mardi 16 juin 2015

:: La vague de grèves de juin 1936 : une « grandiose pression » des ouvriers sur les classes dirigeantes [LO, mai et juin 2006]


Du 8 au 12 juin 1936, la vague de grèves avec occupation qui avait commencé à se développer à partir de la mi-mai atteignait son maximum en France, et ce malgré la signature des accords Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin, sur lesquels le patronat comptait pour tout faire rentrer dans l'ordre.

L'extension des occupations d'usine, qui montrait la profondeur de la combativité ouvrière, avait fait craindre aux bourgeois de tout perdre: leurs usines, leurs propriétés, leurs capitaux et jusqu'au droit de continuer à prospérer par l'exploitation.

Le gouvernement socialiste de Léon Blum, soutenu activement par le Parti Communiste et la CGT, était venu à leur secours. Représentants patronaux et syndicaux s'étaient réunis, sous la présidence de Léon Blum. Les accords Matignon apportaient aux travailleurs la reconnaissance du droit syndical, le principe des contrats collectifs, l'institution des délégués ouvriers élus, ainsi qu'un réajustement des salaires de 7 à 15%. Pour tous les participants à cette réunion, il s'agissait de tenter de mettre un terme au mouvement gréviste.

Mais la signature de ces accords n'arrêta pas les grèves. Bien au contraire. Les travailleurs enregistraient bien sûr le recul que représentaient les accords Matignon, mais ils ne le jugeaient pas suffisant. Jacques Danos et Marcel Gibelin racontent dans leur livre intitulé Juin 36 que le patron de l'usine Sauter et Harlé, voulant inciter dès le 9 juin les ouvriers à reprendre le travail, décida de s'adresser directement à eux sans passer par le comité de grève. Il fut aussitôt obligé de s'enfuir sous une haie de poings levés tandis que les métallos scandaient: «À la porte!» et chantaient l'Internationale.
En fait, du 8 au 12 juin, les grèves se développèrent de plus belle. Après les métallos, ce furent les travailleurs du bâtiment qui furent appelés à se mettre en grève dès le 8 juin. Ce même jour, la grève était quasiment totale dans les grands magasins. La grève éclatait également le 8 juin dans les assurances. Bien des travailleurs, employés des Galeries Lafayette, de la Samaritaine ou du Bon Marché, ou serveurs des cafés et des restaurants, se mettaient en grève pour la première fois. La grève s'étendit à tout le pays. Pour ne donner qu'un exemple, le journal conservateur le Temps indiquait le 9 juin que huit à neuf dixièmes des entreprises étaient en grève dans le Nord et le Pas-de-Calais.

C'est sous cette « grandiose pression » exercée par les travailleurs sur les classes dirigeantes, pour reprendre l'expression utilisée par Trotsky en juillet 1936, que le gouvernement fit voter de nouvelles lois sur les congés payés et les 40 heures.

Les dirigeants syndicaux et des partis de gauche allaient alors mettre tout leur poids dans la balance pour arrêter le mouvement. Les dirigeants de la CGT multiplièrent les réunions dans les usines pour tenter de faire reprendre le travail. Ainsi le représentant de la CGT Gauthier déclarait, le 9 juin, devant 700 délégués des usines de la métallurgie parisienne en grève: «Sans doute les accords CGT-CGPF (le Medef de l'époque) ne contiennent pas toutes les dispositions que désiraient les métallos. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous vivons dans d'autres conditions qu'auparavant; ainsi pouvons-nous envisager la reprise du travail, en restant vigilants.»

De leur côté, les dirigeants du PCF réunissaient militants et sympathisants, dans les usines, dans les quartiers, pour expliquer que «tout n'est pas possible maintenant». Maurice Thorez, le dirigeant du Parti Communiste Français, martelait qu'il fallait «savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n'ont pas été encore acceptées, mais que l'on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications.» «Il faut savoir terminer une grève» fut le leitmotiv de tous les discours des dirigeants communistes à partir du 12 juin. Ainsi, bien qu'avec beaucoup de difficultés, le PC et la CGT finirent par parvenir à faire reprendre le travail, ne permettant pas à la classe ouvrière d'aller jusqu'au bout des possibilités de sa lutte.

Aujourd'hui, la plupart de ceux qui évoquent Juin 36 ne parlent que des congés payés, et comme s'ils découlaient de la victoire électorale du Front Populaire. Avec bien souvent des arrière-pensées électoralistes pour 2007. Mais ce que montre l'exemple de Juin36, c'est que les travailleurs, comme toujours, n'ont obtenu quelques avancées que par la lutte. Et aussi qu'ils doivent se méfier comme de la peste de leurs faux amis que sont les dirigeants des partis «socialiste» et «communiste», plus soucieux de servir la bourgeoisie que de défendre les intérêts de la classe ouvrière.

Aline RETESSE (LO, juin 2006)

Une déclaration édifiante

Quelques années après la vague de grèves sans précédent de mai-juin 1936, Léon Blum, s'expliquant sur la période, rapportait: «Les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat: Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons, mais nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler. Et puis c'est maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n'y sont plus pour exercer sur leurs camarades l'autorité qui serait nécessaire pour exécuter nos ordres.» Et il poursuivait: «Et je vois encore Monsieur Richemont (un membre de la délégation patronale, membre de l'Union des industries métallurgiques et mécaniques), qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant: "C'est vrai, nous avons eu tort."»

Blum fit cette déclaration devant la Cour de Riom, devant laquelle il avait été traduit par le régime de Vichy. Mais elle reflétait si bien sa pensée que le Parti Socialiste la publia au lendemain de la guerre.


Mai-juin 1936 : une vague de grèves sans précédent arrêtée par le Front Populaire

Nombre de commentateurs ne retiennent de mai-juin 1936 que les congés payés et les 40 heures et le rôle positif, à leurs yeux, joué par le Front Populaire, cette alliance entre le Parti Socialiste, le Parti Communiste et le Parti Radical. Le succès de mai-juin 1936 serait finalement dû à l'unité des partis de gauche. C'est en tout cas ce qu'on peut lire dans l'article que le journal Le Nouvel Observateur a consacré à cette période: «C'est la première grande leçon du Front Populaire. L'union sur un programme minimal vaut mieux que la pureté idéologique qui crée la division et donc l'impuissance.» Unis sur un programme minimal, celui des radicaux, les dirigeants des Partis Socialiste et Communiste, ainsi que ceux de la CGT, le furent en effet, en 1936, tout comme ils furent alors unis... pour arrêter la grève et permettre à la bourgeoisie de s'en tirer à bon compte.

Le Front Populaire,une alliance électorale antiouvrière

Le Front Populaire était né en 1935. Cette année-là fut aussi marquée par le pacte d'assistance militaire signé par Laval, au nom du gouvernement français, et Staline. C'est que l'URSS, comme la France, était inquiète depuis l'arrivée de Hitler au pouvoir en 1933. L'URSS parce qu'elle était une cible toute désignée pour les nazis. La France, parce que l'Allemagne hitlérienne se préparait manifestement à remettre en cause le partage du monde imposé par les vainqueurs de 1918.

Mais dans ce contexte, le rôle dévolu par Staline au Parti Communiste en France n'était plus d'afficher un quelconque antimilitarisme, de tenir des discours révolutionnaires (même si cela se limitait aux discours), mais de s'intégrer à la vie politique nationale pour défendre l'alliance franco-soviétique.
C'est dans cette perspective-là que le Parti Communiste proposa au Parti Socialiste et au Parti Radical (qui était le grand parti de gouvernement de la IIIerépublique) une alliance électorale... sur la base du programme du Parti Radical (le «programme minimal» qui plaît tant au Nouvel Observateur), qui était remarquablement vide en ce qui concerne les revendications ouvrières.

C'est sur cette base que se constitua le Front Populaire qui gagna les élections législatives du 26 avril et 3 mai 1936. Le socialiste Léon Blum fut chargé de former le nouveau gouvernement. Le Parti Communiste ne demanda pas à y participer, mais il lui accorda immédiatement un soutien sans faille, comme le déclarait le 11 mai, l'un de ses dirigeants, Jacques Duclos: «Notre soutien ne sera pas à éclipses, et c'est pourquoi nous ne demanderons point au gouvernement de demain plus qu'il ne pourra donner.»

Le succès du Front populaire était le reflet électoral d'une montée de la combativité ouvrière, commencée bien plus tôt et qui allait s'exprimer d'une tout autre façon qu'au travers d'élections. Début mai en effet, la vague de grèves commençait à déferler. La classe ouvrière montrait par là son intention de ne pas s'en remettre entièrement au gouvernement (qui ne fut constitué que début juin, un mois plus tard!) pour changer son sort.

Une grève généralesans précédent

Le 11 mai 1936 à l'usine Breguet au Havre, démarra une grève contre le licenciement de deux militants syndicaux suite à leur participation à la journée de grève du 1er mai. Six cents ouvriers et deux cent cinquante employés et techniciens arrêtèrent le travail et occupèrent l'usine, ce qui était complètement nouveau. La direction accepta très vite la réintégration des deux ouvriers et le paiement des heures de grève. Le 13 mai, un mouvement en tout point semblable éclata aux usines Latécoère à Toulouse. Du 14 mai au 20 mai 1936, des grèves se déclenchèrent dans plusieurs usines aéronautiques et métallurgiques de la région parisienne principalement. Les revendications qui, pour la plupart, portaient sur des hausses de salaires et la reconnaissance du droit syndical, aboutissaient rapidement.

Le 24 mai, lors du rassemblement traditionnel au Mur des Fédérés à la mémoire des combattants de la Commune de Paris, 600000 ouvriers de la région parisienne se rassemblèrent. Cette manifestation d'une ampleur exceptionnelle eut des échos dès le lendemain dans les usines. Après les métallurgistes de Nieuport à Issy, de Sautter Harlé à Paris, ou de Hotchkiss à Levallois, le 28 mai, ce fut au tour des ouvriers de Renault-Billancourt, alors au nombre de 30000, d'entrer dans la grève, y entraînant encore bien d'autres usines de la région parisienne.

Après une courte pause, la grève reprit de plus belle à partir du 2 juin. Elle gagna peu à peu tout le pays et toucha toutes les catégories de salariés, y compris ceux qui ne s'étaient jamais mis en grève auparavant.

Dans la très grande majorité des cas, les ouvriers occupaient leurs usines. C'était la première fois dans l'histoire du mouvement ouvrier en France qu'ils avaient recours à ce formidable moyen de pression sur le patronat.

Pour les patrons aussi c'était nouveau. Voir leurs usines occupées apparaissait comme une attaque à la propriété privée, à leur pouvoir sur l'organisation de la production.

Les partis du Front Populaire sauvent l'ordre bourgeois

Réunis dans la nuit du 7 au 8 juin à Matignon, sous l'arbitrage du gouvernement de Léon Blum tout juste formé, les représentants patronaux et syndicaux se mirent d'accord sur la reconnaissance du droit syndical, le principe de contrats collectifs, l'institution de délégués ouvriers élus et le réajustement des salaires de 7 à 15%.
 
La signature de ces accords n'arrêta pas les grèves. Bien au contraire. Du 8 au 12 juin, la combativité fut à son comble, contraignant le gouvernement à voter de nouvelles lois sur les congés payés et les 40 heures, que les patrons se gardèrent bien de contester sur-le-champ, trop heureux de voir le gouvernement s'employer à désamorcer la combativité des travailleurs.

Les dirigeants ouvriers mirent tout leur poids dans la balance afin d'arrêter le mouvement, comme l'illustrent les déclarations au nom du PC de Maurice Thorez. «Il faut savoir terminer une grève», déclarait-il le 11 juin. «Tout n'est pas possible», martelait-il sans relâche. Finalement, c'est avec beaucoup de difficultés que le PC et la CGT parvinrent à faire reprendre le travail.
Ce gouvernement de Léon Blum et le patronat avaient dû céder bien plus que ne le prévoyait le modeste programme du Front Populaire. Mais c'était encore peu au regard des possibilités que recelait ce puissant mouvement de grève. Contrairement à ce que disait le Parti Communiste, et à l'image d'Epinal façonnée depuis, les grèves ne se limitèrent pas à des revendications économiques. Bien au contraire, elles exprimaient la volonté de toute la classe ouvrière, y compris de ses couches les plus exploitées, d'empiéter sur le pouvoir même de la bourgeoisie. Trotsky n'écrivait-il pas le 9juin 1936: «Ce qui s'est passé, ce ne sont pas de simples grèves corporatives. Ce ne sont même pas des grèves. C'est la grève. C'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs.»

Malheureusement il ne se trouva aucun parti pour donner à ces grèves des objectifs politiques à la hauteur des possibilités du mouvement. «Les ouvriers, écrivait Trotsky en juillet 1936, ont exercé en juin une grandiose pression sur les classes dirigeantes, mais ne l'ont pas conduite jusqu'au bout. Ils ont montré leur puissance révolutionnaire, mais aussi leur faiblesse: l'absence de programme et de direction.»

Une fois la mobilisation retombée, le rapport de force ne pouvait rester en faveur des travailleurs. Le patronat, lui, allait mener la lutte de classe jusqu'au bout pour reprendre d'une main ce qu'il avait cédé de l'autre.

En dévoyant la combativité ouvrière, les dirigeants des Partis Socialiste et Communiste, avaient sauvé la mise à cette bourgeoisie qui, au plus fort de la grève, avait pu craindre d'être dépossédée.


Aline RETESSE (LO, mai 2006)

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