jeudi 11 juin 2015

:: 19 juin 1953, assassinat des époux Rosenberg [LO, juin 2003]

C'est le 19 juin 1953 que Julius et Ethel Rosenberg furent exécutés sur la chaise électrique du pénitencier de Sing-Sing, aux États-Unis. Leur condamnation ne relevait pas de l'erreur judiciaire. De bout en bout, ce fut une affaire politique. Ils furent sacrifiés sur l'autel de la guerre froide, en pleine guerre de Corée, quand les dirigeants de la principale puissance impérialiste de la planète entendaient préparer l'opinion publique américaine à une éventuelle guerre "chaude" contre l'Union soviétique.

La "chasse aux sorcières"


Officiellement, ce qu'on a appelé la "chasse aux sorcières" ou encore le "maccarthysme", du nom du sénateur du Wisconsin Joseph McCarthy, commence lorsque ce dernier, le 9 février 1950, accuse publiquement des fonctionnaires américains d'être communistes et d'oeuvrer contre l'intérêt national. Commence alors la traque des adhérents du Parti Communiste mais aussi de tous ceux qui ont pu l'être dans le passé, même s'ils ont mis fin à leur engagement politique.

En réalité, la "chasse aux sorcières" a commencé quelques années plus tôt. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis cherchent à affirmer leur suprématie vis-à-vis de l'URSS sur le plan international, en même temps qu'ils cherchent à faire taire la classe ouvrière américaine sur le plan intérieur, au moment où celle-ci riposte, par une série de grèves dures, à la situation difficile engendrée par l'effort de guerre.

Un des objectifs du "maccarthysme" est d'épurer les syndicats américains de toute présence de militants communistes. C'est d'ailleurs dans le CIO, l'organisation syndicale d'industrie née des conflits grévistes des années trente, que la "chasse aux rouges" est la plus violente: onze fédérations syndicales ont été dissoutes et un million de syndiqués exclus.

Dès 1946, une véritable inquisition s'est mise en place contre tous ceux qui peuvent être soupçonnés de communisme. Elle a d'abord frappé les milieux artistiques, vitrine de la société américaine, mais s'est étendue bientôt à toute la société. Dès 1947, le sénateur McCarthy a obtenu qu'on réalise une enquête de moralité sur deux millions de fonctionnaires. Dans l'administration, dans les universités, dans les écoles, dans les entreprises, il y a des dénonciations de personnes qualifiées, à tort ou à raison, de "communistes". Pour tous, c'est le licenciement immédiat et parfois le procès et la prison. Dans le pays qui se présente au monde comme "le champion de la démocratie", se met en place un système de délation qui n'a rien à envier aux régimes nazi ou stalinien. Les condamnations pleuvent sur les sympathisants du PC mais également sur tous ceux qui affichent des opinions libérales.

La condamnation des Rosenberg

L'affaire qui symbolise toute cette période est justement la condamnation à mort des époux Rosenberg, condamnés sur la base d'un procès sans preuves sérieuses -et en tout cas sans la moindre preuve qui puisse justifier la chaise électrique! Julius Rosenberg, arrêté le 17 juillet 1950, et Ethel, arrêtée le 12 août, sont accusés de "complot en vue de commettre le crime d'espionnage", motif d'autant plus vague que les "preuves" réunies par la police et la justice le resteront également.

Leur condamnation va en faire les boucs émissaires pour un événement qui irrite beaucoup les dirigeants américains. A la sortie de la guerre, les États-Unis sont la seule puissance atomique. Ils ont testé en grandeur réelle la bombe atomique sur la population japonaise. En théorie, il s'agissait de "hâter la fin de la guerre", en pratique, de terroriser la population japonaise, pour empêcher que le Japon ne tombe dans la sphère d'influence soviétique ou, pire à leurs yeux, ne succombe à la révolution prolétarienne.

Cette exclusivité américaine s'est effondrée en 1949, quand l'URSS a disposé à son tour de la bombe A. Le 1er décembre 1950, en pleine escalade de la guerre de Corée, le président américain Truman avait déclaré que les États-Unis étaient prêts à utiliser la bombe atomique contre l'URSS si celle-ci menaçait l'Europe au-delà du rideau de fer. Mais le 3 octobre 1951, l'URSS procède à l'explosion d'une nouvelle bombe d'une puissance supérieure. Les dirigeants américains ripostent à ce camouflet, en redoublant d'hystérie anticommuniste à l'intérieur.

Les Rosenberg deviennent alors des "espions atomiques". Si les Russes ont la bombe c'est que les Rosenberg et leurs complices, notamment David Greenglass, le frère d'Ethel Rosenberg, ont transmis le "secret" aux Russes, affirme-t-on. Les accusateurs publics, la grande presse dénoncent ceux qui ont "trahi leur patrie" en transmettant ce secret. Certains manifestent dans la rue, réclamant leur tête. Les Rosenberg sont ainsi livrés en pâture à une opinion publique dont l'hystérie est créée de toutes pièces par les pouvoirs publics: président, gouvernement, services secrets, police et justice.

Coupables de quoi ?

Car si quelqu'un devait le "secret" de l'arme atomique à des "traîtres" ayant "trahi leur patrie", c'étaient d'abord les États-Unis, qui avaient pu se lancer dans la course atomique parce que des physiciens d'origine allemande, Albert Einstein en tête, avaient rompu avec l'Allemagne nazie dans les années trente et renseigné le gouvernement américain sur les possibilités militaires de la fission nucléaire!
Ces savants allemands anti-nazis estimèrent à ce moment-là que, pour contrecarrer le risque que les nazis se dotent les premiers de l'arme atomique, il fallait convaincre les États-Unis de chercher dans la même direction, ce que permettaient leurs moyens. De même, parmi eux, certains estimèrent qu'il ne fallait pas non plus que l'arme atomique reste le monopole des seuls États-Unis. C'est ainsi que Klaus Fuchs, physicien allemand réfugié en Angleterre et collaborateur du centre de recherche atomique américain de Los Alamos, allait informer l'URSS de 1941 à 1950 sur l'évolution des recherches américaines.

Les Rosenberg étaient des militants du Parti Communiste. Lui était ingénieur de formation, elle dactylo. Ils s'étaient rencontrés dans les années trente, dans le quartier de l'East Side où vivaient les familles les plus populaires de New York et où le soir, après avoir fait la vaisselle, on lisait le Daily Worker, le quotidien du PC américain. Ethel fut licenciée après sa première embauche comme dactylo pour avoir appelé ses collègues à la lutte contre un patron rapace. C'est dans ce milieu de militants ouvriers, où les idéaux communistes valaient plus que le "rêve américain", même malgré les duperies de la politique stalinienne, que les Rosenberg puisèrent la force de lutter contre l'appareil d'État américain qui entendait les broyer pour convaincre l'opinion publique qu'il fallait "casser du rouge".

On a beaucoup glosé pour savoir si les Rosenberg étaient "coupables". Mais coupables de quoi? En tant que sympathisants du PC et de l'URSS -ce qu'ils nièrent être pour des raisons tactiques- ils trouvaient sans doute juste que les secrets de la bombe atomique soient partagés. Est-ce que le service militaire effectué par David Greenglass à Los Alamos lui a permis de transmettre des éléments suffisamment importants pour aider les Russes? Tout le monde dit aujourd'hui que c'était des broutilles. D'ailleurs, en 1946, un des concepteurs de la bombe atomique avait déclaré au New York Times: "Des données détaillées sur la bombe atomique demanderaient 80 à 90 volumes imprimés serré, et que seul un scientifique serait capable de lire. Tout espion capable de glaner ces renseignements obtiendrait ces informations plus rapidement en restant chez lui et travaillant dans son propre laboratoire." Mais les "aveux" de Greenglass qui, pour sauver sa peau, condamna sa propre soeur à la chaise électrique, n'étaient qu'un prétexte. Le sort des Rosenberg était réglé avant même que l'affaire ne soit jugée.
En général, les "espions" d'envergure sont traités avec ménagement par les États qui les mettent hors jeu. Ils connaissent des peines de prison et sont l'enjeu de discrets échanges. Mais l'État américain voulait des exécutions, quitte à fabriquer des preuves et à piétiner tous les recours possibles des condamnés. Les Rosenberg, de leur côté, firent front avec courage et devinrent un symbole. Durant toute l'année 1952 et début 1953, dans tous les États-Unis mais aussi dans de nombreux pays, Canada, France, Angleterre, Italie, Hongrie, Inde, des "comités Rosenberg", proches des partis communistes, et des centaines de milliers de manifestants réclamèrent en vain leur grâce.

Leur mort fut un assassinat délibéré perpétré dans un contexte d'hystérie anticommuniste. Et même si les dirigeants américains invoquaient la dictature stalinienne qui régnait alors en URSS pour justifier leur crime, elle n'était au fond qu'un prétexte. La preuve en est que, cinquante ans après, ils n'en ont fini ni avec l'hystérie ni avec la recherche de boucs émissaires pour justifier une politique qui vise à imposer, coûte que coûte, sur la planète, la domination de l'impérialisme.

Jacques FONTENOY (LO, juin 2003)

:: 22 juin 1941 : l'attaque d'Hitler contre une URSS affaiblie par la politique criminelle de Staline [LO, juin 2001]

Dans la nuit du 21 au 22 juin 1941, l'armée allemande passait à l'offensive contre l'Union Soviétique, l'alliée de la veille. En deux semaines, elle avait avancé de cinq cents kilomètres à l'intérieur du territoire soviétique. Après cinq mois de combat, elle encerclait Léningrad, faisait face à l'armée rouge devant Moscou, et occupait la totalité de l'Ukraine.

Cette offensive marquait la fin de l'alliance entre l'Allemagne hitlérienne et l'URSS de Staline qui durait depuis la signature, près de deux ans plus tôt, du pacte germano-soviétique. A la stupeur de nombreux travailleurs et de militants communistes du monde entier, celui-ci avait été signé le 23 août 1939 par les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne et de l'URSS, Ribbentrop et Molotov.

Le pacte germano-soviétique

Ce pacte n'avait été que la suite logique de la politique de Staline et de son abandon de toute politique révolutionnaire. Pour Lénine et Trotsky, l'Etat ouvrier né de la révolution ne pouvait véritablement assurer sa survie contre les impérialistes que grâce au soutien des travailleurs de tous les pays et, à terme, le renversement du système capitaliste mondial. Dans les années 1920, grâce à ce soutien, grâce à l'existence d'un courant révolutionnaire international dans la classe ouvrière, la jeune république soviétique avait survécu face aux agressions et à l'encerclement dont elle fut alors l'objet de la part de la contre-révolution intérieure et de ses soutiens impérialistes.

Mais une fois au pouvoir, Staline tourna le dos à cette politique révolutionnaire internationale, car il combattait toute perspective qui risquait à terme de menacer son propre pouvoir en Union Soviétique. Pour la survie de l'URSS, ou plutôt pour la survie de son propre pouvoir bureaucratique, il ne lui resta plus qu'à s'en remettre à la vieille diplomatie traditionnelle et à tenter de mener un jeu diplomatique hasardeux en direction des grandes puissances impérialistes, sur la base de leurs rivalités.
Ainsi, dans un premier temps, après la victoire des nazis en janvier 1933, il tenta une politique de rapprochement avec l'Allemagne, politique qui ne déboucha pas. La victoire d'Hitler marquait pourtant le début du compte à rebours d'une nouvelle guerre mondiale pour un nouveau partage de la planète. D'une façon ou d'une autre, celle-ci ne pouvait que viser l'existence même de l'Union Soviétique. A partir de 1934, Staline opéra un tournant et se rapprocha cette fois de la France et de la Grande-Bretagne. En mai 1935, un traité d'assistance mutuelle fut signé entre la France et l'URSS. Lors de la visite qui s'ensuivit à Moscou de Laval, chef du gouvernement français, Staline affirma, à l'adresse du PCF, comprendre la nécessité de l'effort d'armement du gouvernement français. Dorénavant, Staline présenta la guerre qui venait, non plus comme une guerre entre deux camps impérialistes, mais comme la lutte des "démocraties" contre les "dictatures". En revanche, il ne fut plus question de la lutte des travailleurs pour le pouvoir.

On put vite mesurer le peu de fiabilité de ces alliés impérialistes de l'URSS, pour lesquels Staline avait fait abandonner aux partis communistes toute politique révolutionnaire dans la classe ouvrière des autres pays, une classe ouvrière qui aurait pourtant pu être le meilleur allié du premier Etat ouvrier. En septembre 1938, les dirigeants français et anglais signèrent les accords de Munich qui donnaient satisfaction à Hitler, pensant visiblement repousser ses appétits vers l'Est. De son côté, à ce moment-là, Staline savait à quoi s'en tenir sur la valeur de l'armée rouge. Les purges qu'il avait ordonnées en 1937 continuaient à éliminer des dizaines de milliers de ses meilleurs cadres, diminuant d'autant la force de son commandement. En face, le futur camp des alliés, et plus particulièrement la Grande-Bretagne et la France, envisageait un accord avec l'Allemagne hitlérienne, espérant que cette dernière dirigerait ses coups à l'Est, contre l'URSS. L'accord de Munich s'inscrivait dans cette logique.

Le pacte germano-soviétique permit aux deux compères de se partager la Pologne. C'était calmer les appétits de conquête à l'est de Hitler, mais seulement bien provisoirement. En fait, loin de garantir à l'URSS sa sécurité, cet accord permit à l'armée allemande d'atteindre par étape ses objectifs. Elle lui laissa les mains libres pour concentrer ses forces sur le front de l'Ouest, ce qui lui permit d'écraser en quelques semaines en mai-juin 1940 les armées anglaise et française. Trotsky écrivait alors : "Ses victoires (de l'Allemagne) à l'Ouest ne sont qu'une gigantesque préparation pour un gigantesque mouvement vers l'Est".

L'offensive allemande

A la sortie de l'hiver 1940-1941, l'armée allemande prit effectivement l'offensive dans cette direction pour occuper d'abord les champs pétrolifères de Roumanie, puis en avril, la Yougoslavie et la Grèce. L'étape suivante était clairement tracée.

Et pourtant, Staline s'accrochait encore à l'illusion de la solidité de son alliance avec Hitler. Une semaine avant l'offensive allemande contre l'URSS, l'agence soviétique officielle Tass continuait à affirmer : "... Les rumeurs n'ont cessé de se multiplier quant à une "guerre prochaine" entre l'Union soviétique et l'Allemagne... Il n'y a rien là qu'une vaste tentative des puissances hostiles à l'Allemagne, qui souhaitent une extension du conflit... Les milieux soviétiques considèrent comme dénuées de tout fondement les rumeurs selon lesquelles l'Allemagne aurait l'intention de rompre le pacte et d'attaquer l'URSS. Quant au transfert de troupes allemandes vers les zones septentrionales et orientales de l'Allemagne, durant cette dernière semaine, on peut penser qu'il s'agit de mener à bien des tâches militaires dans les Balkans et que ces mouvements ont été dictés par des motifs qui sont étrangers aux relations germano-soviétiques !"

C'est donc totalement impréparée que l'URSS subit l'offensive éclair de l'armée allemande. Le fiasco annoncé du pacte germano-soviétique et la cécité politique de Staline faillirent mettre un point final à l'existence de l'Union Soviétique.

Intégrant une nouvelle alliance, cette fois aux côtés des Etats-Unis, au prix d'un effort de guerre exceptionnel et d'une mobilisation de sa population, l'URSS résista finalement à l'armée allemande. Après avoir bloqué celle-ci fin 1942 à Stalingrad, l'armée rouge la repoussa à partir du printemps 1943, et réussit à la vaincre au bout de quatre années de guerre totale. Mais cette alliance entre l'Allemagne nazie et l'URSS de Staline et son dénouement inopiné le 22 juin 1941 avaient coûté cher à la population soviétique, qui le paya de millions de morts et de destructions immenses. Et elle reste un témoignage de l'ignominie de la politique de la bureaucratie et de son chef Staline, qui avaient mené l'Union Soviétique au bord du gouffre.


Michel ROCCO (LO, juin 2001)

:: 25 juin 1950 : le début de la guerre de Corée [LO, juin 2000]

Le 25 juin 1950, l'armée nord-coréenne, équipée d'un armement que lui avaient laissé les troupes soviétiques, franchissait le 38e parallèle, la limite au-delà de laquelle commençait la zone d'influence américaine. Constatant très vite l'impuissance militaire de la dictature qu'ils avaient installée au sud, les Etats-Unis intervinrent directement, engageant une guerre qui devait durer trois ans.

25 juin 1950

La population coréenne, annexée de force au Japon en 1910, pouvait espérer avec la défaite du Japon de 1945 la fin de l'emprise de ce pays. Mais c'était sans compter avec le pacte qu'avaient scellé les vainqueurs de la guerre, l'impérialisme américain et l'URSS stalinienne, contre le droit des peuples. Les troupes soviétiques occupèrent le nord de la presqu'île deux jours avant la défaite japonaise, les troupes américaines le sud de la Corée quatre semaines plus tard, avec le souci commun d'y faire taire la population. Une ligne de démarcation fut établie entre les deux zones le long du 38e parallèle.

Un partage imposé par les grandes puissances

La joie qui avait éclaté à Séoul, la capitale du sud, quand le commandant américain, le général Hodge, reçut la capitulation japonaise le 9 septembre 1945, fut de courte durée. Il décida le maintien des fonctionnaires japonais stationnés en Corée, qui étaient vomis de la population, et on lui prêta les propos suivants : " Les Coréens sont de la même race de chats que les Japonais ". Les Etats-Unis portèrent au pouvoir Syngman Ree, qui se comporta en bourreau pour tous les opposants.

Au nord, l'armée soviétique installa Kim Il-sung, qu'elle avait ramené d'URSS. Son passé de combattant en faveur de l'indépendance de la Corée contre le Japon dans les années trente lui donnait du prestige, dans un pays où les exactions de l'armée d'occupation japonaise avaient laissé de sinistres souvenirs. Sa popularité grandit à travers le pays quand il organisa une réforme agraire au bénéfice des petits fermiers.

La division de la Corée était en principe provisoire, jusqu'aux élections prévues dans les deux zones, qui devaient aboutir à la création d'un gouvernement commun. Mais la situation se figea. En effet les Etats-Unis étaient en train de durcir leur politique pour endiguer l'influence de l'URSS, tandis que celle-ci cherchait à se constituer un glacis qui ferait tampon avec les pays impérialistes, sans que cela remette en cause les rapports sociaux. La Guerre Froide avait commencé.

De nombreuses familles se trouvèrent partagées entre les deux zones désormais ennemies. La pauvreté fut encore renforcée par la coupure économique, le nord jusque-là payant en bois, charbon, fer et courant électrique, le riz, l'orge et les textiles produits par le sud.

A la fin de 1948, quand les troupes soviétiques se retirèrent en grande pompe, Kim Il-sung dénonça auprès de la population le maintien des troupes américaines au sud. Celles-ci partirent en juin 1949. Cependant, six cents conseillers américains restaient sur place pour aider à organiser une police et une armée au service de la dictature de Syngman Ree.

Les Etats-Unis, soucieux de désamorcer une révolte agraire et d'ôter un argument de poids au gouvernement du Nord, conseillèrent à leur protégé du Sud d'annoncer lui aussi un partage des terres, mais le gouvernement de la Corée du Sud s'y refusa, ce qui renforça l'hostilité de la population à son égard.

En Chine, la réforme agraire à laquelle s'était finalement décidé Mao lui valut une immense popularité, donnant un nouvel élan à l'armée qu'il avait forgée dans la lutte contre le Japon. Les Etats-Unis assistèrent impuissants à sa prise de pouvoir le 1er octobre 1949.

En Corée, l'aspiration à un partage des grandes propriétés se conjuguait à celle de l'unité nationale. C'est dans ces conditions favorables que, le 25 juin 1950, l'armée du Nord, forte de 60 000 hommes et de quelques dizaines de blindés, franchit le 38e parallèle. En 24 heures, elle atteignait les faubourgs de Séoul, la capitale du Sud. L'armée sud-coréenne s'était débandée.

Les Etats-Unis s'empressèrent d'intervenir. Ce qu'ils avaient été contraints de laisser faire en Chine ne devait pas servir de précédent à d'autres peuples pauvres, dans une situation où l'URSS, malgré sa politique de maintien du statu quo, pouvait néanmoins servir de point d'appui à des contestations.

L'impérialisme US derrière le masque de l'ONU

Dès le 26 juin, le président US Truman décida l'envoi des troupes. Il obtint de l'ONU qu'elle désigne la Corée du Nord comme agresseur et qu'elle apporte au Sud " toute l'aide nécessaire pour repousser les assaillants ". Le secrétaire général de l'ONU s'exclama : " C'est une guerre déclarée contre les Nations unies ! ". Cette intervention de l'impérialisme se déroula donc sous le couvert de l'ONU. Ce ne serait pas la dernière fois.

L'URSS de Staline, qui ne voulait rien d'autre que le maintien de l'ordre existant, se garda bien d'intervenir. Après s'être tus pendant quelques jours, ses représentants demandèrent... l'arbitrage de l'ONU, alors que celle-ci patronnait déjà l'intervention armée en Corée. Seize nations dont la France envoyèrent des troupes aux côtés des sudistes. Parallèlement, les Etats-Unis firent un geste en livrant du matériel militaire pour la guerre coloniale que la France menait alors en Indochine : la défense du colonialisme français faisait partie désormais d'une croisade du " monde libre " contre le " communisme ". Aux Etats-Unis, la campagne anticommuniste qui avait été déclenchée en février 1950 par le sénateur McCarthy prit des allures hystériques, tandis qu'en Europe de l'Ouest l'éventualité que la guerre de Corée ne débouche sur une troisième guerre mondiale provoquait la panique : sucre, huile et savon avaient disparu des épiceries.

Le général MacArthur, qui régentait le Japon occupé par l'armée américaine, fut chargé de commander les opérations de l'ONU en Corée. Son premier rapport envoyé à Washington était alarmant : " Les forces sud-coréennes sont complètement désorganisées ; elles n'ont jamais combattu sérieusement et manquent de chefs. Conçues et équipées pour constituer des forces légères destinées à maintenir l'ordre intérieur du pays, elles n'ont reçu aucun entraînement pour résister à une attaque par blindés ou par avions ". Effectivement. Entraînées pour l'arrestation et la torture des communistes et autres opposants, elles ne résistèrent pas à une offensive militaire qui avait ses partisans dans le Sud de la Corée. MacArthur concluait : " La seule solution pour tenir les lignes actuelles, et pour regagner par la suite le terrain perdu, réside dans l'intervention de forces terrestres des Etats-Unis ". Et il fut entendu.
Cependant, malgré le renfort des troupes américaines, l'armée sud-coréenne continua d'être refoulée. Elle dut s'accrocher à un petit réduit à l'extrémité de la péninsule.

Le 15 septembre, le conflit changea de dimension. Les Etats-Unis organisèrent à Inchon, le port de Séoul, un débarquement de troupes avec un pont aérien tel qu'ils en avaient organisé pendant la guerre du Pacifique. En quinze jours, la situation militaire fut renversée. Pour reprendre Séoul cependant, les marines durent engager une bataille de rues où la moitié de leurs effectifs furent tués ou blessés.

MacArthur chassa l'armée nord-coréenne au-delà du 38e parallèle et, toujours sous le couvert de l'ONU, poursuivit bien au-delà vers le nord, jusqu'au fleuve Yalu qui marque la frontière avec la Chine. De l'autre côté, Mao avait mobilisé 200 000 hommes, qualifiés de volontaires, car officiellement l'armée chinoise n'intervint pas. Au cours de l'hiver, ils infligèrent une lourde défaite aux marines, qui furent contraints à une guerre épuisante de fantassins. A partir de l'hiver 1951, le front se stabilisa autour du 38e parallèle. Mais des combats atroces durèrent encore jusqu'en 1953.

Le mythe d'une intervention " propre "

Malgré la supériorité militaire écrasante que leur donnaient leur aviation, leurs tanks et leurs bombes au napalm, les Etats-Unis n'avaient pas réussi à contrôler l'ensemble de la péninsule. Cependant les Coréens qui s'étaient battus pour unifier leur pays contre la puissance de guerre des Etats-Unis n'y étaient pas parvenus. L'armistice conclu le 27 juillet 1953 consacra une frontière entre le Nord et le Sud très proche de celle de 1950.

Il y eut 54 000 morts parmi les soldats américains - ce qui fut douloureusement ressenti et fit disparaître pour un temps le mythe d'une intervention " propre " dans l'opinion américaine - tandis que la population coréenne payait un tribut très lourd, de un à deux millions de morts selon les estimations, sur une population de 30 millions. La Corée du Nord, industrialisée pendant les 40 ans qu'avait duré l'annexion japonaise, était anéantie ; Séoul, la capitale du Sud, détruite.
Contrairement au Nord, la Corée du Sud a, depuis 1953, reçu des capitaux américains. De nouvelles usines sont apparues, et avec elles une classe ouvrière qui a montré sa combativité ces dernières années.

Si les pourparlers actuels, engagés en vue d'une éventuelle réunification, aboutissent à un accord, il est à souhaiter qu'il permette de faciliter la vie de la population des deux côtés de la frontière. Et il faut souhaiter aussi et surtout que les travailleurs du Nord et du Sud réussissent à unir leurs forces contre un système qui, cinquante ans après la guerre de Corée, engendre encore tant de misère, de destructions et d'exploitation.
Jean SANDAY (LO, juin 2000)