jeudi 20 août 2015

:: Août 1927 : exécution de Sacco et Vanzetti. Une mobilisation ouvrière, dans le monde entier, contre un crime d'État


Le 23 août 1927, près de Boston (USA), peu après minuit, Nicolas Sacco était mené au supplice. Avant d'être exécuté sur la chaise électrique il cria « Vive l'anarchie ». Quelques minutes après, Bartolomeo Vanzetti subissait le même sort.

Depuis l'entrée en guerre des USA en avril 1917, le président Wilson, que l'on nous présente toujours comme un « libéral », avait fait édicter des lois de plus en plus répressives. Cela atteignit des sommets à partir de 1919 sous son ministre de la justice Palmer. Ce fut une chasse hystérique aux anarchistes, «aux rouges», aux émigrés. Le 2 janvier 1920, juste avant le début de l'affaire, avait lieu les «Palmers raids». Dans trente-trois villes, ce jour-là, il y eut des rafles massives, des milliers d'emprisonnements sans inculpations pendant des mois, sous prétexte de l'imminence d'un « complot bolchevique ». La bourgeoisie américaine se vengeait de l'échec de son intervention militaire en Sibérie contre la Russie des soviets, et de la peur qu'avait suscitée chez elle la montée ouvrière de 1919.

Sacco et Vanzetti avaient le profil idéal de victimes expiatoires. Ils étaient anarchistes, révolutionnaires, ils revenaient du Mexique où ils s'étaient rencontrés alors qu'ils fuyaient la conscription pour la guerre impérialiste qu'ils condamnaient.

Vanzetti fut d'abord condamné à quinze ans de prison pour un hold-up qu'il n'avait pas commis. Mais cela ne suffisait pas. Alors on fit un deuxième procès, pour un autre hold-up, qui avait fait deux morts. Et toujours sans preuves, Sacco et Vanzetti furent cette fois condamnés à mort, comme le voulaient les autorités.

Il ne s'agissait pas seulement d'une «erreur judiciaire», ce que reconnaissaient certains libéraux bourgeois, mais bel et bien d'un assassinat politique en vue de marquer les esprits et voulu comme tel par les représentants de l'ordre. Toutes les preuves de l'innocence des deux militants, y compris les aveux d'un des véritables auteurs du hold-up, n'y firent rien. Sacco et Vanzetti restèrent six ans dans le couloir de la mort.

Malgré des temps difficiles....

C'est alors que se développa une campagne de solidarité ouvrière internationale, sous le drapeau de la défense des militants luttant pour l'émancipation de la classe ouvrière. Peut-être la seule qui fut menée de bout en bout sous ce drapeau.

C'était une époque difficile, marquée par un recul politique et social à l'échelle mondiale. Le régime fasciste s'installait en Italie. Des dizaines de pays vivaient sous une dictature plus ou moins dure. La réaction politique touchait aussi la Russie, avec la montée du stalinisme qui allait gangrener tout le mouvement communiste international.

Il n'empêche qu'à partir de 1926 et surtout pendant toute l'année 1927 le mouvement de solidarité avec Sacco et Vanzetti gagna en ampleur et marqua en profondeur et durablement la conscience de millions de prolétaires dans le monde. Le mouvement anarchiste était bien sûr mobilisé. Mais ce qui donna un caractère si ample à la protestation ouvrière, ce fut la participation de toutes les organisations communistes dans le monde avec la IIIe Internationale, l'Internationale Communiste (IC) : les Partis Communistes bien sûr, mais aussi le Secours Rouge International, et surtout le mouvement syndical, avec l'Internationale Syndicale Rouge. Les partis communistes impulsèrent d'autant plus ces manifestations que l'IC venait de prendre un virage ultra-gauche, avec la politique du «classe contre classe». Mais son radicalisme rencontrait là l'émotion profonde de millions de travailleurs. Dans tous les pays, tout ce qui existait de forces militantes et contestataires dans le mouvement ouvrier se mobilisa, bien que les partis socialistes, pour la plupart, traînèrent des pieds.

...une énorme mobilisation ouvrière internationale

Aucun continent ne fut épargné par les grèves et les manifestations, en Afrique du Sud comme en Afrique du Nord, jusqu'en Océanie. Aux USA même, le PC et le mouvement ouvrier contestataire étaient très faibles, le syndicat officiel l'AFL totalement inféodé au pouvoir, mais le mouvement de protestation et les grèves mobilisèrent massivement les travailleurs. En juillet 1927 New York connut la plus grande grève de son histoire, avec la participation de centaines de milliers de travailleurs réclamant la vie sauve pour Sacco et Vanzetti. À Boston, à Chicago, sur la côte du Pacifique, dans une multitude de villes industrielles il y eut des grèves, des manifestations et des affrontements avec la police. La protestation gagna le Canada.

Tout le mouvement ouvrier d'Amérique du Sud se leva. De grandes grèves générales eurent lieu tout au long de 1927, en Argentine, au Paraguay, en Uruguay, mais aussi au Brésil, au Chili, au Mexique et au Venezuela. Des manifestants par centaines de milliers affrontaient les forces de répression et les ambassades des USA étaient protégées par l'armée.

En Europe, même dans des pays aux prises avec la répression, la protestation se développa malgré les risques, en Pologne sous le joug de Pilsudski, et même en Italie sous celui de Mussolini. Bien sûr le mouvement gagna l'Allemagne où le mouvement communiste était fort. En Grande-Bretagne le pays sortait d'une grève générale avortée l'année précédente ; le sentiment de solidarité internationale était fort ; de nombreux syndicats et l'aile gauche du mouvement travailliste se mobilisèrent. Il y eut des grèves et des manifestations puissantes en particulier à Londres, où par dizaines de milliers les travailleurs se rassemblèrent.

En France, c'est la CGTU (la confédération syndicale qui rassemblait les travailleurs les plus combatifs) et le PC qui furent au premier rang. La CGT dirigée par le réformiste Jouhaux refusa de s'associer au mouvement. Le gouvernement radical du «Bloc des gauches» menait la guerre aux protestataires. À l'approche de la date de l'exécution le mouvement se radicalisa. En juillet et début août des grèves et des manifestations de grande ampleur se succédèrent dans tout le pays.

Le jour de l'exécution, le 23 août 1927, près de cent mille manifestants déferlèrent sur Paris. Il y eut des heurts particulièrement violents. S'il y eut de nombreux blessés et des arrestations parmi les manifestants, plus de 120 policiers furent eux aussi blessés. Les manifestations, et parfois les heurts avec la police, eurent lieu jusque dans les plus petites villes ouvrières.

Un mouvement qui avait affirmé l'unité de la classe ouvrière à travers le monde

Ce 23 août 1927, la colère ouvrière éclata partout dans le monde pour protester contre l'assassinat des deux martyrs. Même à Genève des milliers de manifestants déferlèrent dans le centre-ville où il y eut des affrontements d'une rare violence, et l'armée dut être déployée pour protéger le consulat américain.

Rien n'avait fait fléchir le juge Thayer, le gouverneur du Massachusetts ni le président des États-Unis. En France, les grands quotidiens de droite, Le Temps, Le Figaro avaient applaudi d'avance ce meurtre. C'est qu'il ne s'agissait pas d'une opposition entre partisans et adversaires de l'innocence de Sacco et Vanzetti, mais d'un choix de classe. C'était cela la réalité, chacun des camps en avait conscience. Il y eut des dizaines de morts dans le monde au cours de ces manifestations, en Asie comme aux Amériques. La protestation et les grèves se prolongèrent encore pendant des semaines.

Vanzetti avait crié à la face de ses juges « Cette agonie sera notre triomphe». Quand il disait «Nous», il parlait de lui et de son compagnon, bien sûr, mais aussi du mouvement ouvrier qui aspirait à débarrasser la terre de l'oppression capitaliste. Les millions de prolétaires mobilisés pour deux des leurs n'avaient pas pu arrêter la main des bourreaux. Mais leur lutte avait marqué dans leur conscience des millions de travailleurs, illustrant le fait qu'ils appartenaient à une seule et même classe internationale.

Paul SOREL (LO n°2038)

Cinquante ans après l'exécution de Sacco et Vanzetti, le 23 août 1977, le gouverneur d'alors du Massachusetts prononça la réhabilitation des deux hommes. Mais cela ne retire rien à l'infamie que constitua leur procès, leur condamnation et leur exécution.

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