vendredi 9 septembre 2011

:: 9 septembre 1976 - Mort de Mao Tsé-toung : un nationaliste, pas un communiste

Il y a 25 ans mourait Mao Tsé-toung. La presse ne manque pas une occasion de rappeler les épisodes sanglants de son régime, et surtout de les attribuer au communisme dont Mao disait se réclamer. Et en effet, la Chine maoïste a bien souvent servi, avec l'URSS stalinienne dont elle avait copié certains traits, de repoussoir anticommuniste. A en croire nombre de journalistes, ce pays n'aurait été pendant des dizaines d'années qu'un vaste goulag asiatique, dont se seraient peu à peu affranchis les successeurs de Mao en renouant avec l'Occident et l'économie de marché. Un scénario intéressé, maintes fois rabâché, qui a peu à voir avec la réalité. 

Un régime avant tout nationaliste 
Lorsque Mao et ses compagnons d'armes prirent le pouvoir en 1949, leur objectif se bornait en fait à limiter l'emprise sur leur pays des puissances impérialistes qui en suçaient le sang depuis plus d'un siècle. Car pour ce qui est de « l'ouverture à l'Occident », la Chine avait largement donné. Au milieu du XIXe siècle, afin de promouvoir le « libre commerce » de l'opium, les canonnières anglaises et françaises avaient forcé la Chine à se soumettre à la rapacité des grandes puissances, s'arrogeant des enclaves dans ses ports, des concessions « interdites aux chiens et aux Chinois », à partir desquelles elles pillaient tout le pays. Et en fait de démocratie, la population avait vu les soldats occidentaux et japonais prêter main forte à ses oppresseurs chinois à chaque fois qu'elle tentait de relever la tête. 
C'est à cette situation que Mao entendait mettre un terme, pour faire du pays un Etat moderne. Cet objectif fut celui de maints autres leaders du Tiers Monde, sous bien des drapeaux. En Chine, il se trouva qu'il fut incarné par un parti et des hommes qui, une vingtaine d'années auparavant, s'étaient formés dans le moule du stalinisme dont ils avaient retenu la phraséologie et, aussi, l'idée que l'intervention de l'Etat pouvait être un moteur puissant du développement économique. Il n'en reste pas moins que lorsque le Parti Communiste Chinois, après de longues années de guérillas infructueuses, prit le pouvoir, porté par l'immense révolte paysanne qui déferla sur la Chine à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce ne fut pas pour instaurer un régime où les richesses cesseraient d'appartenir à une petite minorité de privilégiés. En 1945, Mao avait déclaré ne pas viser « la bourgeoisie en général, mais l'oppression impérialiste et féodale, (et que) le programme de la révolution n'est pas d'abolir la propriété privée, mais de protéger la propriété privée en général ; cette révolution ouvrira la voie au développement du capitalisme ». Et dès l'installation du nouveau régime, la classe ouvrière fut appelée à « continuer à vaquer à ses occupations » et la paysannerie priée de tempérer ses velléités de réforme agraire. Il s'agissait de ne pas compromettre l'harmonie du « Bloc des quatre classes », bourgeoisie nationale, prolétariat, paysannerie et classes moyennes, sous l'égide duquel se plaçait la direction maoïste. 

Une étatisation imposée par le blocus impérialiste 
Encore aurait-il fallu que cette bourgeoisie nationale, vis-à-vis de laquelle Mao multipliait les attentions, accepte de jouer le jeu et que l'impérialisme tolère ce régime. Ce ne fut pas le cas. Dès la fin 1950, les USA décrétèrent le blocus économique du pays alors que débutait la guerre de Corée. Dans ce contexte, les bourgeois chinois que Mao aurait voulu convaincre de faire tourner la production dans l'intérêt national, tout en conservant leurs richesses et privilèges, s'y refusèrent. Ils trouvaient plus rentable de continuer leurs trafics habituels, désorganisant l'économie et mettant le pays en danger militaire, et n'envisageaient nullement de renoncer à leur rôle parasitaire. C'est donc par la force des choses, par instinct de survie et non par idéologie, que le régime dut nationaliser les entreprises au milieu des années cinquante. 
Malgré ces conditions d'isolement, aggravées ensuite encore par la rupture avec l'URSS, la direction maoïste poursuivait son but, toujours le même : essayer de faire de la Chine un Etat moderne et une grande puissance, alors que, isolée, appauvrie par un siècle de pillage impérialiste, elle n'en avait pas les moyens. C'est donc à l'immense masse paysanne que le régime allait imposer des efforts inouïs pour tenter d'atteindre ses objectifs. Dans les campagnes « collectivisées », les paysans se virent arracher la plus grande partie du fruit de leur travail pour financer l'industrialisation. On leur imposa de s'épuiser dans de grands travaux et même, lors du « Grand Bond en avant », de produire de l'acier dans les villages pour « rattraper l'Angleterre en 15 ans » ! Dans les villes, la classe ouvrière fut soumise à un régime quasi militaire. Régulièrement le pouvoir eut recours à la répression et mobilisa ses cadres pour étouffer toute velléité d'agitation sociale. La « Révolution culturelle », qui débuta en 1969, vit le régime s'appuyer sur l'armée pour mobiliser la jeunesse estudiantine afin de mettre au pas la population urbaine. Cela, dans le cadre d'une reprise en main militaire du pays par l'appareil d'Etat car, la guerre du Vietnam s'étendant alors, le régime semblait craindre d'être à son tour menacé, en tout cas déstabilisé par elle. 

Le bilan du maoïsme… et celui du capitalisme en chine 
L'étatisme a permis à la Chine, sinon d'échapper au sous-développement, du moins de ne pas laisser libre cours aux prélèvements de l'impérialisme ainsi qu'à ceux de la bourgeoisie locale. Cela lui a évité de s'enfoncer toujours plus dans la pauvreté, comme nombre d'Etats du Tiers Monde devenus indépendants à la même époque. Mais cet étatisme, outil d'une perspective nationaliste qui fut la constante du maoïsme, n'avait rien de communiste, pas plus que la politique et les intérêts qu'il servait. Aussi est-ce le plus naturellement du monde que l'Etat chinois réintégra le marché capitaliste dès que les USA le lui permirent. Cela se fit du vivant même de Mao lorsque, défaits au Vietnam, les Etats-Unis décidèrent de rechercher un nouveau règlement global en Asie, intégrant désormais la Chine. Peu avant la mort de Mao, Nixon vint ainsi lui serrer la main à Pékin. Depuis lors les dirigeants chinois n'ont fait qu'approfondir cette voie, à travers certes maints à-coups et zigzags. 
Les capitalistes du monde entier peuvent désormais exploiter les ouvriers chinois dans des « zones franches » créées à cet effet depuis 1979. Certains y trouvent leur compte, ainsi que toute une frange de nouveaux riches chinois. Mais ce n'est bien sûr pas le cas de l'immense majorité de la population. 
Tout en pressurant celle-ci pour tenter de faire décoller l'économie, le régime maoïste avait en effet instauré un certain égalitarisme dans la distribution des ressources, au moins celles de première nécessité. En tout cas, cela avait évité à la population de connaître un dénuement aussi effroyable que celui de l'Inde, comparable à bien des égards, mais dont le régime est toujours resté dans le giron de l'impérialisme. Il y avait des privilèges en Chine maoïste, mais ils pesaient infiniment moins sur la population que les prélèvements imposés par l'impérialisme aux pays du Tiers Monde qu'il domine. Et cette différence de situation avait suffi à assurer aux Chinois un sort un peu plus enviable au niveau de la santé, de l'éducation, du logement ou de l'alimentation, que celui des Indiens, par exemple. 
De ce point de vue, la réintroduction de la Chine dans le marché mondial, c'est-à-dire dans une économie de plus en plus ouverte au pillage, ne peut que faire resurgir les tares du passé. Dans les villes et les campagnes, cela a déjà fortement accru des différenciations sociales, annonciatrices à terme d'une profonde régression sociale. 
Le temps écoulé depuis que la Chine a renoué avec le marché mondial est maintenant comparable à celui pendant lequel elle en avait été écartée. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'impérialisme, avec ses immenses moyens, n'a pas fait mieux que le régime maoïste pour ce qui est d'améliorer le sort de la population. 
Alors, si l'histoire de la Chine depuis 1949 entraîne une condamnation, ce n'est pas celle du communisme, que le régime nationaliste fondé par Mao n'a jamais représenté. C'est celle du capitalisme sous toutes ses formes. 

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