jeudi 18 juin 2015

:: 30 juin 1960 : indépendance du Congo belge [LO, juillet 2010]


Le 30 juin 1960, la Belgique octroyait l'indépendance au Congo, son ancienne colonie. À l'issue de négociations avec les principaux leaders politiques, le roi Baudouin transmettait le pouvoir à Joseph Kasavubu et Patrice Lumumba, respectivement président et Premier ministre de la nouvelle république. Mais l'impérialisme belge entendait bien conserver un droit de regard sur l'évolution du pays et préserver ses intérêts économiques, quitte à mettre le Congo à feu et à sang pendant cinq ans.

Un lourd passé colonial

C'est dans les années 1880 que le roi Léopold II de Belgique, jouant sur les rivalités entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne en Afrique, s'empara d'un immense territoire, grand comme quatre-vingts fois la Belgique, qu'il considéra comme sa propriété. Il fit main basse sur les fabuleuses richesses naturelles du Congo, n'hésitant pas à recourir aux méthodes les plus barbares pour obtenir de la population le maximum d'ivoire puis de caoutchouc qui poussait à l'état sauvage dans les forêts équatoriales. En quelques années, ce système d'exploitation fit la fortune de Léopold et des sociétés capitalistes qui s'étaient engagées derrière lui, mais il coûta la vie à plusieurs millions d'Africains.

La cession du Congo par le roi à l'État belge, en 1908, ne changea rien à la domination coloniale. Des dizaines de milliers de fonctionnaires belges régnaient sur une population soumise au travail forcé et privée de tout droit politique.

Entre les deux guerres mondiales, les ressources minières du Congo (cuivre, diamant, étain, zinc et minerais rares.) furent largement exploitées, ainsi que d'immenses plantations consacrées à des cultures d'exportation (coton, café, riz, caoutchouc...). Les trusts qui pillaient le Congo, avec la protection et la complicité de l'État belge, avaient pour nom la Société Générale de Belgique, le Comité national du Kivu, la Société des huileries du Congo, la Forminières - une filiale de la Société Générale régnant sur l'exploitation des diamants du Kasaï -, et surtout l'Union minière du Haut-Katanga. À la veille de l'indépendance, cette riche province assurait à elle seule plus de la moitié des exportations du pays.

De l'agitation anticoloniale à l'indépendance

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le Congo belge fut touché comme bien d'autres pays africains par une agitation anticoloniale. En 1944 et 1945, grèves, émeutes et révoltes se multiplièrent chez les ouvriers, les paysans et les soldats.

Parallèlement, à l'initiative d'une petite élite intellectuelle qui ne comptait que quelques milliers de membres à la veille de l'indépendance, des clubs, des cercles d'études et des associations se constituèrent dans les grandes villes. Du côté des partis réclamant l'indépendance immédiate se trouvait l'Abako, l'association des Bakongo, une ethnie résidant principalement dans les régions de la capitale Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa) et de l'embouchure du fleuve Congo. Son porte-parole était un ancien séminariste, Joseph Kasavubu. Le Mouvement national congolais, fondé par Patrice Lumumba en 1956, tenait quant à lui un langage très radical et prônait la création d'un État national dépassant les cloisonnements ethniques. La Belgique voyait d'un mauvais oil l'influence grandissante du MNC et de Lumumba, confirmée par son succès aux premières élections générales de mai 1960.

À côté de ces deux grands partis, se créèrent de nombreux mouvements sur des bases régionales ou ethniques, comme la Conakat (Confédération des associations katangaises) de Moïse Tschombé, le PSA (Parti de la solidarité africaine) d'Antoine Gizenga, et bien d'autres, notamment au Kivu et au Kasaï.

L'agitation anticoloniale culmina en 1959. Début janvier, la police ouvrit le feu pour disperser une réunion interdite de l'Abako à Léopoldville. Ce massacre, qui fit officiellement 49 morts et 116 blessés, déclencha un soulèvement populaire qui dura plusieurs jours. Les manifestants, qui avaient pour revendication l'indépendance, s'attaquèrent à des colons blancs. L'armée réprima brutalement ce mouvement et, tenus pour responsables, plusieurs leaders de l'Abako, dont Kasavubu, furent arrêtés.

Devant l'ampleur de ces événements, le pouvoir belge comprit qu'il était en train de perdre sa colonie. Dans son discours du 13 janvier, le roi Baudouin évoqua pour la première fois, l'indépendance et la réunion d'un Parlement congolais élu au suffrage universel. Mais les troubles continuèrent et s'étendirent à tout le pays. En octobre, Lumumba fut à son tour arrêté après des émeutes à Stanleyville (aujourd'hui Khisangani).

Cherchant une issue à la crise, le pouvoir belge réunit à Bruxelles les leaders de tous les partis congolais, y compris Lumumba, qui sortit pour la circonstance de sa prison, à la demande insistante des autres participants. L'indépendance fut décidée pour le 30 juin 1960 et l'exécutif du nouveau pouvoir confié aux représentants de deux principaux partis, Kasavubu et Lumumba.

Le jour dit, Baudouin prononça un discours dans lequel il vantait les bienfaits de la colonisation et son action dans l'accession du pays à l'indépendance. Bousculant le protocole, Lumumba prit la parole derrière lui pour rétablir la vérité : l'indépendance n'était pas octroyée, mais le fruit d'une longue lutte après quatre-vingts ans d'humiliations, de spoliations et de souffrances pour la population noire.

Les manœuvres sanglantes de l'impérialisme pour préserver ses intérêts

En dépit de l'indépendance, l'État belge entendait conserver un étroit contrôle sur le Congo. L'économie restait évidemment aux mains des trusts belges et occidentaux. L'armée, baptisée Force publique, était toujours encadrée par des officiers belges. Le général qui la commandait avait d'ailleurs fait inscrire ce slogan qui en disait long : « Après l'indépendance = avant l'indépendance .»

Mais la population pauvre des villes comme des campagnes attendait de l'indépendance une amélioration concrète de son niveau de vie et plus de considération de la part des Blancs. La situation restait donc très tendue. Un incident opposant des soldats congolais à des officiers belges mit le feu aux poudres en provoquant une mutinerie à Thysville, qui s'étendit rapidement à toutes les garnisons du pays.

Lorsque la rébellion gagna le Katanga, les plus hautes autorités belges et l'Union minière suscitèrent la sécession de cette riche province et propulsèrent Moïse Tschombé, un nationaliste opposé à Lumumba, à la tête d'un gouvernement fantoche. Le Katanga fut bientôt rejoint par le Sud-Kasaï, où agissait une filiale de la Société Générale contrôlant l'extraction du diamant. En fait, l'impérialisme belge attisait les rivalités ethniques et régionales, afin de provoquer l'éclatement du Congo et d'isoler les provinces les plus riches pour mieux les garder sous son contrôle.

Cette mutinerie et quelques exactions commises à l'encontre de la communauté blanche provoquèrent un vent de panique chez les fonctionnaires belges, dont beaucoup s'enfuirent. Invoquant la nécessité d'« assurer la protections de ses ressortissants », le gouvernement belge décida, à la mi-juillet, d'envoyer 10 000 soldats.

Lumumba lui-même réclama l'intervention de l'ONU contre l'agression extérieure de l'armée belge. Mais, en guise d'intervention, les troupes de l'ONU s'employèrent surtout à protéger les provinces sécessionnistes que le gouvernement central congolais entendait réduire.

Le coup d'État de Mobutu

L'impérialisme jugea que l'heure était venue de se débarrasser d'un Lumumba qui contrariait de plus en plus ses projets. Agissant d'un commun accord, la monarchie belge, les trusts, l'ONU et la CIA préparèrent son élimination. Avec leur aide, le colonel Mobutu s'empara du pouvoir le 14 septembre. Lumumba fut arrêté et placé en résidence surveillée. Après une tentative de fuite, il fut rattrapé par la soldatesque de Mobutu. Torturé, il fut envoyé au Katanga où Tschombé le fit assassiner le 17 janvier 1961.

Finalement, au terme d'une répression qui dura plusieurs mois et vit des milliers d'opposants arrêtés, voire exécutés, les bandes armées de Mobutu parvinrent à imposer leur dictature militaire qui allait sévir pendant plus de trente ans.

Roger MEYNIER (LO, juillet 2010)

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