lundi 18 juillet 2011

:: "L’'éternelle' question du parti ouvrier" (par L'Internazionale, UCI, Italie]

Trouvé sur le Forum des amis de LO, traduit par com_71, le premier article du premier numéro de la "Lotta di classe" (sur le site de l'Internazionale). Merci à com_71 !
testolinternazionale.pngL’"éternelle" question du parti ouvrier : considérations pratiques
La construction du parti est, depuis des décennies, au centre d'interminables discussions, de polémiques et d'élaborations dans les milieux restreints du marxisme militant. Dans le langage des journalistes de tabloïd ou des show télévisés on pourrait dire qu'elle nous torture.
Pourrait-il en être différemment ? Absolument pas : il n'existe pas de parti ouvrier révolutionnaire depuis au moins la seconde moitié des années 20 du XXe siècle. La défaite de la révolution d'Octobre, avec la vague réactionnaire qui s’en est suivie, a signifié la transformation du jeune mouvement communiste international en un appendice du régime stalinien et de ses intérêts diplomatiques, d'une part, et, de l'autre, la plus grande répression et le plus grand bain de sang que le mouvement ouvrier ait jamais connu. La conséquence a été dans un premier temps le renforcement, dans quelques pays européens comme la France et l'Italie, dans les années qui ont immédiatement suivi la seconde guerre mondiale, de partis communistes (seulement de nom), avec une base de masse mais absolument hostiles à une politique reflétant les intérêts de la classe ouvrière contre la bourgeoisie de leur propre pays. Ensuite, bien avant l’effondrement du "socialisme réel", ces partis ont perdu toujours plus de leur poids politique dans la classe ouvrière et ont acquis, en particulier dans le cas italien, les caractéristiques de partis tout à fait réformistes.
Il est normal, que depuis tout ce temps les groupes minoritaires représentant, de manière divisée, le mouvement communiste révolutionnaire, héritiers plus ou moins directs des oppositions de gauche au stalinisme, aient tenté beaucoup de voies et aient élaboré les théories les plus diverses sur la construction ou la reconstruction du parti ouvrier. Il est donc vraiment difficile de dire quelque chose de nouveau sur ce sujet.
La crise de Rifondazione Communiste, pour parler de la situation italienne, a donné une nouvelle impulsion à l'intérêt sur la question du parti. La chose concerne, naturellement, un milieu extrêmement minoritaire fait de petits groupes et de militants individuels qui viennent s’ajouter à ceux qui, depuis longtemps, s'organisent, agissent et réfléchissent en partant de l'héritage politique de Marx, de Lénine et de Trotski.
Il serait erroné d’ironiser sur la petite taille de ces groupes de militants en rapport avec épelle grandiose de construire un parti qui représente la voix de millions de travailleurs. Dans l'immédiat, en effet, la construction d’un parti de masse n'est pas et ne peut pas être à l'ordre du jour mais par contre l’est la formation d'un noyau de cadres qui constitueront l'ossature de ce parti dans un futur que nous espérons pas trop lointain.
Les militants qui ont fait l’expérience d’un parti comme Rifondazione Communiste, et plus encore s'ils sont passés au PCI, n'ont absolument aucune idée de ce que peut être une phase de préparation, de sélection et de formation de cadres. Ils ont tendance à se démoraliser face aux petits nombres d’assistants aux réunions, de militants, de journaux diffusés. Ils sont portés à mesurer tout à l’aune des beaux temps qui s’en sont allés et, pour cette raison, ils sont portés à suivre tous les "mouvements" qu'ils promettent d'élargir leur audience, en négligeant complètement leur propre formation et celles des autres.
La responsabilité de celui qui milite depuis longtemps dans le mouvement révolutionnaire est de ne pas se laisser démoraliser par l'état d'esprit de ces camarades tout en sachant leur indiquer une voie crédible d'engagement politique dans laquelle s’investir.
Il n'existe pas encore un parti ouvrier comparable en cohérence révolutionnaire et en enracinement social aux vieux partis socialistes des débuts des années 1900 ou au parti bolchevik de Lénine, il n'existe pas personne qui puisse parler au nom de ces expériences du passé. Alors l'attitude plus juste en concernant les rapports entre des groupes et courants du mouvement révolutionnaire qui veulent s’atteler à la tâche de la construction du parti est surtout de confronter les expériences concrètes. Autrement le "débat" continuera à ne pas en être tout à fait un ou à être un échange stérile de formules et d’anathèmes adressés à ceux qui ne se conforment pas à de telles formules.
Il s’agit de dépasser le sectarisme ? Oui, certes. Même si il faut être réaliste. En effet, souvent un petit groupe est forcé, en quelque sorte, à être "sectaire". La pression extérieure, le climat réactionnaire dans lequel nous sommes plongés, forcent ceux qui ont conservé un capital politique fait d'études, analyses et d’expériences, menées parfois au prix de grands sacrifices, à conserver fidèlement et intégralement celles qui représentent une identité inaliénable, peut-être mûrie au cours de décennies.
En disant cela, sans prétention à apporter une quelconque vérité révélée, nous proposons quelques éléments de réflexion sur la question de parti, pas seulement dans un sens général mais dans celui de l’examen des problèmes concrets et des questions qui se posent ici et maintenant.

Le parti est-t-il nécessaire ?
Des marxistes ne peuvent que répondre affirmativement à cette question. La nécessité du parti ouvrier, c'est-à-dire d’un organe au travers duquel la classe ouvrière peut exercer son rôle indépendant vis-à-vis à toutes les autres classes de la société, est un élément de principe. La de base sociale d’un tel parti existe-t-elle encore ? Oui, et elle est au contraire plus vaste qu’avant. Ceci est vrai à l’échelle mondiale, c'est-à-dire selon l'horizon stratégique du mouvement marxiste. En effet, s'il ne veut pas être réduit à prêcher un internationalisme "platonique", le marxisme révolutionnaire devra étendre ses organisations bien au-delà des frontières d'un seul pays et se fixer la tâche d’appeler à fonder une nouvelle Internationale ouvrière. Mais même pour ne parler que du pays où se déroule notre action, l'Italie, il faut dire qu'ils y a 14 millions de salariés, dont une grande partie dans des activités directement productives. Il s'agit du groupe social statistiquement plus important de la population active.
Le fait que la perception des travailleurs par la société soit celle d’un groupe au rôle maintenant marginal est seulement un reflet de leur faiblesse, comme classe, vis-à-vis de la bourgeoisie et des classes "cultivées" qui la soutiennent et sont mobilisés en permanence pour en louer le régime. Une classe faible est une classe qui n'a même pas la conscience d'en être une. Pour atteindre ceci les moyens politiques à travers desquels la classe dominante contrôle les travailleurs ont changé. Point n’est besoin, aujourd'hui, d’un parti ouvrier-bourgeois, un parti social-démocrate qui feigne seulement d'être l'expression politique du monde du travail. Aujourd'hui sont suffisantes les références génériques à l'"honnêteté", à la lutte contre la "corruption", au "bien du Pays", aux "opportunités partagées". Des soupes idéologiques bonnes pour toutes les classes sociales, de récemment enrichies avec la crainte sécuritaire et la bataille contre l'immigration clandestine.
Dans cette situation, faire de la propagande pour l'unité de la classe ouvrière, dans toutes ses composantes, signifie déjà se mesurer avec le problème de la construction d'un parti ouvrier. Comment cette propagande peut être efficace ? Quels moyens et quels arguments employer pour la rendre convaincante ? Comment le savoir et quels moyens on nous sont donnés pour le mesurer ?
Voilà un premier terrain de comparaison intéressant entre des groupes politiques se réclamant du marxisme révolutionnaire.

L'importance du programme
Il y a fondamentalement deux courants qui, historiquement, ont incarné le marxisme révolutionnaire en Italie. L’un, qui a même été le plus influent, est celui qui est souvent appelé, sans trop de précision, "bordiguiste", du nom du premier secrétaire du Parti Communiste d'Italie en 1921, l’autre est le courant trotskiste. Chacun des deux a subi des crises et scissions en tous genres.
Si même nous admettons une insurmontable séparation programmatique entre ces deux courants principaux, on ne peut pas en dire autant de tous les morceaux qui en sont issus. Aussi bien les "bordiguistes" que les "trotskistes", chacun de leur côté, partageaient au départ, les mêmes principes programmatiques acceptés, au moins formellement par leurs adhérents. Malgré cela, cependant, crises et scissions se sont succédées pendant des décennies et aujourd'hui ont disparu les groupes qui se sont usés ou délités ou encore sont morts de "mort naturelle", il y en pourtant encore quelques dizaines qui revendiquent la cohérence et la continuité programmatique par rapport à la souche d’origine.
Que leçon peut-on en tirer ? Un programme partagé par tous ses membres est la base même, pour une organisation marxiste digne de ce nom, de son action politique. On ne peut pas en douter. Le problème cependant est de comprendre toutes les facettes de la signification du mot programme.
Un programme communiste n’est bien sûr pas seulement une énumération d’objectifs ou de revendications, mais aussi une série d'acquisitions théoriques et de généralisations politiques. Ce patrimoine d'idées et de méthodes de lutte politique ne peut être assimilé par tous les membres actifs d'un groupe qu’au cours d'une longue période de relations réciproques dans lesquelles s’établissent ces rapports de confiance réciproque qui sont le ciment indispensable de chaque regroupement de forces militantes, au moins dans sa phase initiale. Ces mêmes rapports de confiance, ensuite, aideront à dépasser les divergences qui inévitablement se développeront dans l'application concrète des principes programmatiques.
Ceci, nous croyons-nous, la route à suivre pour développer une façon commune de sentir et soupeser la réalité politique et sociale dans laquelle on agit. C’est ce que Trotski voulait dire lorsqu’il parlait du programme comme langue commune à tous les membres du parti. Nous rappelons ça non pas parce que nous sommes convaincus d’avoir finalement résolu le problème de l’oeuf de Christophe Colomb, mais parce que nous voyons que souvent les efforts majeurs de différents groupes de formation récente vont dans la direction d'une "perfection" programmatique, qui, soit dit en passant, n'est pas jamais atteinte, et qu'ils finissent par absorber trop d'énergie et par susciter trop d'attente. Comme si le développement d'une organisation dépendait d'un document programmatique ou d'un corps d'analyse bien écrits plus que du dévouement, de la conviction et des capacités politiques et d'organisation de ses militants.

Pour quel type de parti faut-il se battre ?
Indiquer aux travailleurs la perspective d'un parti, basé sur le marxisme révolutionnaire, signifie d’abord prendre la responsabilité d'en adopter rapidement beaucoup de traits caractéristiques. Indubitablement pour que l'expression "parti ouvrier" ait un sens il faut qu'il s’agisse d'une organisation vaste et d'une ramifiée, identifiée par la partie plus combative des travailleurs comme son parti. Si nous posons la question en ces termes, nous parlons de milliers de militants et de millions de sympathisants. Au dessous de cette ordre de grandeur il n'y a pas de parti. Il n’y a que des groupes, plus ou moins importants.
En tout cas, l'éloignement de cette perspective ne signifie pas le renoncement à en mettre en oeuvre la partie permise par les circonstances présentes. En outre, si la formation du parti ouvrier doit constituer une partie principale des sujets de la propagande révolutionnaire, cette propagande réussira à être d’autant plus efficace et moins abstraite que grand sera le nombre, parmi les travailleurs ou les jeunes auxquels elle est adressée, de ceux qui la verront, dans la limite du possible, mise en pratique.
Nous nous battons pour un parti fondé sur les meilleures expériences du mouvement ouvrier organisé. Sur le plan programmatique, ceci signifie se baser sur le marxisme et sur son application politique révolutionnaire ainsi qu’il nous a été transmis, par ceux-là qui ont noms : Marx et d'Engels, Lénine et de Trotski.
Sur le plan de l’organisation nous défendons l'idée d'un parti discipliné et centralisé comme le furent la social-démocratie allemande et le parti bolchévik. Mais la discipline, dans un parti réellement communiste, ne signifie pas soumission acritique à un appareil, à un leader ou à un groupe dirigeant. La discipline doit jaillir d'un choix bien pesé de la part de chaque membre du parti ; en adhérant au parti il choisit d’adhérer à son programme, de s'engager au maximum de ses possibilités dans une activité organisée, de contribuer au financement de cette activité. Il accepte de se soumettre, sur le plan de l'action politique, aux décisions de parti. Mais, en même temps, il a le droit de déterminer tous les choix du parti, selon le principe du centralisme démocratique. Il a le droit de se tourner vers tout le parti, c'est-à-dire vers tous ses membres, pour défendre ses idées, non seulement dans le cours des assemblées et des congrès, mais en permanence ; avec des moyens spécifiques comme, par exemple, des bulletins intérieurs, dont la circulation doit être garantie par tous les organes du parti. Le centre dirigeant doit être élu par les des militants et non pas autoproclamé.
Plus vite ce « parti idéal » se mettra en pratique, mieux ce sera. En commençant à fréquenter les réunions ou à prendre part aux initiatives du groupe politique marxiste révolutionnaire un travailleur sera frappé par le sérieux et de la continuité du déroulement de l'activité, par les interprétations justes des principaux faits politiques qui l’entourent, mais aussi par le style du travail, inspiré vraiment et uniquement de la tradition marxiste et léniniste. Au contraire de ce qui arrive dans les partis bourgeois, dans un groupe de marxistes révolutionnaires les mots ne sont pas séparés des faits et ceux qui parlent, proposent ou critiquent sont les mêmes que ceux qui « font, agissent, assument les responsabilités, accomplissent les tâches pratiques ». Un groupe communiste révolutionnaire doit s'engager au maximum à dépasser dans les faits, en son sein, dans les limites du possible, la division entre travail manuel et travail intellectuel typique des sociétés de classes.
Pour cet objectif, et pour faire de la démocratie interne une réalité, il est nécessaire de soigner particulièrement la formation des militants. Les progrès politiques des membres du groupe doivent être une préoccupation permanente. Les camarades plus experts pourvus d'un bagage politique et théorique plus riche ont le devoir de transmettre au plus grand nombre possible de membres du groupe leurs connaissances. D'autre part chaque membre doit être encouragé à se cultiver à travers la lecture, non seulement des textes marxistes mais aussi, par exemple, des meilleurs romans qui traitent, d’une façon ou d’une autre, des rapports sociaux, des conditions de vie de la classe ouvrière, de la psychologie des diverses classes sociales, etc.

Les militants ouvriers
Le lieu de travail, particulièrement s'il s'agit d'une grande fabrique ou d'une grande entreprise de services, n'est pas seulement le terrain naturel d'intervention pour un groupe politique marxiste, il est aussi un lieu où le militant est jugé par ses camarades de travail pas seulement pour ce qu’il dit mais aussi et surtout pour ce qu’il fait. Au travers de ses militants chaque groupe révolutionnaire fait, tôt ou tard, cette expérience.
Dans une grande entreprise la lutte de classe n'est pas un évènement lointain. Elle est vécue, en ce moment surtout subie, presque quotidiennement. La pression patronale passe très souvent par les petites vexations de la direction. Le militant révolutionnaire devra exposer la meilleure manière pour que les travailleurs se défendent : de la lettre de réclamation jusqu'à la grève d'un secteur ou de l'entreprise toute entière. Sans hâta excessive, sans fuite dans en avant qui isole, en cherchant toujours à marcher avec la majorité des travailleurs.
S'il s'est montré à ses camarades de travail comme une personne déterminée, cohérente, disponible pour se mettre en avant, mais en même temps avec « la tête sur les épaules », le militant révolutionnaire sera plus écouté et pris sérieusement lorsque il parlera de politique. Le respect qu’il se sera gagné dans le lieu de travail sera transmis en grande partie au groupe politique avec lequel il commencera à être identifié.
Le sérieux est, au bout du compte, dans une situation où il est question de travailler à poser les bases d'un futur parti ouvrier, la chose fondamentale. Nous avons dit qu'il n'existe aujourd'hui aucune organisation d'inspiration marxiste révolutionnaire qui puisse se définir comme un vrai parti soit pour le nombre de ses membres, soit pour le degré d’enracinement et d'influence dans la classe ouvrière. Ceci est vrai pour l'Italie et, pour ce que nous en savons, pour les autres pays de capitalistes avancés. Mais il est vrai que dans beaucoup de ces pays il y a des organisations qui ont atteint et se sont maintenues à des dimensions qui ne sont déjà plus celles de petits groupes d'une poignée de militants. Si nous enquêtons dans l'histoire de ces organisations, nous voyons que le trait qui les unit est vraiment le caractère de sérieux qui en a marqué les premiers pas, aussi une manière diversifiée d'entendre le programme et la stratégie marxiste.
De quel type de sérieux nous parlons ? Nous parlons essentiellement du sérieux que nous pourrions qualifier de professionnel. Le sérieux de l'artisan qui, ayant compris le projet auquel il doit travailler, fait ce qu’il doit faire, sans se décourager en affrontant les difficultés du travail de la matière sur laquelle il agit, en sachant que plus est grand et ambitieux le projet, plus il nécessitera des heures ou des journées de travail dont le résultat apparaît toujours, aux yeux de qui ne connaît pas le métier, trop modeste, et dont les phases individuelles semblent banales et inutilement fatigantes à qui rêve à l'oeuvre finale déjà toute belle et toute prête.
À quelques uns il pourra sembler que nous sommes trop arrêtés sur des questions de peu d’importance ou que nous avons réduit tout à une sorte de bréviaire du bon militant et du bon groupe marxiste. Mais une discussion qui se déroule entre des personnes intéressées concrètement à développer d'un travail politique marxiste parmi les travailleurs, et c’est vers celles-ci surtout que nous nous tournons avec cette revue, doit partir des problèmes pratiques et de ce qu’on peut faire dans la situation actuelle : des pas, souvent très petits, qui pourront nous approcher à l'objectif que nous considérons tous de première importance : construire un parti ouvrier, marxiste et révolutionnaire.

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