jeudi 4 novembre 2010

:: Le 4 novembre 1918 commençait la Révolution allemande

La première guerre mondiale fut à l'origine d'une vague révolutionnaire qui ébranla le monde bourgeois. En Russie bien évidemment, mais aussi dans les citadelles de l'impérialisme, et en particulier, la plus puissante d'entre elles : l'Allemagne.

Le 4 novembre 1918, après quatre années d'une guerre meurtrière, les marins de la flotte allemande mouillée à Kiel se mutinaient et hissaient le drapeau rouge sur les navires de guerre. Ils refusaient de servir encore une fois de chair à canon dans l'opération sans espoir que leur état-major voulait entreprendre contre les vaisseaux anglais. D'autres mutineries avaient déjà éclaté, qui avaient été réprimées dans le sang. Mais cette fois-ci, la vague partie de Kiel s'étendit à toute l'Allemagne, balayant le trône de l'empereur.

 
Karl Liebknecht s’adresse à la foule (9 novembre 1918)
 
1918 : les peuples sont à bout

D'un bout à l'autre du front, la révolte couvait contre cette boucherie sans nom dans laquelle les gouvernements bourgeois avaient jeté leurs peuples en août 1914. À l'est, en février 1917, la révolution russe avait renversé le tsarisme. Depuis cette date, les soldats russes contestaient la nécessité de mourir pour une cause qui n'était pas la leur. Et en octobre 1917, à peine les ouvriers et les paysans s'étaient-ils emparés du pouvoir, que leur soviet lançait à tous les peuples un appel à la paix immédiate. En France, après l'offensive suicidaire du Chemin des Dames en avril 1917, des troupes avaient refusé de marcher. L'état-major, sous les ordres de Pétain, avait fusillé des soldats pour l'exemple. En Allemagne, en juillet 1917, les équipages de plusieurs navires s'étaient mutinés. La guerre sur mer ne le cédait en rien en horreur à celle des tranchées. Le conseil de guerre avait condamné à mort leurs dirigeants et deux d'entre eux avaient été exécutés sans délai. À l'arrière aussi, malgré l'état de siège, les travailleuses et les travailleurs faisaient de plus en plus entendre leur voix contre la famine et la continuation de la guerre. En janvier 1918, 500 000 grévistes avaient bravé la répression à Berlin.

Les marins allemands refusent de se sacrifier

Dès le mois d'octobre 1918, sentant la situation intenable sur le front et à l'arrière, les dirigeants allemands prenaient des contacts en vue de pourparlers de paix. Il s'agissait pour eux d'éviter l'effondrement militaire et aussi de prévenir l'explosion sociale qu'ils sentaient venir. Mais l'état-major de la marine, lui, voulait son baroud d'honneur en mer du Nord. Le 28 octobre, les équipages reçurent l'ordre d'appareiller. Les marins, n'ayant aucune envie de sombrer pavillon haut pour la gloire de l'Allemagne impériale, manifestèrent à bord. Un millier d'entre eux furent arrêtés. Mais cette fois-ci, cela ne s'est pas passé comme en juillet 1917. Des meetings se sont tenus à terre. Marins et soldats de la garnison fraternisèrent et manifestèrent ensemble. Des conseils furent élus. Rapidement, les officiers furent débordés.
En vain, le gouvernement dépêcha sur place un dirigeant de ce Parti Social-Démocrate qui soutenait la guerre depuis le début, Noske, afin d'éteindre l'incendie en cédant aux revendications des révoltés. Il était déjà trop tard.

La révolution s'étend

Tout de suite, les marins propagèrent l'insurrection dans les villes voisines. Lubeck, Brême et d'autres villes de la côte se révoltèrent à leur tour le lendemain, 5 novembre. Puis ce fut le tour de villes plus éloignées, sans contact direct avec les marins : Francfort, Munich, Chemnitz. Partout des conseils d'ouvriers, de soldats, prirent le pouvoir. En quelques jours la révolution s'étendit à tout le pays et le 10 novembre Berlin, le siège du pouvoir central, se souleva à son tour. L'empereur Guillaume II abdiqua, avant de s'enfuir. Karl Liebknecht, libéré quinze jours plus tôt de la prison que lui avait value son opposition à la guerre, faisait proclamer, du balcon du palais impérial dont s'étaient emparés les ouvriers, “la république socialiste allemande”.
La bourgeoisie et l'état-major allemands, paniqués à l'idée qu'ils pourraient être emportés à leur tour par la tourmente qui venait de balayer la dynastie des Hohenzollern, appelèrent au pouvoir les dirigeants du vieux Parti Social-Démocrate. Ils savaient pouvoir compter sur eux pour canaliser puis, dès qu'ils le pourraient, étrangler la révolution. Et ils y réussirent malheureusement trois mois plus tard, dans un bain de sang, assurant au capitalisme un sursis que les peuples de la planète n'ont pas encore fini de payer de nouvelles horreurs. Mais en ce début du mois de novembre 1918, avec cette révolution allemande qui venait de triompher en quelques jours et qui semblait devoir faire sa jonction avec la révolution russe, l'espoir semblait enfin se concrétiser pour les travailleurs et les révolutionnaires de tous les pays de renverser la bourgeoisie à l'échelle du monde.

Daniel MESCLA

Lutte Ouvrière n°1582 du 6 novembre 1998.
 
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De la première boucherie mondiale à la révolution...

En 1917, alors que la Première Guerre mondiale entrait dans sa quatrième année, la situation était déjà explosive en Allemagne à cause de cette guerre qui s'éternisait. L'Empire allemand de Guillaume II dut affronter des grèves, comme celle du 16 avril 1917 à Berlin où, à l'annonce de la diminution de la ration de pain, 300 000 ouvriers cessèrent le travail, et des mutineries, comme celle des marins en août 1917.

En mars 1917, pour obtenir « le pain, la paix, la terre », les travailleurs russes avaient jeté à bas le régime tsariste et formé des soviets (conseils, en russe), et huit mois plus tard, en novembre 1917 (octobre de l'ancien calendrier orthodoxe), ils avaient pris le pouvoir. Cette prise du pouvoir par les travailleurs russes encourageait les travailleurs allemands, eux aussi exaspérés par la misère et la guerre, à suivre leur exemple pour mettre fin à cette boucherie

Quand s'ouvrirent les pourparlers de paix de Brest-Litovsk entre le pouvoir soviétique et le pouvoir impérial allemand, l'espoir fut immense de voir la guerre enfin prendre fin.

En janvier 1918, des grèves éclatèrent de nouveau. Le 14 janvier 1918, des ouvriers autrichiens se mirent en grève pour exiger une paix « sans annexions ni contributions de guerre » et un meilleur ravitaillement. Ils constituèrent à Vienne un conseil ouvrier avec lequel le gouvernement fut contraint de traiter. À Berlin, le 28 janvier 1918, près de 400 000 ouvriers et ouvrières cessèrent le travail. Dans les usines, on procéda à l'élection de délégués qui constituèrent un comité central de grève et formulèrent des revendications précises : paix sans annexions, amélioration du ravitaillement, rétablissement des droits et libertés publics, libération des prisonniers politiques. Partout, suivant l'exemple des travailleurs russes, des conseils se formaient. Mais après un moment d'affolement, début février 1918, les autorités allemandes reprirent le dessus et la répression s'abattit.

Le 3 mars 1918 à Brest-Litovsk était signée la paix avec la Russie soviétique, contrainte d'accepter les conditions très dures qui lui étaient imposées par l'Allemagne de Guillaume II. La population allemande épuisée, démoralisée, ne voyait plus d'issue à la guerre. Mais le feu couvait toujours sous la cendre.

L'imminence de la défaite ranime le mouvement révolutionnaire...

C'est l'imminence de la défaite de l'Allemagne qui allait de nouveau déchaîner la tempête. Fin octobre 1918, le front s'effondrait. L'inutilité des sacrifices consentis pendant quatre ans se révélait brutalement. Ce fut à Kiel, une des bases de la marine de guerre, qu'éclatèrent les premiers événements révolutionnaires. Les marins de Kiel, qui craignaient que leurs officiers n'envisagent une dernière sortie meurtrière, un baroud d'honneur, s'insurgèrent le 3 novembre 1918.

Le 4 novembre, malgré la répression qui s'était abattue la veille, d'autres unités de l'armée entrèrent en rébellion. On comptait ce jour-là environ 20 000 mutinés. Deux semaines plus tard un délégué de Kiel relata ainsi les circonstances de l'insurrection des marins : « C'est à cette réunion du lundi (4 novembre) que fut décidée la grève générale du mardi. Pour éviter que des éléments timorés ne se rendent à leur travail, nous fîmes occuper les usines par les soldats. De fait, le mardi la grève fut totale. Pas un fonctionnaire, pas un apprenti n'alla travailler.

Dès le mardi matin, on désigna une délégation chargée de négocier avec le gouverneur ; les camarades étaient accompagnés de plusieurs marins. On exigea du gouverneur qu'il fasse relâcher les matelots emprisonnés. S'ils n'étaient pas relâchés, tous les navires de la rade pointeraient leurs canons sur la ville. Si vous connaissez Kiel, vous comprendrez ce que cela signifie. Le gouverneur, lui, le savait : il a cédé sur-le-champ et fait libérer les prisonniers. (...) Réunis le mardi à 5 heures, nous avons élu président du conseil ouvrier le camarade Garbe, secrétaire du syndicat des métallurgistes. Un conseil de soldats fut constitué également. »

La révolution, comme une traînée de poudre

Le général Groener, le chef d'état-major de l'armée, ne mesurant pas la profondeur du mouvement, refusa l'abdication de l'empereur réclamée par les insurgés. Mais la révolution faisait tache d'huile. Des détachements de marins se rendaient dans les villes voisines et s'en rendaient maîtres facilement.

La révolution gagna ainsi Hambourg, puis tout le nord de l'Allemagne. Et dans le Sud, le 8 novembre, le conseil d'ouvriers, de soldats et de paysans de Munich annonça à la population la création d'une République socialiste de Bavière. Le 9 novembre la révolution gagna Berlin. Les travailleurs berlinois contraignirent de fait l'empereur à abandonner le pouvoir.

Les conseils d'ouvriers et de soldats surgissaient de partout. Des milliers de militants, issus pour la plupart des rangs du Parti social-démocrate allemand, le SPD, et qui pour beaucoup avaient accepté les sacrifices demandés au nom de l'effort de guerre, espéraient cette fois que la fin de la guerre marquerait l'avènement du socialisme. Ils ne voulaient plus attendre. Le renversement du capitalisme leur semblait proche.

Mais les dirigeants du Parti socialiste allemand avaient malheureusement un tout autre point de vue. En 1914 ils avaient voté les crédits de guerre, se rangeant ainsi derrière leur propre bourgeoisie. Ils avaient engagé les travailleurs à verser leur sang pour la patrie, c'est-à-dire pour l'empereur, les banquiers et les marchands de canons. Au moment des événements de Kiel, Ebert, un des dirigeants du SPD, fit cette réflexion significative : « Si l'empereur n'abdique pas, la révolution socialiste est inévitable. Moi, je ne veux pas de cette révolution : je la hais comme je hais le péché. »

Après l'abdication de l'empereur Guillaume II, le 10 novembre Ebert constitua pourtant un gouvernement baptisé « Conseil des commissaires du peuple ». Mais il n'était en rien l'émanation d'un pouvoir ouvrier. Il soutenait en parole la révolution pour mieux préparer dans l'ombre, en complicité avec l'état-major, la répression et le rétablissement de l'autorité de l'État et de la bourgeoisie, ceux-là mêmes qui portaient la responsabilité de la guerre. Cependant, le 11 novembre, il signait en hâte l'armistice mettant fin à la guerre.

Quant aux conseils d'ouvriers et de soldats, ils restaient dans leur majorité sous l'influence des dirigeants sociaux-démocrates, qui faisaient d'ailleurs tout pour en garder le contrôle. En janvier et en mars 1919, c'est avec la bénédiction de ces dirigeants que les « corps francs » et autres forces de répression écraseraient à Berlin le prolétariat révolutionnaire.

Mais en ce mois de novembre 1918, le renversement de l'ordre capitaliste ne semblait plus un rêve lointain. La révolution commencée en Russie en 1917 paraissait en passe de se transformer en une révolution européenne et d'abattre le système capitaliste à l'échelle du continent.

Aline RETESSE 
 

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