mercredi 26 août 2015

:: Août 1968 à Prague : les tanks contre le "Printemps"


Le 21 août 1968, les tanks des troupes du pacte de Varsovie - qui regroupait autour de l'URSS ses satellites d'Europe centrale et orientale - envahissaient la Tchécoslovaquie pour mettre un terme à ce qu'on appelait le " Printemps de Prague ".


Les dirigeants du Kremlin voyaient d'un mauvais oeil les changements qui se produisaient depuis des mois à la tête de la Tchécoslovaquie dite " socialiste ", d'autant qu'ils s'accompagnaient d'un air de liberté jamais vu pour sa population. Eux et les dirigeants des autres Démocraties populaires (les pays de l'Est sur lesquels Staline avait établi son emprise après 1945) craignaient qu'un tel exemple ne suscite des émules dans la région.

Dans la période qui avait suivi la mort de Staline, l'État alors unique des Tchèques et des Slovaques était sans doute, de toutes les démocraties populaires, celui qui avait le moins causé de souci à Moscou. Gottwald, le Staline tchèque, était mort la même année que le " petit père des peuples ". Un autre stalinien, Novotny, lui avait succédé sans que grand-chose ne change à la tête de la Tchécoslovaquie durant 15 ans.

L'équipe Novotny faisait figure d'anachronisme rescapé de la " déstalinisation ". Mais à la direction du PC, des voix commençaient à réclamer des réformes comme il y en avait eu en Hongrie ou en Pologne. Des changements aussi, et d'abord que Novotny ne cumule plus les postes de chef du parti et de chef de l'État.

Fin 1967, le congrès des écrivains tchécoslovaques mit sur la sellette le régime et Novotny, sans que des arrestations pleuvent sur les " fautifs ". Après une réforme économique, avortée aussitôt que lancée, c'était un nouveau signe du fait que Novotny ne tenait plus vraiment la barre.

Le printemps en janvier ?

C'est dans ce contexte qu'un membre de la direction, le Slovaque Dubcek, s'imposa comme l'homme du compromis entre les clans du pouvoir. Début janvier 1968, Novotny dut lui céder la tête du parti. En mars, il perdit la présidence de la République. Et en avril, le quatuor " réformateur " - Dubcek, Svoboda (chef de l'État), Smrkovsky (président du parlement), Cernik (Premier ministre) - élimina l'ancienne équipe des organes dirigeants.

Pour vaincre la résistance des novotnistes, Dubcek et ses alliés avaient quêté l'approbation du Kremlin. Mais il avaient aussi l'appui de la jeunesse universitaire, que Novotny avait fait matraquer fin 1967, des écrivains et des journalistes, qui étalèrent sur la place publique les turpitudes de l'ancienne équipe.
Tout l'hiver, la population avait été tenue à l'écart des luttes au sommet. Et cela servait d'argument à Dubcek qui, auprès de Moscou, pouvait se targuer d'avoir la situation bien en main. Mais les choses changeaient : l'effervescence de l'intelligentsia gagnait toute la population.

Dans les universités, les usines, les bureaux, on se passionnait pour les débats sur le passé, les réformes à venir, la " voie tchécoslovaque vers le socialisme ", annoncée par Dubcek et vilipendée par Brejnev. La nouvelle direction promettait d'abolir la censure (qui ne s'exerçait déjà plus), d'épurer la police politique, de châtier les auteurs des crimes staliniens, de donner plus de champ à l'Église. En écho aux aspirations slovaques, l'État allait se doter d'une structure fédérale. Autre projet : établir une distinction nette entre le gouvernement et le parti.

Il s'agissait essentiellement de promesses. Mais elles soulevaient d'espoir tout un peuple. Et il faisait bloc derrière Dubcek en qui il plaçait sa confiance.

Le talon de fer de la bureaucratie russe

Si Dubcek contrôlait la situation en Tchécoslovaquie, et face aux PC des " pays frères " se posait en apôtre de " la transition à une qualité nouvelle de la société socialiste ", les dirigeants du pacte de Varsovie, craignant que le vent de libéralisation qui soufflait à Prague ne finisse par atteindre leurs pays, se faisaient de plus en plus menaçants. Le 15 juillet, ils lancèrent un ultimatum, enjoignant aux autorités de Prague de sévir contre " les forces antisocialistes menaçantes ". Le 21 août, les tanks de l'armée soviétique passaient à l'action.

Le camp des puissances impérialistes poussa des hauts cris. Mais il n'était pas mécontent que la bureaucratie se charge à nouveau du sale travail, en mettant un terme à une effervescence populaire au coeur de l'Europe. Car ce phénomène aurait pu être contagieux. Dans les pays de l'Est et peut-être au-delà. Après tout, la grève générale de mai-juin 68 en France venait juste de prendre fin. Et puis, au moment où l'impérialisme américain était embourbé dans la guerre du Vietnam, impopulaire aux États-Unis même, leurs dirigeants se frottaient les mains : une fois encore, les héritiers de Staline donnaient du socialisme l'image hideuse de leurs crimes.

La logique de la capitulation

En attendant, le secrétaire général du Parti Communiste d'Union soviétique, Brejnev, se heurtait à un mur. La population tchécoslovaque s'efforçait de paralyser l'armée d'invasion, s'adressant à ses soldats, sabotant la signalisation routière. Face à cette unanimité agissante, le Kremlin qui n'avait ni appui local, ni équipe de rechange, se trouvait dans une situation difficile.

C'est Dubcek qui le tira d'embarras en signant " les accords de Moscou ". Entérinant l'intervention, ils justifiaient l'occupation sous prétexte d'éviter le pire. Cela n'évita pas le sang de couler quand des jeunes affrontaient, seuls, les forces d'occupation et, de plus en plus souvent, la police de Dubcek. Cela n'évita pas le désespoir de tout un peuple qui, ayant placé ses espoirs dans un homme, le vit se faire le complice de la " normalisation ". Jusqu'à ce que celle-ci étant désormais en route, Dubcek, devenu inutile, soit éjecté de ses fonctions.

Pierre LAFFITTE (LO n°2090)



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