vendredi 9 septembre 2011

:: 11 septembre 2001 : le contexte. #911

Le système impérialiste protège, sécrète et perpétue des inégalités non seulement entre les deux classes sociales fondamentales de la société mais aussi entre pays impérialistes et pays sous-développés. La stratégie militaire et la diplomatie des grandes puissances impérialistes sont destinées, en dernier ressort, à préserver la domination économique sur le monde de leurs grands groupes industriels et financiers. L'impérialisme américain ne diffère de ce point de vue des impérialismes de seconde zone, comme la Grande-Bretagne, la France, etc., que par ses moyens économiques et militaires supérieurs et par sa position de gendarme de l'ordre impérialiste à l'échelle du monde.
Mais gouverner au profit de groupes impérialistes, c'est gouverner contre les peuples. Les régimes sur lesquels s'appuie l'impérialisme américain, comme à une moindre échelle les impérialismes anglais et français, dans les pays arriérés sont en règle générale des régimes oppressifs, anti-populaires.
Dans les pays sous-développés, les régimes les plus serviles à l'égard des groupes impérialistes et, par là même, les alliés les plus fidèles des Etats-Unis sont précisément ceux qui, faute de soutien de leur propre population, ont absolument besoin de leur appui. La subordination envers les Etats-Unis repose sur la solide conviction des tenants de ces régimes que leur survie face à leur propre population est liée au soutien des Etats-Unis. Les dirigeants des grandes puissances impérialistes ont maintes fois fait l'expérience de régimes qui, en acquérant une certaine base populaire, prennent leurs distances.
Si les Etats-Unis tiennent tant à l'alliance avec Israël, c'est qu'il est à peu près le seul régime au Moyen-Orient dont la politique pro-américaine trouve un large consensus dans la population. La politique sioniste des dirigeants d'Israël se conjugue avec la politique réactionnaire des Etats arabes de la région pour forger dans la population d'Israël la conviction que, hors de l'alliance américaine, il n'y a pas de survie pour un Etat hébreu.
Mais cette politique, qui repose sur la violence contre le peuple palestinien, est en même temps un piège pour le peuple d'Israël lui-même. La politique de répression de l'Etat d'Israël a suscité une génération de jeunes prêts à se sacrifier dans des attentats-suicides. Ces actions sont condamnables parce qu'aveugles mais c'est l'arme des pauvres et des faibles, contre laquelle les chars et les hélicoptères ne peuvent pas faire grand-chose. Cette politique que le gouvernement d'Israël mène avec le soutien matériel et politique des Etats-Unis prépare pour la jeunesse israélienne un avenir aussi bouché que l'est déjà celui de la jeunesse palestinienne.
A cultiver la violence...
Sur la majeure partie pauvre de la planète, l'appui des Etats-Unis aux régimes et aux forces politiques les plus réactionnaires a été une constante de leur politique.
Au temps de l'Union soviétique et de la "guerre froide", les dirigeants américains justifiaient leur politique par la préoccupation de contenir l'influence soviétique.
En premier lieu, sur les limites des zones d'influence soviétique et occidentale. Les deux guerres livrées par les Etats-Unis pour empêcher le risque d'une modification des zones d'influence, l'une en Corée, l'autre au Vietnam, allaient de pair avec la mise en place de dictatures et un soutien indéfectible à ces dernières.
Il a suffi que l'Inde flirte, à l'époque de la Conférence de Bandung, avec une attitude neutraliste pour que les Etats-Unis renforcent leur soutien aux dictatures militaires successives du Pakistan, notamment à celle du général Zia qui, de son côté, menait une politique favorisant le fondamentalisme religieux.
L'impératif d'entourer l'Union soviétique de régimes fidèles à l'alliance américaine motive depuis plusieurs décennies le soutien tout aussi indéfectible au régime turc, quel que soit son caractère dictatorial, militaire et policier, quitte à sacrifier à cette alliance le droit du peuple kurde à une existence nationale, comme d'ailleurs bien d'autres droits et libertés démocratiques pour le peuple turc lui-même.
C'est pour la même raison que les Etats-Unis avaient soutenu le régime du chah en Iran, y compris et surtout contre son propre peuple. La CIA a joué un rôle majeur, au côté des services secrets britanniques, dans le coup d'Etat pour renverser le Premier ministre Mossadegh qui avait osé, en 1951, nationaliser le pétrole iranien. Mais les Etats-Unis ont eu beau protéger le chah et faire de son armée la principale force militaire de la région, il a été emporté par la révolte qui porta au pouvoir l'islamiste Khomeiny. Pour contrer Khomeiny, les Etats-Unis ont alors appuyé Saddam Hussein, le dictateur d'Irak. Dans la longue guerre meurtrière qui a opposé l'Irak à l'Iran de 1980 à 1988, Saddam Hussein était le chevalier blanc des puissances occidentales. La guerre fit plusieurs centaines de milliers de morts. On sait ce qu'il en est advenu : Saddam croyait pouvoir outrepasser le rôle que lui avaient assigné les grandes puissances et il a avalé le Koweit, mini-Etat détaché artificiellement des ensembles étatiques plus grands de la région de l'Irak en particulier dans l'intérêt des grandes compagnies pétrolières. Pour punir Saddam Hussein, l'allié d'hier devenu ennemi, on a bombardé son peuple. La guerre du Golfe et le blocus économique qui se poursuit depuis, n'ont même pas fait tomber le dictateur, mais ils ont fait mourir, sous les bombes ou de privations, un million et demi d'Irakiens.
Les taliban, de leur côté, n'auraient pas pu s'imposer en Afghanistan sans le soutien du Pakistan, en armes et en encadrement, c'est-à-dire sans l'accord des Etats-Unis. Les Etats-Unis espéraient alors que les taliban parviendraient à mettre fin à la situation d'anarchie armée, consécutive à la retraite des troupes soviétiques. Et ils ne furent pas fâchés à l'idée que le prosélytisme des intégristes afghans suscite des courants islamistes dans les républiques d'Asie centrale issues de l'Union soviétique.
Deux autres zones stratégiquement importantes pour les Etats-Unis ont eu à subir les conséquences de cette politique : l'Amérique latine et le Moyen-Orient.
En Amérique latine, faut-il rappeler la longue liste des dictateurs militaires soutenus par les Etats-Unis, la participation de la CIA au renversement du pouvoir d'Arbenz au Guatemala en 1954, l'intervention militaire contre une insurrection populaire à Saint-Domingue en 1964, à Grenade pour renverser un gouvernement considéré trop progressiste en 1983, à Panama avec le prétexte d'arrêter Noriega, ancien agent pourtant de la CIA mais trop impliqué dans le trafic de la drogue et, surtout, coupable de démagogie anti-américaine. Noriega a été arrêté, mais l'intervention fit plusieurs milliers de victimes. Faut-il rappeler l'appui au renversement d'Allende par Pinochet en 1973 et aux massacres qui s'en suivirent, le soutien accordé aux groupes para-militaires d'extrême droite au Salvador et au Guatemala ou aux "contras" contre le régime sandiniste au Nicaragua ?
Au-delà même de ces zones stratégiques, faut-il rappeler le sanglant coup d'Etat militaire en Indonésie en 1965 pour renverser le pouvoir de Soekarno, suspecté de "neutralisme", et le nombre incalculable de victimes un million, peut-être plus en particulier parmi les paysans pauvres qualifiés de rouges ?
Même l'Afrique continent où l'impérialisme américain a laissé le rôle de gendarme aux anciennes puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne pour l'essentiel porte encore aujourd'hui les stigmates du jeu politique américain. Pendant la guerre anticoloniale en Angola et après, pour contrer l'influence du MPLA, suspecté d'être favorable à l'Union soviétique, les Etats-Unis ont financé et armé l'UNITA. Plus d'un quart de siècle après s'être débarrassée du pouvoir colonial portugais, l'Angola n'est toujours pas sortie d'une guerre civile sanglante, opposant le gouvernement central à la guérilla de l'UNITA. Et si l'armée américaine ne peut guère se vanter de son intervention en Somalie, cette intervention a bien eu lieu.
Au Moyen-Orient, si c'est Israël qui est la pièce maîtresse du système d'alliances des Etats-Unis, il n'est pas le seul. L'impérialisme américain a hérité de l'impérialisme britannique et français une situation où les peuples arabes ont été morcelés entre une multitude d'Etats offrant la possibilité de jouer sur leurs rivalités en s'appuyant sur les plus réactionnaires contre ceux qui étaient tentés de prendre un peu d'autonomie politique ou économique.
L'Arabie saoudite, avec son régime sans doute le plus réactionnaire d'une région qui en compte quelques autres, s'est imposée comme le principal défenseur hors Israël des intérêts des Etats-Unis en général et de leurs trusts pétroliers en particulier.
Et il n'est nullement paradoxal que l'argent saoudien ait joué un rôle majeur dans le financement des groupes islamistes, non seulement dans la région mais bien au-delà, jusqu'au GIA algérien ou au groupe Abou Sayaf aux Philippines.
L'Arabie saoudite a pu d'autant plus facilement financer des groupes islamistes que, pendant longtemps, les Etats-Unis comme la Grande-Bretagne, également impliquée dans la région, voyaient dans les forces islamistes des contre-feux au nationalisme arabe montant, symbolisé pendant un temps par l'Egypte de Nasser et puis, dans une certaine mesure, par la Syrie et l'Irak.
On ne manie pas ces forces réactionnaires sans qu'il y ait des chocs en retour.
En dehors de l'Arabie saoudite et de son régime intégriste wahhabite, les forces islamistes sont restées pendant longtemps marginales, se limitant pour l'essentiel aux Frères musulmans égyptiens dont on sait qu'ils ont été aidés, au moins à leurs débuts, par les agents britanniques en Egypte.
Et, paradoxalement, c'est précisément le cours réactionnaire des choses à l'échelle du monde, disons depuis plus d'un quart de siècle, qui a joué un tour à la politique de l'impérialisme américain. Ce cours réactionnaire des choses s'est concrétisé par un recul général des forces qui se revendiquaient bien plus à tort qu'à raison, mais c'est une autre question du socialisme ou du communisme, et même des forces qui se voulaient "nationalistes", "progressistes" ou "tiers-mondistes". Toutes ces forces s'alimentaient en dernier ressort des mécontentements, des colères, des frustrations des peuples opprimés par l'impérialisme.
L'anti-impérialisme déclaré de ces forces multiples se limitait surtout aux discours. Mais il faut se souvenir de l'énorme popularité que valut à Nasser un geste comme la nationalisation du canal de Suez. Nasser et surtout son successeur Sadate finirent par rentrer dans le rang. Mais les causes qui firent leur succès n'ont pas disparu. Au contraire.
La politique de spoliation et de répression d'Israël vis-à-vis du peuple palestinien s'est aggravée avec la durée, avec la politique systématique d'établissement de colonies israéliennes en Palestine, avec la guerre menée lors des Intifadas par une armée moderne contre les cailloux, les bâtons et les bombes primitives d'un peuple désarmé. Qu'il soit dit en passant qu'à son échelle, Israël a mené une politique similaire à celle des Etats-Unis et a cru, un moment, pouvoir se protéger contre le nationalisme d'Arafat en laissant ses services secrets appuyer les intégristes du Hamas.
Mais les créatures échappent aujourd'hui aux créateurs. Le Hamas canalise à son profit la perte de confiance croissante des masses palestiniennes à l'égard d'Arafat. Les intégristes du Soudan et les taliban afghans se sont retournés contre leurs anciens protecteurs. Le recul du nationalisme "socialisant" dans les pays arabes a laissé le champ libre aux forces politiques islamistes pour s'adonner à une certaine démagogie anti-américaine.
Faute que d'autres perspectives soient offertes aux masses déshéritées de la région, l'intégrisme religieux, jusqu'à ses variantes terroristes, est devenu le vecteur par lequel s'expriment leur désespoir et leur haine de la situation qui leur est faite.

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