dimanche 27 septembre 2015

:: 5 septembre 1960 : le procès Jeanson et le manifeste des 121

Le 5 septembre 1960 débutait devant un tribunal militaire, à Paris, le procès de militants algériens du FLN et d'un réseau métropolitain de soutien à ce dernier, le " réseau Jeanson ", du nom de son initiateur. Francis Jeanson avait organisé des militants qui se donnaient comme objectif d'" organiser l'hébergement en France des responsables du Front et faciliter l'acheminement vers l'extérieur des sommes versées à cette organisation par les travailleurs algériens ". On les appelait " les porteurs de valises ".

Le jour même où le procès commençait, fut annoncée la " Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie " dit " Manifeste des 121 ". 121 personnalités des arts, du spectacle, de la science ou de l'université, et des plus connus tels Sartre, André Breton, Théodore Monod, Pierre Boulez, Simone Signoret, y affirmaient courageusement non pas un soutien de pure forme avec les accusés, mais leur solidarité avec le combat du FLN. Ils justifiaient également le refus de combattre en Algérie et la désertion de soldats français.

Cet appel fit grand bruit. Depuis le début de la guerre en Algérie, en 1954, individuellement ou collectivement, des intellectuels s'étaient déjà élevés contre tel ou tel crime et méfait de la guerre, en particulier contre la pratique de la torture. Mais le Manifeste des 121 était le premier du genre à avoir une telle ampleur et surtout un tel contenu. Venant d'un milieu habituellement peu enclin, sauf exceptions individuelles, à contester la loi et l'Etat, cette incitation de fait à la désertion était un camouflet pour celui-ci, pour ses gradés, ses juges et le gouvernement de Gaulle. Leur réaction ne se fit pas attendre. Ainsi, certains signataires fonctionnaires furent révoqués, tel l'universitaire Pierre Vidal-Naquet, ou le mathématicien Laurent Schwartz, professeur à l'ƒcole polytechnique dont le fils fut même enlevé par l'extrême droite.

Bien sûr, l'initiative des 121 eut un impact limité, touchant surtout les enseignants et les étudiants dont bon nombre n'avaient pas la moindre envie de partir faire la guerre en Algérie. La guerre allait durer près de deux années encore.

De leur côté, les forces qui en France disposaient alors du crédit et des militants nécessaires pour tenter de mobiliser collectivement les masses contre la guerre, le PCF et la CGT, se gardaient bien de le faire ou ne le firent que de façon très limitée. Jamais elles n'en appelèrent à la force collective des travailleurs pour refuser à l'Etat et à l'armée les moyens de leur guerre contre le peuple algérien. Jamais elles ne tentèrent par exemple de convaincre les travailleurs de refuser les impôts, le transport des armes ou la fabrication du matériel de guerre. Le PCF et la CGT critiquèrent même l'incitation à l'insoumission du Manifeste des 121 sous prétexte que c'était un geste individuel. Or ces organisations, elles, auraient eu l'occasion de tenter d'organiser le refus collectif de la guerre en 1955 et 1956, lorsque les gouvernements de l'époque ordonnèrent le rappel des réservistes puis l'envoi du contingent en Algérie. En effet, des recrues, des " rappelés " principalement, tentèrent alors dans plusieurs endroits de bloquer les trains pour ne pas partir, avec souvent la participation de membres du PCF ou de la JC. Mais le PCF ne fit rien alors pour essayer d'en faire un mouvement général et politique contre la guerre coloniale. Pire, en mars 1956, il vota les pouvoirs spéciaux au socialiste Guy Mollet qui les utilisa pour étendre la guerre et envoyer justement en Algérie les appelés du contingent. La principale opposition à la guerre d'Algérie se manifesta donc dans les milieux intellectuels et étudiants. Le manifeste des 121, de 1960, puis un peu plus tard les manifestations de l'UNEF allaient contraindre PCF et CGT à manifester à leur tour. Mais c'était après six ans de guerre durant lesquels ils étaient restés passifs, quand ils n'avaient pas carrément apporté leur caution à des gouvernements qui accentuaient la guerre, comme celui de Guy Mollet.

Michel ROCCO

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