le domaine politique. Il
représentait à lui seul l'acquis théorique d'un demi-siècle de luttes
ouvrières et de révolution. Il était, sans vouloir vexer personne, la
seule tête théorique de la IVème Internationale et sa direction. Et de
plus, il masquait de sa personne l'opportunisme plus ou moins latent des
sections.